Duguai-Trouin, prisonnier à Plymouth

Duguai-Trouin, prisonnier à Plymouth, fait historique en deux actes en vaudevilles, de Barré, Radet, Desfontaines et Saint-Félix, 24 germinal an 12 [14 avril 1804].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Duguai-Trouin, prisonnier à Plymouth

Genre

fait historique

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

24 germinal an XII (14 avril 1804)

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Barré, Radet, Desfontaines et Saint-Félix

Almanach des Muses 1805.

Courrier des spectacles, n° 2605 du 25 germinal an 12 [15 avril 1804], p. 2 :

Théâtre du Vaudeville.

Dugay-Trouin prisonnier à Plimouth, vaudeville en deux actes, représenté hier, a obtenu beaucoup do succès ; les auteurs sont MM. Baré [sic], Radet, Desfontaines et St-Félix. Nous rendrons demain compte de cette nouveauté.

Courrier des spectacles, n° 2606 du 26 germinal an 12 [16 avril 1804], p. 2 :

[Le théâtre du Vaudeville a beaucoup de succès avec ses pièces de circonstances : quand ses concurrents obtiennent bien peu de résultats avec ce genre de pièces, lui seul en tire un grand profit. Les circonstances, c’est bien sûr les démêlés de la France avec l’Angleterre. La pièce nouvelle a bien des qualités, « une intrigue adroitement combinée, des détails agréables, et de jolis couplets », et le critique ne trouve guère à lui reprocher que le moyen peu convenable qu’un personnage utilise pour permettre la fuite de Duguay-Trouin et de son complice. L’intrigue se réduit à montrer comment les Français ridiculisent les Anglais, Trouville prenant Plymouth tandis que Duguay-Trouin s’enfuit de la citadelle où il était retenu prisonnier. Le pauvre baronet qui laisse échapper Duguay-Trouin en est réduit à montrer sa colère. Le jugement final est largement positif : plus d’action dans le second acte, plus de fraîcheur des détails et des couplets pour le premier. Les acteurs et actrices sont félicités, en particulier celui qui tient le rôle du baronet.]

Théâtre du Vaudeville.

Dugay-Trouin. prisonnier à Plymouth.

Le Vaudeville est plus heureux que tous les autres théâtres dans ses pièces de circonstances. Celles que l’enthousiasme a fait naître ailleurs ont presque toutes eu peu de succès, tandis que les deux que ce spectacle a offertes depuis peu au public ont été très bien accueillies, et ont mérité de l’être. Nous avons , dans le temps, parlé de la Tapisserie de la reine Mathilde, que l’on revoit toujours avec plaisir ; Dugay-Trouin forme le pendant de cette pièce, et lors même que les allusions aux circonstances auront cessé, une intrigue adroitement combinée, des détails agréables, et de jolis couplets suffiront pour assurer à ce vaudeville une longue suite de représentations. Nous sommes cependant loin de vouloir n’y trouver aucun défaut ; le plus frappant, et celui même qui a excité quelques marques d’improbation, c’est le moyen dont mad. Derval se sert pour arrêter près d’elle le Baronnet anglais, et détourner son attention et ses yeux, lorsque Dugay-Trouin s’échappe de sa maison, au moyen d’une échelle de cordes. On verra dans l’analyse suivante combien ce moyen est puérile [sic], et il est étonnant qu’un Gouverneur quelqu’amoureux qu’il puisse être, en soit la dupe.

