Mathilde (Boutet de Monvel)

Mathilde, drame en 5 actes, en prose,de Jacques Boutet de Monvel, 9 Messidor an 7 [27 juin 1799].

Théâtre de la République

Almanach des Muses 1800

Sujet pris dans le roman qui porte ce nom.

Le comte de Holrem a obtenu la main de Caroline, qui l'a préféré au baron de Volmar. Le baron veut se venger ; il s'est procuré, pendant l'absence du comte, le portrait de sa femme, et feint de le renvoyer à son retour, avec une lettre dans laquelle il annonce à Caroline qu'il renonce à leur ancienne liaison, mais qu'il lui recommande Mathilde, le fruit de leur amour. Le comte, qui a vu cette lettre, a banni de chez lui sa femme et Mathilde sa fille, qu'il croit être celle du baron. Dix ans s'écoulent ; Caroline meurt, et le comte a consenti que Mathilde vînt habiter un de ses châteaux, pourvu qu'elle ne parût point devant lui, et qu'il n'entendît prononcer ni le nom de la mère, ni celui de la fille. Ernest, neveu du comte, est devenu amoureux de Mathilde ; il veut intéresser son oncle en faveur de la jeune personne, ses discours sont inutiles. Cependant le baron est mort, son fils a vu la fille de Caroline, prétend à sa main, et la demande au comte de Holrem, qui, ne voyant qu'un frère de Mathilde dans le jeune homme, refuse son consentement. Volmar, dans la fougue de l'âge et emporté par son amour, se propose d'enlever Mathilde. Il en trouve l'occasion lorsque Holrem, ayant rencontré par hasard la jeune infortunée, la chasse pour jamais de son château. Mais il est instruit de l'enlèvement, et il vole au secours de Mathilde. Aidé d'Ernest son neveu, il la ramène chez lui, et c'est alors que Volmar s'offre de nouveau pour époux. Holrem ne déguise plus les motifs de son refus, il les explique ; mais il est détrompé par Volmar, qui lui présente une lettre que son père a écrite avant sa mort et dans laquelle il détruit les soupçons qu'il a fait naître sur l'innocence de Caroline. Le comte est enchanté, il rappelle sa fille auprès de lui, la serre dans ses bras, va l'unit au jeune Volmar ; mais Ernest et Mathilde se troublent, leur amour n'a que trop éclaté. Volmar se désiste de ses prétentions, et Mathilde épouse Ernest.

Des invraisemblances, moins d'art et de conduite dans cet ouvrage que dans les autres pièces du même auteur ; des scènes touchantes, de l'intérêt.

 

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Haubout-Dumoulin, an 77 :

Mathilde, drame en prose et en cinq actes, par le citoyen Monvel, père, Membre de l'Institut national des Sciences et des Arts. Représentée pour la première fois, au Théâtre français de la République, le 9 Messidor, An 7.

Le texte de la pièce est précédé d’une longue préface écrite par le citoyen Peyrend, ex-Commissaire des Guerres..

Courrier des spectacles, n° 857 du 10 messidor an 7 [28 juin 1799], p. 2-3 :

[Le compte rendu de ce drame joué au Théâtre Français, scène prestigieuse, et qui n’a eu qu’un succès incertain, même si son auteur a paru sur la scène, consacre un paragraphe à parler du roman dont il est inspiré, avant de marquer en quoi roman et drame diffèrent. Il contient ensuite un fort long résumé d’une intrigue bien compliquée : pour comprendre l’histoire, il faut remonter loin en arrière, et raconter les malheurs de la mère de Mathilde, chassée par son mari parce qu’il la croit infidèle, et de Mathilde elle-même. Cette pauvre mère a été victime d’une dénonciation calomnieuse de la part du rival de son mari, et elle est morte sans l’avoir revu. Sa fille est à peine tolérée dans un des châteaux de son père, qui ne veut ni la voir, ni entendre parler d’elle. Quand arrive le moment de la marier (et c’est là que commence la pièce), le fils du séducteur présumé de la comtesse révèle vérité, et rend possible le mariage de Mathilde, non pas avec lui, mais avec son cousin Ernest que son oncle avait banni de chez lui parce qu’il avait osé demander la main de Mathilde. La pièce est bien jouée, et le critique croit que c’est la qualité de cette interprétation qui a provoqué le succès. Parce que, à ses yeux, ce drame lui a paru « généralement invraisemblable, mal conduit et très-décousu ». Suit un véritable réquisitoire pour montrer que la pièce ne tient pas debout, ce qui permet de voir comment la notion de vraisemblance est conçue à cette époque. Pas question d’accepter ce qui ne serait pas parfaitement vraisemblable ! Aucun mari ne pourrait juger sa femme aussi durement.]

