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Frédéric à Spandau, ou le Libelle

Frédéric à Spandau, ou le Libelle, mélodrame en trois actes, de Duperche et Dorvo, musique d’Alexandre Piccini, ballet d’Aumer, 1er février 1806.

Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Almanach des Muses 1807.

Titre :

Frédéric à Spandau, ou le Libelle

Genre

mélodrame

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en prose

Musique :

oui

Date de création :

1er février 1806

Théâtre :

Théâtre de la Porte Saint-Martin

Auteur(s) des paroles :

Duperche et Dorvo

Compositeur(s) :

Alexandre Piccini

Chorégraphe(s) :

Aumer

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1806 :

Frédéric à Spandau, ou le libelle, mélodrame en trois actes, Musique de M. Alexandre Piccini, Artiste de la musique particulière de Sa Majesté l’Empereur et Roi, et de l'Académie Impériale de Musique. Ballets et mise en scène de M. Aumer, de l'Académie Impériale de Musique. Représenté pour la première fois, sur le théâtre de la Porte St.-Martin, le 1er février 1806.

Manque sur cette page de titre le nom des auteurs des paroles, Duperche et Dorvo. Si l'attribution de la pièce à Hyacinthe Dorvo fait l'unanimité, le nom de Duperche n'est pas toujours cité.

Courrier des spectacles, n° 3290 du lundi 3 février 1806, p. 2-3 :

[Point de départ du compte rendu, la fortune théâtrale de Frédéric II de Prusse, mis sur la scène par « tous les auteurs dramatiques », pour le plus grand plaisir du public. La pièce nouvelle raconte une anecdote montrant la générosité du roi, qui paraît punir l’auteur d’un libelle irrespectueux, mais le récompense en fait. L’anecdote est trop pauvre pour trois actes, et il a fallu y ajouter des personnages secondaires, cependant liés à l’intrigue. La suite du compte rendu fournit l’analyse précise de la pièce. On y voit comment le roi sait récompenser le colonel injustement puni, et qui a su faire prendre conscience au roi de cette injustice. Le colonel est promis, son ennemi part en exil. Le jugement porté sur la pièce est très positif : des scènes bien conçues, rôles très bien tracés. Il y a quelques retouches à faire dans le rôle de l’indispensable niais, parfois trop peu respectueux. L’accueil du public a été enthousiaste, en particulier quand il a pu faire « quelque rapprochement entre le grand Roi de Prusse et l’homme étonnant du siècle » (inutile de le nommer !). La pièce s’achève par un ballet « d’une composition charmante », que tous ont apprécié. On y glorifie le roi de Prusse (mais sans doute faut-il faire le rapprochement avec un autre souverain). Les danseurs comme les acteurs ont été remarquables, et le critique nous en donne une large liste. Et bien sûr il donne le nom des auteurs, avec un compliment particulier pour l’auteur de la musique, « qui mérite d’être distinguée de la foule des compositions journalières ».]

Théâtre de la Porte St-Martin.

Frédéric à Spandau.

Il est peu d’actions remarquables du Grand Frédéric que l’on n’ait vues au théâtre. Presque tous les auteurs dramatiques ont voulu payer au héros de la Prusse le tribut d’admiration que méritoient ses grandes qualités ; et le public n’a jamais manqué de justifier leurs efforts par ses encouragemens. Une des circonstances de sa vie qui honore le plus ce grand homme, c’est, sans contredit, la manière généreuse avec laquelle il se vengea d’un pamphlet dirigé contre lui : Un colonel réformé avoit inutilement sollicité sa réintégration dans son grade. Entouré d’une famille que sa disgrâce avoit réduite à la misère, il ne vit plus d’autre ressource pour lui que sa plume. Il écrivit un libelle qui parvint jusqu’au Roi. Frédéric irrité promet une récompense considérable à celui qui lui nommera le coupable auteur. Le Colonel se presente lui-même, se nomme, et entend l’arrêt qui l’envoie prisonnier à Spandau. il rappelle au Roi sa promesse, réclame la récompense pour sa femme et ses enfans qui n’ont point de pain. Frédéric écrit une lettre, et charge le Colonel de la remettre au Gouverneur de la citadelle de Spandau. Celui-ci ouvre la dépêche, et dépose entre les mains du Colonel le commandement de la forteresse ; le Roi venoit de l’accorder à cet infortuné militaire, que le désespoir seul avoit déterminé à oublier le respect dû à son souverain

