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Comédie

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Comédie.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 261-269 :

COMÉDIE. La Comédie est l’imitation des mœurs, mise en action : son objet est la correction des mœurs qu'elle imite. Le principe de la Comédie est la malice naturelle aux hommes. L'enfant qui n'est frappé que par les défauts extérieurs, les tourne en ridicule en les contrefaisant. L'homme fait, qui apperçoit des travers dans le cœur ou dans l'esprit des autres hommes, les met en évidence le plus qu'il est possible. C'est de cette disposition à saisir le ridicule, que la Comédie tire sa force & ses moyens. Mais il faut que les travers qu'elle imite ne soient ni assez affligeans pour exciter la compassion, ni assez révoltans pour donner de la haine, ni assez dangereux pour inspirer de l'effroi. Le vice n'appartient à la Comédie, qu'autant qu'il est ridicule & méprisable. Si Moliere a rendu le Tartuffe odieux au cinquième Acte, c'est, comme on l’a remarqué, pour donner le dernier coup de pinceau à son Personnage.

La Comédie, au moins telle qu'elle est maintenant parmi nous, est donc la représentation naïve d'une action ordinaire, mais plus ou moins attachante, de la vie civile, intriguée de maniere à ménager des surprises & à faire sortir le caractère des principaux Personnages pour le plaisir & l'instruction des Spectateurs.

Cet art, de faire servir la malignité humaine à la correction des mœurs , est presque aussi ancien que la Tragédie, & ses commencemens ne sont pas moins grossiers. La Comédie ne fut d'abord qu'un tissu d'injures adressées aux Passans par des Vendangeurs barbouillés de lie. Cratès, à l'exemple d'Epicharmus & de Phormis , Poëtes Siciliens, éleva sur un Théâtre plus décent, & dans un ordre plus régulier. Alors la Comédie prit pour modèle la Tragédîe inventée par Eschyle ; & c'est là proprement l'époque de l'ancienne Comédie Grecque. On la divise en ancienne , moyenne & nouvelle. Elle fut d'abord une Satyre politique & civile, où les Personnages étoient nommés. Ce fut la Comédie ancienne. On interdit ensuite cette licence aux Poëtes, qui se contenterent de designer les objets de leur censure. Telle fut la Comédie moyenne. Enfin cette ressource leur fut encore interdite, & Menandre, ainsi que les Poëtes ses Contemporains, chercherent à intéresser le Spectateur par une intrigue attachante & par la peinture des mœurs générales. C'est ce qu'on appelle la Comédie nouvelle. Ce fut cette espéce de Comédie que Plaute & Térence offrirent aux Romains. La Comédie dégénéra ensuite à Rome ; & il faut passer au quinzième siécle, pour en voir la renaissance en Italie. Des Baladins alloient de ville en ville jouer des Farces, qu'ils appelloient Comédies, dont les intrigues sans vraisemblance, & les situations bisarres, ne servoient qu'à faire valoir la Pantomime Italienne. II est vrai que quelques Auteurs distingués, comme le Cardinal Bibiena & Machiavel, firent des Comédies d'après le bon goût de l' Antiquité. Mais ces Piéces ne se jouoient que dans la Fête pour laquelle elles étoient faites ; & les Comédient osoient à peine les risquer sur leurs Théâtres. On peut reprocher à la Scène Espagnole les mêmes défauts ; mais les Piéces étoient mieux intriguées. & plus intéressantes. Les François, jusqu'au Menteur de Pierre Corneille, ignorèrent ce que c'étoit qu'une Comédie. Enfin Moliere parut & surpassa tous les Poëtes anciens & modernes. Ses Ouvrages renferment une Poétique complette sur la Comédie.

La Comédie est donc composée des mêmes parties que la Tragédie, c'est à-dire Exposition, Nœud, Dénouement. Voyez chacun de ces mots. Elle est soumise aux mêmes régles, aux unités de tems, de lieu, d'action, d'intérêt, de dessein. Voyez ces mots. Les moyens seuls sont différens. Voyez les mots Comique, Rire théâtral, Ridicule, Caractère, Épisode, Intrigue. On divise ordinairement la Comédie en deux espèces , la Comédie d'intrigue & la Comédie de caractère.

La Comédie d'intrigue est celle où l' Auteur place ses Personnages dans des situations bisarres & plaisantes qui naissent les unes des autres , jusqu'à ce que

D’un secret, tout à coup, la vérité connue,
Change tout, donne à tout une face imprévue,

& amène le Dénouement.

Ou peut distinguer deux sortes de Comédies d'intrigue.

Dans la premiere espèce, aucun des Personnages n'a dessein de traverser l'action qui semble devoir aller d'elle-même à sa fin, mais qui néanmoins se trouve interrompue par des évenemens que le pur hasard semble avoir amenés.

