Pallas, fils d’Évandre

Pallas, fils d’Évandre, tragédie en cinq, puis trois actes, de Pierre Lebrun, 1806.

Pièce non représentée.

Œuvres de Pierre Lebrun, de l'Académie Française, tome 4, p. 229 :

Un épisode du poëme de Virgile a fourni le sujet de cette tragédie, ou plutôt de cette pastorale héroïque. C'est un tableau de mœurs patriarcales et guerrières, qui a semblé ne devoir pas être sans charme sur la scène : l'intérêt y est moins dans l'action que dans les sentiments. Quatre personnages seulement y concourent : trois guerriers qui représentent et personnifient la gloire militaire dans les trois âges. de la vie, et une jeune fille, jetée au milieu de ces hommes rudes et héroïques pour en adoucir l'austérité. C'est comme un chant de guerre, un chant de départ auquel se mêlent des adieux de femmes, des plaintes, des sanglots. Il y a dans ce drame des défauts qu'on aurait pu tenter de faire disparaître, du moins quant à ce qui regarde le style; mais ils sont la plupart tellement inhérents au tissu du style même, qu'ils auraient tout entraîné avec eux ; et puis, ce travail eût terni la couleur jeune et fraîche qui semble régner dans l'ouvrage. Mieux vaut donc lui laisser sa séve, sa surabondance, sa jeunesse tout entière.

Quoique le temps qu'on met à composer un ouvrage, et l'âge qu'on a en le composant, fassent peu de chose soit au mérite de l'ouvrage, soit à celui de l'auteur, il n'est pourtant pas inutile de dire ici que Pallas a été fait en huit jours, par un auteur de vingt ans.

Préface de 1822.          

Liste des personnages :

ÉVANDRE.

PALLAS.

DYNA.

ILIONÉE.

Compagnes de Dyna.

Guerriers et Prêtres arcadiens.

Troyens de la suite d'Ilionée.

A la fin de la préface une note renvoie à la fin du volume, p. 473-476. L'auteur y raconte l'histoire de sa pièce. On retient la rapidité de l'écriture de la pièce, l'état d'exaltation de l'auteur, mais aussi son échec relatif : la pièce n'est pas acceptée en cinq actes, sa transformation en trois actes n'est même pas présentée aux comédiens : encore une pièce non représentée, mais néanmoins imprimée.

PALLAS, FILS D'ÉVANDRE

Cette pièce, composée en cinq actes dans les derniers jours d'octobre 1806, reçue à la Comédie-Française au mois de juin 1807, n'a point été représentée. L'assemblée des comédiens, qui était fort nombreuse le jour de la lecture, n'avait pas en majorité trouvé l'intérêt assez vif et l'action assez pleine pour remplir cinq actes. On demanda que la pièce fût mise en trois actes, et on avait raison. Mais ainsi réduite, je ne jugeai pas devoir en tenter la représentation, et pensai qu'il m'était préférable de débuter plus tard par un plus grand ouvrage.

Dans mes notes de cette époque, et dans le bulletin que j'y avais fait de la séance du comité de lecture, je retrouve, parmi les noms de ceux qui le composaient et qui me furent le plus favorables, les noms de Grandmesnil, de Dazincourt, de Mlle Devienne, et surtout ceux de Talma et de Mlle Mars, ces grands artistes, qui ont tant passionné le public, et qui, depuis longtemps disparus, ne sont déjà plus pour la génération actuelle qu'un vague et lointain souvenir.

Des notes de ce même temps, je placerai ici quelques extraits qui touchent l'ouvrage lui-même, et qui ont été écrits au moment de sa composition. Il ne sera peut-être pas sans intérêt de montrer ici, à l'occasion d'un drame qui n'a pas été joué, et qui devait demeurer si obscur, jusqu'où peuvent aller les illusions d'un jeune auteur qui prend sa facilité pour un talent qui se déclare, et qui, dans l'échauffement de son cerveau, n'est pas fort éloigné de se croire tout à coup passé à l'état de grand homme.

Couvent de Caudebec, jeudi matin, 30 octobre 1806.          

