Créer un site internet

Cincinnatus, ou la Conjuration de Spurius Melius

Cincinnatus, ou la Conjuration de Spurius Melius, tragédie en trois actes d’Antoine-Vincent Arnault, 25 frimaire an 3, 15 décembre 1794.

Théâtre de la République, rue de la Loi.

Titre :

Cincinnatus, ou la Conjuration de Spurius Melius

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

25 frimaire an 3 (15 décembre 1794)

Théâtre :

Théâtre de la République, rue de la Loi

Auteur(s) des paroles :

Arnault

Réimpression de l’ancien Moniteur, tome vingt-septième, vendémiaire-frimaire an 3 (1863), Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 87 (27 frimaire an 3, mardi 17 décembre 1794), p. 756 :

[Un compte rendu assez sévère : après le rappel de l’historie de Spurius Melius, le résumé de l’intrigue laisse déjà paraître des réticences : des invraisemblances, des gestes inexpliqués. Le critique énumère ensuite les nombreux défauts qu’il trouve à la pièce : froideur, manque d’intérêt, personnages peu intéressants (Cincinnatus par exemple méritait un rôle plus important, le sénat et le peuple romain sont nuls, Melius simplement odieux). L’intrigue amoureuse est qualifiée d’inutiel. mais toute la resposnabilité de ces défauts viennent du choix du sujet, qui ne peut fournir une tragédie. Arnault devra faire mieux dans la suite, lui dont on rappelle les succès passés.]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

L'année 316 de la fondation de Romc, soixante-dix ans environ après l'expulsion des Tarquins, Spurius Melius, de l'ordre des chevaliers, homme puissamment riche, se fit des partisans parmi le peuple, en lui distribuant, à ses frais, du blé dans un temps de famine : les approvisionnements considérables qu'il avait faits dans l’Etrurie furent un obstacle à ceux que le sénat avait ordonnés Sa conduite fut dénoncée par le préfet des subsistances. On sut que Melius avait fait dans sa maison un magasin d'armes, qu'il avait des complices, et que son projet, tout près d’éclater. était de se faire couronner roi. Dans ce péril pressant, le sénat nomma dictateur L. Quintius Cincinnatus, vieillard de plus de qnatre-vingts ans. que déjà, dans une autre occasion, on avait été prendre à la charrue pour le faire dictateur, et qui avait délivré l'armée romaine, entourée par celle des Æques.

Le vieux Cincinnatus sauva une seconde fois la patrie par des mesures vigoureuses. Il cita Melius devant son tribunal : le coupable tardant à s'y rendre, Servilius Ahala. maître de la cavalerie, vint lui signifier l'ordre du dictateur. Melius criant ä l'oppression, appelant au peuple et implorant le secours de ses partisans qui l’entouraient, Servilius le tue au milieu d'eux, et retourne apprendre au dictateur qu'il a puni le rebelle. « Courage, dit le vieillard, courage. Servilius; tu as fait une action vertueuse, tu as sauvé la république. » Ainsi finit la conspiration de Spurius Melius.

Tel est le sujet de la tragédie nouvelle en trois actes, intitulée Cincinnatus. L'auteur a supposé que le héros, retiré dans ses champs qu’il cultive, sort tout d’un coup de sa retraite pour venir instruire les Romains et le sénat du danger que court la liberté, et du dessein que forme Melius. Personne dans Rome ne les soupçonne, et Cinciunatus, quoique éloigné de la ville, les a deviné s: cela peut paraître un peu extraordinaire. Il fait part d'abord de ses craintes à Servilius Ahala, dont l'auteur a fait un jeune homme, amoureux d'Emille, fille de Melius. Ce jeune guerrier rejette et veut dissiper les craintes de Cincinnatus : mais le vieillard se rend au sénat: c'est là qu'il accuse Melius d'un crime plus senti que prouvé, et dont il avoue lni-méme qu'il n‘a que des présomptions. Melius se défend mal ; le sénat ouvre les yeux et crée un dictateur ; c'est Cincinnatus, qui lui-méme choisit Servilius pour maître de la cavalerie (c'était le lieutenant du dictateur).

