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Songe

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Songe.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 160-162 :

SONGE ; fiction que l'on a employée dans tous les genres de Poésie, Epique, Lyrique, Elégiaque, Dramatique : dans quelques-uns, c'est une description d'un songe que le Poëte feint qu'il a, ou qu'il a eu. Dans le genre Dramatique, cette fiction se fait en deux manieres ;. quelquefois paroît sur la Scène un Acteur qui feint un profond sommeil, pendant lequel il lui vient un songe qui l'agite, & qui le fait parler tour haut ; d'autrefois l'Acteur raconte le songe qu'il a eu pendant son sommeil. Ainsi, dans la Marianne de Tristan, Hérode ouvre la Scène, en s'éveillant brusquement ; & dans la suite, il rapporte ce songe qu'il a fait. Mais la plus belle description d'un songe, qu'on ait donnée sur le Théâtre, est celle de Racine dans Athalie : épargnons au Lecteur la peine d'aller la chercher. C'est Athalie qui parle , Scène 5, Acte 2.

Un songe (me devrois-je inquiéter d'un songe ?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge ;
Je l'évite par-tout ; par-tout il me poursuit ;
C'étoit pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mere, Gézabel, devant moi s'est montrée,
Comme au jour de la mort, pompeusement parée.
Ses malheurs n'avoient point abattu sa fierté :
Même elle avoit encor cet éclat emprunté,
Dont elle eut soin de peindre & d'orner son visage
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi :
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables :
Ma fille.... En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a voulu se baisser ;
Et moi, je lui tendois mes mains pour l'embrasser ;
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange,
D'os & de chair meurtris, & trainés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, & des membres affreux,
Que des chiens dévorans se disputoient entr'eux, &c.

On a condamné le songe de Pauline. On disoit que dans une Piéce Chrétienne, ce songe est envoyé par Dieu même; & que dans ce cas, Dieu qui a en vue la conversion de Pauline, doit faire servir ce songe à cette même conversion ; mais, qu'au contraire , il semble uniquenient fait pour inspirer à Pauline de la haine contre les Chrétiens ; qu'elle voit des Chrétiens qui assassinent son mari, & qu'elle devroit voir tout le contraire :

    Des Chrétiens une impie assemblée
A jetté Polieucte aux pieds de son rival.

Ce qu'on pourroit encore reprocher, peut-être, à ce songe, c'est qu'il ne sert de rien dans la Piéce ; ce n'est qu'un morceau de déclamation. Il n'en est pas ainsi du songe d'Athalie, envoyé exprès par le Dieu des Juifs : il fait entrer Athalie dans le Temple, pour lui faire rencontrer ce même enfant qui lui est apparu pendant la nuit, amener l'enfant même, le nœud & le dénouement de la Piéce. Un pareil songe est à la fois sublime, vraisemblable, intéressant & nécessaire. Il y a néanmoins beaucoup d'intérêt & de pathétique dans le songe de Pauline.

Références :

Corneille, Polyeucte, acte 1, scène 3, vers 234 et 236 :le songe de Pauline n’a pas de rôle dans l’intrigue, même s’il est plein d’intérêt et de pathétique.

Racine, Athalie, acte 2, scène 5, vers 487-506 : le fameux songe d’Athalie, « la plus belle description d’un songe, qu’on ait donnée sur le Théâtre ». Il joue un rôle important dans l’intrigue (c’est lui qui fait entrer Athalie dans le temple et lui fait rencontrer l’enfant qu’elle a vu en songe.

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