Miltiade à Marathon

Miltiade à Marathon, opéra en deux actes, en vers, par le C. Guillard, musique du C. Lemoyne. 15 brumaire an 2 [5 novembre 1793]).

Opéra national.

Titre :

Miltiade à Marathon

Genre

opéra

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

15 brumaire an 2 (5 novembre 1793)

Théâtre :

Opéra National

Auteur(s) des paroles :

Guillard

Compositeur(s) :

Lemoyne

Almanach des Muses 1794.

Trait historique, parfaitement à l'ordre du jour. Tableau d'un peuple républicain travaillant à affermir son indépendance et à repousser l'attaque de tous les despotes, qui l'environnent.

Poëme bien écrit, superbe musique : brillant succès. On a sur-tout applaudi le chœur du second acte où les grecs jurent la mort du traître qui parlera d'un roi.

Dans l'Almanach des Muses, Marathon s'écrit sans h.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, de l'Imprimerie de P. de Lormel :

Miltiade à Marathon, opéra en deux actes, représenté pour la première fois sur le Théâtre National de l'Opéra. Le 15 Brumaire, de la seconde année Républicaine.

Sur la page suivante :

Les Paroles du Citoyen Guillard. La Musique du Citoyen le Moine.

L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1793, tome 12 (décembre), p. 280-285 :

[L’opéra vaut surtout par sa valeur patriotique : fonds léger, style négligé, musique « d’un style convenable » (formule peu enthousiaste). C’est la façon dont l’opéra a été monté et le jeu de certains acteurs qui sont les plus remarquables.]

OPÉRA NATIONAL.

MILTIADE à Marathon, opéra en deux actes, paroles de Guillard, musique de Lemoine.

Les citoyens d'Athenes sont accablés sous le poids de la plus affreuse infortune. Hyppias, protégé par Darius & une armée innombrable, menace la liberté de la Grece. Déjà Egine leur a ouvert ses portes, toute l'Eubée est soumise, & Erétrie s'est livrée par la plus odieuse des trahisons. Athenes est sur le point d'être attaquée. Le peuple entier de cette grande ville veut voler au secours de la patrie en danger, & demande au Polémarque de nommer un chef. Callimaque désigne Miltiade & Aristide, rivaux de talens & de gloire ; mais celui-ci veut que le premier obtienne la préférence. Ah ! s'écrie-t-il avec héroïsme : C'est au plus digne á commander. Miltiade consent à guider l'armée, qui le presse d'accepter le commandement. Mais avant de partir, il ne veut rien cacher aux Grecs. Voyez, leur dit-il, où je prétends aller,

Et quel est l'ennemi que vous devez abattre !
Darius arme seul un million de bras ;
Peu sûr de cet appui. . . . . . . .
Contre un seul peuple il arme trente états ;
Il souleve à-la-fois & l'Europe & l'Asie :
On dit même Carthage à ses complots unie ;
Les vaisseaux d'Amilcar ont paru sur nos mers.
Et du fond de l'Afrique on vous porte des fers.
Voila, républicains, l'état de cette guerre :
J'ai dit tous nos dangers, ils vous sont bien connus.
Vous avez contre vous les trois quarts de la terre ;
Parlez, faut-il combattre ou s'avouer vaincus !

Les Athéniens sont outragés par ce doute ; ils brûlent de suivre Miltiade aux sentiers de l'honneur, & ils veulent plutôt la mort que l'esclavage. C'en est assez pour vaincre. Cependant le fils de Callimaque, le jeune Thélephe, quoiqu'il n'ait pas l'âge requis par la loi, vient demander à son pere la permission d'aller combattre sous Miltiade ; sa mere Théonice ne s'y oppose pas ; & le général, enchanté du-dévouement de Thélephe, marche avec lui à la tête de l'armée vers le champ de l'honneur & de la gloire, après avoir invoqué Minerve.

Pendant la bataille de Marathon, Théonice alarmée veille pour attendre des nouvelles de l'armée & de son fils. Callimaque, des vieillards, une foule de femmes & d'enfans l'entourent, partagent son inquiétude ; son époux cherche même à les consoler tous, en leur donnant à entendre que, si tous les hommes semblent réunis contre Athenes, il est possible que l'Être des êtres veille fur cette ville. Ah ! lui dit-il:

Que dans ce grand péril , chacun de nous implore
    Ce pouvoir inconnu que l'univers adore !
        A lui seul ayons tous recours.
        Si des humains il est le pere,
Citoyens, notre cause a des droits pour lui plaire.