Au troisième acte, qui se passe sur la place publique, Melius a d'abord un entretien avec sa fille, à laquelle il confie, on ne sait pourquoi, ses coupables projets ; et, quoiqu'elle les condamne avec beaucoup de force. il va jusqu’à lui remettre un écrit qui contient le plan de la conspiration et le nom de ses complices. Elle sort. Melius harangue le peuple et se met sous sa protection. C'est alors que Servilius vient le citer devant le tribunal du dictateur. Melius refuse de s'y rendre ; il a encore la maladresse de se découvrir à Servilius, de lui avouer qu'il aspire au trône ; il est vrai que. pour l'engager à seconder ses projets, il lui offre la main de sa fille. Servilius n'entend la proposition qu'avec horreur et lui plonge son épée dans le sein. Cincinnatus arrive ; il approuve la mesure du jeune homme. Emilie vient à son tour, et, après avoir remis au dictateur l'écrit qu'elle a reçu de son père, elec se tue et tombe à côté de lui.

Cet ouvrage a été bien accueilli; mais il n'a pas excité d'enthousiasme. La pièce a dû paraltre froide et dénuée d'intérêt. Le rôle qu'y joue Cincinnatus n'est ni assez beau ni assez important ; Emilie et Servilius intéressent peu ; le sénat et le peuple romain sont tout à fait nuls, et Melius ne parait qu'odieux. Au fond, c'est la faute du sujet, qui ne pouvait pas fournir une tragédie. L'auteur a été obligé d'employer lu ressource usée d'un amour très-inutile ; avec de pareils matériaux, il n'a pu tracer qu'un plan peu attachant. Il s'est trompé cette fois dans le choix de son sujet ; et il sait mieux que nous sans doute que c'est de ce choix et du plan de l'ouvrage que dépend le succès. Plus le citoyen Arnault a montré jusqu'ici de talent, plus on a droit d'exiger de lui ; l'auteur de Marins à Minturnes, le créateur du beau rôle de Brutus, dans Lucrèce, est engagé envers le public à ne lui donner que de bons ouvrages ; heureusement il a les moyens de remplir cet engagement.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 12 (décembre 1794), p. 279-281 :

[Une tragédie romaine, sur une tentative d’un homme riche de prendre le pouvoir. Les allusions possibles à l’actualité sont nombreuses, et le compte rendu met bien en avant cet intérêt particulier. Comme il n’est pas possible de faire une tragédie des événements récents, il faut bien passer par des événements de l’histoire ancienne : « l'auteur réunit alors le double avantage de profiter de l'intérêt qu'excite en nous notre propre histoire, & d'éviter les difficultés presque insurmontables de la retracer elle-même ». Le résumé de l’intrigue raconte donc l’historie de Melius, qui « est connu ». Intrigue amoureuse (car Melius a une fille, naturellement), et intrigue politique : la pièce finit par le meurtre de Melius par celui qui ambitionnait de devenir son gendre. Si la pièce présente des qualités (écriture, versification, « de grandes vérités exprimées avec force »), elle a aussi des défauts (l »'intrigue en a paru foible & mal conduite ; l'action trop développée au troisieme acte, languit dans le cours du second ; le dénouement n'est pas d'ailleurs assez préparé » ; et la dernière scène, après la mort de Melius, est inutile, ou au moins trop longue).]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE; RUE DE LA LOI.

Spurius Melius, tragédie en trois actes.

Les conspirations nombreuses que l'ambition a suscitées de tout tems conte la liberté publique, excitent en général un vif intérêt, & présentent, par cela même, les sujets les plus susceptibles d'être traités avec succès sur le théatre. Dans le moment actuel cet intérêt, qui leur est propre, augmente encore par les allusions nombreuses que sont naître les faits plus rècens dont nous avons été témoins. Ceux-ci sont trop près de nous, pour que nos auteurs puissent les retracer sur la scene ; la tragédie , dont le ton toujours noble est souvent au-delà de la nature, exige d'autres hommes, dont l'histoire plus incertaine laisse à notre imagination un vague dont elle profite pour exagérer leurs vertus & leurs vices, comme elle augmente à nos yeux le diametre de certains objets, vus à une grande distance.

C'est donc une premiere donnée pour réussir, que le choix d'un sujet qui rappelle aux spectateurs les événemens de notre révolution ; l'auteur réunit alors le double avantage de profiter de l'intérêt qu'excite en nous notre propre histoire, & d'éviter les difficultés presque insurmontables de la retracer elle-même ; sous ce point de vue, Spuríus Melius devoit réussir ; aussi cette piece a-t-elle eu du succès.

