Monsieur Lamentin, ou la Manie de se plaindre

Monsieur Lamentin, ou la Manie de se plaindre, comédie en un acte et en vers, de Dorvo, 12 janvier 1808.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Monsieur Lamentin, ou la Manie de se plaindre

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

12 janvier 1808

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Dorvo

Almanach des Muses 1809.

M. Lamentin, possesseur de 20,000 liv. de rentes, sollicite la place de directeur des fêtes publiques. Pendant que le pere intrigue, la fille est courtisée par Ferdinand, fils de Jolival, qui parvient bientôt à lui plaire, ce dont Lamentin se désole. Jolival obtient la place qu'il poursuivait ; autre sujet de douleur. Jolival, afin de l'appaiser, lui offre son brevet ; ce qui afflige encore le pauvre Lamentin : enfin Jolival se fait reconnaître à Lamentin pour son parent, et lui demande sa fille pour Ferdinand ; la proposition est acceptée par l'éternel pleureur, qui signe le contrat en sanglottant.

Piece froide, qui n'a point réussi.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Martinet, 1808 :

M. Lamentin, ou la manie de se plaindre, comédie en un acte et en vers, Par H. Dorvo. Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de Sa Majesté l'Impératrice et Reine, le 12 janvier 1808.

Le texte de la pièce est précédé d'une dédicace :

A SON EXCELLENCE M. BIGOT-DE-PRÉAMENEU,

Ministre des Cultes , Membre de l'Institut et de la Légion-d'Honneur, Chevalier de la Couronne de Fer.

Monsieur,

Se plaindre est une manie dont se corrigent bientôt toutes les personnes qui ont le bonheur de vous approcher. La Probité, le bon droit, le mérite et l'indigence ne vous implorent jamais en vain. Mais ce n'est point à l'homme d'état, au ministre éclairé, au jurisconsulte profond, enfin au littérateur distingué, que je fais hommage de cette bagatelle ; et bien que ce soit les qualités qui vous caractérisent, en vous la dédiant, je l'offre avec confiance à mon compatriote, à l'ami de ma famille, à celui qui, de concert avec sa digne et vertueuse épouse, daigna parfois s'occuper de moi dans mon enfance, et me procurer quelques momens heureux.

Plusieurs traits de cette petite comédie vous avaient paru vrais et plaisans lorsque j'eus l'honneur de vous la communiquer, le public, à la représentation, a confirmé le jugement que vous en aviez porté d'avance. Si mon amour-propre a lieu d'être flatté de son succès, c'est qu'il me met à même de la faire imprimer sous vos auspices. J'espère que le lecteur, dans le silence du cabinet, aura pour moi quelque indulgence, et me pardonnera les défauts qu'on lui reproche avec raison, en la voyant décorée d'un nom aussi estimable, aussi justement estimé, que le vôtre.

Je suis avec le plus profond respect,

Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur, H. Dorvo.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1808, tome I, p. 216-217 :

[Le nom du personnage n’a rien à voir avec celui de ce que le critique prend pour un poisson : il renvoie seulement au verbe se lamenter. Bonne idée que ce personnage qui se plaint sans cesse, malgré sa situation favorisée. Ce serait une variante « du caractère du Pessimiste ». « Petite pièce » donc, mais « agréablement écrite ». Fonds trop léger pour obtenir « un succès complet ».]

M. Lamentin, ou la Manie de se plaindre.

Le Lamentin est, comme on sait, un poisson de mer, avec lequel M. Lamentin n'a aucune analogie : lorsqu'on a joué M. Vautour, ce nom indiquoit la rapacité du personnage qui le portait : l'étymologie de celui de M. Lamentin, vient de ce qu'il se lamente perpétuellement. Si le nom est bizarre, l'idée en est assez bonne ; en effet, le monde fourmille de gens qui se plaignent, et ceux-là sont ordinairement les moins à plaindre. M. Lamentin est propriétaire, il a de bonnes rentes, et il sollicite une petite place. Il croit toujours que le tonnerre et mille accidens imprévus vont le ruiner : il se plaint des retards de payemens, des réparations, des contributions: en un mot, de tous les désagrémens inséparables des richesses. C'est une nuance du caractère du Pessimiste.

Cette petite pièce est agréablement écrite ; quelques vers sont bien frappés : mais le fonds était trop léger pour que cet ouvrage obtînt un succès complet.

