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Bravades

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Bravades.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 184-187 :

BRAVADES. Les Scènes de Bravades sont fréquentes sur notre Théâtre ; & le succès en est presque sûr, parce qu’elles font nécessairement passionnées. Elles ne sont pas rares non plus chez les Grecs ; mais nos idées de décence & de convenance n'étant point les mêmes que celles de ce peuple, les Scènes en ce genre du Théâtre Grec ne peuvent guères nous servir de modèles.

Toutes les Scènes de Bravades doivent être ménagées par gradation ; & quand on a une fois laissé échapper de ces reproches & de ces menaces qui ne laissent plus lieu à la conversation, tout doit être dit. Dans le Cid, lorsque Rodrigue a dit au Comte, as-tu peur de mourir, le Comte lui dit pour toute réponse

Viens ; tu fais ton devoir ; & le fils dégénere,
Qui survit un moment à l'honneur de son pere.

Corneille n'a pas de même suivi cette régle dans Heraclius, où Pulchérie & Phocas restent long-tems sur la Scène après que Pulchérie a avili Phocas par les reproches & par le dédain dont elle l'accable.

Racine & M. de Voltaire sont des modèles dans la maniere de traiter ces Scènes. Chez eux, les Rivaux sont à la sois défians & animés, conservent toujours la décence jusques dans les reproches les plus amers. Voyez dans Britannicus la huitième Scène du troisième Acte entre Britannicus & Néron ; dans Mithridate, la troisième Scène du premier Acte entre Xipharès & Pharnace ; celle d'Agamemnon & d'Achille au quatrième Acte d'Iphigénie. II y a peu de Piéces de M. de Voltaire où l'on ne trouve aussi de ces Scènes.

Les Scènes de Zamti & de Gengis, de Gengis & d'Idamé, peuvent être citées comme des modeles d'une décence qui ajoute à l'intérêt.

Zamti, après avoir sauvé les jours de l' Orphelin, est condamne à mort par Gengis, qui lui dit :

Va réparer ton crime, ou subir ton trépas.

Zamti.

Le crime est d'obéir à des ordres injustes.
La souveraine loi de mes Maîtres augustes,
Du sein de leurs tombeaux parle plus haut que toi.
Tu fus notre Vainqueur ; & tu n'es pas mon Roi,
Si j'étois ton Sujet, je te serois fidele.
Arrache-moi la vie ; & respecte mon zèle :
Je t'ai livré mon fils ; j'ai pu te l'immoler ;
Penses-tu que pour moi je puisse encor trembler ?

Et il n'ajoute plus rien.

Dans la quatrième Scène du quatrième Acte, Idamé rejette les offres de Gengis, & s'expose à toute sa colere. Elle lui dit :

Mon hymen est un nœud formé par le Ciel même ;
Je le préfere à vous, au thrône, à vos grandeurs
Pardonnez mon aveu, mais respectez nos mœurs.
Ne pensez pas non-plus que je mette ma gloire
A remporter sur vous cette illustre victoire,
A braver un Vainqueur, à tirer vanité
De ces justes refus qui ne m'ont point coûté.
Je remplis mon devoir, & je me rends justice ;
Je ne fais point valoir un pareil sacrifice.

II ne doit jamais y avoir dans les bravades une fierté inutile. Quoiqu'elle soit fort théâtrale, elle révolte quand elle n'est pas nécessaire. On est fâché de voir qu'elle dépare les belles Scènes de Cornélie & de César, dans la Mort de Pompée.

On trouve dans Racine des Scènes qui sont des espéces de bravades entre femmes. On ne sauroit trop admirer l’adresse avec laquelle il a su les rendre théâtrales. C'est un dépit concentré , un mépris ironique. Voyez dans Andromaque la quatrieme Scène du troisieme Acte entre cette Princesse & Hermione. Elle veut intéresser sa Rivale en faveur de son fils, & implore sa saveur auprès de Pyrrhus. Hermione lui répond :

Je conçois vos douleurs ; mais un devoir austère,
Quand mon pere a parlé, m'ordonne de me taire.
C'est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux.
II faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?
Vos yeux assez long-tems ont régné sur son ame ;
Faites-le prononcer, j'y souscrirai, Madame.

De même dans Bajazet, Roxane trahie par Bajazet, & qui a résolu sa mort, entend la priere d'Atalide qui l'a trompée si cruellement, & qui offre de lui céder Bajazet en se donnant la. mort. Roxane lui répond :

Je ne mérite pas un si grand sacrifice ;
Je me connois, Madame, & je me fais justice.
Loin de vous séparer, je prétends aujourd'hui,
Par des nœuds éternels, vous rejoindre avec lui
Vous jouirez bientôt de son aimable vue.

Et c'est le corps sanglant de Bajazet qu'elle veut offrir à ses yeux.

Des Rivaux & des Rivales ne doivent jamais paroître ensemble sur la Scène, sans avoir des choses intéressantes à se dire. Le Spectateur s'y attend dès qu'il les voit; & il seroit mécontent si son attente étoit trompée.

II faut prendre garde sur-tout que le Personnage intéressant n'entende rien qui puisse l'avilir. La fierté & la colere d'Assur dans Sémiramis, n'ont rien qui dégrade Arsace aux yeux du Spectateur.

Références :

Corneille, le Cid, acte 2, scène 2, vers 443-444 (le Comte ne répond pas à la provocation de Rodrique).

Corneille, Héraclius (Pulchérie et Phocas restent en scène après que Pulchérie a humilié Phocas).

Corneille, la Mort de Pompée, fin de l’acte III (bravade inutile entre Cornélie et César).

Racine, Andromaque, acte 3, scène 4 (bravade entre femmes, réponse d’Hermione à Andromaque).

Racine, Bajazet, acte 5, fin de la scène 6 (Roxane répond à Atalide).

Racine, Britannicus, acte 3, scène 8 (Néron et Britannicus).

Racine, Iphigénie, acte 4, acte 4, scène 6 (Agamemnon-Achille) .

Racine, Mithridate, acte 1, scène 3 (Xipharès, Pharnace).

Voltaire, l’Orphelin de la Chine, acte 3, scène 3 (Gengis, Zamti), acte 4, scène 4 (Gengis, Idamé).

Voltaire, Sémiramis (colère d’Assur).

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