Terreur

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Terreur.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 226-230 :

TERREUR. Grand effroi causé par la présence ou par le récit de quelque grande catastrophe.

Il paroît assez difficile de définir la terreur ; elle semble pourtant consisner dans la totalité des incidens, qui en produisant chacun leur effet, & menant insensiblement l'action à sa fin. opere sur nous cette appréhension salutaire, qui met un frein à nos passions sur le triste exemple d'autrui, & nous empêche par-là de tomber dans ces malheurs, dont la représentation nous arrache des larmes En nous conduisant de la compassion à la crainte, elle trouve un moyen d'intéresser notre amour- propre par un sentiment d'autant plus vif du contre coup, que l'art de la Poësie ferme nos yeux sur une surprise aussî avantageuse, & fait à l’humanité plus d'honneur qu'elle ne mérite.

On ne peut trop appuyer sur les beautés de ce qu'on appelle terreur dans le Tragique. C'est pourquoi nous ne pouvons manquer d'avoir une grande opinion de la Tragédie des Anciens : l'unique sujet de leurs Poëtes étoit de produire la terreur & la pitié. Ils chérissoint un sujet susceptible de ces deux passions, & le façonnoient par leur génie. Il semble même que rien n’étoit plus rare que de si beaux sujets, puisqu’ils ne les puisoient ordinairement que dans une ou deux familles de leurs Rois. Mais c'est triompher de l'art, que de réussir en ce genre ; & c'est ce qui fait la gloire de Crébillon sur le Théâtre François. Toute belle qu'est la description de l'enfer, par Milton, bien des gens la trouvent foible auprès de cette Scène de Hamlet, dans Shakespear, où le phantôme paroît ; il est vrai que cette Scène est le chef d'œuvre du Théâtre moderne dans le genre terrible : elle présente une grande variété d'objets diversifiés de cent façons différentes, toutes plus propres l'une que l'autre, à remplir les Spectateurs de terreur & d'effroi. Il n'y a presque pas une de ces variations, qui ne forme un tableau, & qui se soit digne du pinceau d'un Caravage.

M. Marmontel a observé, dans sa Poétique, qu'il faut distinguer deux sortes de craintes ou de terreur dans l'effet théâtral, l’une directe, & l'autre réfléchie. La première est celle que nous éprouvons pour le Héros que nous voyons dans le péril & la perplexité, & pour lequel nous frémirions. Antiochus tient au bord de ses lèvres la coupe empoisonnée ; c'est pour lui que je tremble. La seconde est celle que nous éprouvons, lorsque, par réflexion, nous craignons pour nous-mêmes le sort d'un autre. Orosmane, dans un moment de fureur & de jalousie, plonge le poignard dans le cœur de Zaïre qu'il adoroit. Capables des mêmes passions & des mêmes transports, c'est pour nous-mêmes, c'est nous-mêmes, que nous craignons à la vue de cet événement. La terreur que la Tragédie produit en nous, nous est donc quelquefois étrangère ; & quelquefois elle nous est personnelle : l'une cesse avec le péril du personnage intéressant, ou se dissipe peu après ; l'autre laisse une impression, qui survit à l'illusion du spectacle.

Il semble que les Anciens se soient plus attachés à exciter la terreur directe, que l'autre, & que leur but ait été même de guérir plutôt de la pitié & de la terreur, qu'ils regardoient comme des foiblesses, que de donner des leçons de morale par leur moyen. En effet, quelle terreur salutaire peut produire la vue d'un Œdipe, qui, sans le sçavoir, sans le vouloir, sans l'avoir mérité, tombes [sic] dans des malheurs & dans des crimes qui me font dresser les cheveux d'horreur. La première réflexion que je fais en conséquence, c'est de m'indigner de l'ascendant de ma destinée sur moi, de gémir sur ma dépendance des Dieux : la seconde c'est de ne plus craindre des crimes, que [sic] se commettent nécessairement, ni m'affliger de malheurs, dont toute ma prudence ne peut me garantir.

Le Théâtre moderne ne prétend pas nous guérir de la pitié, ni de la terreur, ni simplement se borner à exciter ces deux grandes affections en nous, pour le plaisir de nous faire verser des larmes, & frémir : mais il prétend s'en servir comme des deux plus puissant ressorts, pour nous porter à l’horreur du crime, & à l'amour de la vertu. Ce n'est plus par l'ordre inévitable des destins aveugles & cruels, que le crime & le malheur arrivent sur notre Théâtre ; c'est par la volonté de l'homme, que la passion égare & emporte. La terreur réfléchie se joint à la terreur directe ; & elle en devient plus morale & plus fructueuse pour le Spectateur.

La terreur est, pour ainsi dire,1e comble de la pitié ; c'est par l'une qu'il faut aller à l'autre. Les malheurs épouvantables tomberont sur un homme, que j’en serai peu touché, si vous ne me l'avez pas montré d'abord digne de ma compassion & de ma pitié. Voyez Pitié.

La décoration peut contribuer au terrible : une sombre prison, un bûcher, un échaffaud, un cercueil &c., tous ces objets sont très-propres à accroître la terreur : il n'y a que l’effusion de sang, que nous ne voulons point voir sur le Théâtre : Nec coram populo pueros Medea trucidet.

Références :

Pièces :

Corneille, Rodogune, acte 5, scène 4 : quand Antiochus s’apprête à boire la coupe empoisonnée,c'est pour lui que le spectateur éprouve de la crainte (première forme de terreur selon Marmontel).

Crébillon (Prosper Jolyot deCrébillon, dit Crébillon père, 1674-1762) doit sa gloire sur le théâtre français à sa capacité à susciter la terreur et la pitié chez les spectateurs.

Shakespeare, Hamlet, acte 1, scène 5, a surpassé, dans la scène où apparaît le fantôme, la description de l’enfer de Milton. Cette scène est le chef d'œuvre du théâtre moderne dans le genre de la terreur, et ses détails sont dignes du pinceau du Caravage.

Sophocle, Œdipe roi : la terrible leçon que donne la pièce a pour but de guérir le spectateur de la pitié et de la terreur, vues comme des faiblesses.

Voltaire, Zaïre, acte 5, scène 4 : quand Orosmane poignarde Zaïre qu’il aime et qui l’aime, la terreur que nous éprouvons, c’est de pouvoir agir comme Orosmane, et d’être victime comme Zaïre (deuxième forme de la terreur selon Marmontel).

Critique littéraire :

Horace, Art poétique, vers 185 : il ne faut pas montrer l’effusiond e sang sur la scène, et Médée doit tuer ses enfants hors de notre vue.

Marmontel (Prosper Jolyot deCrébillon, dit Crébillon père, 1674-1762), distingue entre terreur éprouvée pour le héros en danger, qui nous fait frémir, et terreur pour nous quand nous craignons de subir le sort du héros, l’une qui nous est étrangère, l’autre qui est en nous (c’est le mot crainte qu’emploie ici Marmontel).

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