C’est ce trait de grandeur d’ame, ce trait noble et touchant que l’on vient de mettre en scène avec beaucoup de succès à ce Théâtre. Il étoit difficile d’en tirer trois actes. Cependant l’auteur, en introduisant differens personnages qui ne sont pas inutiles à l’action, a trouvé le moyen de remplir son cadre d’une manière à la-fois très-agréable et très intéressante. Voici comment il l’a traité :

Volnitz, colonel prussien venoit d’être dépouillé de son grade. Sa sœur, épouse de Ziétern, capitaine condamné à mort pour faute de discipline militaire, avoit été privée de la modique pension qui servoit à la soutenir, elle, et sa fille Pauline, âgée de seize ans. Entraîné par un mouvement de vengeance, il écrit contre le Roi un pamphlet que le général Spoltroff, son ami, l’empêche de le livrer à l’impression en s’emparant lui même du manuscrit. Spoltroff est amoureux de Pauline, mais le jeune Victor, officier de hussards, a obtenu la préférence. Volnitz veut tenter un dernier effort, auprès du Monarque.

Il charge de sa requête Splick, jeune fifre que Frédéric, en considération du courage qu’il a montré dans une bataille, en ne cessant pas un instant, au fort de la mêlée, de faire entendre son instrument, a admis auprès de lui comme huissier de la chambre, et qu’il traite même familièrement. Splick s’acquitte de sa commission ; le Roi reçoit assez mal la requête de Volnitz ; mais bientôt Mad. Ziétern et sa fille paroissent, se jettent aux pieds du Roi, et lui font une peinture si vive de leur déplorable situation, que Frédéric ordonne qu’on lui apporte deux brevets à signer, l’un en faveur du Colonel, et l’autre en faveur de la Veuve.

En cet instant, le général Spoltroff qui ne peut pardonner à la famille Ziétern les refus continuels qu’il a éprouvés, apporte à Frédéric un libelle imprimé. On y accuse le Roi ; on y plaint Ziétern ; on y exalte Volnitz, etc. Il fait remarquer à Frédéric tout ce que cet écrit contient d offensant ; et lorsqu’on apporte les deux brevets a signer, le Roi les déchire et appelant ses officiers, promet cinq cents frédérics d’or à celui qui découvrira l’auteur du libelle. Volnitz mandé à la cour, s'attend à être comblé des faveurs du Monarque. Splick lui apprend le nouveau malheur dont il est menacé, et le conjure de fuir ; mais le Colonel reste ; il attend Frédéric. Le Roi veut le faire chasser du palais. Volnitz déclare qu’il vient lui-même remettre le coupable entre les mains du Roi ; il se nomme ; Frédéric donne l’ordre de l’emmener. Le Colonel se console en disant qu’au moins il a trouvé le moyen de soustraire sa sœur et sa nièce aux horreurs de l’indigence. Le Roi lui demande quelles sont ses ressources ? « Les cinq cents frédérics d’or que votre Majesté a promis au dénonciateur » répond Volnitz. Cependant on l'entraîne à Spandau ; Madame Zietern reçoit l’argent, et bientôt elle-même et sa fille suivent le Colonel en prison. Le Gouverneur de Spandau, Kingel, qui, pai l’ordre de Spoltroff, a saisi les exemplaires du libelle chez l’imprimeur, trouve dans le même endroit une lettre de Spoltroff lui-même à l’imprimeur, et la remet à Frédéric. Cette lettre décide le Roi ; il fait convoquer le conseil de guerre ; lui seul maître de son secret, il arrive à Spaudau, fait comparoître le prisonnier et sa famille, et ordonne alors, en présence de la cour et de Spoltroff, au Gouverneur, de lire les ordres secrets qu’il lui a remis. Kinzel lit la lettre, elle contient la justification de Volnitz, sa réhabilitation et celle de sa famille ; Spoltroff démasqué et confus, va cacher dans l’exil sa honte et ses remords.

Ce mélodrame offre beaucoup de mouvement et d’intérêt. Plusieurs scènes bien conçues et amenées avec art, décèlent dans l’auteur une grande connoissance de la scène. Les rôles de Frédéric, de Volnitz et de Spoltroff sont bien tracés. Celui du fifre Turlututu. le bouffon de la pièce, est d’une gaité franche et originale ; mais s’il est des choses qu’un prince permet à un bouffon de dire en sa présence, il ne faut pas que cela soit poussé jusqu’à l’indiscrétion et l’irrévérence. Il y aura donc quelques corrections à faire dans le rôle Splick, sur-tout au troisième acte, où le public occupé tout entier de la situation pénible du Colonel, ne veut pas être distrait par des puérilités peu dignes de l’intérêt qu’il éprouve. Du reste, cet ouvrage a été accueilli souvent avec enthousiasme, sur-tout lorsqu’il présentoit quelque rapproche ment entre le grand Roi du Prusse et l’homme étonnant du siècle. Deux couplets chantés par Mad. Bourdais, où l’on a remarqué des allusions frappantes, ont été universellement redemandés.