Il est de M. Dorvo.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome III, mars 1808, p. 264-269 :

[Le critique n’est pas sûr qu’on puisse faire une pièce « de la Manie de se plaindre », mais celle-ci n’est pas la meilleure qu’on pouvait faire : l’auteur n’a pas beaucoup cherché tout ce qu’on peut trouver dans ce sujet. Et quelqu’un de ce caractère est peu théâtral, puisqu’il n’agit pas. Le critique le compare sur ce plan au misanthrope, qui entretient sa haine des hommes pour mieux les fuir, quand le lamentin gémit sans vouloir changer de situation. Il pourrait pourtant être impliqué dans toute sorte de situations comiques, mais l’auteur n’a pas su créer ces situations. Celui-ci a plutôt donné dans le ton de la caricature, ce qui diminue l’intérêt du personnage. Si la pièce contient des passages bien versifiés, avec des vers dignes d’être retenus, le style abuse de « l'emphase burlesque » dans les « lamentations du personnage principal », trop peu variées, et qui ont fini par lasser le public, qui n’a que peu demandé l’auteur, qui semble être « un jeune homme à son coup d’essai » (l'auteur, si c'est bien Hyacinthe Dorvo, a quarante ans), qui a de l’esprit et sait versifier : il faut qu’il apprenne à faire des pièces.]

THÉATRE DE 1'IMPÉRATRICE.

Lamentin ou la Manie de se plaindre.

Je ne sais pas si on pouvait faire une bonne comédie de la Manie de se plaindre ; mais on en pouvait faire une meilleure que celle qu'on a donnée récemment à ce théâtre. Il y a de l'esprit dans cette pièce, mais je crois voir que l'auteur pouvait en mettre davantage : il a bien saisi quelques traits heureux de son sujet ; mais pourquoi n'a-t-il pas cherché ? Il en aurait trouvé bien d'autres. M. Lamentin (puisqu'il faut l'appeller par son nom) ne pouvait jamais être qu'un caractère secondaire, car l'essence de ce caractère est de ne pas agir, de peur de faire tourner les événemens à son avantage.

Non, j'aurai le plaisir de perdre mon procès.

Voilà le sentiment que n'exprimerait pas l'homme qui a la manie de se plaindre, mais qui existe pour lui sans qu'il s'en doute : il serait bien fâché de renoncer à son mécontentement, de sacrifier ses inquiétudes ; le plus grand chagrin qu'on puisse lui faire, c'est de lui donner des raisons de consolation ;. le moyen d'exciter son impatience, c'est de lui offrir des motifs de tranquillité: Soyez sûr qu'il vous saura le plus mauvais gré si, par une bonne nouvelle, vous lui faites perdre sa douleur, qui est son plus cher plaisir ; car c'est là qu'il trouve la satisfaction de l'unique passion qu'il éprouve, le besoin de se plaindre et d'être plaint. Ce qui est dans le Misanthrope le résultat de l'âpreté d'humeur jointe à la force du caractère, est dans l'homme qui veut être plaint une amertume de caractère jointe à la faiblesse de l'ame. Aussi, dans son humeur, le Misanthrope conserve-t-il une sorte de raison, parce qu'il a de la force, et que l'homme fort, toujours raisonnable à certains égards, veut agir pour se délivrer de ce qui lui déplaît, ou bien sait se résigner quand il voit l'inutilité ou l'impossibilité de l'action : aussi le Misanthrope ne s'irrite-t-il jamais que contre les hommes, car il sait bien que

Point ne se faut courroucer aux affaires ;
Il ne leur chaut de toutes nos colères.

S'il veut perdre son procès, c'est pour avoir le droit de haïr davantage les hommes, et une raison de plus de les fuir, ce qui est devenu son premier besoin. S'il ne voulait que s'en plaindre, il se garderait bien de les quitter. L'homme qui veut se plaindre aime à rester au milieu des objets de son chagrin ; c'est au moment où il les prétend insupportables qu'il se révoltera le plus contre le moyen qu'on lui proposerait de s'en délivrer. L'indécision est dans son caractère, et le malheur d'avoir à se décider sera pour lui le plus grand de tous, parce qu'un choix suppose toujours un avantage qui détermine la préférence, ou un inconvénient qu'on ait le dessein d'éviter, et qu'il ne veut pas consentir à laisser supposer, à supposer lui-même qu'il y ait une circonstance de sa vie où il ait pu suivre son goût et trouver son avantage, qu'il y en ait une seulement où il n'ait pas eu à supporter les plus grands inconvéniens possibles. Aussi croit-il au malheur, il espère au guignon ; l'ascendant funeste de sa destinée est son argument favori : une puissance à laquelle nulle action ne peut soustraire, et que les reproches ne font pas venir à résipiscence ; qui le force à souffrir sans être obligé de se défendre, et lui permettre de se plaindre sans crainte d'obtenir justice, voilà ce qui lui convient : gémir de sa position et y rester, il ne demande pas autre chose.

