Théâtre japonais

Les mots du théâtre au XVIII^e siècle.

Théâtre japonois.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 253-257 :

Théâtre Japonois. Les Pièces de Théâtre, au Japon, les chants, les danses, sont des Spectacles dont la Nation est fort avide : loin de les condamner, comme parmi nous, la Religion du pays les autorise & les consacre. Cependant, quoique ces divertissemens fassent partie des Fêtes célébrées à l'honneur des Divinités, les mœurs dépravées des Comédiens ne rendent pas leur profession plus honorable qu'en France. Quant au Théâtre, on y voit des décorations & des machines surprenantes, jointes à une musique bizarre, composée de flûtes, de tambours, de cymbales, & de grosses cloches ; ce qui forme un charivari, qui ne peut être agréable qu'à des oreilles Japonnoises. Ces peuples ont cela de particulier, qu'on y régle le chant sur la danse, & non la danse sur la musique. A l'égard des machines. il faut avouer qu'après les Chinois, nul peuple ne les entend aussi-bien que ces Infulaires ; nos décorateurs d'Opéra auroient besoin d'y venir prendre des leçons : on leur apprendroit à faire paroître des Géants monstrueux, des montagnes ambulantes, des villes peuplés & animées, des fontaines saillantes, & mille autres objets que nous n'imitons que sur la toile.

Ces décorations ne font pas négliger le plaisir de l'esprit & de l'oreille. Les Japonois ont des Comédies dont ils ne sont pas moins charmés que nous des nôtres ; les sujets en sont tirés de leurs Histoires. On y représente les aventures de leurs Dieux, & quelquefois leurs intrigues amoureuses. Les genres tragique, comique, lyrique & pantomimique, se trouvent ordinairement mêlés dans une longue suite de rôles. Les ouvrages sont distribués comme les nôtres, en Scènes & en Actes. Un Prologue en expose le plan ; mais sans toucher au dénouement qui doit toujours causer de la surprise. Les intermèdes sont des Ballets, ou des farces bouffonnes ; mais dans les Tragédies & les Comédies, tout est rapporté à la morale. Le style des premières a de l'emphase & de l'énergie ; & elles roulent toujours sur des actions héroïques. Les mêmes Scènes ne doivent pas être repérées d'une année à l'autre. Les Acteurs sont de jeunes garçons, choifis parmi les habitans, qui font la dépense du Spectacle ; car chaque quartier de la ville la fait, à son tour, une fois ou deux dans l'année. Les Actrices sont des filles que l'on prend dans les lieux de débauche.

C'est une chose assez curieuse, que la manière dont ceux qui doivent donner la Comédie, conduisent, comme en procession, les Acteurs & les machines. On voit d'abord , sous un dais fort riche, un large bouclier, sur lequel est écrit en gros caractère le nom de la rue qui fait, ce jour-là , les frais du Spectacle. Il est accompagné d'une musique bruyante, qui attire une foule de peuple des lieux voisins & qui est suivie des décorations & de tout l'appareil Théâtral. Ce qu'il y a de plus lourd est porté par des hommes à gages, le reste par des enfans proprement vêtus. Les Acteurs viennent ensuite, & après eux tous les habitans du quartier, en habit de cérémonie. La marche est fermée par une multitude de gens du bas ordre, qui portent des bancs\ou des nattes, & qui vont deux à deux.

Comme les Spectacles se donnent aux grandes fêtes, & que souvent ils font partie du culte religieux, les Prêtres occupent toujours les premiers rangs. Ces assemblées se tiennent dans le voisinage des Temples, ou dans les Temples même, quand ils sont assez vastes. Vis-à-vis du Clergé, sont assis le Gouverneur, leurs Officiers & leurs Gardes. Le devoir de ces derniers est de faire ranger la populace.

Une fête remarquable est celle que célèbre chaque ville à l'honneur de son Patron. Elle commence de grand matin par une Procession générale, qui traverse les principales rues, se rend dans un Temple, & de-là dans la place destinée à des représentations de tous les genres. On voit d'abord arriver huit jeunes filles dïversement habillées, qui portent à la main des fleurs &un éventail. Elles sont relevées par deux vielles matrones, qui paroissent dans un autre habillement.

La Scène représente ensuite un grand jardin émaillé de fleurs, & au milieu une cabane rustique, d'où sortent à la fois huit autres filles vêtues de blanc, qui exécutent de nouvelles danses. L'arrivée de huit chars de triomphe, traînés par de jeunes garçons mis galamment, succéde à cette décoration. Ces chars portent des arbres de différentes espèce, une colline couverte de verdure, un épaisse forêt, au milieu de laquelle est un tygre endormi, une baleine à demi-cachée dans les eaux, & plusieurs autres figures de grandeur naturelle.

On voit paroître à leur fuite une montagne mobile, une fontaine environnée d'arbres, un tonneau, & enfin une maison, qui fait place à une danse de deux géants ; un troisieme sort de la montagne, armé d'une longue épée, & suivi de sept Chinois, qui entrent en lice avec ces colosses. Le combat fini, un de ces géans met en pièces le tonneau où est enfermé un jeune garçon, qui récite un discours avec autant d'éloquence que de grâces : il danse ensuite avec le géant, tandis que trois singes sortant de la fontaine, avec des têtes de poissons, sautent autour d'eux, en les contrefaisant. Les autres décorations qui paroissent successivement, sont un arc de triomphe à la Chinoise, une maison de campagne, le train d'un Roi du Japon qui voyage, un puits avec tous les înstrumens nécessaires pour un incendie ; une montagne couverte de neige ; le tout mêlé d'Acteurs, de Danseurs & de Pantomimes.