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La Cause et les effets, ou le Réveil du peuple en 1789

La Cause et les effets, ou le Réveil du peuple en 1789, comédie en cinq actes, en prose, mêlée de chants, de Joigny, musique de Trial, le fils, 17 août 1793.

Théâtre de l’Opéra Comique National, rue Favart.

Titre :

La Cause et les effets, ou le Réveil du peuple en 1789

Genre

comédie mêlée de chants

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

chants

Date de création :

17 août 1793

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique National, rue Favart.

Auteur(s) des paroles :

Joigny

Compositeur(s) :

Trial fils

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 9 (septembre 1794), p. 240-247 :

[La pièce de Joigny est une grosse machine (elle dure quatre heures, et emploie un grand nombre d’acteurs, au point que le critique ironise à la fin sur cette troupe suffisante pour faire la révolution elle-même), et le long compte rendu n’en explique que partiellement l’intrigue (il manque des événements « que nous ne croyons pas devoir retracer parce qu’ils sont connus de tout le monde »). Il lui semble préférable de donner les clefs de la pièce : sous le signe de l’évidence (« il est inutile de faire observer... »), il dit ce que représente chaque personnage : « tout cela s'apperçoit au premier coup-d'œil, & donne une suffisante idée du plan de Joigni », un plan rempli de détails piquants, mais auquel le critique reproche une trop grande abondance et « des imitations trop serviles » (par exemple des scènes qui rappellent le Tartuffe, ou le personnage de Clément, (l’assassin d’Henri III). Autre grand reproche fait à la pièce : son style trop peu soigné, dont le compte rendu donne une série d’exemples, sous deux rubriques, celle des expression vicieuses, et celle des expressions « triviales au théatre », même si elles sont bien placées dans la bouche du personnage qui les prononce. Du même ordre, des idées ont paru déplacées, et « le public a vu avec autant de dégoût que d'indignation » un certain nombre de scènes sacrilèges ou l’expression d’idées choquantes, comme de prôner le meurtre d’un personnage. Quant à la musique, elle fait l’objet d’une critique positive (elle « donne des espérances sur le compte de son auteur. ») qui n’interdit pas les critiques (en particulier l’abus de l’imitation : on croit trop souvent entendre du Haydn, du Locatelli, du Méhul). Conclusion : de fort bonnes choses dans la pièce, mais il faudrait l’élaguer.]

La cause et les effets, ou le Réveil du peuple en1789, comédie en cinq actes, en prose, mêlée de chants; par Joigny, musique de Trial, le fils.

Ce titre, qui sembleroit devoir plutôt appartenir à un traité de métaphysique qu'à une piece de théatre, donne lieu aux plus grands développemens qu'on ait peut-être encore vus sur la scene. Le but de l'auteur de cette comédie est de prouver que les excès & les crimes du clergé, de la noblesse & de la magistrature ont amené la révolution de 1789. Il y a trois ans environ qu'on vendoit, sur tous les ponts & dans toutes les rues, une caricature qui pourroit servir de frontispice à cette piece. Elle représentoit le tiers-état accablé sous le poids des plus énormes chaînes. Après avoir dormi pendant fort long-tems, étendu sur la terre auprès de la Bastille, il se réveilloit en sursaut, & appercevant autour de lui des sabres, des baïonnettes, des fusils, des canons, il s'élançoit vers eux avec transport & rompoit ses chaînes, le clergé, la noblesse & la magistrature représentés par trois hommes, portant les costumes de ces états, fuyoient épouvantés ; & le tiers-état, fort de son courage & de l'égoïste lâcheté de ses adversaires , renversoit les murs de la Bastille. Ce que le rayon du peintre a fait entrer dans un très-petit tableau, la plume de Joigni l'a développé dans une très-grande piece.

Le fils d'un ministre puissant devoít épouser la fille d'un particulier extrêmement riche. Les paroles étoient données ; mais d'après les conseils d’Âriste, le bourgeois Boniface se rétracte, & donne sa fille à un jeune homme de son état, nommé Prudence. Le ministre est indigné ; mais on n'en tient compte, & le jeune marquis, son fils, dont les mœurs corrompues excusent suffisamment & font même approuver les conseils d'Ariste, prend la résolution, ne pouvant faire sa femme de la fille de Boniface, de l'enlever pour en faire sa maîtresse.