Le trait de Melius est connu ; pendant une cruelle famine dont Rome fut affligée, ce Romain, qui jouissoit d'une grande fortune, fournit seul au besoin de ses concitoyens ; ses trésors, qui avoient enlevé tous les bleds de l'Attique, lui firent de nombreux partisans ; & maître de l'opinion publique, cet homme ambitieux n'éprouvoit pour régner, d'autres obstacles que ceux que présentoir encore le sénat, déjà affoibli par les calomnies adroitement répandues contre lui.

C'est à cette époque que la piece commence ;. Cincinnatus, depuis long-tems éloigné de Rome, apprend dans sa retraite la conduite de Melius. Ce vertueux vieillard a su démêler ses intentions perfides ; il se rend au sénat, auqull il dénonce son crédit dangereux ; Lucilius, qui aime la fille de Melius, prend d'abord sa défense ; mais bientôt convaincu par l'éloquence de Cincinnatus, il revient de son erreur, & le sénat éclairé, exile Melius, qui élude ce décret, en demandant que sa conduite soit jugée par le peuple, que ses nombreux partisans ont su prévenir en sa faveur.

Déjà les amis de Melius ont couvert le forum ; des cris séditieux s'élevent de toutes parts ; dans ce pressant danger, les mesures extrêmes deviennent nécessaires :. Cincinnatus, nommé dictateur, ordonne que Melius soit arrêté & traduit devant le tribunal qui doit juger sa conduite.

C'est Lucilius qui est chargé de cet ordre ; Melius, qui connoìt son amour pour sa fille, se croit sûr de le séduire, & lui dévoilant ses projets, il lui offre son alliance & la premiere place auprès du trône ; Lucilius, que ces offres indignent, saisit le seul moyen de sauver la chose publique ; il poignarde Melius au moment qu'il cherche un refuge parmi ses partisans; les conspirateurs découverts sont menés au supplice, & la liberté triomphe.

Cette tragédie contient de grandes beautés ; le dialogue est précis & bien coupé ; les vers sont beaux ; plusieurs contiennent de grandes vérités exprimées avec force. Mais l'intrigue en a paru foible & mal conduite ; l'action trop développée au troisieme acte, languit dans le cours du second ; le dénouement n'est pas d'ailleurs assez préparé, & la scene qui suit la mort de Melius est sans intérêt ; peut-être l'auteur pourra retrancher cette scène, qui d'ailleurs est au moins beaucoup trop longue.

(Journal de Paris.)

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1795, volume 1 (janvier-février 1795), p. 287

THÉÂTRE DE LA RÉPUBLIQUE,RUE DE LA LOI.

CINCINNATUS , ou la conjuration de Spurius Mélius , tragédie.

On sait que Cincinnatus, d'abord consul romain, fut tiré de la charrue, qu'il conduisoit lui-même dans son champ, pour être deux fois dictateur. Le cit. Arnaud, auteur de Marius à Minthurne, de Lucrece, d’Horatius Codés, &c. vient de faire, de cet illustre Romain, le héros d'une tragédie en trois actes, en vers, qui a réussi sur ce théatre. Il a profité de la conjuration de Spurius Mélius, pour donner plus de fonds, plus d'intérêt à son ouvrage, dont le sujet devoit sans doute être sévere. En général, il est rempli de beautés de style & de logique, quoiqu'il offre plus de discours, plus de dialogue que d'action. Cette tragédie ne peut acquérir le degré d'estime qu'elle mérite, que lorsqu'on l'aura vue plusieurs fois. Nous remettons à une autre occasion les réflexions qu'elle a fait naître au public.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1795, volume 2 (mars-avril 1795), p. 179-183 :