Théâtre Français de la République.

Mathilde, drame nouveau, donné hier à ce théâtre pour la première fois, sans avoir éprouvé d’improbation marquée, parut, pendant les premiers actes, n’avoir qu'un succès assez incertain ; mais des coups de théâtre étant venus réchauffer l’action au cinquième acte, celui-ci a décidé du sort de l’ouvrage, qui a fini par être fort applaudi. On a demandé l’auteur, c’est le citoyen Monvel, qui a été amené par le cit. Damas et par la cit. Petit.

Simple histoire (1), roman traduit de l’anglais de Mistriss Inchbald, obtint il y a quelques années le plus grand succès à Paris. On assure qu’il fut tiré jusqu’à vingt mille exemplaires en quatre éditions. Les premières ne contenoient que deux volumes ; mais on y ajouta une suite en deux autres volumes, sous le titre de Mathilde, suite de Simple Histoire. Ce sont ces deux derniers volumes qui ont fourni le sujet du nouveau drame. Dans le roman la mere de Mathilde s’est véritablement rendue coupable envers son époux. Sa faute est connue de tout le monde, et son époux pour se venger l’a abandonnée ainsi que l’enfant issue de leur union. L’auteur du drame s'est écarté de ce plan, ainsi qu’on le verra par l’extrait que l’on va lire de son ouvrage.

Le comte de Holrem a obtenu la main de Caroline, qui l’a préféré au baron de Volmar. Ce dernier a résolu de se venger de cet affront. Pendant l’absence de son rival il s’est procuré le portrait de son épouse, que ce dernier a laissé en partant : et feignant de le renvoyer au moment de son retour, il l’accompagne d'une lettre, supposée écrite à Caroline, dans laquelle il lui témoignoit le regret d'être obligé de renoncer à leur ancienne liaison, et lui recommandoit Mathilde, le fruit de leur amour. La lettre a été remise à M. de Holrem, qui, sans aucune explication a banni son épouse de sa maison, ainsi que sa fille, qu’il croit être l'enfant du baron de Volmar. Caroline étant morte au bout de dix ans, M. de Holrem a consenti que Mathilde vint habiter un de ses châteaux, pourvû qu'elle ne parût jamais devant lui, et qu’on ne proférât jamais en sa présence son nom , ni celui de sa mere.

Ernest, neveu du comte, est à ses yeux le seul héritier de son nom et de ses biens ; mais ce vertueux jeune homme est loin de vouloir dépouiller sa cousine. Il a même conçu pour elle l’amour le plus violent, ce qui l’oblige à résister à son oncle qui lui propose un mariage. Il entreprend de parler pour l'infortunée Mathilde, mais son nom prononcé manque de le faire bannir lui-même pour jamais de la maison de son oncle. Le vindicatif de Volmar est mort, et a laissé à son fils une lettre qui justifie Caroline, mais le jeune baron de Volmar a cru devoir à l'honneur de son père de ne point produire cette lettre, et amoureux lui-même de la belle Mathilde, il la demande en mariage à M. de Holrem. Celui-ci qui croit voir dans le baron de Volmar le frère de Mathilde, ne peut prêter son consentement à un pareil mariage. Le fougueux de Volmar ne pense plus qu’à se satisfaire, en enlevant Mathilde : elle-même a la malheur d’être vue de son père dans un moment où le croyant absent pour lobgtems, elle est sortie de sa retraite. Cette rencontre doit, suivant la menace du comte, la faire chasser de la maison, ét en effet son renvoi est prononcé; elle se dispose à partir, lorsque de Volmar exécute son projet.

M. de Holrem apprenant cet enlèvement, vole avec son neveu au secours de Mathilde, et parvient à la délivrer. Il la ramène chez lui ; mais il persiste dans le dessein de l’éloigner, lorsque Volmar se présente de nouveau chez lui reconnoît ses torts, demande une seconde fois la main de Mathilde.

De Holrem, qui jusqu’alors a gardé son secret lui dit que Mathilde est sa sœur   qu’elle est née des liaisons de son pere avec Caroline. De Volmar le désabuse en lui montrant la lettre que son pere lui a laissée. De Holrem est au comble de la joie en apprenant l’innocence de son épouse, fait venir sa fille, la serre dans ses liras et est sur le point de l’accorder à Volmar : Mathilde se trouble, Ernest est au désespoir. On ne peut douter de leur amour réciproque, et Volmar abandonne ses prétentions, et est le premier à solliciter leur bonheur.