Dugay-Trouin, blessé et pris sur sa fregate, après s’être défendu contre plusieurs vaisseaux de ligne, dont deux ont été hors de combat, a été conduit à Plymouth, et a pour prison la citadelle dont on lui a donné la plate-forme pour promenade, mais sans qu’il puisse approcher du parapet pour voir de loin les mouvemens de la flotte française, qui croise près de là sous les ordres de Tourville. Un Gascon qui soigne sa blessure lui fait entrevoir quelque adoucissement à sa captivité, s’il veut concerter avec lui les moyens d'entretenir sir Boston Baronet, gouverneur de la citadelle, dans la passion qu’il a conçue pour madame Derval, veuve parente de Dugay-Trouin. Celui-ci se refuse d’abord à tout procédé qui ne seroit point avoué par la délicatesse. Mais l’arrivée du Baronet qui croit avoir mis le Gascon dans ses intérêts, et qui pense que pour réussir auprès de la cousine, il faut gagner le cousin, et celle de mad Derval, qui pénètre jusqu’à la citadelle pour consoler le prisonnier, et qui le conjure de se laisser guider par l’amour lorsque la gloire l’appelle, le décident à suivre les conseils qu’on lui donne, et à profiter des moyens que le Gascon et madame Derval prendront pour faciliter son évasion. Sir Boston a été invité à dîner chez la veuve qui a désiré aussi que son cousin fût de la partie. Le Baronet vient en faire la proposition à Dugay-Trouin qui n’a rien plus presse que d’accepter ; et le voilà chez Mad. Derval. Vers la fin du dîner le Baronet obligé de sortir pour son service a soin de fermer la porte de la chambre où il a dîné, et dont la croisée donne sur la rue ; du reste, il a pris toutes les précautions pour faire surveiller le prisonnier. Durant son absence, madame Derval reçoit un billet du capitaine suédois, prêt à mettre à la voile et qui doit favoriser la fuite de Dugay-Trouin. Il l’instruit que l’amirauté a refusé l’échange de ce marin célebre, et que le Baronet doit recevoir l’ordre de le faire partir à minuit pour Londres. Le Baronet qui revient, a effectivement reçu cet ordre ; mais comme il veut avancer ses affaires dans la soirée, il croit devoir profiter du moment pour hasarder une déclaration. Il a rendu la clef de la chambre où il a d’abord été prendre le punch avec Dugay-Trouin et le Gascon, puis il en est sorti ayant soin de tenir la porte ouverte, afin de surveiller son prisonnier. Tandis qu’il fait parler son amour près de madame Derval, Dugay et le Gascon changent d’habit: La veuve qui craint que le Baronet ne se retourne, lui fait prendre une position de côté, en lui avouant qu’elle croit retrouver en lui les traits d’un frere chéri. Sir Boston, au comble de la joie tourne le dos au prisonnier qui s’échappe au moyen d’une échelle de cordes, et madame Derval inquiete, tâche de prolonger la conversation et de retenir le Baronet jusqu’à ce qu’elle soit rassurée sur le sort de son ami. Un coup de canon annonce son arrivée à la flotte de Tourville, et quatre officiers anglais à qui il a fait rendre la liberté, confirment cette nouvelle au Baronet qui crie, tempête et jure, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendra plus.

Quoiqu’il y ait plus de mouvement dans le second acte que dans le premier, néanmoins celui ci a plus d’avantage pour la fraîcheur des details et des couplets. Le rôle du Baronet sir Boston est fort agréablement tracé, et sur-tout joué d’une maniere très originale par monsieur Sevestre. Cet acteur a de l’intelligence, et lorsqu’il sera placé dans les rôles qui lui conviennent, il les fera valoir avec succès. Messieurs Julien et Carpentier, ont très bien rendu les rôles de Dugay-Trouin et du Gascon, et madame Hervey n’a rien laissé à desirer dans celui de madame Derval, où elle a mérité de nombreux anplaudissemens.

F. J. B. V. G***.                                

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, IXe année (an XII, 1804), tome V, p. 405-406 :

[Compte rendu rapide d’une pièce au « fonds intéressant », sur un héros français que l’actualité met en avant. Mais le traitement de l’anecdote est jugé     décevant : « la situation est prolongée, les couplets peu saillans », et un acteur seul a pu sauver la pièce (et c’est celui qui joue le gouverneur anglais). Les auteurs vedettes du Vaudeville ont assez mal utilisé un fonds fourni par und énommé Saint-Félix.]

Duguai-Trouin, prisonnier à Plimouth.

La différence entre cet ouvrage et le précédent [Arlequin musard], c'est que celui-ci roule sur un fonds intéressant, qu'il présente un personnage auquel la France doit beaucoup, et que la circonstance actuelle fait valoir encore davantage ; mais la manière dont il est traité ne répond pas à l'attente du public. En effet, la situation est prolongée, les couplets peu saillans ; et, sans la manière originale dont Seveste a joué le rôle du baronnet anglois, la pièce n'auroit pas eu son succès.

Duguai-Trouin, prisonnier à Plimouth, profite de l'amour ridicule du gouverneur de la citadelle où il est enfermé, pour aller avec lui chez sa cousine, jeune françoise qui facilite sa fuite. Pendant que le gouverneur lui fait une déclaration, il rejoint l'escadre de Tourville, qui envoie au gouverneur, en échange, quatre prisonniers du grade de Duguai-Trouin.

