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Esprit

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Esprit.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 452-453 :

ESPRIT. Ce qu'on appelle Esprit, est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine : ici l’abus d'un mot qu'on présente dans un sens, & qu'on laisse entendre dans un autre : là, un rapport délicat entre deux idées peu communes : c'est une métaphore singuliere ; c'est une recherche de ce qu'un objet ne présente pas d'abord, mais de ce qui est en effet dans lui ; c'est l’art ou de réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses qui paroissent se joindre, ou de les opposer l'une à l'autre ; c'est celui de ne dire qu'à moitié sa pensée, pour la laisser désirer. Mais tous ces brillans ne conviennent jamais dans la Tragédie, ni dans aucun Ouvrage qui doit intéresser. La raison en est, qu'alors c'est l'Auteur qui paroît, & que le Public ne veut voir que le Héros. Or ce Héros est toujours ou dans la passion, ou en danger. Le danger & les passions ne cherchent point TEsprit.

On a donc blâmé avec raison les Vers que Racìne met dans la bouche de Pyrrhus parlant à Andromaque dans. la Tragédie de ce nom :

Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troyc.
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,
Brûlé de plus de feux que je n’en allumai.

Et encore plus ce Vers que Corneille met dans la bouche d' Antiochus, qui vient d’entendre la proposition d'assassiner sa mere, de Rodogune, qui se retire après cette proposition :

Elle fuit, mais en Parthe, en me perçant le cœur.

Toutefois il y a plusieurs occasions où l'Esprit, dans l'acception ordinaire de ce mot, vient au secours du Poëte, & semble lui tenir lieu de génie. Le génie produit de grands effets par un petit nombre de moyens simples. L'Esprit vient à bout d'en produire en multipliant des ressorts qu'il combine avec adresse, en faisant rentrer dans son sujet tout ce qui peut lui prêter des embellissemens, &c. On connott plusieurs Piéces au Théâtre, qui ne doivent leur succès qu'à un tissu d'artifices ingénieux.

Dans la Comédie, l'Esprit trouve sa place plus naturellement. Dans un Portrait, dans une Scène de conversation, comme celle de la Coquette & de la Prude dans le Misanthrope : les Pièces de Dufrény en sont pleines. Mais ce n'est guères avec de l'Esprit, que Moliere produit son Comique ; il le tire toujours du fond de la situation.

Dans l'Opéra, il sert à rendre un Madrigal plus piquant; c'est la maniere de Lamotte & de Fontenelle ; c'est rarement celle de Quinaut, qui met tout en sentiment.

Références :

Corneille, Rodogune, acte 3, scène 5, vers 1050 : la sortie de Rodogune est qualifiée par Antiochus de « flèche du Parthe », trait d’esprit étranger à la tragédie.

Dufresny (Charles, dramaturge, 1648-1724), auteur de nombreuses comédies pleines de verve.

Fontenelle (1657-1757), philosophe, mais aussi auteur de livrets d’opéras (Psyché et Bellérophon avec Lully, Thétis et Pélée avec Colasse), utilise volontiers l’esprit pour rendre piquant un madrigal.

Houdar de La Motte (Antoine, 1672-1731), auteur entre autres œuvres dramatiques de livrets d’opéras, utilise volontiers l’esprit pour rendre piquant un madrigal.

Molière, le Misanthrope, acte 2, scène 4 : la scène des portraits où Célimène montre sa virtuosité langagière et son esprit.

Quinault utilise peu l’esprit dans ses livrets, et recourt plus aux sentiments.

Racine, Andromaque, acte 1, scène 4, vers 318-320 : les propos de Pyrrhus sont marqués par un esprit qui ne convient pas dans la tragédie.

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