Après avoir chanté un hymne à ce puissant moteur de l'univers, il voit arriver des esclaves qu'une terreur panique a fait abandonner leurs postes, & qui assurent que les Persans viennent fondre sur Athenes ; alors, ne prenant conseil que du désespoir, des femmes, des enfans vont chercher des torches, des matieres combustibles, & se disposent à mettre le feu à la ville.

Par bonheur, le jeune Thélephe survient à tems, c'est Miltiade qui l'envoie pour annoncer la plus brillante & la plus complette des victoires. Les accens de la douleur se convertissent en cris de joie, & l'on va au-devant de l'immortel général qui a sauvé Athenes, en faisant mordre lui-même la poussiere à Hyppias, & en guidant l'armée de héros qui a défait les Persans. Des chants de triomphe terminent la piece.

Le fond de cet opéra est, comme on voit, très-léger ; mais il est parfaitement à l'ordre du jour ; il nous semble pourtant que son auteur n'a pas mis à profit toutes les situations intéressantes que comportoit son sujet. Par exemple, lorsqu'Aristide cede le commandement à Miltiade, celui-ci l'accepte sans façons, & se borne seulement à promettre à l'armée de se rendre digne de cet honneur ; pas le moindre mot de remerciement à Aristide, pas la moindre politesse. Cependant n'auroit-il pas fallu se rappeller en ce moment que les Athéniens étoient les plus polis de tous les hommes, & que Miltiade devoit au moins admirer un dévouement si sublime ? Nous savons bien que le genre lyrique exclut de trop longs développemens ; mais il doit accueillir avec transport l'explosion d'un beau sentiment; & comme il ne vit que par les situations, il devoit s'élever ici un combat de générosité entre Aristide & Miltiade. L'auteur de la Journée de Marathon, dont nous avons précédemment rendu compte, n'a pas manqué de mettre à profit le dévouement civique d'Aristide, & il a même cherché à le rendre plus saillant, en faisant oublier à ce héros, au moment même où il rend une si éclatante justice à Miltiade, qu'il est l'ennemi de ce grand capitaine. Voilà de ces traits & de ces oppositions qui constituent les effets au théatre, & qui assurent le succès d'un ouvrage. M. Guillard n'a donc pas fait ces deux généraux aussi grands qu'ils pouvoient, qu'ils devoient l'être ? mais heureusement il peut y suppléer. Nous ne concevons pas la raison pour laquelle il fait rester Callimaque à Athenes, tandis que. l'histoire nous apprend que non-seulement il assista à la bataille de Marathon, où il se distingua, mais encore qu'après ce furieux combat, dans lequel il perdit la vie, on le trouva debout, tout percé de fleches. – Est-il permis d'altérer au théatre, sans nécessité, un fait historique ?

Nous osons dire que le style de Miltìade à Marathon n'est pas aussi soigné qu'il pourroit l'être ; c'est ce qu'on pourra juger par les citations suivante ;:

Tous pour la liberté prêts à perdre 1a vie,
Vous trouverez en nous autant de Nicoclès.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Votre sang & le mien dans ses vaines [sic] transmis,
Est un don qu'avant tout il doit à son pays.

La musique de cet ouvrage est d'une belle facture & d'un style convenable. L'aír de Miltiade, lâche transfuge, &c. la finale du premier acte, l'air de Théonice, de plus en plus, & plusieurs autres morceaux, sont du plus grand effet : l'hymne, puissant moteur; nous paroît au-dessous de tout le reste, & il nous semble qu'il nous auroit fallu un chant saintement sublime, si toutefois il est permis de s'exprimer ainsi. Nous dirons ensuite à M. Lemoine, dont le récitatif déclame d'ailleurs très-bien, qu'une ou deux fois nous avons remarqué que son chant coupe le sens des paroles, comme, par exemple, dans ces vers : Ces guerriers citoyens, ces héros que tu braves, qui est rendu ainsi dans le premier air de Miltiade Ces guerriers – citoyens – ces héros, &c. ce qui n'exprime pas tout-à-fait la pensée du poëte. Or, le musicien doit maîtriser son chant, comme Boileau veut qu'un poëte maîtrise la rime. C'est sans doute une chose fort aisée pour un compositeur d'un mérite aussi distingué que celui de M. Lemoine ; aussi n'est - ce qu'une observation que nous lui faisons, & non un conseil que nous lui donnons. L'auteur de Phedre & de Nepthé, & de tant d'autres bons ouvrages, n'en a pas besoin. Nous osons ajouter que nous désirerions encore que le récit du Courier d'Eritrée fût un peu plus pressé.

