Le Spectre du château

Le Spectre du château, drame héroïque en trois actes, imité de l'anglais de Lewis, de Boursault-Malherbe, 23 mars 1807.

Théâtre des Variétés-Étrangères.

La première représentation était « au bénéfice de M. Leborne ».

Courrier des spectacles, n° 3695 du 24 mars 1807, p. 2-3 :

[Il s'agit pour le critique de rendre compte d'un spectacle étranger au goût français : il a eu un grand succès en Angleterre et en Allemagne, où il est paré de bien des qualités : forte conception, grand intérêt, vives émotions. Tout ce qui peut impressionner a été mis à contribution : « des fantômes, des cavernes, des poignards sanglans, de grands coupables, d’horribles remords ». L'acteur d'un tel spectacle doit donner l'impression d'être possédé. Mais ce 'est pas un spectacle pour le peuple français, « trop malin et trop rieur pour ces sortes de drames ». Lors de la première représentation, il y a eu des applaudissements, pour « quelques coups de théâtre, quelques effets de pantomime, de beaux mouvemens de Mad. d’Acosta ». Mais tous ces effets ont plus fait rire que pleurer. Jugement sans appel : « c’est, dans un mauvais genre, une conception souvent vigoureuse et féconde en beaux effets de théâtre ». Du théâtre certes, mais « dans un mauvais genre ». Après tous ces prolégomènes, le résumé de l'intrigue plonge le lecteur dans les éléments habituels du mélodrame le plus sanglant, le plus cruel. Il ne manque rien, drame familial, amours contrariées, arrestation et tentative manquée d'évasion, et on ajoute même un spectre venu des Enfers, qui finit par entraîner le méchant à sa suite dans le monde souterrain. C'est bien un « spectacle […] d'un effet imposant », mais il s'adresse aux yeux, pas à l'esprit ou au cœur. Le public a bien été fortement impressionné, mais le critique suggère que cette impression est superficielle.]

Theatre Molière, Variétés Etrangères.

Le Spectre du Château.

Cette pièce a eu un succès prodigieux en Angleterre et en Allemagne ; elle y est regardée comme un chef d’œuvre d’imagination, comme un ouvrage fortement conçu, propre à exciter un grand intérêt et de vives émotions. L’auteur l’a étayée de tout ce qui peut faire de vives impressions sur les ames foibles, timides et superstitieuses. On y reconnoit la touche et les couleurs hardies de l’auteur du Moine. Ce sont les mêmes moyens de terreur : des fantômes, des cavernes, des poignards sanglans, de grands coupables, d’horribles remords. Il faut, pour jouer ces sortes de pièces, que l’acteur se transforme en énergumène, et paroisse en quelque sorte inspire par les démons.

Ce spectacle n'est rien moins qu'amusant ; ces scènes de fureur et d’effroi qui se succèdent sans relâche, tiennent l’ame dans une continuelle fatigue dont elle se lasse bientôt.

Le peuple Français est trop malin et trop rieur pour ces sortes de drames. Il est toujours prêt à se mocquer des revenant et des démons. C’est l’effet qu’a produit hier le Spectre du Château. Quelques coups de théâtre, quelques effets de pantomime, de beaux mouvemens de Mad. d’Acosta ont été fréquemment applaudis. L’apparition du spectre a même paru belle comme spectacle ; mais tous les prestiges de la sorcellerie, toutes les grandes scènes de pathétique ont trouvé des auditeurs plus disposés à rire qu’à verser des larmes. J’ai déjà dit que la plupart de nos mélodrames de boulevard , qu’on ne lit point, et qu’on dédaigne après quelques représentations, valoient mieux que la plupart des drames célèbres de l’Allemagne et de l’Angleterre ; les essais qu’on vient de faire confirment tous les jours cette opinion. Cependant le Spectre du Château n’est point un ouvrage sans mérite ; c’est, dans un mauvais genre, une conception souvent vigoureuse et féconde en beaux effets de théâtre.