Les principaux rôles dans ce drame sont bien rendus ; mais principalement celui de M. de Holrem par le citoyen Monvel, et celui de Ernest par le citoyen Damas, et celui de Mathilde, par la citoyenne Vauhove. Nous croyons même que c’est au jeu des acteurs qu’on a dû le succès de cet ouvrage qui nous a paru généralement invraisemblable, mal conduit et très-décousu.

Comment le comte de Holrem a-t-il pu bannir de chez lui, sans aucune explication, une épouse qu'il aimoit ? Comment celle-ci qui avoit tant d'intérêt et pour elle et pour sa fille a regagner le cœur de son mari, a-t-elle pu vivre dix ans sans prouver son innocence ? Lui eut-il été difficile de faire entendre à son mari que la lettre du baron de Volraar n’étoit qu’une vengeance de ce qu’il n’avoit pu obtenir sa main ?

Mathilde avoit six ans lorsque M. de Holrem entreprit un voyage, et cet époux qui a passé sept années heureuses avec son épouse et sans aucun sujet de plainte, croit à son retour, sur la simple lettre d’un rival, que cette enfant chérie n’est pas sa fille. Et c’est sur une pareille supposition que roule toute la pièce ! Comment Volmar, fils si impétueux, si violent, n’exige t-il pas une explication du comte de Holrem lorsque celui-ci lui dit que l’honneur lui défend de lui donner sa fille , etc., etc., etc.

(1) Ce roman en 4 vol. in-18, , se trouve chez Deroy, libraire, rue Hautefeuille.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, Ve année (an VII – 1799), tome second, p. 235-236 :

Théâtre Français de la République.

Mathilde, drame en cinq actes.

Le roman intitulé Mathilde, ou Suite de simple Histoire, a fourni le sujet de ce drame nouveau, en cinq actes et en prose, joué, pour la première fois, le 9 messidor.

Le comte de Holrem a obtenu la main de Caroline, qui l'a préféré au baron de Volmar. Celui-ci, pour s'en venger, envoie à Caroline son portrait, et une lettre par laquelle il lui témoigne le regret d'être obligé de renoncer à leur ancienne liaison, et lui recommande Mathilde, le fruit de leur amour. La lettre a été remise à M. de Holrem qui, sans vouloir d'explication, a banni de sa maison son épouse et sa fille, qu'il croit être celle du baron de Volmar. Caroline est morte au bout de dix ans, et M. de Holrem a consenti à recevoir Mathilde chez lui, pourvu qu'elle ne parût point à ses yeux.

 Ernest, neveu du comte, est à ses yeux son seul héritier ; mais celui-ci est loin de vouloir dépouiller sa cousine : il a même conçu pour elle le plus violent amour. Le fils du baron de Volmar en est amoureux aussi, et la demande à M. de Hohrem qui, la croyant sa sœur, la lui refuse. Il prend alors le parti de l'enlever. M. de Holrem vole, avec son neveu, au secours de Mathilde, et la ramène chez lui. Volmar se présente de nouveau, avoue ses torts, et demande une seconde fois Mathilde. Le comte lui apprend que Mathilde est sa sœur. Volmar le désabuse, en lui montrant une lettre que son père a laissée en mourant, et qui justifie Caroline. Holrem est au comble de la joie, en apprenant l'innocence de son épouse. Il fait venir sa fille, la serre dans ses bras, et est sur le point de l'accorder à Volmar. Mathilde se trouble ; Ernest est au désespoir : on ne peut douter de leur amour réciproque ; et Volmar, abandonnant ses prétentions, est le premier à solliciter leur union.

Les premiers actes ont été écoutés froidement ; mais quelques situations d'effet ayant réchauffé l'action aux deux derniers, ont assuré le succes de la pièce.

Elle a été très-bien jouée par les CC. Monvel, Damas et Baptiste , et par la C.e Vanhove. Le C. Dazincourt et la C.e Devienne ont contribué à l'ensemble de la pièce, en se chargeant de deux rôles très-secondaires.

L'auteur a été demandé et applaudi ; c'est le C. Monvel.

 

Annales dramatiques, ou dictionnaire général des théâtres, tome sixième (Paris, 1810), p. 161-163 :

[Où on apprend enfin que le comte s’appelle Orlheim !]