Un tel caractêre, incapable de mettre en mouvement l'action d'une pièce, peut cependant y contribuer beaucoup par cette force d'inertie qui repousse tout, parce qu'elle ne se prête à rien, un semblable personnage mettant en défaut par sa faiblesse des caractères énergiques qui s'agitent et se désolent inutilement autour de lui, pouvait fournir une foule de situations comiques. L'auteur n'en a pas cherché une seule, et de ce fond si riche en détails, il n'a su tirer que quelques traits apperçus, en passant, car il n'a fait que passer sur son sujet. Vous êtes riche, dit-on à Lamentin ;

Vous avez des maisons. --- Eh , c'est là ma misère.
A mes dépens, monsieur, je suis propriétaire.
Comptez les non-valeurs, les réparations,
Je ne vous parle pas des contributions.
Vous me croyez aisé, mais compulsez mes livres ;
Je paie en francs, monsieur, et je reçois en livres.

Ce dernier trait est excellent, et les vers sont bien faits ; c'est un mérite qui est remarquable dans toute la pièce ; il y en a même de très-bien frappés et qui valent la peine d'être retenus ; mais cela se perd dans le ton de caricature donné par l'auteur à son Lamentin, et exagéré encore par Firmin qui le joue. Ils ont habillé ce Lamentin, qui est en deuil d'une tante dont il hérite, en véritable conducteur d'enterremens, et sous ce costume, avec une figure assortie et un ton à l'avenant, ils lui font solliciter une place dans l'administration des fêtes publiques, contraste grotesque, mais qui ne rentre en rien dans le genre de comique qu'on pourrait tirer du caractère. Lamentin a pour compétiteur un Jolival, son cousin, qu'il ne connaît pas et qui a été déshérité par la tante de qui Lamentin tient toute sa fortune ; ce Jolival, aussi réellement à plaindre que Lamentin veut le paraître, suit un systême tout contraire ; il se livre à la gaîté, ne parle que de son bonheur et parvient ainsi à la considération ; il se fait croire riche afin d'obtenir une place qui lui donne de quoi vivre, se suppose du crédit afin d'en avoir, des moyens d'obliger afin de trouver des amis qui l'obligent, bien persuadé

Qu'on offre tout à ceux qui n'ont besoin de rien.

Aussi emporte-t-il la place sollicitée ; il ne s'en sert que pour obtenir de Lamentin, à qui il offre de la céder, qu'il donne sa fille Isaure en mariage à Ferdinand, son cousin, fils de Jolival, et amoureux, comme de raison, de sa jolie cousine. Lamentin, corrigé tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi, du penchant à l'avarice qu'il avait montré dans la pièce, consent à un mariage qui fera rester la succession dans la famille. Ajoutez à cela le personnage d'un Gascon, intrigant parasite, promettant son crédit, qu'il n'a pas, pour obtenir un dîner, qu'il n'attrape pas toujours, qui remue dans la pièce et qui n'y fait rien ; celui d'une maîtresse d'hôtel garni qui voudrait bien se mêler de l'intrigue pour tirer, de côté ou d'autre, mille écus qu'elle doit à Lamentin qui la poursuit, et alors vous aurez en somme l'idée de la pièce qui, avec de l'esprit, annonce le moins de connaissance des convenances de la scène. Le jeune Ferdinand, amoureux de sa cousine, qu'il a vue souvent dans sa pension, et de qui il a reçu plusieurs lettres, n'a pu trouver dans tout cela un moyen de parvenir à savoir son nom de famille. A la sixième scène, les spectateurs ne savent pas encore le nom d'un seul des personnages, sans que cette ignorance serve à amener aucun effet commique [sic] ou intéressant : cependant, à Louvois on n'est pas très-difficile sur les règles dramatiques ; aussi n'est-ce point là ce qui a nui à la pièce, et le mérite du style, plusieurs traits heureux l'avaient soutenue d'abord contre l'emphase burlesque des lamentations du personnage principal : mais à la fin, ces lamentations aussi peu variées que peu naturelles, ont refroidi les applaudissemens ; et l'auteur, peu demandé après la pièce, n'a pas été nommé, Si, comme il y a lieu de le croire, c'est un jeune homme à son coup d'essai, on peut affirmer, d'après ce premier échantillon, qu'il a de l'esprit et qu'il tourne bien les vers ; mais il faut qu'il s'essaie encore avant qu'on puisse juger s'il saura faire une pièce.

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