La Vallée de Montmorency

La Vallée de Montmorency ou Jean-Jacques Rousseau dans son hermitage, opéra comique en trois actes et en vaudevilles, de Piis, Barré, Radet et Desfontaines. 23 prairial an 6 [11 juin 1798].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Vallée de Montmorency (la), ou Jean-Jacques Rousseau dans son hermitage

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose, couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

23 prairial an 6 [11 juin 1798]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Piis, Barré, Radet et Desfontaines

Almanach des Muses 1799.

Une jeune villageoise de la vallée aime Vernier, jardinier de Jean-Jacques. Ils sont près de s'unir quand la mère de la villageoise apprend que son gendre futur est protestant. C'en est assez pour qu'elle craigne l'alliance projetée, parce que sans doute un protestant ne peut être qu'un malhonnête homme. Mais Rousseau désabuse la mère, lui représente qu'il ne faut haïr personne pour son culte et sa foi, et lui persuade qu'il ne saurait arriver malheur aux jeunes gens de leur mariage, no dans ce monde ni dans l'autre.

Cadre dont la simplicité disparaît par le portrait heureusement dessiné du philosophe de Genève.

Des scènes épisodiques très-agréables, des leçons très-sages et très-morales données par Jean-Jacques, des couplets tels qu'on devait les attendre de quatre écrivains à qui l'on doit la renaissance et les succès du Vaudeville.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez le Libraire au Théâtre du Vaudeville, an VII :

La Vallée de Montmorency, ou Jean-Jacques Rousseau dans son hermitage, opéra-comique en trois actes, en prose, mêlé de vaudevilles. Par les CC. Piis, Barré, Radet et Desfontaines. Représenté, pour la première fois, sur le Théâtre du Vaudeville, le 23 Prairial, an 6.

Le Magasin encyclopédique, 4ème année, tome cinq (an VII-1799), p. 568, signale la publication de cette brochure :

La vallée de Montmorency, ou Jean-Jacques Rousseau dans son hermitage, opéra comique en trois actes, en prose, mêlé de vaudevilles, par les citoyens Piis, Barré, Radet et Desfontaines ; représenté pour la première fois sur le théâtre du Vaudeville, le 23 prairial an 6. Prix, 1 franc 50 centimes, avec 14 airs notés. A Paris, chez le libraire du théâtre du Vaudeville, rue de Malthe, et à son imprimerie rue des Droits de l'Homme, no. 44, au 7:

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-septième année, tome VIII (Thermidor an 6), p. 147-151 :

[Cette lettre fictive prêtée à Madame de Warens pose la question de la protection des personnes : a-t-on le droit de nommer une personne réelle dans une pièce de théâtre ?]

L’ombre de Mme. de Warens, aux auteurs d’une pièce ayant pour titre : la Vallée de Montmorency, ou J. J. Rousseau à l’Hermitage.

Courage, notre ami, disoient Eupolis & Cratinus à Aristophane : nous avons hasardé sur le théâtre que les portraits de quelques hommes voués au ridicule ; & toi, tu les nommes. Aristophane ne s’en tint pas là. L’intérieur des familles les plus respectables fut mis en scène, & leur paix fut troublée. On applaudissoit cependant, & cela devoit être : la malignité particulière fut toujours sous la sauve garde de la malignité générale. On défendit enfin aux successeurs d’Aristophane de nommer personne sur le théâtre, & je crois qu’on fit bien.

Vous ressucitez très-gaiement au Vaudeville cette vieille comédie des Grecs, & vous en éviterez les dangers, en lui rendant ses succès. Jusqu’à présent, vous n’avez nommé personne qu’avec un éloge, & je serai donc la seule exception qu’on puisse citer aux principes sages dont vous ne vous écartez jamais. A la première représentation de votre Vallée de Montmorency, je me dis : Ils supprimeront ce couplet dans lequel Venture, en s’adressant à J. J. Rousseau, l’assure que je n'ai pas perdu l'habitude de faire chaque année un heureux accompagné de plusieurs autres. Il est vrai que vous adoucissez un peu ce trait par la réponse de J. J. Mais, dans ce moment, ne ressemblez-vous pas à ce chirurgien qui avoit deux portes à sa maison ? Il sortoit par l'une pour frapper les passans, & par l'autre pour les guérir.

A la quatrième représentation de votre jolie pièce, j’entendis encore ce malheureux couplet, & j'en fus étonné. Si on veut renouveler des Grecs cet usage de nommer en toutes lettres les femmes qui ont eu des foiblesses, quelles sont les familles qui, du plus au moins, ne feront pas, chacune à leur tour, les honneurs de quelques vaudevilles ? Je n'eus jamais que de ces torts qu'on doit oublier, & il me semble qu'on devroit même, au temps qui court, avoir appris à en pardonner d'autres. D'ailleurs, le fait est que je suis morte, & le silence, un doigt sur la bouche, suivant l’expression d'Homère, veille à la porte des tombeaux, pour avertir que si l'on peut exhumer les ridicules dangereux, les vices & les crimes, pour les rendre au bruit qui doit les flétrir, il faut jeter des roses ou du moins un voile sur les foiblesses aimables : Elles ne causent des torts impardonnables, dit Dryden, qu'à ceux qui ne savent pas les pardonner.

