Edgar ou la Chasse aux loups

Edgar ou la Chasse aux loups, mélodrame/drame héroïque en trois actes, de Caigniez, musique de Quaisain, ballets de Millot, 17 décembre 1811.

Théâtre de l'Ambigu-Comique.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1812 :

Edgar, ou la Chasse aux loups, mélodrame en trois actes, en prose, à grand spectacle, Par M. Caigniez ; Musique de M. Quaisain ; Ballets de Millot ; Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Ambigu-Comique le 17 décembre 1811.

Journal de Paris, n° 79 du 18 décembre 1811, p. 4 :

[Comme le critique manque de place pour le compte rendu complet de la pièce, il annonce qu'il se limite à dire quelle en est la source, une tragédie allemande et une pièce anglaise, en ajoutant que la pièce française a été adaptée au point d'en « faire presque une comédie ». Il félicite l'actrice qui a su jouer « le rôle d'une camériste transformée en duchesse », et Caigniez, l'auteur, seul capable de réaliser une telle transformation du tragique en comique. Le sous-titre est expliqué : simple accessoire, il renvoie pourtant à la lutte séculaire des Anglais contre les loups. Un second article reviendra sur la pièce, dont on apprend le nom des auteurs, musique et ballets. Curieuse conclusion, le critique tient à révéler une supercherie : la danseuse que le théâtre a voulu faire passer pour « une petite fille » est en fait la première danseuse du théâtre, la Gardel (madame Gardel ?).]

THÉATRE DE L’AMBIGU-COMIQUE.

Première représentation d’Edgar, ou la Chasse aux Loups,
mélodrame en trois actes.

Il ne me reste pas assez d’espace pour donner l’analyse de ce nouveau mélodrame, dont le sujet est tiré d’une tragédie allemande, intitulée Elfride, et d'une autre pièce qui a été donnée au théâtre anglais par M. Mason. Je dirai seulement que tout se passe plus gaiement dans la pièce française, et que l’auteur a trouvé le secret de faire presque une comédie, et même une jolie comédie d’une tragédie anglo-germanique. Le public a paru d’abord étonné d'être obligé de rire à un mélodrame ; mais enfin il a prouvé qu’on pourrait peut-être l'y habituer.

Mlle Lagrenois a joué de la manière la plus plaisante et la plus vraie le rôle d’une camériste transformée en duchesse. Le succès a couronné cette innovation mélodramatique qu’aucun auteur ne pouvait plus hardiment entreprendre que M. Caigniez, dont les ouvrages m’ont toujours paru de meilleur goût qu’il n’était permis aux boulevards.

Ce second titre de la Chasse aux Loups n’est qu’un accessoire qu’on a cru propre à flatter les yeux et les oreilles d’une certaine classe de spectateurs. Il est d’ailleurs justifié par l’histoire d’Edgar. Ce prince, surnommé pourtant le Pacifique, joue un très-grand rôle dans la guerre à mort qui dura si longtemps entre les anglais et les loups. Il imposa même à la province de Galles un tribut annuel d’un certain nombre de têtes de ces animaux carnassiers. J'aime à voir de l'érudition jusque dans le titre d un mélodrame.

Je reviendrai sur cette pièce, dont la musique est de M. Quaisin et les ballets de M. Millot. On a remarqué dans un joli groupe d’enfans une artiste qu’on a voulu nous donner comme une petite fille ; mais je n’en ai pas été dupe ; je l’ai reconnue ; c’est la première danseuse, la Gardel du grand opéra de Lilliput.           A.          

Journal de Paris, n° 80 du 19 décembre 1811, p. 2 :

