Opéra français (histoire de l')

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Opera-François (Histoire de l’).

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 332-336 :

OPERA-FRANÇOIS, (Histoire de l’) Les Italiens font les inventeurs de l'Opera. Ce brillant Spectacle fut introduit en France par le Cardinal Mazarin en 1645. Le succès qu'eut parmi nous la Pièce Italienne, intitulée Orphée & Euridice, fit souhaiter qu'on donnât de pareils Ouvrages dans notre Langue. L'Abbé Perrin fut le premier qui hasarda des paroles Françoises , à la vérité fort mauvaises , mais qui réussîrent pourtant assez bien, lorsqu'elles eurent été mises en Musique par l'Organiste Cambert. Cette Pièce est une Pastorale en cinq Actes, qu'on représenta pour la première fois à Issy, sans employer les danses ni les machines. Elle fut si généralement applaudie, que le Cardinal en fit donner plusieurs représentations devant le Roi & tout la Cour.

Le Marquis de Sourdeac fit alors connoître son génie pour les machines. Il s'associa avec le Poëte Perrin & le Musicien Cambert pour donner des Opera ; & ces trois Fondateurs du Théâtre Lyrique firent représenter, dans un Jeu de Paume de la rue Mazarine, quelques Pièces, dont la Poësie seule fut trouvée mauvaise. Quelque tems après, Jean-Baptiste Lully obtint des Lettres patentes en forme d'Edit, portant permission de tenir Académie Royale de Musique, & il y fit construire un nouveau Théâtre près du Luxembourg, dans la rue de Vaugirard. Ce célèbre Musicien donna au Public le 15 Novembre 1671 les Fêtes de l'Amour & de Bacchus, Pastorale composée de différens Ballets.

Après la mort de Molière, le Roi donna à Lully la Salle du Palais Royal, où, depuis le mois de Juillet 1673, tous les Opera ont été représentés jusqu'à présent.

Lully avoit un talent supérieur pour la Musique : il s'associa avec Quinault, qui avoit lui-même un génie éminent pour la Poësie. Celui-ci, en s'écartant du goût, de la forme & de la coupe ordinaire des Opera Italiens, en créa un d'un nouveau genre, conforme à l'esprit & au goût de la Nation. Il imagina des actions tragiques, liées à des danses, au mouvement des machines, & aux changemens de décorations.

Tout ce que la passion de l'amour peut fournir de vivacité, de tendresse & d'expressions fortes de sentiment, ce que la magie ou la puissance des Dieux peut produire de merveilleux, fut mis en œuvre par ce Poëte dans les différens Ouvrages dont il a enrichi ce Spectacle.

Lully composa la Musique de tous ces Opera. Son principal mérite est d'avoir trouvé des chants tout-à-fait analogues à la Langue Françoise ; la partie du récitatif sur-tout est celle où il a excellé. C'est presque toujours une déclamation naturelle, simple, remplie de grâces & d'expressions ; presque toujours noble, quelquefois grande & sublime, mais souvent aussi monotone. Il s'en faut beaucoup que les symphonies ayent la même beauté ; tous ses grands airs, ainsi que ses ouvertures, semblent être jettés dans le même moule ; & à le bien prendre, il n'a proprement fait qu'un seul de chacun de ces airs dans chaque genre. Sa réputation cependant étoit extrême ; tous les Musiciens le regardoient comme leur Maître ; & le Public ne voyoit que lui dans les Opera que l'on donnoit de son tems : le chant faisoit difparoître les paroles ; le Poète étoit éclipsé par le Musicien ; & ce n'est guère que depuis environ quarante ans, qu'on s'est apperçu en France, que Quinault étoit un Poète au-dessus du commun.

Après la mort de Lully, l'Opera passa à deux de ses fils, qui n'eurent point les talens de leur pere. Depuis, regardé comme une espéce de Ferme, il fut livré à des Directeurs avides, qui s'enrichirent en l'appauvrissant. .Pendant toute leur administration, ce Spectacle fut mal entretenu, les Acteurs mal choisis, les créanciers mal payés, & le Public mal servi.

Parmi ceux qui, depuis Quinault & Lully, ont travaillé pour ce Théâtre, nous n'avons guères eu que MM. de la Mothe, Danchet, Roi, Duché, Fontenelle, Lafont, Moncrif, l'Abbé Pellegrin, Cahusac, Bernard & Rousseau de Genève, qui méritent quelque considération parmi les Poëtes ; & Campra, Destouches, Mouret, Rameau, Mondonville, Rebel, Francœur, Royer, Dauvergne, Rousseau, Monsigny, Philidor, Gluck & Grétry parmi les Musiciens. Lamothe a créé deux genres nouveaux, qui ont enrichi ce Spectaele, le Ballet & la Pastorale. Son Europe Galante est un Ouvrage enchanteur pour les paroles & pour la Musique. La Pastorale d’Issé est admirable ; son succès a toujours été brillant ; & elle le mérite par toutes les grâces, de sentiment qui y sont répandues. Campra a fait la Musique du Ballet, & Destouches celle de la Pastorale.