[A l’occasion de la publication de la brochure, retour sur Cincinnatus, et rien sur Horatius Coclès, publié en même temps. C’est que la défense de Cincinnatus était d’actualité. Beaucoup de choses à retenir dans ce long article. Le rappel de l’intrigue est d’abord l’occasion de rappeler que la pièce romaine est aussi une pièce actuelle. La réflexion s'oriente ensuite sur la nature de la tragédie : pour qu’elle suscite « de la terreur & de la pitié », ses « deux grands ressorts », il faut pour le critique traiter un sujet familial, personnel, et non un sujet politique, qui ne met en jeu que des intérêts collectifs. L’idée est longuement développée : les sentiments familiaux sont naturels, et ils ne sont pas ressentis également par hommes et femmes, et il faut que hommes et femmes puissent atteindre « l'unanimité des impressions » qui permet le succès de la tragédie. Les Grecs viennent au secours de cette idée : leurs tragédies représentent toujours « les malheurs domestiques ». Le jugement porté sur la pièce d’Arnault est positif : « peinture fidelle & énergique des mœurs de ses personnages, beaux développemens de leurs talens & de leurs vues, dans une opposition de discours & de conduite habilement ménagée ». Ses défauts sont présentés comme facilement corrigeables. Ainsi, le dénouement doit devenir moins brusque. Il suffirait de mieux motiver l’assassinat de Mélius, et le critique imagine tout un scénario dans ce sens. L’auteur a eu peur de l’aridité de son sujet, et c’est ce qui explique l’introduction du motif amoureux par le personnage d’Emilie. Mais sons uicide est vu comme une infraction à la règle de l’unité d’action. Mais tout cela ne doit pas masquer la grandeur d’une pièce dont l’auteur «  ; qui a su rassembler dans les discours & la conduite de a su faire parler & agir un Romain tel que Cincinnatus, d'une maniere digne de lui & de Rome ». Ce n’est pas un mince mérite.]

QUINTIUS CINCINNATUS, tragédie en trois actes ; par ARNAULT, suivie de l'acte d’HORATIUS COCLÈS. Paris, chez Mérigot, jeune, quai des augustins, n°. 38.

Le but de l’auteur a été de mettre sur la scene la popularité hypocrite qui dans les républiques cache si souvent l'ambition du pouvoir suprême. Spurius Mélius, riche citoyen de Rome, a fait venir des grains dans un tems de disette ; il les distribue au peuple pour le gagner, & s'ouvrir un chemin à la tyrannie. Cincinnatus, qui de sa retraite a pénétré les projets de Mélius, accourt à Rome & l'accuse devant le sénat. Mélius se défend & menace. Cincinnatus est nommé dictateur. ll donne ordre d'arrêter Mélius. Celui-ci résiste & provoque le peuple à la sédition. Servilius, général de la cavalerie, le tue au milieu de ses cliens. Tel est le fond de la piece.

On voit que les deux grands ressorts de la terreur & de la pitié sont étrangers à ce sujet. Tout son intérêt consiste dans un danger public, & dans le développement de deux grands caracteres politiques mis en opposition l'un avec l'autre : celui d'un conspirateur populaire, & celui d'un vrai citoyen, jaloux de la liberté de son pays.

Cette espece de dangers & de caracteres, excitent, attachent sans doute la sollicitude civique, l"amour inquiet de la patrie, qui chez ies peuples libres est un sentiment de l’ame. Mais il faut le dire, ce sentiment toujours moins profond, moins intime, moins pur, moins général que ceux dont la nature elle-même a mis le principe dans notre sein, donne moins de prise aux arts d'imitation, & ne touche point dans le fond de l'ame aux principes de la terreur & de la pitié.

Tout le monde a une famille, des amis, des objets d'amour : tous les sexes, tous les âges, toutes les conditions partagent ces intérêts. Tout le monde ne sent pas de même qu'il a une patrie ; un sexe entier le sent foiblement, la vieillesse ne le sent plus, la jeunesse ne le sent point encore ; nul n'a toujours l'intérét public également présent à son esprit. L'amour de la patrie est un sentiment acquis & non inné ; ce n'est pas un don de la nature, c'est un bienfait de la patrie même; & comme tout ce qui vient de la main des hommes, il est moins également réparti que ce qui vient de la nature. Il suffiroit que l'amour de la patrie fût moins général, pour qu’il réussît moins au théatre que les affections de la nature. Remarquez qu'au théatre le poëte & l’acteur ne sont que la moitié de l'ouvrage : c'est l'action des spectateurs les uns sur les autres qui l'achève. Dans un spectacle vide, dans un spectacle où les applaudissemens sont interdits, les spectateurs sont difficiles à émouvoir, & l’art n'y réussit pas toujours. Le mélange des hommes & des femmes dans nos spectacles, ce mélange qui lui même donne déjà des émotions vives aux uns & aux autres, y rend nécessaire l'unanimité des impressions entre les deux sexes pour le succès de la tragédie. Toujours les hommes refuseront de sentir ou seront impuissans à sentir des émotions que les femmes n'éprouveront que foiblement à côté d'eux.

