Cyrus

Cyrus, tragédie en cinq actes, par M. Chénier ; 17 frimaire an XIII (8 décembre 1804).

Théâtre Français.

Titre :

Cyrus

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

17 frimaire an XIII (8 décembre 1804)

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

M.-J. Chénier

Almanach des Muses 1806.

Pièce dans laquelle l'auteur de Charles IX s'était proposé de célébrer le couronnement du héros qui gouverne les Français. Allégorie facile à saisir, mais où l'art du poète s'est trouvé en défaut. Trop de ressemblance avec la Mérope et la Sémiramis de Voltaire. Point d'intérêt, des inconvenances, et de temps en temps, néanmoins de beaux vers qui ont soutenu l'ouvrage jusqu'à la fin. Une seule représent.

Oeuvres posthumes de M. J. Chénier, tome I (1824), Notice sur M.-J. Chénier, par M. Daunou, p. v :

Cyrus n'a eu qu'une seule représentation : c'était à la fin de 1804, peu de jours après une cérémonie fameuse. On crut apercevoir quelques rapports entre le couronnement de Cyrus et la bénédiction pontificale qui venait de consacrer une usurpation funeste. Il se pouvait bien qu'en effet Chénier eût conçu l'idée d'adresser des leçons sévères au plus impérieux des despotes, de lui retracer les devoirs de cette puissance suprême qu'il osait envahir, et de réclamer solennellement pour la liberté publique les garanties dont il l'avait déjà frustrée. Ce qui est sûr, c'est que le tyran se tint pour offensé ; qu'il employa contre le succès de cette pièce les ressorts et les agens de son pouvoir ; et que cette fois il fut secondé par ses propres ennemis autant que par ses flatteurs. On croyait lui refuser à lui-même les applaudissemens qu'on n'accordait point à Cyrus ; et, sans examiner si les reproches qu'on faisait au poète étaient mal ou bien fondés, il suffisait qu'ils parussent tenir lieu de ceux qu'on n'osait point adresser au pontife. Les lecteurs ont pu, bien mieux que les spectateurs, juger des intentions, du plan et du style de cette tragédie: elle a été imprimée pour la première fois en 1818.

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, nivôse an XIII [décembre 1804]p. 271-281 :

[Pour une pièce qui n’a eu qu’une représentation, un bien long compte rendu ! Il s’ouvre par l’affirmation de l’attente générale de la représentation de la pièce de Chénier, du succès de bien des passages (les actes III et IV ayant été les plus mal reçus), mais de son échec (« l'ouvrage n'a pas obtenu un succès complet »). Puis le critique entreprend « une analyse aussi exacte » que possible, pour autant que ce soit réalisable après une seule représentation d’une pièce à l’intrigue compliquée. Cette analyse est faite acte par acte, et la complexité de l’intrigue apparaît clairement. Cette intrigue repose sur Hérodote, bien sûr, mais elle utilise aussi « la situation de Mérope, presqu’entière » : on ne peut pas dire que l’auteur a été très original. L’exposition a paru longue, et elle se répète encore aux actes IV et V, ce qui ne rend pas la pièce bien claire. Et son intrigue est peu intéressante (l’intérêt ne peut naître que d’un « péril certain, évident, imminent », et le critique montre que ce péril n’existe pas). Plusieurs caractères sont jugés mal dessinés (Harpaste, Astyage). On en conclut que la tragédie de Chénier pèche « sous le rapport du plan, de la conduite, et du défaut de liaison de quelques scènes », ce qui n’empêche qu’elle a aussi de grands mérites : son style est remarquable, même si l’auteur n’a pas évité des répétitions, des sentences et préceptes (trop) nombreux. Certains rôles sont également bien tracés (si celui de Mandale « tombe quelquefois dans la déclamation », ceux de Cyrus et de Memnon sont bien conçus. Le critique nous donne ensuite une liste de tirades « qui ont été le plus vivement applaudies ». Quant à l’interprétation, elle manque d’ensemble, même si les acteurs sont individuellement remarquables, à part l’actrice jouant Mandane. Les décors et costumes ont « une magnificence digne du sujet et du lieu de la scène ». Et les costumes en particulier « sont d'une exactitude sévère et de la plus grande beauté ».]

THÉATRE FRANÇAIS.

Cyrus, tragédie.

