Manlius Capitolinus

Manlius Capitolinus, tragédie en cinq actes et en vers, de Lafosse d’Aubigny, 18 janvier 1689.

Théâtre Français.

Titre :

Manlius Capitolinus

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

18 janvier 1806

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Lafosse d’Aubigny

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, févier 1806, p. 272-279 :

[La pièce de Lafosse d’Aubigny date de plus d’un siècle, mais elle a été reprise à plusieurs reprises par le Théâtre Français (et elle le sera jusqu’au milieu du XIXe siècle. Une reprise à la fin de 1805 donne l’occasion de faire le bilan de l’histoire de cette pièce. Le critique s’intéresse aux jugements opposés aprtés par Voltaire et La Harpe sur la pièce, de comparer la pièce à d’autres tragédies (la Venise sauvée de l’anglais Otwai, les pièces de Corneille, à qui Lafosse est comparé). La pièce essuie essentiellement deux reproches : « une versification plus élégante et plus nombreuse », et le manque d’intérêt pour « un patricien factieux qui, pour venger son amour-propre blessé, et pour satisfaire une querelle personnelle, se fait un jeu du plus odieux forfait ». Une large place est faite à l’interprétation. Le critique rappelle celle de Le Kain, celle aussi de Saint-Prix, avant de parler de l’interprète actuel, Talma, dont il dit le plus grand bien.]

THÉATRE FRANÇAIS.

La reprise et le succès de Manlius prouvent assez quelles immenses ressources offre aux comédiens français, le répertoire inappréciable qu'ils possedent, pour peu qu'ils apportent de discernement dans leur choix, et de soins à la représentation des pièces qu'ils peuvent faire revivre. Il y a long-temps que des conseils amis les pressent de ne pas se borner à rassasier le public des représentations multipliées de quelques chefs-d'œuvre, mais de chercher dans les ouvrages du second ordre, ceux auxquels il ne manque que certaines parties pour être tout-à-fait du premier. Telle est la tragédie de Manlius, qui seule a mis son auteur fort au-dessus des poètes venus après Racine dans le siècle de ce grand-homme, pièce si durement attaquée par Voltaire, et si judicieusement défendue par La Harpe ; pièce à laquelle il ne manque, pour être mise au rang des chefs-d'œuvre, qu'une versification plus élégante et plus nombreuse ; que cette poésie de style, ce charme d'expression et d'harmonie que nous aimons tant à retrouver, dans toutes les pièces de Racine, et dans le plus grand nombre de celles de Voltaire. « Si Lafosse, dit M. de La Harpe, avait su écrire comme Voltaire, Manlius eût été placé au rang des premiers ouvrages de la scène française ». Telle qu'elle est, cette tragédie, et Venceslas, paraissent à ce célèbre critique les deux premières pièces du second rang dans le 17e. siècle.

Lafosse a emprunté son sujet d'une pièce anglaise, de Venise Sauvée, transportée sur notre théâtre, avec moins d'art que de succès, par M. de Laplace, dont la tragédie est aujourd'hui tout-à-fait oubliée. Le chef-d'œuvre de l'abbé de Saint-Réal a fourni aussi à Lafosse ses plus beaux développemens ; sous le rapport de l'invention il paraît donc avoir peu de mérite, et s'être borné à donner des noms de l'ancienne Rome à des personnages modernes; mais il est convenu qu'un emprunt de cette nature est toujours justifié par le succès; une heureuse imitation donne souvent une plus haute idée du goût, du talent et même du génie de son auteur, qu'une conception moins bonne qui lui appartiendrait toute entière. Les siècles littéraires héritent les uns des autres comme les générations, et le plus honoré d'entr'eux est celui qui a su faire le plus noble usage de la portion qu'il a héritée.