On pourroit attendre mieux de la plume de MM. Barré, Radet et Desfontaines, qui ont retouché cet ouvrage, dont le fonds est de M. St. Félix.

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome neuvième, prairial an XII [mai 1804], p. 255-260 :

[La pièce nouvelle parle des aventures de Duguay-Trouin au cours de sa captivité en Angleterre, au cours de laquelle il ridiculise, tout en restant homme d’honneur, ses geôliers. Le critique ne cache pas ses sentiments patriotiques, et il insiste d’ailleurs sur le rôle du théâtre dans la diffusion du patriotisme, largement anti-anglais. Les déclarations cocardières abondent dans ses propos. L’histoire racontée, qui est présentée comme une falsification légitime du passé, est assez peu vraisemblable (le critique le reconnaît à demi-mots) et reprend des moyens dramatiques classiques : le prisonnier qui s’évade en échangeant son costume avec un autre personnage (ici, un complice) n’est pas nouveau sur le théâtre. Mais l’essentiel est de « rendre un héros à la France ». Comme elle flatte manifestement les sentiments nationalistes du public, la pièce a connu le succès, que le critique attribue à toute une série de causes : outre les « circonstances », elle a réussi « par l'agrément d'un dialogue vif, plaisant et gai ; par la tournure aisée et gracieuse des couplets, qui sont simples et naturels ; enfin, par le comique qui anime la scène ». La pièce est « un vaudeville dans le bon genre », imprégné du « véritable esprit français » (il faut dire qu’il est l’œuvre des auteurs vedettes du théâtre du Vaudeville, auquel s’ajoute un certain Saint-Félix, dont le rôle n’est pas précisé. Les interprètes sont également remarquables.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Duguay-Trouin, prisonnier à Plymouth.

Le plus noble usage qu'on puisse faire de la littérature et du théâtre, c'est de les employer à inspirer aux citoyens l'amour de la patrie et de la gloire. Les auteurs sont eux-mêmes personnellement intéressés à choisir des sujets capables de produire cet heureux effet : le succès couronne presque toujours les ouvrages de ce genre. On est sûr de plaire à la nation française en lui présentant ses héros : de tels objets sont plus faits pour flatter les spectateurs que des tuteurs imbéciles, dos pupilles dévergondées et des amans escrocs.

Duguay-Trouin, un des plus braves marins que la France ait produits, un des plus redoutables ennemis qui jamais ait fait trembler l'Angleterre, est un personnage d'un grand intérêt, dans ce moment sur-tout.

Les auteurs du Vaudeville ont très-adroitement choisi dans la vie de Duguay-Trouin, le seul trait qui pouvait s'accommoder à la scène. Les exploits du héros breton sont des prodiges d'intrépidité : il y a peu de romans plus étonnans que son histoire, et si le chef de la république française ne nous eût pas donné de la foi pour les miracles, il y a des prouesses de Duguay-Trouin qui ne trouveraient que des incrédules. Tel est, entr'autres, le combat très-extraordinaire qu'il soutint, dans sa jeunesse, avec une frégate de 40 canons, contre une escadre de six vaisseaux anglais de 50 à 70. Toutes les circonstances en sont presque incroyables : son équipage se rendit malgré lui, et s'il eût été le maître de suivre les transports de son courage, il eût péri à vingt ans, dès l'entrée de cette carrière qu'il a fournie avec tant de gloire, et la marine française eût été privée d'un de ses plus beaux ornemens.

Duguay-Trouin, prisonnier de guerre, fut conduit à Plymouth. Le capitaine anglais, touché de sa bravoure, lui laissa la ville pour prison ; mais bientôt l'amirauté, moins sensible et moins généreuse, fit arrêter cet intrépide jeune homme. L'amour se chargea de le venger de l'amirauté. Souvent un injuste ennemi s'aveugle et se nuit à lui-même ! Duguay-Trouin, enchaîné par sa parole, n'eût pas franchi l'enceinte des murs de Plymouth ; l'amour même n'eût pu briser les fers de l'honneur ; mais le même Duguay-Trouin, qui eût respecté ses sermens, crut pouvoir tromper ses geôliers, et employer la ruse pour se soustraire à la violence : c'est le sujet du vaudeville,

La valeur a pour les femmes un attrait naturel, et le caractère particulier des héros français est d'être aussi aimables que terribles, aussi galans que braves. L'histoire nous apprend qu'une jeune Anglaise, qui avait plus de tendresse que de civisme, ne put défendre son cœur contre le prisonnier français, et trouva le moyen de lui procurer la liberté : l'amour devait ce service à la France, sa patrie.