Un article inséré dans le journal qui a pour titre : la Clef du cabinet, peut avoir fait croire à quelques personnes que l'ouvrage dont il parle, n'étoit qu'une satyre amère de Rousseau ; mais le vieillard respectable qui a publié sa correspondance avec cet homme célèbre, fut long-temps son ami, sera toujours son admirateur, & n'eut jamais l'intention de lui nuire. Croyez que si ces personnes, par allusion à ce livre qu'elles devroient lire, applaudissent encore, dans cette intention, ce que vous dites avec tant de raison & de justice de ceux qui, sans égard pour les morts, se permettent de troubler leur cendre, bientôt elles ne désapprouveront que l'aimable légèreté avec laquelle vous troublez si gaiement les miennes : celles d'une femme qui n'étoit que foible avoit au moins les mêmes droits à votre indulgence.

Vous n'avez, il est vrai, fait dire sur le théâtre que ce que J. J. Rousseau a écrit dans ses confessions, & sans aucuns ménagemens ; mais je reproche deux choses entre autres à J. J., que j'aime toujours ; c'est d'abord de s'être fait chrétien, comme le dit Bayle, dans toute la
force publique de ce mot : ensuite, puisqu'il avoit eu cette foiblesse, il n'avoit qu'une seule manière de la réparer, & c'étoit de mourir sans confession. Je voudrois, pour le bien de son âme, le voir dans l'enfer de la pucelle.

Vous y grillez, docte et savant Platon,
Divin Homère, éloquent Cicéron ;
Et vous Socrate, enfant de la sagesse,
Martyr de Dieu dans la profane Grèce ;
Juste Aristide , et vertueux Solon,
Tous malheureux,
morts sans confession.

Au reste, ne me croyez pas trop affligée de ce cruel couplet, dont je suis l'objet, & que Venture [ce compagnon des années d’errance de Rousseau chante un couplet sur Madame de Warens dans la pièce] pourroit se dispenser de chanter, si vous vouliez le lui permettre. Mon ombre n'est pas plus sévère que je ne l'étois moi-même autrefois, & la sagesse est-elle autre chose qu'une ombre ? C'est celle qui fuit le bonheur ; elle est toujours là pour sourire à ceux qui ont eu le courage d'être heureux, & pour les consoler lorsqu'ils cessent de l'être. Je vous observerai seulement que l'aimable indulgence est à la vertu qui chancelle, ce que les parures sont à la beauté qui s'échappe ; qu'il faut toujours voiler ce qu'il ne faut pas dire, & surtout, a dit Pope : Pardonner trop tôt pour ne pas se plaindre trop long temps. Croyez donc que, sans rancune, je n'en irai pas moins au Vaudeville : l'ombre de madame de Warens ne doit pas aimer les privations. Ainsi, lorsque vous entendrez autour de vous raisonner un peu plus que de coutume, & applaudir à l'esprit qui amuse en blâmant le trait qui peut affliger, dites : Il y a là une ombre de bon sens.

A. L. VILLETERQUE.

[Alexandre-Louis de Villeterque, né à Ligny-en-Barrois le 31 juillet 1759 et mort à Paris le 8 avril 1811, est un écrivain et journaliste français, également auteur dramatique et traducteur, dont la pensée est influencée par Rousseau.]

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-septième année, tome VIII (Thermidor an 6), p. 222-227 :

[Article repris du Journal de Paris n° 265 du 25 prairial an 6 , p. 1-2.]

[Le sujet est évidemment ce qui importe dans cette pièce dont l’intrigue est peu de choses : Jean-Jacques aide un jeune couple à se marier, en faisant comprendre à la mère de la jeune fille que la religion de son fils n’est pas un obstacle à ce mariage. La pièce est rendue plus consistante par des scènes épisodiques dont le compte rendu donne quelques exemples (dont un au moins peut laisser songeur). Le tout montre que Jean-Jacques possède « une trop grande sensibilité & une trop parfaite connoissance des hommes ». Le jugement porté est bien sûr favorable, les couplets sont « remplis de sel », la pièce est d’une « gaieté douce », le ton plein de sensibilité : « le caractère du grand homme y est parfaitement nuancé ». Mais la pièce est trop lente. Les auteurs sont nommés. La fin du compte rendu fournit un large échantillon de couplets, choisis parmi ceux que le public a applaudis. Le choix peut paraître parfois curieux (par exemple celui parlant des succès de librairie de Rousseau).]

Théâtre du Vaudeville.