[Deuxième article sur Edgar, qui revient sur la source de la pièce : l'auteur a su merveilleusement soumettre « la muse germaine au goût français », sur un sujet qui appartient d'ailleurs à tous, « puisqu'il est tiré de l’histoire d’Angleterre par David Hume ». Le critique s'acquitte ensuite de son devoir, en résumant l'intrigue, l'histoire d'un roi anglais qui souhaite épouser une jeune beauté sans fortune et confie à son favori le soin de s'informer sur la beauté réelle ou non de la jeune femme. Le favori trompe son maître, en lui faisant croire qu'elle est « d'une beauté très-médiocre », tout en l'épousant. Il la tient cachée, mais la vérité finit par être connue, et c'est le moment de la vengeance : dans l'histoire, le roi poignarde son favori. Mais le théâtre a ses exigences en matière de convenances, et les auteurs qui ont mis le sujet sur la scène ont changé le dénouement, en faisant de la belle une épouse fidèle qui se suicide sur le corps de son mari tué par le roi. Caigniez a choisi une autre voie, en imaginant un autre personnage féminin que le roi épouse, la punition de son favori se limitant à lui imposer de venir à la cour avec sa femme. « Ce dénouement laisse peu de chose à desirer et donne beaucoup à prévoir » : le critique paraît approuver l'innovation de Caigniez. « Le succès […] a été complet ». Et les acteurs ont su jouer « avec une aisance comique » dont le critique ne semble pas les croire capables.]

THÉATRE DE L’AMBIGU-COMIQUE.

Première représentation d’Edgar, ou la Chasse aux Loups,
mélodrame en trois actes.

Quoique l’auteur de cette pièce doive beaucoup à M Bertuch, conseiller du duc de Saxe-Weymar, et auteur de la tragédie d’Elfride, il a si bien soumis la muse germaine au goût français. qu’on ne saurait lui reprocher comme un plagiat un simple emprunt que le code littéraire autorise. Le sujet d’ailleurs appartient à tout le monde,

La renommée apprit au roi Edgar que la fille et 1'unique héritière du comte de Davon, l’un des plus riches et des plus puissants seigneurs du royaume, passait pour un chef-d'œuvre de beauté. Ce prince peu scrupuleux aimait tant les jolies femmes, que le cloître même ne pouvait les soustraire à ses désirs.

Son cœur et la moitié de son trône étaient vacans ; il conçut aussitôt le projet d'en faire hommage à Elfride, si ses charmes justifiaient sa renommée. Il chargea Athelwod, son favori, de vérifier s’ils valaient le prix qu’il voulait y mettre. Athelwod est envoyé sous quelque prétexte au comte de Devon ; il voit Elfride, en devient éperdument épris, oublie sa mission, et ne s’occupe que de son amour qui lui fait trahir son prince. De retour près du roi, il lui peint Elfride comme une beauté très-médiocre, et parvient à l’en dégoûter. Mais ce parti indigne d’un roi peut fort bien convenir à un sujet. Athelwod obtient de son souverain la permission d’épouser la riche héritière que le père lui accorde.

En vain le nouvel époux a grand soin de tenir son trésor caché dans une terre assez éloignée de la capitale. Le hasard ou l’envie en instruit le roi, qui, dissimulant sa colère, vient, sons le prétexte d’une partie de chasse, rendre à son favori une visite imprévue dans le bateau où vivait la solitaire Elfride. Athelwod se jette aux pieds de son épouse, lui avoue qu'il lui a ravi une couronne, s’excuse sur la violence de sa passion, et la conjure de faire tous ses efforts pour cacher aux yeux du roi son esprit et sa beauté. Quelle femme eût été capable de cet héroïque effort ? Elfride, ambitieuse et coquette, déploya tous les moyens de plaire que lui avaient donnés la nature et l’éducation. Elle réussit au point que le prince, pour punir à la fois dans Athelwod un traître et un rival, l’invite à une partie de chasse, le poignarde de sa propre main, et place sa veuve sur le trône. Voilà l’histoire.

On sent que les convenances théâtrales ont commandé des changement aux auteurs qui se sont emparés de ce sujet. Tous ont fait d'Elfride une femme sensible et vertueuse, qui préfère le cœur de son époux à une couronne ; et dans la pièce allemande, elle se poignarde sur le corps de son époux.