Les auteurs du vaudeville, en bons citoyens, n'ont pu souffrir qu'une Anglaise eût le mérite de rendre un héros à la France : en vertu du pouvoir qu'ils ont de falsifier l'histoire, ils ont substitué à la tendre et sensible Anglaise, une jolie Française nommée Mme. Merval : et pour égayer la scène, ils ont voulu que l'Anglais, gouverneur de la citadelle, fût la dupe de l'amour, en même-temps que Duguay-Trouin en éprouvait toutes les faveurs. Cet officier, chargé de garder le prisonnier français, est lui-même captif de l’aimable Française : tel est son empire. sur cet amant lourd et crédule, qu'elle l'engage à donner à dîner à Duguay-Trouin hors de la citadelle, dans une auberge des environs : elle est elle-même de la partie, avec un chirurgien gascon chargé de conduire l'intrigue. Cette idée est ingénieuse et comique ; mais elle suppose dans le gouverneur un étrange aveuglement, et dans la dame un pouvoir presque magique. Assurément l'Anglais pouvait régaler sa maîtresse à la guinguette, sans admettre à cette partie fine un jeune Français, plus propre à lui donner de la jalousie qu'à égayer la fête : il compromet d'ailleurs, par cette imprudence, son état et sa fortune. Mais ici les règles ordinaires de la vraisemblance ne sont point applicables : puisque les armes de nos guerriers ont exécuté l'impossible, pourquoi les charmes de nos belles ne feraient-ils pas réussir les entreprises les plus extraordinaires ? Nous avons vu les généraux de nos ennemis commettre des bévues si grossières, se laisser tromper si lourdement, sans avoir l'amour pour excuse ! Pourquoi un gouverneur anglais, séduit par deux beaux yeux, ne ferait-il pas la plus haute sottise ? Antoine n'abandonna-t-il pas son armée et l'empire du monde , pour courir après Cléopâtre ? Pourquoi mylord n'oublierait-il pas la garde d'un prisonnier, pour complaire à la beauté dont il est esclave ?

Le chirurgien gascon se montre digne de son pays, et seconde parfaitement les ruses de l'amour. Pendant que le gouverneur enchanté s'enivre du plaisir d'exprimer sa tendresse à la belle Merval, n’entend, ne voit qu'elle ; pendant qu'il se précipite à ses pieds, dans le délire de la passion, Duguay-Trouin, aussi leste que hardi, endosse l'habit du chirurgien, et se précipite hors de l'auberge. Le .gascon assis à table, et imitant à lui seul la conversation vive et bruyante de deux buveurs échauffés, entretient l'erreur de l'Anglais. La dame, non moins adroite, tient en respect la tête du bon mylord, sous prétexte d'examiner son profil : elle feint d'y reconnaître des traits chéris, gravés depuis long-temps dans son cœur.

Lorsque Mme. Merval juge que le prisonnier fugitif peut avoir eu le temps de se rendre au canot qui doit le transporter à l'escadre française, elle cesse d'assiéger mylord, le gascon se taît, et le gouverneur dupé se trouve encore heureux que l'amiral français lui renvoie, en échange de Duguay-Trouin, quatre officiers anglais de même grade.

Ce vaudeville ne doit pas uniquement le brillant succès qu'il a obtenu aux allusions à la guerre actuelle, que le public a saisies avec transport : l'ouvrage , indépendamment des circonstances, était fait pour réussir, par l'agrément d'un dialogue vif, plaisant et gai ; par la tournure aisée et gracieuse des couplets, qui sont simples et naturels ; enfin, par le comique qui anime la scène. C'est un vaudeville dans le bon genre , où l'on retrouve le véritable esprit français, et qui doit faire beaucoup d honneur à ses auteurs, MM. Barré, Radet, Desfontaines et Saint-Félix.

Julien, chargé du rôle de Duguay-Trouin, a bien la vivacité, la gaieté, la franchise d'un marin français. Mme. Hervé a montré beaucoup d'intelligence, de grace et d'aplomb dans le rôle de Mme. Merval : cette actrice, nouvelle à ce théâtre, est une excellente acquisition ; on peut la voir avec plaisir dans les rôles même de Mme. Henri.

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