La Vallée de Montmorency, comédie en trois actes, donnée pour la première fois sur ce théâtre, y a obtenu un succès complet ; en voici le sujet :

J. J. Rousseau habite la vallée de Montmorency, où il passe son temps à herboriser. Un jeune paysan & une jeune fille qu’il affectionne s’aiment & sont sur le point de se marier, quand la mère de la fiancée, apprenant que son gendre futur professe la religion de Calvin, refuse tout à coup de l’admettre dans sa famille. Rousseau, à qui les deux amans viennent confier leurs intérêts, se chage volontiers de plaider pour eux, & parvient bientôt à triompher du préjugé contre les protestans, en déclarant à la bonne, mais trop crédule mère, que lui-même n’est pas né dans la religion catholique. A cet argument, point de réplique, & le mariage est aussitôt conclu.

Tel est le fonds de la pièce nouvelle, qui, comme on le voit, n’auroit pu fournir trois actes, si, multipliant les détails, les auteurs n’y eussent conçu plusieurs scènes épisodiques, pour nous retracer les actions privées de Jean-Jacques, & les importunités dont on l’accabloit dans sa retraite. Ici, il donne des leçons à une jeune coquette qui est mère, & qui refusoit d’allaiter ses enfans. Là, il reçoit une députation de l’opéra, & il a l’occasion de critiquer notre ancienne musique française ; partout il conserve ce caractère de simplicité ombrageuse que ses ennemis traitoient de singularité ridicule,& qui prouvoit seulement en lui une trop grande sensibilité & une trop parfaite connoissance des hommes.

Recevant plusieurs billets écrits d’un style flagorneur, il s’écrie : « Si ces messieurs veulent faire échange de compliment, que ne s’adressent-ils à Voltaire ! »

Décachetant une lettre de son ami Malesherbe, il dit du ton le plus affectueux : « Je veux lui répondre. C’est un homme celui-là, il porte un cœur sensible ! » Cet hommage rendu aux mânes d’un vertueux magistrat a excité le plus vif enthousiasme.

En général, les couplets de cette pièce sont remplis de sel & marqués au coin du bon goût ; une gaieté douce, le ton d’une sensibilité exquise y règnent d’un bous à l’autre ; le caractère du grand homme y est parfaitement nuancé, mais la marche est un peu trop lente ; & quel que soit le piquant des détails, ils ne nous ont pas paru couvrir assez l’excessive simplicité du canevas. Quoi qu’il en soit, la Vallée de Montmorency est digne de son succès, & ne peut que soutenir la réputation de ses aimables auteurs, les citoyens Radet, Piis, Barré & Desfontaines.

Parmi les jolis couplets que le public a applaudis, nous avons retenu les suivans :

ARLEQU1N.

AIR : du Vaudeville d'Arlequin afficheur.

Arlequin ne vous a promis
Que le tableau d'une vallée ;
Mais du meilleur de vos amis
L'ombre s'y trouvera mêlée.
Le titre qu’en ce jour on prend,
N’est qu’un titre vague & postiche ;
Le véritable étoit trop grand
Pour ma petite affiche.

Voici un couplet qu’on a fait recommencer avec transport, & que Rousseau adresse à un petit maître qui appuie ironiquement sur le mot de citoyen de Genève :

AIR : du petit Matelot.

D’un pareil ton, j’aime à le croire,
Monsieur se seroit défendu,
Si ce titre dont je fais gloire,
Etoit par lui mieux entendu ;
Servir l’état, quoi qu’il en coûte,
Suivre les lois, faire le bien,

A Genève, & partout sans doute,
Voilà comme on est citoyen.

bis

Voilà comme on annonce à J. J. le succès de ses différens ouvrages :

AIR : Ta, la, la, jouez violons.

Marc-Michel Rey, votre libraire,
De vous compter ce numéraire,
M’a fait un devoir capital.
Votre Héloïse, votre Emile,
Se débitent toujours par mille ;
Votre Système musical,
Chez les savans ne prend pas mal ;
De vos lettres de la Montagne,
La vogue de jour en jour gagne ;
De votre Contrat social,
Le succès est joujours égal,
Et votre Devin du village,
De tout le monde a le suffrage !
Votre brûlant Pygmalion
Fait une vive impression ;
Mais ce qui va vous plaire, c’est que
De votre lettre à l’archevêque,
On a triplé l’édition....
C’est une bénédiction !

Voici encore comment Rousseau s’énonce, dans un moment d’inspiration mélancolique :

AIR : de Pierre-le-Grand.

Moi-même je prévois mon sort :
Quand je ne pourrai me défendre,
Vingt ans, vingt ans après ma mort,
Des lâches troubleront ma cendre....
A peine quelques gens de bien
Oseront-ils devenir mon soutien !

La parodie suivante montre le caractère libre de J. J.

AIR : Si des galans de la ville.

Si des auteurs de la ville
J’eusse imité les discours,
Ah ! qu’il m’eût été facile
D’être un favori des cours !

Loin d’être en butte aux critiques,
J’aurois eu mille prôneurs,
Des brevets académiques,
Des pensions, des honneurs.
Si des auteurs, &c.

Mais la vérité céleste
Fit seule tout mon bonheur ;
J’aimai mieux manquer du reste,
Et lui conserver mon cœur.
Si des auteurs, &c.

Le site César signale 21 représentations en 1798 à compter du 11 juin et 11 en 1799, toutes au Théâtre du Vaudeville.

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