Un vieux cardinal, parent du marquis, & qui va habituellement chez Boniface, parce qu'il est le directeur de la mere, de la femme, de la fille & de la niece de ce bourgeois, est devenu éperduement amoureux de celle-ci. Pour parvenir à la corrompre, il a fait chasser, par ses calomnies, Julien, jeune homme de très-grande espérance, auquel elle étoit promise. Lucile en est au désespoir. Le cardinal offre de la consoler ; on lui accorde un moment d'entretien avec elle ; mais d'après le conseil du philosophe Ariste, la mere & la femme de Boniface, plus engouées du cardinal que madame Pernelle & Orgon ne le sont de Tartuffe, sont convaincues que ce prêtre n'est qu'un vil corrupteur qui abuse de l'ascendant que son état lui donne pour décider, à l'aide d'atroces calomnies, la jeune fille à abandonner la maison paternelle & à venir chez lui. La femme de Boniface & sa mere sont outrées ; elles surviennent pour accabler le cardinal de confusion, détromper Lucile, & convenir qu'Ariste & Boniface avoient raison de leur dire sans cesse de se méfier de cet homme d'église.

Cependant le marquis profitant de la confusion qui regne dans la maison de Boniface, à cause de sa fête, que ses parens & ses amis y célebrent, y fait introduire le soir un scélérat pour y mettre le feu, & il se tient lui, avec son gouverneur, à portée de la maison, afin de profiter du désordre qu'occasionnera l'incendie, pour enlever la fiancée de Prudence & la conduire dans sa petite maison. Ce projet affreux est exécuté ; mais la jeune personne est délivrée, & Boniface va porter plainte au ministre contre celui qui a incendié sa maison & ravi sa fille.

Le ministre connoît déjà ce crime, qu'il appelle une fredaine : il a fait si peu d'impression sur lui, qu'il l’a pardonné à son fils, &. qu'il l'en récompense en quelque sorte, en lui faisant accorder un régiment qu'il a refusé à un vieux militaire auquel il étoit dû. Boniface parle au ministre avec fertilité ; celui-ci s'en offense. Il lui propose toutefois des indemnités ; le bourgeosl les refuse, & veut qu'on lui fasse justice. Le ministre est indigné, & il ne conçoit pas ce qu'on pourroit lui dire de plus fort, si son fils avoit enlevé une fille de qualitè. II impose silence à Boniface, qui persiste à demander justice. Il l'éconduit : mais comme il a préalablement expédié une lettre-de-cachet contre lui, il est arrêté à la porte de l'hotel & conduit à la Bastille. Les femmes d’Antoine & de Marcel viennent le réclamer ; mais le ministre les fait chasser par ses gens. Les parens & les amis de Boniface sont nombreux, ces injustices les révoltent, ils se soulevent ; & Ariste marche à leur tête pour délivrer Boniface.

Le cardinal, le ministre, & le premier président en sont allarmés; ils tiennent conseil L'opinion du dernier est de faire décréter Ariste comme le chef de l'attroupement, & de le punir pour en imposer aux autres ; celle du ministre, de fortifier la Bastille, de l’approvisionner & de faire enfermer Ariste. Mais le cardinal trouve ces moyens trop lents, trop inefficaces. II n'en est point d'autres, dit-il, que de faire assassiner Ariste, & j'ai déjà l'homme qu'il faut pour cela. Le ministre & le magistrat adhérent à cette horrible mesure, & ils se retirent.

Alors on voit entrer un grand nombre de moines. On distingue parmi eux des minimes, des capucins, des jacobins, des carmes & des religieux de plusieurs autres ordres. Parmi eux est le jeune Innocent, qu'on peut prendre à son costume pour un oratorien ou un doctrinaire. Le cardinal l'a fait élever à l'ombre des autels, parce qu'il est réservé à de hautes destinées. C'est lui qui doit venger l'Etre suprême & la religion de leur plus grand ennemi, en purgeant la terre d'un monstre. Innocent balance ; le cardinal le menace des foudres du ciel : il se rend aux vœux de ce scélérat, de tous les autres moines ; & aussitôt sa main est armée d'un poignard. Il sort pour aller consommer son crime.

Mais il manque son coup & il est arrêté. Alors l'indignation du peuple ne peut plus être contenue, & de-là le siège de la Bastille qu'on fait sur la scene, & le tableau de quelques-uns des événemens qui le précéderent ou le suivirent, & que nous ne croyons pas devoir retracer parce qu'ils sont connus de tout le monde.

II est inutile de faire observer qu'Ariste désigne les philosophes, Boniface le peuple, Antoine & Marcel les deux faubourgs qui ont eu tant de part à la révolution, le cardinal, 1e clergé, le ministre & le marquis, la noblesse, & président Grison, la magistrature ; tout cela s'apperçoit au premier coup-d'œil, & donne une suffisante idée du plan de Joigni. Quelque vaste qu'il soit, il a été rempli, & l'on peut même reprocher à cet auteur une surabondance de choses, qui nuit beaucoup à l’effet de sa piece, où souvent, le principal est étouffé par les accessoires.