Cette tragédie était depuis long-temps attendue, et tout concourait à faire désirer la représentation de cet ouvrage annoncé comme l'un des mieux écrits de son auteur, M. Chénier. La première représentation vient d'avoir lieu. Le concours qu'elle avait attiré était prodigieux. Les deux premiers actes ont excité de vifs applaudissemens. Les belles scènes des troisième et quatrième actes n'ont pu dissimuler les vices que nous avons cru reconnaître dans la disposition du plan, ét peut-être aussi dans le choix du sujet : le spectacle imposant du cinquième acte a reconquis les suffrages ; mais au total, l'ouvrage n'a pas obtenu un succès complet. En voici une analyse aussi exacte qu'a pu le permettre une seule représentation d'une pièce, dont l'intrigue ne laissa pas que d'être compliquée.

Astyage occupe le trône ; il règne sur les Mèdes : Mandane, sa fille, vient de perdre dans les combats Cambyse, son époux, roi de Perse : elle ne le pleure pas seul ; elle déplore aussi la perte, ou du moins l'absence et l'exil de son fils, de Cyrus proscrit même avant d'être né, et condamné par son aïeul, redoutant , sur la foi d'un songe, que Cyrus appellé au trône par les destinées, ne vienne s'y asseoir à sa place.

Harpage, général de l'empire, a été chargé du soin odieux de faire périr Cyrus : un trône lui a été promis pour prix de sa complicité. Mais fidèle à l'honneur, à Cambyse et à Mandane, Harpage a sauvé le jeune rejetton, espoir de l'Orient. Par son ordre, Mithradate, un pasteur a laissé dans les forêts, et sans sépulture, son propre fils, mort en naissant, et l'a revêtu des langes de Cyrus. L'enfant du pasteur est descendu dans les tombeaux des rois ; et Cyrus, échappé à la mort, ignorant son nom, son rang, sa destinée future, a été élevé secrettement par Harage. Il est devenu fameux sous le nom d'Élénor, il a été instruit dans l'art de vaincre, par Harpage lui-même ; et lorsque sa mère le pleure, le jour de la fête du soleil doit éclairer, à Ecbatane, les honneurs rendus à son courage.

Harpage, dans ce jour solennel, s'ouvre au grand prêtre Memnon, sur ses dispositions et celles des mages, à l'égard de Cyrus : le grand prêtre parle du jeune héros, comme du souverain promis par les dieux éternels, et jure qu'au moment où il paraîtra, les mages obéiront aux oracles qui l'ont annoncé ; c'est sous ces auspices que la fête séculaire du soleil et le triomphe d'Elénor vont être à-la-fois célébrés.

Elénor paraît devant le roi, les mages, les grands , et devant Mandane ; il ordonne à ses guerriers la remise des dépouilles des ennemis vaincus, mais pour prix de sa victoire, il demande de conserver l'armure d'un héros qu'il a vengé, l'armure de Cambyse qu'il a arrachée au Scythe qui venait de tuer le prince. A. la vue de ce glaive, Mandane éperdue, se plaint qu'il ne soit pas entre les mains de son fils ; mais elle-même le remet à Elénor, en recevant les sermens de sa fidélité, et les vœux qu'il fait pour le bonheur de l'empire.

Memnon saisit cette occasion pour prononcer de nouveau le nom de Cyrus, pour le promettre au nom des dieux, pour proclamer les hautes destinées qui l'attendent. Astyage se trouble, et la fin de la cérémonie le laisse en proie à une agitation violente. Demeuré seul avec Elénor, il lui avoue ses terreurs ; il a connu l'artifice d'Harpage et ne s'en est point vengé ; il sait que Cyrus existe et le redoute plus que jamais. Il invoque Elénor contre Cyrus, demande au jeune héros la tête du petit-fils qu'il proscrit ; Elénor frémit, ne promet que de désobéir, et conjure Harpage de l'arracher à une odieuse cour.

Au troisième acte, Mandane interroge Elénor sur le sort de Cyrus : aux lieux qu'il a parcourus , en vainqueur, n'en a-t-il eu aucune nouvelle ? Ce nom n'est-il jamais parvenu à son oreille ? Malheureux lui même, orphelin, et sans appui, Elénor avoue que les malheurs de Cyrus et de Mandane sont parvenus jusqu'à lui ; que son père , un pasteur.... A ces mots, Mandane s'émeut, mais le pasteur se nommait Arbacès, et Mithradate n'est ainsi que Cyrus, connu d'Elénor, que de nom seulement ; Mandane est donc forcée à implorer seulement la protection d'Elénor. Ce guerrier lui engage sa foi, et en sa présence, déclare à Astyage qu'il est prêt à remplir ses ordres, mais alors seulement que ses ordres seront dignes de lui.