« Il me semble que depuis quelques jours une révolution s'est faite en moi ; je sens comme un brasier dans ma tête et dans tout mon corps. Les vers coulent de ma veine sur le papier sans que j'aie même le temps de les comprendre et de les écrire. Depuis dimanche matin, j'ai fait trois actes de ma tragédie de Pallas : toute cette tragédie s'est placée subitement dans ma tête, sans travail, et comme d'elle-même. »

Et le dithyrambe continue :

« Je suis dans une émotion continuelle, tout en moi fermente. L'idée pleine d'Évandre, de Pallas et de Dina, je travaille dans une sorte d'extase et de joie depuis le matin jusqu'à l'autre matin, sans relâche et presque sans sommeil. Mes idées étaient auparavant laborieuses et pénibles ; quand j'avais fait quinze ou vingt vers je n'avais pas perdu ma journée ; aujourd'hui, j'en fais cent, deux cents, et plus encore. Je profite avec hâte, et comme si je le dérobais, de ce moment de singulière effervescence ; il ne peut durer longtemps; je n'y résisterais pas. Ma manière de travailler est si fatigante! ma poitrine est déchirée de mes cris. Je tombe le soir harassé, tant j'ai marché et déclamé tout le jour.

« Je crois vraiment que l'esprit qui anime nos soldats se communique aux poëtes ; depuis huit jours la guerre est commencée, et la bataille d'léna a presque déjà terminé la campagne. »

La note enthousiaste ajoute :

« Oui, la solitude est nécessaire à l'entier développement de la pensée. Il est bon que le poëte vive à l'écart, qu'il se fasse un exil, que rien ne l'y réveille, qu'il vive concentré dans lui-même, seul avec les êtres que lui crée son imagination. Si une voix humaine vient à se faire entendre, tout le charme a disparu.

« Il faut que je sois bien aveuglé s'il n'y a pas de belles choses dans ce que j'ai fait.

« Je rirai peut-être de ce que je viens d'écrire, car je ne puis pas dire que je sois bien à moi, et que, dans l'exaltation que j'éprouve, mon esprit jouisse bien de tout son bon sens, de toute sa liberté. Achille1 est pour beaucoup dans ma joie ; je jouis de l'étonnement que je vais lui causer en lui disant à son retour que j'ai fini la tragédie qui n'était pas commencée samedi à son départ. »

1 Mon ami M. Ach. Duparquet, mon compagnon habituel dans cette solitude.

Dimanche, 2 novembre.          

« J'attends l'arrivée d'Achille avec émotion. Ma pièce est faite. Je suis bien impatient de la lui lire et de connaître l'effet que produira cette lecture. Il va peut-être me réveiller d'un beau songe. »

Voilà les vaniteuses confidences que se faisait à lui-même un jeune esprit ordinairement modeste, mais échauffé par le travail, la veille et la solitude, dans ce couvent de Caudebec, si hermétiquement fermé, quoique voisin de la ville, aux bruits et aux distractions du dehors.

C'était du reste un lieu bien choisi pour le travail du poëte, et bien vraiment inspirateur, que ce couvent des capucins, retiré au bord de la Seine, au bout de la petite ville, vers le chemin de Notre-Dame de Baryva, avec ses grottes et ses rochers couronnés de bois, ses jardins plantés de grands arbres, ses hautes et longues terrasses dont la vue s'étendait au delà du fleuve sur un si admirable horizon de prairies couvertes de troupeaux ; demeure monastique arrangée pour l'habitation mondaine par un goût délicat ; retraite intime et charmante, tour à tour si animée et si solitaire, si digne enfin de ce tendre regret dont, il y a plus d'un demi-siècle, un de ses jeunes habitants a laissé la trace dans ces vers qu'on voit encore, dit-on, gravés sur un des arbres du jardin :

            Adieu, solitude tranquille,
Où sept mois sur ma tète ont coulé comme un jour !
            Gravé sur l'écorce fragile,
Que du moins, à ma place, habitant ce séjour,
            Mon nom, joint à celui d'Achille,
Parle encor d'amitié, de rimes et d'amour.

27 janvier 1807.

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