Le Méfiant

Le Méfiant, comédie en cinq actes et en vers, d'Onésime Leroy, le 21 décembre 1813.

Odéon, Théâtre de l’Impératrice.

Titre :

Méfiant (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

vers

Musique :

non

Date de création :

21 décembre 1813

Théâtre :

Odéon, Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Leroi

Journal de l’Empire, jeudi 23 décembre 1813, p. 1-2 :

[Le compte rendu insiste sur le peu de vraisemblance de la façon dont le caractère du méfiant est traité. La comédie accumule les défauts : «  triste, ennuyeux et froid, absolument dénué d'intérêt et de comique ». Le critique invite l’auteur, qui est un débutant, à mieux mesurer ses forces avant d’aborder un sujet...]

THEATRE DE L’IMPERATRICE.

Première représentation du Méfiant, comédie en cinq actes et en vers.

Ce n’est pas là une bagatelle, une comédie de caractère, en cinq actes et en vers : le Théâtre Français lui-même n’en a point dans ce moment. Celle-ci est le coup d’essai de M. Leroi. Faire une comédie de caractère, en cinq actes et en vers, ce n’esr pas là ce qu’il y a de difficile : la difficulté est de faire une bonne comédie, une comédie qui amuse. L'auteur du Méfiant ne s'est pas assez défié des dangers de cette entreprise. Le méfiant est par lui-même un caractère triste et peu théâtral. Il y a une méfiance qui n'est autre chose que la prudence et l'expérience : et ce n'est pas là un vice que la comédie puisse attaquer. Le méfiant qu'on peut exposer au théâtre ne peut donc être qu'un fou lugubre, sombre et noir, qui voit dans tous les hommes des ennenis, pour qui il n'y a que du mal dans la nature humaine ; qui a peur de ses amis, de ses parens, de ses enfans; qui croit qu'on desire sa mort, quand on demande des nouvelles de sa santé. Un être si malheureusement organisé ne sauroit plaire sur la scène : sa funeste manie ne produit pas des incidens singuliers, interessans et comiques Mais il n'y a dans la pièce qu'une action des plus ordinaires et des plus banales, qui ne mérite pas même le nom d'intrigue. Le méfiant, qui n'a de confiance en personne, qui se défie de sa mère, de son frère, de sa fille, écoute les conseils d'un vil coquin qui le flatte en lui disant du mal de tout le monde. Au lieu d'un jeune homme aimable et honnête qui demande la main de sa fille, il vent avoir pour gendre ce fripon, cet escroc, neveu de son portier, Il se fait passer pour un homme d'importance ; il lui fait un dédit d’une très grosse somme, ce qui est absolument contre la nature du méfiant : lorsqu'il conçoit ensuite des soupçons de son confident, et qu'il veut ravoir son dédit, le fourbe n'a garde de le rendre ; mais, ce qui est bien opposé à la nature d'un intrigant et d'un fourbe, le dédit est nul, parce qu'il est fait sous un nom supposé : ainsi, la pièce finit, comme toutes les autres de ce genre, par la conversion du méfiant, par l'expulsion du fourbe, par le mariage de la demoiselle avec son amant.

Il y a quelques traits énergiques dans le caractère du méfiant, fort bien joué par Perroud, ce qui n'empêche pas que l'ouvrage ne soit triste, ennuyeux et froid, absolument dénué d'intérêt et de comique. Il a été écouté avec une patience qui ne s'est démentie qu'à la fin : au milieu des sifflets on a demandé l'auteur ; et il faut dire, à l'honneur des sifflets, qu'ils ont fait silence pour laisser le temps de nommer l'auteur. Les siffleurs étoient de bonnes gens ; il ne tenoit qu'à eux de redoubler leur musique au moment où l'acteur est arrivé pour révéler le nom desiré ; mais dans cette occasion, ils ont donné un rare exemple de modération et de politesse à jamais mémorable dans les Ecoles de Droit.