Cet ouvrage est terminé par un ballet d’une composition charmante, et qui a réuni tous les suffrages. C’est une espèce de fête militaire et villageoise offerte à Frédéric et terminée par un tableau des plus pittoresques, où, le roi de Prusse, environné de la foule de ses sujets, est couronné de lauriers et placé sous quatre drapeaux portant cette inscription :

Roi, savant, héros, législateur.

L’exécution de ce ballet a été très-brillante. Les premiers sujets de la danse, M.M. Morand, Spitallier, Robillon, et Mesd. Degvilie, d’Outreville et Etienne y ont alternativement déployé beaucoup de talens. Les rôles ont été joués avec un ensemble rare : Frédéric par Fusil, Volnitz par Adnet, Kinzel par Bourdais, Spoltroff par d’Herbouville, Victor par Philippe, et Splick par Talon ; Mesd. Bourdais, Descuyers et Adèle ont aussi mérité des éloges. En un mot, c’est un mélodrame qui doit avoir à ce théâtre un grand nombre de représentations.

Les auteurs sont, MM. Dorvo, pour les paroles, Piccini, pour la musique, qui mérite d’être distinguée de la foule des compositions journalières, et Aumer pour les ballets.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome III, mars 1806, p. 290-295 :

[La pièce met en scène Frédéric II de Prusse, dans un mélodrame, alors qu’il a déjà figuré dans des pièces de tous les genres sauf la tragédie : serait-il l’Henri IV de la Prusse ? L’explication choisie est autre : ce sont ses qualités qui expliquent sa popularité au théâtre, ce qui doit le faire ressembler à un empereur récemment couronné, et dont on dit, directement ou non, beaucoup de bien sur les théâtres. L’analyse de l’intrigue insiste beaucoup sur les sentiments qu’on éprouve face à cette bien triste histoire, jusqu’à son dénouement doublement heureux, récompense du gentil et punition du méchant. Ce double dénouement est d’ailleurs présenté comme la règle du mélodrame, source d’intérêt inépuisable. Celui-ci est accompagné d’une musique que le critique voit comme « un ornement agréable sans être nécessaire ». La pièce fait pleurer, du fait de l’intérêt qu’il fait prendre pour le sort de la pauvre famille Volnitz. Elle est bien jouée par des acteurs de talent, même si l’un d’eux n’égale pas l’illustre Fleury. Par contre, le rôle du bouffon est particulièrement valorisé, et le critique lui accorde une grande importance qui dépasse la pièce : un roi a besoin qu’on le divertisse (l’auteur pense-t-il à un empereur actuel ?). La pièce s’achève « par un ballet très-gai et très-agréable » : le mélodrame est un spectacle complet (même pour cette fois il n'est pas "à grand spectacle").]

THÉATRE DE LA PORTE ST.-MARTIN.

Fréderic à Spandau.

Fréderic est sur tous nos théâtres ; on l'a mis en comédie, en opéra comique, en vaudeville, en drame, en mélodrame : il n'y a que la tragédie où on ne l'ait point encore fait entrer. D'où vient cette prédilection des poètes dramatiques pour Fréderic ? C'est que Fréderic avait un grand caractère, une tête forte, beaucoup d'esprit et de sens ; c'est que c'était un roi qui gouvernait par lui-même. Un tel personnage est intéressant et curieux au théâtre comme dans la société.

Fréderic a sévi contre le colonel Volnilz, brave militaire, avec une injuste rigueur qu'il se reproche amèrement à lui-même. Le fils du colonel, jeune homme sensible et fier, voit sa mère et sa sœur réduites à l'indigence, sans pouvoir les secourir. Le roi l'a privé de son grade, qui était son unique fortune : il pourrait bien trouver un protecteur dans un courtisan qui a du crédit auprès du roi, mais il faudrait acheter cette protection par le sacrifice de sa sœur , dont le courtisan est amoureux.