Un Comte d’Osmond, homme exécrable, fait assassiner son frère Reginald et sa belle-sœur Evelina ; il confie l'exécution de ce crime à un homme presque aussi horrible que lui, nommé Kennerick. Celui ci sauve la vie à Reginald, et se contente de l’enfermer dans un affreux cachot. Reginald et Evelina avoient une fille nommée Angéla ; Kennerick la sauve également, et obtient d'Osmond la permission de l’élever. Lorsqu’elle est devenue grande, Osmond en devient amoureux, et se dispose à l'épouser ; la jeune fille rejette ses vœux avec horreur. Elle a pour amant un jeune lord plein d’honneur et de courage, nommé Edouard ; il tente tous les moyens pour arracher Angéla des mains de son tyran, mais lui-même il tombe dans celles d’Osmond, qui ordonne sa mort. Heureusement il parvient à tromper la vigilance de ses gardes et à s’échapper. Osmond furieux, envoie des satellites pour le poursuivre, et fait tout disposer pour son hymen avec Angéla ; mais cette jeune héroïne repousse toujours sa main avec indignation.

Témoin de son sort, Kennerick qui se sent dévoré par les remords, forme le dessein de la sauver. Ce dessein est découvert, et le tyran ordonne à un nègre, l’un de ses satellites affidés, de faire secrettement périr Kennerick. Le nègre moins scélérat que son maître, révèle tout à Kennerick, et lui facilite les moyens d'échapper au tyran. Ostnond qui découvre encore ce dessein, en empêche l'exécution. De nouveaux incidens se succèdent : une duègne ouvre la chambre où Evelina a été assassinée ; Angéla y trouve le poignard sanglant dont s’est servi Osmond, elle s’en saisit. Le spectre d’Evelina paroît, et encourage sa fille. Angéla persiste dans ses refus, et quand le tyran veut la forcer à l’épouser, elle lui présente ce poignard qui, pour lui, produit l’effet de la tête de Méduse. Le cachot de Reginald est découvert. La fureur du tyran est à son comble, quand une trappe s’ouvre et l’entraine au fond des Enfers.

Ce spectacle est d’un effet imposant, mais il parle plus aux yeux qu’à l’esprit et au cœur ; c’est l'impression qu'il a faite sur une assemblée brillante qui s’étoit réunie hier au Théâtre des Variétés Etrangères.

Journal de Paris, n° 84 du 25 mars 1807, p. 604 :

[La pièce est « un mélodrame monstrueux » qui souligne la coupure entre la critique, violemment hostile, et le public qui a fait le succès de la pièce : elle touche fortement « toutes les personnes susceptibles d’illusions, qui aiment encore mieux sentir que raisonner ». L'article résume ensuite brièvement une belle intrigue de roman noir (le critique la rapproche « du Moine, le meilleur de nos romans fantasmagoriques ». La fin de la pièce n'est pas très claire, mais l'avant-dernier acte a permi à l'actrice principale de montrer l'étendue de son talent ».]

Théâtre des Variétés Etrangères,
rue S.-Martin.

Le Spectre du Château, dont nous n’avons pu voir que la seconde représentation, a, dit-on, obtenu beaucoup de succès à la première. C’est un mélodrame monstrueux dont tout l’échafaudage doit crouler, au moindre regard de la critique, mais qui donnera en revanche de fortes secousses à toutes les personnes susceptibles d’illusions, qui aiment encore mieux sentir que raisonner. Le fond du sujet est moral.

Un seigneur anglais, le comte Osmond, croit avoir fait périr, depuis 15 ans, son frère Romuald, dont la fille, sa nièce, lui inspire de l’amour. Celle-ci, instruite des crimes de cet usurpateur, & éprise du comte de Northumberland, invoque l’ombre de Regina, sa défunte mère, victime du barbare Osmond ; l’ombre paroît ; un des complices du tyran découvre le lieu souterrain où Romuald respire ignoré ; Osmond, au désespoir d’être trahi, veut de nouveau poignarder son frère ; mais au moment où il lève le bras, le spectre se jette sur lui, le serre vigoureusement & l’entraîne au fond de l’enfer.

Il y a dans le style & dans les idées de cette pièce un rapport frappant avec le style & les idées du Moine, le meilleur de nos romans fantasmagoriques.

On voudront plus de clarté dans le dernier acte ; mais l’avant-dernier offre des situations terribles, & M.me Dacosta y développe beaucoup de talent.

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