Le vieux proverbe dit que la défiance est la mère de la sûreté. Si l'auteur s'étoit plus défié de ses forces, il n'eût point sait le Méfiant : c'est un sujet ingrat, surtout par la difficulté qu'il y a de distinguer la sage défiance d’un bon esprit, d'avec celle qui n'est qu'une maladie du cerveau. Du reste, la première règle de la vie est de se défier des apparences, de juger les hommes par leurs actions, jamais par leurs discours ; de ne rien croire que sur de bonnes preuves, et de ne jamais oublier que, pour connoître la vérité, il faut pouvoir la démêler à travers les voiles dont les passions et l'intérêt ne cessent de l'envelopper. Il y a une noble confiance qui n'appartient qu'aux grandes âmes. Alexandre but la médecine du médecin Philippe accusé de vouloir l'empoisonner ; il crut à la vertu de son médecin, au risque même de sa vie, et il ne fut point trompé : le malade et le médecin étoient faits l'un pour l'autre.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XII, décembre 1813, p. 277-283 :

[Avant d’en arriver à la pièce, le critique a quelques comptes à régler. D’abord avec le Théâtre-Français, qui aurait dû accueillir cette pièce, au lieu qu’elle est jouée à l’Odéon. Ensuite, de façon qui n’est pas évidente, avec un critique allemand, qui condamne la comédie de caractère au profit de « la comédie historique », le genre qui seul exprime les effets et la puissance du théâtre. Malheur à l’auteur qui ignore ce principe, qui s’applique évidemment à l’auteur du Méfiant. Le propos est évidemment ironique, le critique allemand osant traiter plus que succinctement les grandes comédies de caractère de Molière (quinze lignes pour le Tartuffe, au milieu d’un ouvrage en trois volumes !). Entre les deux règlements de comptes, les circonstances de la création sont indiquées : un spectacle donné au bénéfice d’un acteur « fort utile et très-aimé du public », mais qui aurait dû penser que le public serait assez clairsemé au vu du programme proposé. La nouvelle pièce, premier essai d’un jeune auteur dans le plus difficile de tous les genres dramatiques, réservé aux « hommes justes appréciateurs de l'homme et de la société », capables d’observer leurs semblables et de composer une pièce de théâtre. Or c’est plus un « homme attaqué d'une maladie très-pénible » qu’un véritable caractère que la pièce présente. Une personne insupportable à tous, famille, amis, valets, ne peut que déplaire sur la scène. Et puis, ce méfiant est trop calqué sur le crédule par excellence, Orgon du Tartuffe : le critique énumère tous les rapprochements qu’on peut faire entre les deux, la principale différence étant que le méfiant est veuf. Heureusement, l’auteur a placé face au méfiant un tartuffe aussi méfiant que lui, et lui donnant même des leçons de méfiance. Hélas, il n’a pas su trouver un dénouement qui satisfasse le public par son caractère trop attendu. Mais l’auteur s’est racheté en montrant finalement que le méfiant, même après avoir déjoué le piège de son tartuffe, a conservé toute sa méfiance et exprime ses doutes sur tout ce qui entoure le mariage de sa fille. La pièce a été vivement applaudie, avec des défauts liées « au peu d'habitude des effets de la scène », et des qualités, dont la première est la qualité du style. Les interprètes principaux sont jugés de façon positive.]

THÉATRE DE L’IMPÉRATRICE.

Le Méfiant.

Pourquoi la Comédie-Française, où l'on donne si peu de nouveautés, par la raison, dit-on, qu'on en a fort peu à donner, n'a-t-elle pas représenté le Méfiant? Pourquoi le théâtre de l'Odeon, qui ne peut user d'un grand nombre de pièces du Théâtre-Français, depuis si long-temps et peut-être pour toujours inconnues au public, donne-t-il une nouvelle comédie en cinq actes et en vers, sans allarmer l'inquiète rivalité du premier théâtre ? Le Méfiant a-t-il été présenté, refusé ou ajourné au Théâtre-Français ? L'auteur l'a-t-il porté à l'Odéon par modestie, ou faute de pouvoir présenter son ouvrage au public sous des auspices plus agréables ? Voilà bien des questions ; elles sont toutefois trop étrangères à une discussion littéraire sur l'ouvrage, pour que nous essayons d'y répondre.