Dans l'amertume de son cœur, le jeune Volnitz a quelquefois soulagé le poids de sa douleur, en confiant au papier les traits de son ressentiment contre Fréderic ; mais ce manuscrit important, qu'il voulait ensevelir dans le plus profond secret, lui a été dérobé. Le courtisan amoureux de sa sœur, et furieux de ne pouvoir obtenir sa main, a fait imprimer cette satyre, et choisit pour la présenter au roi, le moment où ce prince, touché de la misère de la famille de Volnitz, s'apprête à la soulager par ses bienfaits. Plusieurs souverains ont acquis une grande gloire en méprisant les libelles, . il n'en est pas moins vrai qu'une satyre contre le souverain est un attentat contre toute la société, puisqu'il tend à détruire la confiance du peuple dans son chef, première base du bonheur public. Un monarque, sans doute, réfute mieux un libelle par la sagesse de son administration que par la punition du libelliste ; mais la justice et la prudence exigent qu'on arrête la licence de ces écrivains téméraires qui, sans autre talent que celui de flatter la malignité du cœur humain, ne trouvent que trop de lecteurs. Les exemples qu'on cite de la clémence de quelques grands princes en pareille occasion, ne sont que des exceptions à la loi générale. Fréderic, irrité de l'insolence de ce libelle, promet une somme considérable à celui qui découvrira l'auteur, et révoque en même-temps les faveurs qu'il venait d'accorder à la famille de Volnitz : le perfide courtisan triomphe, et jouit de sa vengeance.

Le jeune Volnitz, accablé d'un coup si terrible, prend une résolution désespérée : il se présente devant le roi, se nomme pour l'auteur du libelle, et demande que la somme promise au dénonciateur soit délivrée à sa famille. Le roi, frappé de la générosité, du courage et de l'héroïsme de ce jeune homme, le fait conduire à la forteresse de Spandau, par un de ses officiers, chargé de dépêches qu'il ne doit ouvrir que lorsqu'il en aura reçu l'ordre : personne ne doute que ces dépêches ne contiennent l'arrêt de mort du jeune homme. Le roi lui-même se rend à Spandau, et fait assembler un conseil de guerre ; il est sourd aux prières, aux larmes de la mère, de la sœur et de tous les amis de Volnitz ; il veut du moins qu'une peur salutaire soit le châtiment du coupable. Enfin, lorsqu'il juge que tous ces apprêts effrayans ont suffisamment fait expier au libelliste sa témérité, il fait ouvrir les dépêches, et l'on y trouve que Volnitz est nommé gouverneur de la citadelle de Spandau. Fréderic fait succéder à ce trait de clémence un trait de justice non moins intéressant, en condamnant à l'exil le courtisan perfide auteur d'une trame si noire. Des plaintes amères et indiscrettes peuvent s'excuser dans un jeune homme dont l'esprit est aliéné par le malheur ; mais le monstre capable de méditer la ruine d'une famille innocente, est indigne de pardon. La punition du crime et le triomphe de l'innocence opprimée, voilà le fond de la plupart des mélodrames, et ce fond ne s'épuisera point : l'intérêt, produit par de telles situations, a sa source dans la nature et dans le cœur humain.

Ce mélodrame est un drame véritable, qui pourrait être joué sur des théâtres réguliers, et qui n'a pas besoin de 1a musique ; cependant cette musique, très-bien faite, ne gâte rien : c'est un ornement agréable sans être nécessaire. Cet ouvrage a du succès et attire beaucoup de monde, parce qu'il excite un intérêt vif et fait couler des larmes. Le rôle de Fréderic est joué par Fusil, et celui de Volnitz par Adnet ; tous les deux y donnent une nouvelle preuve de leur talent : il faut cependant avouer qu'il manque à Fusil une certaine noblesse ; mais ne doit-on pas plutôt s'étonner qu'un acteur accoutumé aux caricatures, ait encore si bien saisi le caractère d'un personnage si opposé au genre de son emploi ? La plupart des comédiens jouent passablement ce rôle de Fréderic, parce qu'il est extrêmement prononcé, et qu'il a des traits saillans qu’il est facile d'imiter ; mais Fleury est le seul qui le représente parfaitement.

Un des meilleurs rôles de la pièce est celui qu'on a le plus critiqué, comme trivial et invraisemblable : c'est un fifre, espèce de bouffon, qui amuse le roi par ses naïvetés familières, et qui prend auprès de lui de grandes libertés. Il est dans la nature qu'un homme accablé de soucis et d'affaires, environné de courtisans faux et ennuyeux, s'amuse des plaisanteries et de la franchise d'un niais ; et il est tout simple qu'un monarque absolu, devant qui tout tremble, se divertisse de la familiarité d'un homme sans conséquence, qui oublie que Fréderic est roi, et le lui fait oublier. Ce rôle d'ailleurs est joué par Talon d'une manière qui le fait beaucoup valoir. La pièce est terminée par un ballet très-gai et très-agréable.

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