Cet opéra est supérieurement mis ; les costumes sont assez purs, les décorations très- bien, & il est joué avec une entente & un ensemble précieux. Mlle. Maillard s'y surpasse. Il seroit difficile de rendre les vers suivans avec plus d'art & de naturel qu'elle ne le fait :

L'aspect de ce héros doit enfler ton courage.
Ta mere avec orgueil sent palpiter ton cœur.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Ah ! que mon pays soit vainqueur;
Quoi qu'il puisse arriver, je cacherai mes larmes.

(Journal des spectacles.)

L'Esprit des journaux, françois et étrangers, vingt-troisième année, tome VIII (août 1794), p. 195-198 :

Miltiade à Marathon, opéra en deux actes, de Guillard, musique de Lemoyne. A Paris, de l'imprimerie nationale.

Miltiade à Marathon est un ouvrage très-républicain, & propre, plus que tout autre, à électriser les ames les plus froides. Nous avons déjà rendu compte du succès de cette piece(1). Il est difficile d'abord d'entendre un poëme d'opéra mieux écrit, & le trait historique qu'il retrace est parfaitement à l'ordre du jour. Quoi de plus intéressant pour des républicains, que de voir un peuple républicain travaillant, comme eux, pour affermi son indépendance, éprouvant comme eux des trahisons intestines, l'attaque précipitée de tous les despotes qui les environnent, & triomphant, comme eux, d'un million de bras armés pour arracher l'arbrisseau naissant de sa liberté ?

Athenes est attaquée par tous les tyrans de la terre : la liberté chancelle, mais ses braves défenseurs sont déterminés à succomber avec elle. Miltiade est nommé général de l'armée républicaine, & Callimaque, Polémarque d'Athenes, lui confie son jeune fils Téléphe, afin qu'en combattant sous lui ; il apprenne à défendre la patrie : le danger est pressant, il faut triompher, ou périr. Le combat s'engage pendant la nuit, & déjà les Persans ont l'avantage ; les Athéniens, décidés à s'ensevelir sous les ruines de leur ville, en sortent avec des torches & des matieres combustibles pour y mettre le feu, lorsque Téléphe vient leur annoncer la victoire : les despotes sont anéantis, la république est sauvée, & Miltiade vient recevoir, des mains de ses concitoyens, les couronnes civiques que sa valeur & ses talens militaires lui ont méritées.

Nous n'avons qu'un léger reproche à faire à cet ouvrage. Les Athéniens rapportent trop souvent leur gloire & leurs succès à Miltiade : il semble que ce général soit le soutien de la Grece & de sa liberté. Cette confiance aveugle n'est pas très républicaine : nous avons été si cruellement trompés par quelques généraux, que l'expérience nous a appris à ne pas nous fier entiérement à eux du salut de notre patrie !..... A tout moment on encense Miltiade :

Notre défaite est impossible ;
Sous Miltiade, Athenes est toujours invincible.

Ailleurs :

En quelque lieu que tu nous guides,
La victoire toujours s'attache à ton grand nom.

Plus loin :

Miltiade est vainqueur :    .    .    .    .    .    .    .
Mais voici le héros qui nous a sauvés tous.
Rendons graces au héros qui sut briser nos chaînes :
    Gloire, honneur au sauveur d'Athenes ! &c.

Combien de bons citoyens trompés en ont dit autant du traître Dumouriez !..... Nous le répétons, ces éloges sont indignes d'un peuple libre : ce sont des soldats-citoyens qui sauvent une république ; c'est une armée républicaine qui triomphe en masse, & qui doit recevoir en masse les bénédictions de la patrie : le général ne fait que lui indiquer le chemin de l'honneur & de la victoire. Les Athéniens ne devroient pas se dégrader à ce point aux yeux de Miltiade, & mériter l'avis suivant :

Amis, que faites-vous ?
Loin de moi, loin de vous un trop servile hommage.
Peuple libre ! est-ce à toi d'abaisser ton courage ?
Vainqueur et triomphant, connois sa dignité.
Les vainqueurs des Persans, les vrais sauveurs d'Athenes,
Les voici !..... Leur courage, & leur bras indompté
Ont vaincu des tyrans les phalanges hautaines.
Cynégire, Aristide, & Cymon & Pyrrhas ;
Tous, en un mot, ont fait cette grande journée :
Voilà tous nos vengeurs ! Athenes fortunée
Comte autant de héros qu'elle arme de soldats.