Cette sorte d'intrigue est celle que doit produire un plus grand effet, parce que le Spectateur, indépendamment de ses réflexions sur l'art du Poëte, est bien plus flatté d'imputer les obstacles qui surviennent, au caprice du hasard, qu'à la malignité des Maîtres ou des Valets.

Amphytrion est le modèle des Piéces de ce genre. II offre une action que les Personnages n'ont aucun dessein de traverser. C'est le hasard seul qui fait arriver Sosie, dans un moment où Mercure ne peut le laisser entrer chez Amphytrion. Le déguisement de Jupiter produit une brouillerie entre Amphytrion & Alcmène. L'action est toujours conduite ainsi jusqu'au moment où la présence des deux Amphytrions amène le dénouement, & oblige Jupiter à se déclarer. Il ne manque à cette Comédie, que la simplicité dans le principe de l’action. Celui des Menechmes est encore plus vicieux. Les Espagnols ont un assez grand nombre d'intrigues de cette espéce. Leur chef-d'œuvre est une Piéce de Calderon, intitulée la Maison à deux Portes. Les François ont très-peu de Comédies en ce genre.

Dans la seconde espéce d'intrigue, beaucoup plus commune, tous les incidens sont prémédités. C'est, par exemple, un fils amoureux de la personne que son pere veut épouser- & qui imagine des ruses pour arriver à son but. C'est une fille qui, étant destinée à un homme dont elle ne veut point, fait agir un Amant, une Soubrette ou un Valet pour détourner ses parens de {'alliance qu'ils lui proposent, & parvenir à celle qui fait l'objet de ses désirs. Ici tous les évenemens sont produits par des Personnages qui ont dessein de les faire naître ; & souvent le Spectateur prévient ces événemens, ce qui diminue infiniment son plaisir.

Mais de tous les inconvéniens qui sont attachés à cette espéce d'intrigue, le plus considérable est le défaut de vraisemblance, défaut qu'entraînent les déguisements & la plupart des ruses employées en pareil cas dans les Comédies.

La seconde espèce est la Comédie de caractère ; c'est celle qui est la plus utile aux mœurs & la plus difficile. Elle ne représente pas les hommes comme le jouet du hasard, mais comme les victimes de leurs vices ou de leurs ridicules. Elle leur présente le miroir & les fait rougir de leur propre image.

Dans la Comédie de caractère l'Auteur dispose son plan de maniere que les situations mettent en évidence le caractère qu'il veut peindre, & arrache au Personnage l’expression du sentiment qui le domine habituellement : lncidens, Episodes, tout se rapporte à cet unique but.

L'Avare de Moliere paroit l'effort du génie en ce genre. L'Auteur présente Harpagon sous toutes les faces. Il le place dans les circonstances les plus importantes de sa vie; au moment où il marie son fils & sa fille, & où il veut se marier lui-même. L'Avare paroît querellant & fouillant un Valet qu'il congédie. II tremble ensuite pour son trésor, & craint que ses enfans ne l'ayent entendu, & ne croyent qu'il a de l'argent caché. Il veut marier son fils à une veuve riche, sa fille à un homme âgé qui l'épouse sans dot; & il sort enfin pour aller voir son trésor. II le représente ensuite comme un Usurier prêtant à un intérêt énorme. Chaque mot qu'il dit dans la Scène avec son fils, est un trait de caractère. Harpagon termine cette Scène humiliante par ces paroles :

Je ne suis pas fâché de cette aventures ; & ce m’est un avis de tenir l'œil plus que jamais sur ses actions.

Dans la Scène avec Frosine, il montre toute la dureté d'un Avare qui n'aime ni femme ni enfans, toujours de bonne humeur quand on lui parle de lui, reprenant son air sombre dès que Frosine lui demande quelques secours. Toute sa lésine paroît dans les Scènes où il parle des apprêts du dîner qu'il veut donner à sa Maîtresse, dans celle où Cléandre lui arrache une bague dont il fait présent à Marianne malgré Harpagon. II perd ensuite son trésor. Il accuse toute la nature ; & obligé, pour le ravoir, de consentir au mariage de ses deux enfans, il stipule que pour les noces on lui fasse faire un habit, & retourne voir sa chere cassette. On voit par cet exposé, que l' Auteur a pris dans les vices attachés à l’avarice, tous les incidens qui servent encore à faire sortir le caractère d'Harpagon, & qu'il a rapproché avec un art admirable tous les événemens qui pouvoient le développer.