C'est au bénéfice d'Armand, acteur fort utile et très-aimé du public, à l'Odéon, que la première représentation du Méfiant a été donnée ; on jouait eu même-temps le Jaloux malgré lui, assez jolie petite pièce de l'auteur d’Artaxerce, et ces fameuses Précieuses ridicules, auxquelles Molière dut le bonheur de s'entendre crier : courage, voilà la bonne comédie ! Toutefois à la place d'Armand, sur cette triple annonce, je me serais au peu méfié des dispositions du public, et j'aurais peu compté sur une grande affluence ; il n'y avait pas, en effet, beaucoup de monde : heureusement que pour un tel spectacle les seuls frais étaient des frais de mémoire, acquittés par la complaisance des camarades de l'acteur bénéficier ; encore ces frais ne seront-ils pas perdus, car le Méfiant, malgré ses défauts, et quoique joué à l'Odéon, aura probablement un certain nombre de représentations.

Quand je vois, dit l'auteur allemand d'un nouveau Cours de Littérature dramatique, où il juge et oppose entre eux les théâtres français, italien, anglais et allemand, d'une manière qu'on présume bien être très-peu favorable au théâtre français, quand je vois un auteur de comédie s'annoncer comme disposé à marcher sur les traces de l'auteur du Misanthrope et du Tartuffe, je sais tout de suite sa portée : c'est un homme condamné à se traîner dans le sentier battu, qui ne s'élevera jamais aux beautés du genre romantique, à la comédie historique telle que la conçoivent les gens qui ont une idée juste des effets et de la puissance du théâtre. C'est un homme perdu, un talent avorté.

Nous en sommes désolés pour l'auteur du Méfiant, l'arrêt est dur, mais il est irrévocable : notre censeur germanique ne revient pas facilement sur ses décisions, et quoique dans un ouvrage en trois volumes sur les théâtres comparés, il ait donné seulement douze ou quinze lignes au Tartuffe, ces quinze lignes suffisent pour prouver invinciblement que les Français ont aussi peu de raison de se glorifier du Tartuffe que du Misanthrope, et M. le Roi, auteur du Méfiant, qu'on dit jeune, s'essayant dans la route vulgaire de la comédie de caractère, est un homme qui ne promet absolument rien ; le critique allemand a déjà vu sa portée.

Il pourra cependant appeller au parterre de Paris, de la sévérité du professeur de l'athénée germanique, car c'est aussi devant un athénée qu'ont été développés des principes que nous rappellerons et discuterons bientôt d'une manière plus conforme à l'intérêt d'un tel sujet. Nous croyons que parmi nous on saura beaucoup de gré à M. le Roi d'avoir essayé ses forces dans le premier de tous les genres dramatiques, parce qu'il est le plus difficile à traiter, et que pour y réussir, ce sont les suffrages des hommes raisonnables, des hommes justes appréciateurs de l'homme et de la société, qu'il faut conquérir par le mérite de l'observation, joint à celui d'une bonne composition dramatique.

Cet hommage rendu à l'intention de l'auteur, à son courage, à ses efforts pour plaire sans se singulariser, pour réussir sans être étrange, nous examinerons l'ouvrage en lui-même, et nous exprimerons quelque regret de ce que l'auteur a employé sans doute beaucoup de temps et de travail à traiter le caractère qu'il a choisi.

Le Méfiant est un homme attaqué d'une maladie très-pénible, plutôt qu'un homme d'un caractère comique. Dans la société, on souffre de lui comme il souffre lui-même, et c'est avec une entière parité d'effets que les caractères sont reportés de la société au théâtre. Le Méfiant étant insupportable à sa famille, à ses amis, à ses valets, la peinture de son travers ne peut que déplaire à la scène. De Lille a consacré quelques vers à la peinture de ce défaut ; s'il eût été poëte comique, probablement il n'y eût pas cherché le sujet d'une comédie.

Orgon, dans le Tartuffe, est d'une excessive crédulité ; Moronte, dans la pièce nouvelle, est d'une excessive défiance ; l'un et l'autre ont auprès d'eux un tartuffe dont les vues intéressées tendent à profiter du défaut qu'il a découvert et qu'il entretient : voilà pour le fond du sujet ; quant aux accessoires, on trouve aussi dans le Méfiant des imitations trop sensibles du Tartuffe, et une coupe trop visiblement arrangée sur le grand patron du maître. Moronte, comme Orgon, a une mère, établie en contraste avec lui ; comme Orgon, il a un frère qui fait de vains efforts pour l'éclairer sur les desseins du tartuffe ; comme Orgon, il a une soubrette qui lui dit au nez des impertinences ; comme Orgon, enfin, il a une fille à marier, dont l'intrigant convoite bien moins la main que la dot ; heureusement que le Méfiant est veuf, car la ressemblance eût sans doute été plus loin. Ajoutons, pour achever la similitude, que le nouveau tartuffe est comme l'ancien, pris dans ses propres filets, mais d'une manière bien moins dramatique. Il tombe aussi, mais c'est de bien moins haut.