MATHILDE , drame en cinq actes, en prose, par M. Monvel, père, aux Français, 1799.

Mathilde, l'infortunée Mathilde est devenue pour son père un objet de douleur et de désespoir ; il ne veut ni la voir ni entendre parler d'elle. Enfin, tant qu'il est dans le château qu'elle habite, Mathilde est prisonnière ; elle n'est libre que lorsqu'il est absent. Le comte d'Orlheim y est attendu à l'ouverture de la scène. Tous les gens qui l'entourent, gémissent sur le sort de leur jeune et vertueuse maîtresse ; mais aucun d'eux n'a le courage de parler d'elle à son père. Ernest, neveu du Comte, est devenu l'objet de ses plus tendres affections. Ce jeune homme, fruit d'une union mal-assortie, a été élevé par la mère de sa malheureuse cousine, et lui doit et le bonheur et l'éducation qui en est la base. Ernest, aurait probablement pu, sans encourir de disgrâce, prononcer le nom de Mathilde devant son oncle ; mais, jusqu'ici, il a renfermé dans son cœur la poignante douleur, qui lui a causé une maladie dont il est à peine rétabli. D'après ce silence d'Ernest, M. Hermane, chapelain du Comte, le croit insensible aux revers de sa belle et intéressante cousine ; et ce qui le. fortifie dans cette idée, c'est que ce jeune homme est destiné, par le comte d'Orlheim, à devenir l'héritier de sa fortune. Eh ! que cet honnête, mais injuste Chapelain, juge mal des sentimens d'Ernest ! Il aime, que disons-nous ? il adore Mathilde; et voudrait, au prix de mille vies, lui rendre la tendresse de son père et le bonheur. Il s'arme enfin de courage, et, au risque de perdre l'amitié et la protection du Comte, il lui ouvre son cœur, et refuse, sans lui avouer son amour pour sa fille, une alliance très-avantageuse, qu'il lui propose avec une autre. Quelques [sic] soient ses préventions et ses desseins, le Comte ne peut s'empêcher d'admirer le noble désintéressement d'Ernest ; mais il n'en persiste pas moins dans la cruelle résolution qu'il a formée de ne jamais revoir sa fille, sa fille qu'il aime et qu'il voudrait haïr. Une circonstance imprévue la lui fait voir. D'Orlheim avait annoncé qu'il serait absent le reste de la journée : il sort ; mais à peine a-t-il fait quelques pas, qu'il se souvient d'avoir laissé sur son secrétaire des papiers de la plus haute importance. Il revient et trouve Mathilde dans son cabinet. Il s'émeut, se trouble et craint de donner à sa fille la plus légère marque de pitié ; pourtant il appelle du secours, et s'éloigne, en donnant l'ordre de la faire partir sur-le-champ. Cependant le baron de Wodmar, qui a des prétentions à la main de Mathilde, et qui vient d'essuyer un nouveau refus, persuadé qu'il n'obtiendra jamais le consentement du Comte ni celui de Mathilde, se décide à l'enlever ; mais on parvient bientôt à l'arracher des mains de son ravisseur, qui est arrêté ainsi que ses gens. Alors Wodmar, qui depuis un an tenait entre ses mains le fatal secret de d'Orlheim, s'acquitte du devoir que lui avait imposé son père en mourant. Il remet au Comte une lettre, dans laquelle on voit que la père de Wodmar et le Comte avaient recherché la main, de la comtesse ; que le comte d'Orlheim l'avait emporté sur son rival ; que, pour se venger, il s'était emparé du portrait de son épouse et avait fait tomber entre ses mains et ce fatal portrait, et une lettre qui déshonorait la vertueuse Caroline à ses yeux, et qui devait lui faire regarder Mathilde comme le fruit d'un commerce adultère : enfin d'Orlheim apprend que son épouse qu'il adorait, que son épouse qu'il a bannie, était innocente. Il tombe sans connaissance après avoir lu ce fatal billet : bientôt il recouvre l'usage de ses sens, promet le secret à Wodmar, et accorde à Ernest la main de sa chère Mathilde, qui a ensemble, le bonheur de retrouver la tendresse de son père et d'épouser celui qu'elle aime. Cette pièce offre des situations très-dramatiques et très-bieu amenées ; elle est écrite avec beaucoup de feu et d'élégance.

D'après la base César, la pièce a été jouée 18 fois entre le 27 juin et le 25 septembre 1799, au Théâtre français de la rue de Richelieu.

 

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