Campra étoit véritablement Musicien ; il avoit une portion de génie qui donnoit à sa Musique un caractère qui lui étoit propre. Pour les chants, il est inférieur à Lully ; mais il vaut mieux que lui pour la symphonie.

Destouches n'étoit point Musicien ; il avoit des chants & du goût, mais n'entendoit ni les Chœurs, ni les symphonies. C'étoit Campra & Lalande qui faisoient celles de ses Opera. Homme d'intrigue, insinuant & adroit, il avoit fait entendre à nos Courtisans ; quelles ne devoient être que la partie du simple Musicien artisan ; c'est qu'en effet il n'étoit pas capable de les faire.

Roy a travaillé en concurrence avec La Motte & Danchet : il a donné vingt-un Opera ou Ballets. Les Elcmens & Callirhoé, sont les deux seuls Ouvrages qui paroissent devoir rester au Théâtre. C'est Destouches qui en a fait la Musique. Roy a travaillé avec tous les différens Musiciens qu'il y a eu de son tems.

En 1733, Rameau donna Hyppolite & Aricie ; bientôt après on représenta ses Indes Galantes ; & voilà l'époque de la révolution de la Musique en France. Musicien de génie, élevé, sublime, toujours varié, toujours fécond, Rameau par ses Ouvrages éclaira la Nation. La Musique est depuis entrée dans l'éducation de tous nos jeunes gens. Les vieillards, attachés au genre qu’ils connoissent, s'élevèrent avec force contre ce nouveau phénomène : ils avoient pour eux tout ce qu'il y y avoit alors de Musiciens ignorans, qui trouvèrent qu'il étoit plus aisé de déclamer contre le goût nouveau, que de le suivre. Les plus habiles furent partagés ; & dès lors on vit en France deux Partis violens & extrêmes, acharnés les uns contre les autres : l'ancienne & la nouvelle Musique fut, pour chacun d'eux, une espece de Religion, pour laquelle ils prirent tous les armes.

Il manquoit un Poëte à Rameau ; ses premiers Opera sont de différens Auteurs, comme les Ballets de Roy avoient été de divers Musiciens. A un second Lully il falloit un autre Quinault ; mais où le trouver ? Cahufac se lia avec lui ; & ils donnèrent ensemble plusieurs Opera. L'objet principal de ce Poëte étoit de ramener le merveilleux sur le Théâtre Lyrique & de lier les divertissemens à l'action principale, d'une manière si intime, que l'un ne puisse pas subsister sans l'autre.

Tel étoit l'Opéra, lorsque le Roi, en se déclarant le Protecteur de l'Académie Royale de Musique, l'a mise, pour l'administration, entre les mains de M. le Prévôt des Marchands, sous l'autorité de M. le Comte d'Argenson , Ministre & Secrétaire d’Etat.

Références :

Fuzelier (Louis, 1672-1752), les Indes galantes (1735, musique de Jean-Philippe Rameau), opéra-ballet en un prologue et deux entrées, puis trois et enfin quatre (1736).

Houdar de La Motte (Antoine, 1672-1731), l’Europe galante (1697, musique de Campra). Opéra-ballet en un prologue et quatre entrées.

Houdar de La Motte (Antoine, 1672-1731), la Pastorale d’Issé (1697, musique d’André Cardinal Destouches). Pastorale héroïque en un prologue et trois actes

Pellegrin (Simon-Joseph, 1663-1745), Hippolyte et Aricie (1733, musique de Jean-Philippe Rameau) tragédie en musique en un prologue et cinq actes.

Perrin (Pierre, 1620-1675), la Pastorale d’Issy (1659, musique de Robert Cambert), première tentative de création d’un opéra français.

Quinault (Philippe, 1635-1688), les Fêtes de l'Amour & de Bacchus (1672, musique de Lully), pastorale composée de différents ballets.

Rossi (Luigi, 1597-1653), Orphée et Eurydice : premier opéra joué en France à l’initiative de Mazarin, en 1645 (ou en 1647 selon d’autre sources). Car ce n’est pas l’Orfeo de Monteverdi que Mazarin a souhaité faire jouer pour la reine mère et le jeune Louis XIV.

Roy (Pierre-Charles, 1683-1764), Callirhoé (1712, musique d’André Cardinal Destouches), tragédie-opéra en un prologue et cinq actes.

Roy (Pierre-Charles, 1683-1764), les Eléments (1721, musique d’André Cardinal Destouches et Michel-Richard de Lalande). Opéra ballet à un prologue et quatre entrées.

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