Elle offre toutefois un grand nombre de détails piquans ; mais on ne sauroit se dissimuler qu'elle présente aussi des réminiscences frappantes, qu'on peut même considérer comme des imitations trop serviles. Les scenes du cardinal avec la mere & la femme de Boniface sont la même chose que la plupart des situations du Tartuffe ; & celles de ce prince des hypocrites avec le frere Innocent, en nous rappellant l'assassin Clément, nous retracent les discours fanatiques & insidieux que Mohomet tenoit à Séide.

Le style de Joigni n'est pas toujours très soigné. Plusieurs de ses personnages disent, par exemple, & malheureusement le musicien le leur fait repérer une vingtaine de fois, qu'ils ne veulent plus entendre prêcher des moralités. Cette expression est inusitée & vicieuse. On tire, on fait des moralités, mais on ne les prêche pas. L'analyse du mot prouve que nous avons raison. Moralité ne signifie autre chose que réflexion morale ; or, on ne prêche pas une réflexion, & l'on ne sauroit la prêcher, parce qu'une réflexion n'est autre chose que l’action de. l'esprit qui réfléchir.

On a lieu de remarquer encore dans le style de Joigni, des expressions qui, pour n'être pas déplacées dans la bouche de ceux qui les emploient, n'en sont pas moins triviales au théatre, Par exemple , on n'aime pas à entendre dire à la femme d'Antoine qu'il fait beau voir un prédicateur se démener dans son égrugeoir (la chaire), & on éprouve un sentiment désagréable en l'entendant appeller son fils, un enfant de bête. Mais on souffre, quand la femme de Marcel, pour convenir que sa fille grandit, s'écrie : Vlà que ça pousse, & lorsque le marquis, en parlant d'un officier de fortune, dit : c'est une culotte de peau ; & du peuple qui s'éleve contre l'injustice du ministre : les grenouilles veulent se remuer. Nous pourrions faire beaucoup d'autres citations, mais celles-ci doivent suffire.

Nous ajouterons seulement que le public a vu avec autant de dégoût que d'indignation, le scélérat cardinal citer les saintes écritures, parler sur la scene du tribunal de pénitence, & donner l'absolution à une vieille imbécille de ce qu'elle a osé lui refuser pendant quelques instans, soixante mille livres qu'il vouloit lui escroquer. Tout cela n'est ni assez comique, ni assez intéressant pour n'être pas retranché, & si Joigni se décidoit à en faire le sacrifice, le public lui en sauroit gré ; mais il lui conserveroit de la reconnoissance, s'il lui épargnoit l'horreur d'entendre conseiller l'assassinat d'Ariste, par l'exécrable cardinal. Le murmure prolongé que cet affreux conseil a excité dans la salle, doit prouver à Joigni que nous lui disons la vérité.

La musique de cette piece donne des espérances sur le compte de son auteur. Elle offre plusieurs morceaux agréables & deux chœurs, ceux du troisieme & du quatrieme acte, qui sont d'un fort bon effet. Mais en général Trial fait trop usage de ce qu'on appelle imitation en musique, & assez ordinairement dans les morceaux d'ensemble, il emploic un chant semblable dans plusieurs parties qui le font entendre l'un après l'autre à l'unisson, à la tierce, à la quarte, ou à tout autre interval. Un autre genre d'imitation que Trial emploie aussi bien souvent, est celui qui lui fait adopter des motifs déja très-connus, dont il dédaigne même quelquefois de changer les modulation s; aussi croit-on trouver dans sa musique des choses qu'il semble que nous ont déjà fait entendre Hayden & Locatelli dans leur musique instrumentale, & Méhul dans les accompagnemens. Les jeunes compositeurs sont presque tous sujets à ces sortes de réminiscences.

II résulte de tout ce que nous avons dit, qu'il y a de fort bonnes choses dans la Cause & les effets, & que cette piece pourroit rester au théatre, si l’auteur des paroles vouloit en élaguer quelques détails accessoires, & en simplifier la marche. II rémédieroit par-là à deux grands inconvéniens, celui des mouvemens d’impatience qui doivent nécessairement se manifester pendant une piece dont la représentation dure plus de quatre heures, & celui qui résulte du défaut d'ensemble occasionné par un trop grand nombre d'acteurs. Quoiqu'on développe les causes d'une révolution & les effets qu'elle a produit [sic], il ne faut pas pour cela employer à la représentation d'une comédie, autant d'hommes qu'il en faudroit pour faire la révolution elle même.

D’après la base César, la pièce, qu’elle intitule les Causes et les Effets ou le Réveil du peuple, est de Joigny et d’un auteur inconnu. Le compositeur : Trial fils. Première au Théâtre Italien le 17 août 1793. 7 représentations au Théâtre Italien, jusqu’au 6 octobre 1793. 10 autres représentations, majoritairement au Théâtre de l’Ambigu-Comique, du 20 septembre 1793 au 15 avril 1794.

Le site OCD (e-opera-comique) signale que la pièce a été réduite à 4 actes le 27 août 1793.

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