Mais une conception qui appartient à l'auteur, et qui ne pouvait résulter du sujet que dans un esprit qui l'avait bien médité ; c'est d'avoir présenté l'intrigant faisant avec Moronte assaut de méfiance, et lui en donnant si bien des leçons que lui-même est l'objet de ce sentiment : cette idée offre le bon côté de l'ouvrage ; c'est d'elle que naît ce vers excellent sur lequel roule toute la pièce, et qui suffit pour en faire connaître la marche, lorsqu'en parlant de sa fille, le Méfiant dit à l'intrigant :

Venez, vous veillerez sur elle... (à part) et moi sur vous.

Aussi, lorsque l'intrigant par ses faux rapports, ses insinuations et ses perfides avis, est parvenu à armer Moronte contre toute sa famille, lorsque Moronte est prêt à lui donner sa fille, ce dernier s'arrête, il se méfie, il veut voir si le fourbe acceptera ;

Je la lui donnerai (dit-il), s'il ne veut point l'avoir...

On conçoit qu'un intrigant habile ne donne pas si facilement dans le piége, et qu'assez fin pour refuser, il sera assez heureux pour aveugler et déterminer Moronte : il y réussit en effet ; il le pouvait même sans le moyen un peu usé d'une lettre anonyme dont Moronte devrait reconnaître l'auteur, mais ce qu'on ne conçoit pas bien, c'est qu'un véritable chevalier d'industrie tel que le nouveau tartuffe, accepte et signe sous un nom qui n'est pas le sien, un dédit sur lequel il fonde toutes ses espérances : car ce dédit est nul, de toute nullité, au moment où il est démasqué par la famille, objet de ses accusations, par son rival, par la soubrette et par un oncle qui vient le reconnaître. La nullité de ce dédit, la retraite du tartuffe, la réconciliation de la famille, le mariage des deux amans forment le dénouement ; il a peu satisfait ; on voyait avec peine un méfiant de cinquante ans recevoir des complimens sur sa conversion, sur son changement de caractère ; mais l'auteur s'est bien vîte réconcilié avec le comique, avec la vérité et avec le parterre, en montrant son personnage, non moins que jamais méfiant, s'inquiéter du choix du notaire et des articles du contrat.

L'ouvrage a reçu beaucoup d'applaudissemens ; quelques marques d'improbation ont été repoussées vivement comme fort mal appliquées à un talent qui, ne fût-ce que parce qu'il est dans la bonne route, mérite beaucoup d'encouragemens. Les défauts de l'ouvrage sont nombreux ; ils tiennent au peu d'habitude des effets de la scène ; les qualités n'en sont pas moins recommandables, et la première de toutes est un style franc, naturel, ayant le cachet de la comédie, et ne demandant pour obtenir plus de pureté et d'élégance, que d'être châtié avec plus de sévérité.

Le rôle principal a été joué avec beaucoup de talens par Perroud ; une activité continuelle, une mobilité constante, mais dissimulée, une apparente sécurité, sont des traits du Méfiant que l'acteur a très-bien saisis. Clozel a joué le rôle de l'intrigant avec l'intelligence, le sang-froid et l’à-plomb nécessaires. Martelli n'avait qu'un rôle secondaire et peu développé, où il n'a pu faire preuve que de complaisance.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 19e année, 1814, tome I, p. 171-174 :

[Après un paragraphe plein d’éloges pour la pièce, qui « a obtenu un succès mérité », le compte rendu donne l’analyse du sujet, avec de nombreux exemples de la méfiance qui anime le personnage principal et de ses relations difficiles avec son « tartuffe », avant de conclure en félicitant un interprète et en nommant l’auteur.]

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Le Méfiant, comédie en cinq actes et en vers, jouée le 21 décembre 1813.

Cet ouvrage mérite d'être distingué de la foule. Il a obtenu un succès mérité. On voit que son jeune auteur est nourri de la lecture des grands maîtres ; mais il les a peut-être un peu trop copiés. On retrouve, dans la disposition de sa pièce, une grande ressemblance avec celle du Tartufe. On peut choisir plus mal son modèle.