En comparant cependant Manlius à la tragédie d’Otwai, sans même reprocher à celle-ci les disparates qu'elle offre, les scènes déplacées et les folies dont elle abonde, on reconnaît dans la conception française une très-grande supériorité, et plus d'élévation dans les idées, plus de naturel dans les pensées, et plus de grandeur à-la-fois. Jaffier est peut-être dessiné avec plus de vigueur et un talent plus dramatique que Servilius ; mais le rôle de Pierre peut-il être mis en parallèle avec celui de Manlius, et celui de la femme de Jaffier, a-t-il la sagesse et inspire-t-il l'intérêt de celui de Valérie ? L'auteur des Mémoires littéraires, reproche à Lafosse de n'avoir pas imité le dénouement d'Otwai : voulait -il que le cinquième acte offrît pour le lieu de la scène, celui de l'exécution des conjurés ! et que Manlius, embrassant son ami, se précipitât du haut du Capitole aux yeux des spectateurs ? Quelle que soit l'autorité de l'auteur que nous citons, nous croyons devoir féliciter Lafosse de sa réserve, et de sa fidélité à l'un des plus utiles préceptes de Boileau.

A la représentation, comme à la lecture, le défaut sensible de Manlius paraît être celui-ci : Peut-on prendre un intérêt véritable à un patricien factieux qui, pour venger son amour-propre blessé, et pour satisfaire une querelle personnelle, se fait un jeu du plus odieux forfait, et va noyer Rome dans le sang, parce que le sénat l'a outragé, et que Camille jouit de toutes les prérogatives de la dictature ? D'un autre coté, le danger du peuple et du sénat sont-ils un mobile assez puissant d'intérêt ? On sait qu'au théâtre le danger émeut faiblement, lorsqu'il est partagé. Mais si Manlius n'est pas un personnage intéressant, du moins il est éminemment dramatique, et de sa position, telle que l'auteur l'a conçue, il résulte des scènes du plus grand effet, de grands traits de caractère, et des vers tout-à-fait Cornéliens.

Ne semble-t-on pas, en effet, entendre Corneille, lorsque Manlius aprend à son confident pourquoi il affecte envers le sénat des hauteurs et des discours hardis ?

Non, Albin, leur orgueil qui me brave toujours
Croit que tout mon dépit s'exhale en vains discours :
Ils connaissent trop bien Manlius inflexible ;
Ils me soupçonneraient à me voir plus paisible :
En me déguisant moins, je les trompe bien mieux ;
Sous mon audace, Albin, je me cache à leurs yeux...

Et dans ces reproches de Manlius à l'ami qui l'a trahi, et qui le perd ?

Lâche, indigne Romain, qui né pour l'esclavage
Sauves de fiers tyrans, soigneux de t'outrager,
Et trahis des amis qui voulaient te venger !
Quel sera contre moi l'éclat de leur colère ?
Je leur ai garanti ta foi ferme et sincère :
J'ai ri de leurs soupçons, j'ai retenu leurs bras
Qui t'allaient prévenir par ton juste trépas !
A leur sage conseil que n'ai-je pu me rendre,
Ton sang valait alors qu'on daignât le répandre....

De pareils traits repousseraient bien les reproches qu'on peut faire au style en général ; mais ils ne sont pas assez nombreux, et l'auteur sur-tout semble manquer de force, toutes les fois qu'il semble appellé par son sujet à lutter contre le grand Corneille. L'existence de Cinna n'est point un défaut de Manlius, mais elle est un malheur pour Lafosse : et qui aurait pu concevoir dans un sujet assez ressemblant, une situation qui balançât l'intérêt de celle d'Auguste, le tragique de celle de Cinna, l'étonnante conception du personnage d'Emilie, la grandeur de la scène de la délibération, la sublimité de celle du pardon, et dans tout l'ouvrage, ces admirables développemens où le plus beau sujet a entraîné le plus beau génie ?