Sûre d'Harpage, de Memnon et d'Elénor, la mère de Cyrus tente un dernier effort sur Astyage ; ses pleurs touchent enfin son père ; Astyage pardonne, et consent que Cyrus le représente aux murs de Babylone, lorsqu'un vieillard paraît : c'est Mithradate, qui long-temps compagnon de Cyrus, et veillant sur lui, s'est tout-à-coup vu délaissé par le jeune héros, et qui, citant le témoignage du Scythe et de l'armée, prétend que Cyrus est tombé sous les coups d'Elénor lui-même, et qu'Elénor a ravi l'armure que Cyrus avait reçue de Cambyse. Astyage abandonne le meurtrier à la vengeance d'une mère.

Au bruit de la déclaration de Mithradate, Elénor accusé se présente, et s'étonne que le soupçon puisse s'élever contre lui : par l'ordre même d'Harpage, il a combattu un Scythe meutrier de Cambyse ; ce Scythe pouvait-il être Cyrus ? Mais Mandane poursuivant à regret sa vengeance contre un guerrier, dont les traits lui rappellent son époux, cite le témoignage de Mithradate lui-même : à ces mots, Elénor confondu ne peut plus qu'accuser le destin, et proteste de son innocence ; il demande la mort due à son erreur ; il l'attend de Mandane elle même ; il la supplie de frapper, lorsque Mithradate paraît, reconnaît Cyrus et le fait reconnaître à sa mère. Astyage interrompt cette scène, en venant insister sur le supplice d'Elénor : Harpage se déclare pour le guerrier, et sans quitter. le voile mystérieux dont il s'enveloppe , obtient qu'Elénor sera jugé devant le peuple, les grands et les mages, sur le témoignage de Mithradate lui-mème.

Au cinquième acte, Harpage rassure Mandane tremblante sur le sort de son fils, sous quelque nom qu'il paraisse devant Astyage : il lui fait le détail de sa conduite ; de son artifice et de ses desseins ; il lui avoue que lui-même a séparé Cyrus de Mithradate, pour déconcerter Astyage dans ses recherches, et former la vaillance du jeune héros ; que lui-même avait fait courir le bruit de son trépas, et qu'il avait mandé au même jour Elénor et Mithradate, pour faire reconnaître Cyrus. Ainsi s'explique le double changement de nom du vieillard et de Cyrus, la fuite de ce prince, ses exploits et son apparition à Ecbatane. Harpage promet d'accomplir son ouvrage, de sauver et de couronner Cyrus : de son côté, Memnon promet à Mandane la voix des oracles et l'appui du ciel, lorsque des cris élancés de la place publique se font entendre : Mithradate accourt et les explique. En présence du peuple assemblé, Harpage élevant la voix pour Elénor, a déclaré qu'il était Cyrus ; il a invoqué les témoignages et les sermens de Mithradate, et sur-tout les larmes de Mandane : à ces mots, deux partis furieux prêts à en venir aux mains, allaient faire parler les dieux pour Astyage ou son fils, lorsque Cyrus s'élançant lui-même au-devant de ses ennemis, les a fait pâlir à
l'aspect de son dévouement, et à force de générosité, a désarmé la colère d'Astyage.

Bientôt, en effet, l'aïeul de Cyrus s'avance avec son fils : cédant à la voix du destin et aux vœux de l'empire, il dépose sur la tête du jeune héros une couronne trop chancelante sur la sienne.

On voit par cette analyse ce que l'auteur a pris dans l'histoire, quel historien il a suivi, et quelle fable tragique déjà connue il a imitée ; on voit qu'au merveilleux répandu par Hérodote sur les premières années de Cyrus, à l'histoire de sa proscription et des terreurs d'Astyage, l'auteur a cru devoir lier la situation de Mérope, presqu'entière, et que cette imitation s'étendant jusqu'au changement du nom du héros et du pasteur, jusqu'à la supposition du meurtre dont le héros est accusé, jusqu'aux moyens de reconnaissance entre Mérope et son fils, nous dirons même jusqu’aux détails de quelques parties du dialogue, n'a pu permettre au spectateur d'accorder au poëte le mérite de l'invention dans le sujet qu'il a traité.