On peut remarquer, à ce sujet, que quoique la Comédie soit une imitation des mœurs, cette imitation, pour devenir théâtrale & intéressante, doit être un peu exagérée. Voyez Charge. II est bien difficile, en effet, qu'il échappe en un jour à un seul homme, autant de traits d'avarice que Moliere en a rassemblés dans Harpagon. Mais cette exagération rentre dans la vraisemblance, lorsque les traits sont multipliés par des circonstances ménagées avec art. La perspective du Théâtre exige un coloris fort & de grandes touches, mais de justes proportions, c'est-à-dire, telles que l'œil du Spectateur les réduise sans peine à la vérité de la nature. Le Bourgeois-Gentilhomme paye les titres que lui donne un complaisant Mercénaire ; c’est ce qu'on voit tous les jours. Mais il avoue qu'il les paye ; c'est en quoi il renchérit sur ses modèles. Moliere tire d'un Sot l'aveu de ce ridicule, pour le mieux faire appercevoir dans ceux qui ont l'esprit de le dissimuler.

II est une autre sorte de Comédies qui sont en même tems des Piéces d'intrigue é de caractère, c'est-à-dire, que l'intrigue en est assez forte pour mériter le nom de Piéces d'intrigue, & que les caractères sont assez marqués, pour s'élever en quelque forte à la qualité de Piéces de caractère. De ce genre sont plusieurs Drames dont l'intrigue est attendrissante.

Le Comique de Caractère suppose dans son Auteur une étude consommée des mœurs de son siécle, un discernement juste & prompt, & une force d'imagination qui réunifie, sous un seul point de vue, les traits que sa pénétration n'a pu saisir qu'en détail. Ce qui manque à la plupart des Peintres de Caractère, & ce que Moliere possédoit éminemment, c'est ce coup-d'œil philosophique qui saisit non-seulement les extrêmes, mais le milieu des choies. Entre l’Hypocrite Scélérat, on voit l'Homme de bien qui démasque la scélératesse de l'un, & qui plaint la crédulité de l'autre.

Moliere met en opposition les mœurs corrompues de la société & la probité farouche du Misanthrope. Entre ces deux excès paroît la modération d'un homme du monde, qui a les mœurs douces, qui hait le vice & ne hait pas les hommes. Quel fonds de Philosophie ne faut-il pas, pour saisir ainsi le point fixe de la vertu ? C'est à cette précision qu'on reconnoît Moliere ; & c'est elle seule qui peut donner à la Comédie ce caractère de moralité qui la rend utile aux hommes.

Souvent un caractère n'est point assez fort pour fournir une action soutenue. Les habiles Peintres les ont groupés avec des caractères dominans, ou ils ont fait contraster plusieurs de ces petits caractères entr'eux.

Souvent ils en ont fait des Comédies en un Acte, telles que l'Esprit de contradiction, le Babillard, &c.

Les Comédies d'un Acte sont aussi anciennes que notre Théâtre. Ce n'étoit d'abord qu'une Chanson grossière, dont quelqu’Acteur enfariné venoit régaler le peuple après la représentation d'une Piéce sérieuse. Les Gros-Guillaume, les Jodelets, les Guillotgorjus y mêloient leurs bouffonneries ; & il se trouva des Auteurs plaisans, qui voulurent bien y mettre la main en les liant par une espéce d'action exprimée le plus souvent en petits vers, c'est ce qui s'appelloit la Farce. Voyez Farce. L'impression nous en a conservé quelques-unes.

Références :

Pièces :

Le Cardinal Bibiena, auteur à la Renaissance de comédies d’après le bon goût de l’Antiquité, comme Machiavel.

Calderon, la Maison à deux portes, comédie d’intrigue dont les événements ne sont pas prémédités par les personnages.

Corneille, le Menteur : la première véritable comédie en France.

Cratè(poète comique grec du IVe siècle av. J.-C), après Epicharme et Phormis, crée une comédie plus décente que les débauches bachiques.

Machiavel, auteur à la Renaissance de comédies d’après le bon goût de l’Antiquité, comme le cardinal Bibiena.

Ménandre, auteur de la Comédie nouvelle, fait de la comédie une peintures des mœurs générales. Il est l’inspirateur de Plaute et de Térence.

Molière, il surpasse tous auteurs anciens et modernes, et ses pièces renferment une poétique complète de la comédie.

Molière, Amphitryon : le modèle des comédies d’intrigue où les événements paraissent naître du hasard

Molière, l’Avare, chef-d'œuvre des comédies de caractère. Rappel de plusieurs de ses traits de génie.

Molière, le Bourgeois gentilhomme, acte 2, scène 5 : exagération de la naïveté du personnage, qui avoue payer les titres de noblesse que le garçon tailleur lui attribue.

Molière, le Misanthrope : mise en opposition des mœurs corrompues du siècle et de la probité farouche du personnage.

Molière, Tartuffe, le personnage n’est rendu odieux qu’à la fin, comme dernier coup de pinceau pour décrire son personnage.

Plaute, Térence : la comédie latine s’inspire de Ménandre et de la Comédie nouvelle des Grecs.

Plaute, les Ménechmes, ressemblant à Amphitryon, mais avec une intrigue encore plus compliquée.

Critique littéraire :

Boileau, Art poétique, chant 3, vers 59-60 : définition de la comédie d’intrigue.

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