Moronte est le Méfiant : il a pourtant donné sa confiance à un certain Descandre qui cherche à lui inspirer de la haine pour toute sa famille, afin de le gouverner seul, d'épouser sa fille, et d'avoir toute sa fortune. Son penchant naturel a repris plus de force depuis qu'il s'est lié avec ce chevalier d'industrie, espèce de tartufe qui fait naître et entretient dans son ame des soupçons contre tout ce qui l'entoure. Il ne voit partout que des ennemis ; ses parens, ses valets, ses voisins, l'univers entier conspire contre lui. Les mots les plus indifférens lui paroissent contenir un sens mystérieux. On demande à son valet si c'est aujourd'hui le premier jour de la lune ; cette question est une énigme dont il lui importe d'avoir la clef ; .... sa sûreté y est attachée.... « La lune,.... la lune,.... dit-il, je ne devine pas celui-là. » Il envoye à son tailleur du drap pour un habit, et il exige caution ; le valet rapporte le drap.... « On l'a changé, je crois, s'écrie le Méfiant. » Il passe sur un pont; deux hommes le. suivent en causant ; il s'imagine qu'ils forment le complot de le jeter dans la rivière, et il se sauve à toutes jambes en criant à l'assassin ! Quand il ne peut parvenir à s'expliquer les prétendues machinations qui n'existent que dans sa tête, il invoque les lumières et les conseils de Descandre. Il ne voit plus que par ses yeux; il a en lui toute la confiance, dont un méfiant est susceptible. Quelquefois son caractère le porte à soupçonner son ami, qu'il a pourtant résolu de s'attacher, en lui donnant sa fille, que Descandre feint de refuser. Moronte, enchanté du noble désinteressement que prouve le refus d'une riche dot et d'une jolie fille, excité d'ailleurs par une lettre anonyme, qui lui annonce qu'on a offert à Descandre l'alliance la plus brillante, craint de laisser échapper un homme aussi précieux pour lui ; ce seroit perdre son bon génie. Il le presse, et le lie enfin par un dédit de quatre-vingt mille fr. A peine a-t-il signé cet acte, qu'il s'en repent ; il voudrait le r'avoir, mais Descandre n'a garde de s'en dessaisir ; il élude la demande, et ramène les soupçons inquiets de Moronte sur les projets de ses parens. Il est parvenu à le brouiller avec son frère Cléanthe, homme sensible et raisonnable ; à lui inspirer de la méfiance même contre sa propre mère ; il lui fait accroire qu'on a formé le dessein de l'interdire et d'enlever sa fille Isabelle, pour la marier malgré lui au jeune Valère.... Voilà le méfiant aux aguets avec son fidèle ami : ils surprennent effectivement plusieurs préparatifs mystérieux, mais qui n'avoient pour objet que de célébrer la fête de Moronte. Toute sa famille s'est réunie dans une chambre, dont la Suivante feint d'avoir perdu la clef. C'est-là le rendez-vous des conspirateurs ; il veut entrer : « Ouvrez, ouvrez, dit Descandre à haute voix.... » Ce sont des instrumens qui lui répondent, en jouant l'air : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ? La porte s'ouvre, et la mère du Méfiant, son frère et sa fille paraissent, tenant des bouquets à la main, et l'embrassent en lui souhaitant sa fête. Cette scène émeut le cœur de Moronte ; Descandre, qui a vu entrer Valère dans l'appartement secret, dit que la réunion n'est pas complète. « Il faut vous satisfaire, lui répond Cléanthe, » qui sort et reparaît aussitôt, tenant d'une main Valère, et de l'autre le vieux Grégoire, ancien portier de Moronte, qu'il a chassé par les conseils de Descandre. Grégoire est l'oncle de cet intrigant, qui se faisoit passer pour une noble victime de la révolution. Il pousse l'impudence jusqu'à s'armer du dédit dont il menace de poursuivre le payement ; mais Cléanthe observe que l'acte, étant passé sous un faux nom, devient nul de droit. Descandre sort en jetant encore dans l’ame du Méfiant le germe de nouveaux soupçons qui doivent perpétuer son malheur. C’est ainsi que le traître se venge.

Péroud a joué avec beaucoup de talent le rôle du Méfiant. L'auteur de cette comédie est M. Le Roi.

 

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