Ce même spectateur a pu trouver aussi l'exposition un peu longue, quoique, chose à remarquer, le premier acte n'ait que deux scènes : il a pu s'étonner de voir cette exposition nécessairement reproduite à la fin du 4e. acte et encore au commencement du 5e., et accuser dès-lors l'ouvrage entier de manquer de clarté et d'une sage distribution. Ajouterons-nous qu'en imitant le sujet si intéressant de Mérope, l'auteur ne nous semble pas lui avoir donné tout l'intérêt qu'il pouvait comporter. Il n'y a d'intérêt que là où il y un a péril certain, évident, imminent ; il n'y a d'action intéressante que là où se trouve un nœud fortement conçu, un obstacle que le spectateur doit croire invincible ; or dans Cyrus, où est l'imminence du péril, où est la force du nœud dramatique ? Ce péril, ce nœud existent dans Mérope et dans Athalie ; ils résultent du caractère de Polyphonte et d'Athalie, de l'isolement d'Egyste, de la faiblesse des défenseurs de Joas. Ici Cyrus a pour lui la voix des dieux, sa mère, le général de l'empire, le peuple et l'armée ; contre lui, un monarque faible, irrésolu, qui conspire lui-même à sa perte, qui dès le troisième acte, accordait le pardon de Cyrus. Le péril n'est donc qu'imaginaire, et il l'est d'autant plus que celui qui a fait mouvoir tous les fils de l'intrigue, que Harpage qui abuse Astyage sur sa situation, sans éclairer Cyrus sur la sienne, et qui tient en effet dans sa main les destinées de l'empire, n'a d'autre dessein que de détrôner Astyage, et de couronner le petit-fils de ce prince.

Ce caractère d'Harpage répand de l'obscurité sur l'ouvrage, et son ton mystérieux n'intéresse point. Astyage lui avait pardonné son artifice ; on n'aime point à voir le même guerrier abuser encore le monarque, et lui peindre comme un banni le successeur qu'il tient prêt à paraître. Cette dissimulation tient de la perfidie. Les dieux appellent Cyrus, mais est-ce du vivant d'Astyage ? A cet égard, les oracles sont muets, et Memnon est sans voix. Tout serait justifié peut-être, si l'auteur eût donné au caractère d'Astyage la couleur décidée que l'intérêt semblait commander, si Astyage eût été inflexible dans sa sévérité, dans sa haine, s'il n'eût point pardonné. Cela est si vrai, que Mandane, au cinquième acte, dit que ses larmes auraient pu tout réconcilier , et le dit au grand-prêtre, qui lui tient à-peu-près le discours par lequel Joad ranime le courage de Josabeth.

Cet ouvrage peut donc être reprochable sous le rapport du plan, de la conduite, et du défaut de liaison de quelques scènes ; mais on en aurait une idée bien fausse, si l'on croyait que l'on n'y trouve pas l'empreinte d'un grand talent et le cachet d'un génie tragique. Le style est par-tout remarquable par son élévation, son abondance, sa pompe et sa couleur locale. Cet ouvrage compte une foule de vers et de nombreuses tirades, qui ne seraient point désavouées par les maîtres de l'art ; seulement la nature du sujet et le lieu de la scène ont entraîné l'auteur à quelques répétitions, à l'emploi des mêmes figures, et à quelque prodigalité de sentences et de préceptes : le rôle de Mandane, écrit avec force, tombe quelquefois dans la déclamation et fait languir des scènes que l'amour maternel devrait seul animer. Le rôle de Cyrus est aussi bien tracé que bien écrit ; il est toujours noble, généreux, intéressant : celui d'Astyage est trop complettement sacrifié pour que son style puisse être particulièrement caractérisé : Memnon a bien l'accent prophétique qui convient à son auguste ministère.

Parmi les tirades qui ont été le plus vivement applaudies, on doit remarquer la poétique invocation au dieu des Persans, les vœux que Cyrus exprime au nom du peuple, l'imitation de la prophétie de Daniel mise dans la bouche de Memnon, la peinture du règne d'Astyage,

                                          Craintif et sanguinaire,
Ignoré dans les camps où l'on meurt pour lui plaire.

les refus d'Elénor aux ordres d'Astyage, le récit du combat d'Elénor contre le Scythe, dont Elénor décrit ainsi la fin :

Il tombe : fier encor ;avide encor de gloire ;
Ses regards expirans menaçaient ma victoire.

enfin le récit de Mithradate.