Les vers suivans ont produit le plus grand effet :

Ne nous reposons pas, amis, sur nos succès,
        Le despotisme peut renaître :
Dans plus d'un cœur perfide il fermente peut-être :
        Jurons-lui la guerre à jamais.
Périsse, quel qu'il soit, le citoyen impie
        Qui parleroit de nous donner des fers ;
        Que son nom, couvert d'infamie,
        Soit en horreur à l'univers !
        Que le nom hideux d'esclavage
        Soit inconnu de nos enfans,
        Et qu'ils répetent d'âge en âge,
Paix aux humains, guerre aux tyrans.

(1) Voyez notre volume de Décembre dernier. [On en trouve la reproduction ci-dessus.]

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1797, volume 6 (novembre-décembre 1797), p. 259-260 :

[A l’occasion d’une reprise de la pièce en 1797, bref retour sur la pièce : ce que le critique retient, c’est qu’elle est d’autant plus appréciée qu’elle permet de multiples rapprochements avec le temps présent, au point que la qualité de la pièce est à peine évoquée. Après avoir cité un de ces passages à rapprochements, débat sur la façon de jouer le rôle d’Alcibiade s’adressant aux soldats : il ne faut pas de véhémence, «  le ton calme est celui qui lui convient ».]

THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS.

Miltiade à Marathon, opéra en deux actes, paroles du citoyen Guillard, musique de Lemoine.

Cet opéra a été mis au théâtre l’an 2 de la république, & repris dernièrement ; la réputation des deux auteurs, & le succès que l'ouvrage a déjà obtenu, a attiré un grand concours de spectateurs. Les rapprochemens de la situation des Athéniens à cette époque, & de celle de la France depuis la révolution, ont été parfaitement saisis, & les acteurs ont obtenu le prix de leurs talens & de leur zèle.

Nous ne pouvons résister au désir de faire connoître à nos lecteurs un morceau où l'auteur du poëme, quoique fidèle historien, semble avoir abandonné la Grèce pour ne s'occuper uniquement que de la France, tant les circonstances sont applicables a cette dernière.

Alcibiade, acceptant le commandement de l'armée, dit aux soldats :

Arrêtez un moment. Avant que de combattre,
A de tels compagnons je ne veux rien celer.
      Voyez où je prétends aller,
Et quel est l'ennemi que vous devez abattre.
Darius arme seul un million de bras :
Peu sûr de cet appui, sa lâche tyrannie
Contre,un seul peuple arme encore trente états.
Il soulève à la fois et l'Europe et l'Asie ;
On dit même Carthage á ses complots unie 
Les -vaisseaux d'Amilcar ont paru sur nos mers,
Et du fond de l'Afrique on vous porte des fers.
Voilà, républicains, l'état de cette guerre :
J'ai dit tous nos dangers, ils vous sont bien connus.
Vous avez contre vous les trois quarts de la terre ;
Parlez, faut-il combattre ou s'avouer vaincus ?

Ce morceau, tableau fidèle de la position des Athéniens, est simple & noble, & dans la bouche du cit. Lainez, il produit beaucoup d'effet ; nous croyons cependant qu'il en produiroit un plus grand encore, s'il mettoit dans sa voix & dans ses gestes moins de véhémence. Alcibiade n'est mu dans ce moment par aucune passion ; il éclaire l'armée sur ce qu'elle a à craindre; le ton calme est celui qui lui convient. Nous ne sommes que les organes du public, & nous ne lui faisons cette observation que parce qu'il est susceptible de l'entendre & de la juger.

D'après la base César, la pièce a été jouée 14 fois en 1793 (à partir du 5 novembre), 36 fois en 1794, 3 fois en 1795, 1 fois en 1796, 3 fois en 1797, 6 fois en 1799. Une des représentations a eu lieu au Palais des Variétés (le 17 février 1795). Soit 67 représentations, dont 66 à l’Opéra national.

 

 

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