Nous nous laisserions entraîner trop loin, si nous voulions suivre M. de La Harpe dans la critique qu'il fait des observations de Voltaire contre Manlius. Nous nous contenterons de faire observer que l'exact et rigoureux ami de Voltaire ne dissimule pas que son maître jugeait Manlius, en attachant ses yeux sur Rome sauvée, qu'il trouvait à Manlius des défauts qui n'existent que dans son Catilina, et lui refusait des beautés de situation que lui-même n'a contrebalancées que par des beautés de style.

Le rôle de Manlius paraît être un de ces rôles généralement favorables au comédien qui les joue. On remit cette tragédie lors des débuts de Lekain, et on rapporte qu'il y fut sublime, notamment à ces mots :

Connais-tu bien la main de Rutile?

SERVILIUS.

                                                     Oui.

MANLIUS.

                                                        Tiens, Vis.

à ces mots, et au fameux qu'en dis-tu, qui suit, la terreur, dit-on, passait du visage du comédien, sur celui de tous les spectateurs. Nous le croyons aisément sur la foi de la réputation de Le-Kain, et nous le croyons bien plus encore après ce que nous avons éprouvé , en voyant Talma dans ce moment difficile, s'élever au comble de l'art , de l'expression et de l'effet tragique.

A fa dernière reprise; Saint-Prix jouait Manlius , il y a seize ans à-peu-près : La-Rive laissait à son jeune concurrent d'assez belles occasions de paraître, et Saint-Prix établit sa réputation sur les rôles de Manlius, de Mahomet II, d'Hercule au Mont-OEta, d'Achille dans Briséis, et quelques autres. Sa stature, et la beauté de ses moyens physiques le secondèrent bien dans la tragédie de Lafosse ; il y avait pris pour type de son jeu un des vers les plus applaudis de la pièce, et l'on voyait toujours en lui Manlius,

Renversant les Gaulois du haut du Capitole.

Talma a conçu le rôle tout autrement ; il a pris pour type cet autre vers :

Sous mon audace, Albin, je me cache à leurs yeux.

Aussi, dans les scènes avec le consul déploie-t-il toute la hauteur d'un patricien offensé, qui demande raison d'une longue injustice, et dans celles avec Rutile, avec Servilius, tout le sang-froid, toute l'inflexibilité de caractère, toute la détermination, toute la profondeur d'un homme capable d'exécuter des projets tels que les siens. Talma a mis beaucoup d'art à éviter de confondre Manlius et Cinna. Tous deux sont des Romains. Mais plusieurs siècles séparent un factieux de la Rome nouvelle, d'un conjuré de la cour d'Auguste : tout, dans le jeu de Talma, décele le sentiment de cette nuance délicate qu'un grand talent pouvait seul se mettre en peine d'établir.

Aussi dans ce rôle, plus encore que dans aucun autre peut-être, sa diction est simple, naturelle, et noble ; point de cris, point de déclamation, point d'efforts ; il parle ; la variété et la souplesse de ses inflexions, la vérité de son accent, et sur-tout son étonnante pantomime, son attention constante à la scène, sa tête tragique, son œil terrible, son geste toujours interprète fidèle de sa pensée, voilà les rares qualités dont il offre l'assemblage dans un rôle où il ne s'attendait peut-être pas à tout le succès qu'il y obtient ; parce qu'il n'avait pas assez remarqué que la nature lui avait tout donné pour y être supérieur.

Aux deux représentations de Manlius, le public a voulu revoir l'acteur qui l'avait si vivement ému. Cet hommage est devenu un peu bannal ; mais quand il est unanimement décerné, et que la salle toute entière proclame qu'il est mérité, il doit être encore de quelque prix, et Talma a paru le recevoir avec une profonde sensibilité.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la tragédie d’Antoine de La Fosse d’Aubigny Manlius Capitolinus, en cinq actes et en vers, a été créée le 18 janvier 1698. Jouée jusqu’en 1849, elle a connu 250 représentations.

Elle figure au tome I des Tragédies du Théâtre des auteurs du second ordre (Paris, 1808), p. 1 à 64.

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