C'est par ces raisons sans doute que chez les Grecs, en qui la passion de la liberté étoit pourtant si exaltée, les malheurs domestiques ont seuls occupé la scene dramatique avec un éclat durable. C'est aux mêmes vérités qu'il faut sans doute attribuer le peu de succès, ou l'instabilité des succès qu'ont obtenu [sic] à nos théatres plusieurs ouvrages très-estimables, comme scenes d'histoire & comme tableaux de politique. Ce sont ces vérités qui expliquent sans doute pourquoi Cincinnatus n'a obtenu qu'un de ces succès d'estime, qui semblent avoir plutôt consacré l'ouvrage au plaisir de la lecture qu'aux applaudissemens de théatre.

A considérer cet ouvrage en lui-même, on trouve que l’acteur [l’auteur ?] a réuni à tout ce qui étoit important & difficile dans son entreprise, peinture fidelle & énergique des mœurs de ses personnages, beaux développemens de leurs talens & de leurs vues, dans une opposition de discours & de conduite habilement ménagée entre eux ; ces mérites distinguent extrêmement la piece de Cincinnatus.

Les défauts qu'on lui reproche étoient faciles à éviter, & sont faciles à corriger ; par exemple on s'accorde à trouver la catastrophe trop brusque. II sembleroit naturel que Mélius, pour agiter le peuple, après avoir été menacé de l'exil par le sénat, eût exécuté le dessein qu'il avoit annoncé, de mettre secrettement le feu à sa propre maison, & d'y brûler la subsistance de Rome, pour en accuser la malveillance des sénateurs, & intéresser le peuple à lui confier le pouvoir suprême. Cet incendie eût rassemblé les citoyens allarmés dans la place publique ; ce seroit alors que Mélius se seroit présenté au milieu d'eux pour accuser le sénat : qu'il les auroit facilement poussés à la fureur par une harangue séditieuse ; & que Servilius, pour éviter une explosion funeste, lui auroit donné la mort ; l’action acquéroit, par cet incident, plus de vivacité & d’intérêt, la catastrophe plus de vraisemblance & de naturel. Le caractere du conspirateur eût été mieux marqué, le zele du peuple en sa saveur mieux motivé, le péril du sénat & de la liberté plus imminent ; la nécessité de poignarder le traître plus évidente, le courage de Servilius plus glorieux. Jeu de mots à part, on peut dire que l'embrasement de la maison de Servilius étoit nécessaire pour échauffer l’action; & il étoit nécessaire de l'échauffer avant d'y mettre fin.

Il paroît aussi que l’auteur, malgré les ressources de son talent, dont il a su tirer un si grand parti dans Marius, a craint ici de se renfermer dans celles de son sujet; & ç'a été là le principe d’autres fautes.

Il a craint que ce sujet ne fût trop aride; & désespérant de le féconder, il a voulu l'étendre ; de-là sans doute le rôle de cette Emilie, qui après avoir inutilement figuré entre les autres personnages de la piece, se poignarde après la mort de Mélius, son pere ;. ce qui fait une seconde catastrophe, à laquelle l'unité de l’action ne permettoit pas de s'attendre.

Mais nous le répétons, l'ouvrage peut se passer de quelques beautés & porter quelques défauts. Au reste , le poëte qui dans une grande occurence a su faire parler & agir un Romain tel que Cincinnatus, d'une maniere digne de lui & de Rome ; qui a su rassembler dans les discours & la conduite de Mélius ce que les conspirateurs les plus habiles de tous les tems, même du nôtre, nous ont jamais fait voir de plus audacieux & de plus astucieux, celui-là fait aisément disparoître des fautes qui déparent des ouvrages estimables, & plus aisément encore il les fait oublier par de nouvelles productions qui lui procurent de plus éclatans succès.

« Vous avez su faire ce que d'autres n'ont pas fait, lui a dit Dncis, après la premiere représentation de la piece : ce dont tout le monde est capable, vous le ferez plus aisément qu'un autre. »

Ces paroles, qui nous reviennent trop tard à la mémoire, disent mieux que nous tout ce que nous avons voulu dire & du talent de l'auteur & de son ouvrage.

La base César ne connaît pas de tragédie intitulée Spurius Melius. Elle y apparaît sous le titre Quintius Cincinnatus. Elle a été jouée 5 fois au Théâtre Français de la rue de Richelieu, du 15 décembre 1794 au 16 janvier 1796. André Tissier donne comme titre Cincinnatus, ou la Conjuration de Spurius Melius (Les Spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 2, p. 404).

Ajouter un commentaire

Anti-spam