La pièce n'a pas été jouée avec ensemble : Talma a déployé dans le rôle de Cvrus un très-grand talent de diction ; Mlle. Duchesnois a été très-inégale dans le rôle de Mandane, et en a fait ressortir les défauts par une déclamation trop souvent traînante, en dénaturant et forçant son organe, en substituant les cris à l'expression. Lafond mérite, sous le même rapport, un éloge au lieu d'une critique : la chaleur de son débit et de son jeu ont à peine laissé appercevoir qu'au 5e. acte il ramenait le spectateur à l'exposition. Quant à Monvel, chargé du rôle du nouveau Narbas, éloigné depuis long-temps du théâtre par une maladie grave, il a été revu avec satisfaction, et les applaudissemens ont été assez prolongés pour l'empêcher de se faire entendre, et pour lui permettre d'offrir au public les signes modestes de sa reconnaissance.

Cette tragédie est établie avec une magnificence digne du sujet et du lieu de la scène : les costumes sont d'une exactitude sévère et de la plus grande beauté ; la décoration parfaitement adaptée au sujet et habilement disposée sur les dessins de M. Peyre neveu, architecte du Théâtre français, d'après les monumens et les usages du temps, produit un
très-bel effet.

Alexis Blaise Eymery, Pierre-Joseph Charrin, César de Proisy d'Eppe, René Périn, Amable Sabine Casimire Tastu, Dictionnaire des girouettes ou Nos contemporains peints d'après eux-mêmes, p. 88-89 :

[Dans la notice consacrée à Marie-Joseph Chénier :]

Il renouvela, le 21 janvier 1796, son serment de maintenir la république, et de haine à la royauté, ce qui ne l'empêcha pas de composer et de faire jouer sur le théâtre Français, en frimaire an 13, une tragédie en cinq actes et en vers, intitulée Cyrus, pièce dans laquelle Chénier, sous le voile d'une allégorie ingénieuse, s'est proposé de célébrer le couronnement de Napoléon. Cette pièce n'eut qu'une représentation.

La base La Grange de la Comédie Française donne pour date de création le 8 décembre 1804. La pièce n’a connu qu’une représentation.

Henri Welschinger, La censure sous le premier empire : avec documents inédits, Pairs, 1882, accorde une place de choix à ce Cyrus (p. 147-148).

Un poète plus connu, Marie-Joseph Chénier, qui avait dit spirituellement en 1800 :

« Nous avons abjuré le pouvoir despotique,
« Nous avons des Consuls, nous avons un Sénat,
         « Nous avons un Tribunat,
       « Et peut-être une République ! »

et fait une assez vive opposition au gouvernement consulaire, consentit, après son expulsion du Tribunat, à mettre une sourdine à ses opinions républicaines et à accepter de l'Empereur une place d'inspecteur de l'Université. Sur le conseil de Fouché qui lui avait laissé espérer en récompense un siège au Sénat, il avait composé en 1804 la tragédie de Cyrus, sorte d'apologie impériale. Il essaya de voiler sa conversion subite sous des conseils assez hardis au Souverain, qu'il plaça dans la bouche de Cyrus ; mais ces conseils déplurent à l'Empereur qui ferma le théâtre à ses tragédies. Ajoutons que la jeunesse libérale avait châtié par des sifflets la faiblesse de l'ancien conventionnel et fait tomber la pièce. Chénier, irrité, chercha à faire oublier Cyrus en écrivant, en 1805, l'élégie intitulée : la Promenade, qui ne fut d'ailleurs connue que de ses intimes. Il se figurait apercevoir Saint-Cloud, ses naïades s'enfuyant plaintives sous les roseaux, et lui imitant leur exemple, car l'air de la servitude était trop pesant pour lui. Il regrettait de voir ces beaux ombrages n'être plus le séjour des champêtres plaisirs. Saint-Cloud avait vu le dernier jour de la liberté :

« Dix ans d'efforts pour elle ont produit l'esclavage!
« Un Corse a des Français dévoré l'héritage. »

Il ne se rappelait plus avoir écrit Cyrus, et il disait fièrement :

« Je n'ai point caressé sa brillante infamie ;
« Ma voix des oppresseurs fut toujours ennemie.
« Et tandis qu'il voyait des flots d'adorateurs
«Lui vendre avec l'État leurs vers adulateurs,
« Le tyran, dans sa cour, remarqua mon absence :
« Car je chante la gloire et non pas la puissance. »

Le tyran l'avait cependant fait inspecteur de l'Université et lui avait commandé une tragédie pour son couronnement. Éternels oublis des poètes !...

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