L’invention du personnage d’une invisible comtesse de Cornouailles a permis à l’auteur français de dénouer sa pièce d’une manière plus satisfaisante pour tout le monde. Edgar en est amoureux depuis quelque temps, et cette nouvelle passion, sans triompher de celle que lui inspire Elfride, et des regrets qu’il éprouve de la voir l'épouse d'un autre, lui fournit 1'occasion de tout concilier. Il épousera la comtesse de Cornouailles, dont le nom, soit dit en passant, doit sonner assez mal aux oreilles du dieu d'hymen, et ne punira le jaloux Athelwod qu'en 1'obligeant à conduite sa femme à la cour. Ce dénouement laisse peu de chose à desirer et donne beaucoup à prévoir. Le succès, comme nous l’avons dit, a été complet. Les acteurs en général ont joué avec une aisance comique, et même avec un assez bon ton, dont le répertoire des théâtres des boulevards semblerait devoir leur faire perdre l’habitude.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, n° 265 (quatrième année) du 15 décembre 1813, p. 347-348 :

[Cette lettre autour d'Elfride et du plagiat, avéré ou redouté, concernant des œuvres réelles, ou projetées, ne risque pas d'éclaircir le débat sur la paternité des pièces mettant en scène « cette reine d'Angleterre. Elle fournit bien des pistes pour remplir un dossier abondant sur les usages dans le monde des lettres.]

CORRESPONDANCE LITTERAIRE.

A M. LE RÉDACTEUR DU JOURNAL DES ARTS.

Paris, ce 14 décembre 1813.

Monsieur,

Depuis plusieurs jours, les Journaux retentissent des réclamations d'auteurs qui ont traité ou qui se disposent à traiter le sujet d'Elfride.

Qu'il me soit permis, Monsieur le Rédacteur, d'employer la voie de votre Journal, afin de publier aussi quelques éclaircissemens sur l'histoire littéraire de cette reine d'Angleterre.

L'auteur d'une tragédie projetée d'Elfride a cru devoir se mettre à l'abri du soupçon de plagiat, en déclarant, dans le Journal de l'Empire du 3 décembre 1813, qu'il avait esquissé le plan et tracé quelques scènes de son ouvrage, avant qu'il fût question du Courtisan dans l'embarras.

Je suis étonné que les auteurs de ce vaudeville n'aient pas usé des mêmes précautions, pour se garantir de l'accusation d'avoir eu connaissance d'un mélodrame qui a pour titre : Edgar, ou la Chasse aux Loups.

L'auteur du mélodrame pouvait, à son tour, protester qu'il ignorait l'existence d'un opéra d'Elfrida de M. Guillard, joué au théâtre Favard en 1792, ainsi que le rappelle M. Aimé Martin, dans le Journal de Paris du 11 décembre 1813.

Enfin, l'auteur d'une traduction projetée de la tragédie anglaise d'Elfrida, par William Mason (Journal de l'Empire du 10 décembre), en indiquant cette source à l'auteur de la tragédie projetée d'Elfride oublie de lui faire connaitre qu'il existe deux autres tragédies sur le même sujet, l'une en allemand, et dont la traduction se trouve dans le théâtre allemand; l'autre en hollandais : Elfride, treurspel naur het hoogduitsch onrijm van Bertuch door P.-J, Kasteleijn de derde druk.

Par devoir, je crois utile de prévenir l'auteur de la traduction projetée d'Elfrida, par William Mason, qu'il existe une traduction de cette pièce, que j'ai sous-les yeux,ont le titre est conçu en ces termes : Elfrida, tragédie sur le modèle des anciennes tragédies grecques par William Mason, représentée, pour la première fois, sur le théâtre royal de Covent-Garden, l'année 1772.

Pour mon intérêt, je crois devoir informer l'auteur de la tragédie projetée d'Elfride que je me suis aussi essayé sur ce sujet, et que, depuis deux ans environ, j'ai fait recevoir à la Comédie Française, à corrections il est vrai, une tragédie en 5 actes et en vers, intitulée :  Elfride.

Veuillez bien, M. le Rédacteur, insérer cette lettre dans votre Journal, afin de me mettre, à mon tour, à l'abri de toute accusation de plagiat.

Agréez, Monsieur, etc.

A.-G. de M.,

Sous-Chef au Ministère de la Guerre.

« A.-G. de M., Sous-Chef au Ministère de la Guerre » pourrait bien être A. Gondreville de Montimbré, dont la Biographie universelle, ancienne et moderne, supplément, Volume 65, p. 517, signale une « Elfride, tragédie qui n'a été ni jouée, ni imprimée ».

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