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Moralités

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Moralités.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 263-266 :

Moralités. C'est ainsi qu'on appella d'abord les premières Comédies saintes qui furent jouées en France dans le quinzieme & seizieme siecle. Au nom de Moralités , succéda celui de Myftères de la Passion. Ces Pièces Farces étoient un mélange monstrueux d'impiétés & de simplicités, mais que ni les Auteurs ni les Spectateurs n'avoient l’esprit d'appercevoir. La Conception à Personnages (c'est le titre d'une des premières Moralités, jouée sur le Théâtre François, & imprimé in-4°. Gothique, à Paris, chez Allain Lotrian,) fait ainsi parler Joseph :

Mon soulcy ne se peut deffaire
De Marie, mon épouse sainte,
Que j'ai ainsi trouvée enceinte,
Ne scay s'il y a faute ou non,
.      .      .      .      .      .      .      .
De moi n'est la chofe venue ;
Sa promesse n'a pas tenue.
.      .      .      .      .      .      .      .
Elle a rompu son mariage,
Je suis bien inscible, incrédule,
Quand je regarde bien son faire,
De croire qu'il n'y ait messaire.
.      .      .      .      .      .      .      .
Elle est enceinte ; & d'où viendrait
Le fruict ? Il faut dire par droit
Qu'il y ait vice d'adultère,
Puisque je n'en suis pas le père.
.      .      .      .      .      .      .      .
Elle a été troys mois entiers
Hors d'icy, & au bout du tiers
Je l'ay toute grosse receue :
L'auroit quelque paillard déceue,
Ou de faict voulu efforcer ?
Ha ! brief, je ne fcay que penser.

Voilà de vrais blasphèmes en bon François ! Et Joseph alloit quitter son Epouse, si l'Ange Gabriel ne l'eût averti de n'en rien faire. Mais qui croiroit qu'un Jésuite Espagnol du dix-septiéme siecle, Jean Carthagena, mort à Naples en 1617, ait débité dans un Livre, intitulé Josephi Mysteria, que S. Josepb peut tenir rang parmi les Martyrs, à cause de la jalousie qui lui déchiroit le cœur, quand il s'apperçut de jour en jour de la grossesse de son Epouse ? Quelle porte n'ouvre-t- on pas aux railleries des Profanes, lorsqu'on ose faire des Martyrs de cette nature, & qu'on expose nos Mystères à des idées d'imagination si dépravées !

On donnoit aussi autrefois le nom de Moralités à des espéces de Ballets, ou Opéra. On en représenta un de cette espéce au Mariage du Prince Palatin du Rhin avec la Princesse d'Angleterre. En voici la description, telle que l'a faite un Auteur contemporain.

Un Orphée, jouant de sa lyre, entra sur le Théâtre, suivi d'un chien, d'un chat, d'un chameau, d'un ours, d'un mouton, & de plusieurs animaux sauvages, lesquels avoient délaissé leur pâture farouche & cruelle, & l'oyant chanter de sa lyre. Après vint Mercure, qui pria Orphée de continuer les doux airs de sa musique, l'assurant que non-seulement les bêtes farouches, mais les étoiles du ciel, danseroient au son de sa voix.

Orphée, pour contenter Mercure, recommença ses chansons. Aussi-tôt on voit que les étoiles du ciel commencèrent à se remuer, sauter, danser ; ce que Mercure regardant, & voyant Jupiter dans une nuë, il le supplia de vouloir transformer aucune de ces étoiles en des Chevaliers, qui eussent été renommés en amour par leur constante fidélité envers les Dames.

A l'instant on vit plusieurs Chevaliers dans le ciel, tous vêtus d'une couleur de flamme, tenant des lances noires, lesquels, ravis aussi de la musique d'Orphée, lui en rendirent une infinité de louanges.

Mercure alors supplia Jupiter de transformer aussi les autres étoiles en autant de Dames qui avoient aimé ces Chevaliers. Incontinent ces étoiles, changées en autant de Dames, furent vues vêtues de la même couleur que les Chevaliers.

Mercure, voyant que Jupiter avoir oüi ses prières, le supplia de permettre que toutes ces ames célestes de Chevaliers avec leurs Dames, descendissent en terre pour danser à ces noces royales.

Jupiter lui accorda encore cette requête ; & les Chevaliers & leurs Dames, descendant des nues sur le Théâtre au son de plusieurs instrumens, danserent divers Ballets; ce qui fut la fin de cette belle Moralité.

Le sujet d'une Moralité intitulée le Mirouer, & l'Exemple des Enfans ingrats, est singulier. Un pere & une mere, en mariant leur fils unique, lui abandonnent généralement tous leurs biens, sans se rien réserver. Ils tombent, bientôt après, dans une grande misere, & ont recours à ce fils, à qui ils ont tout donné ; mais celui-ci, pour n'être pas obligé de les secourir, feint de ne les pas connoître, & les fait chasser de sa maison. Peu de tems après, il se sent une grande envie de manger du pâté de venaison : il le fait faire ; on le lui apporte ; & il l'ouvre avec empressement : aussitôt il en sort un gros crapaud, qui lui saute au visage & s'y attache. Sa femme, ses domestiques, font de vains efforts pour l'en arracher : rien ne peut faire démordre cet animal. L'on soupçonne alors que ce pourroit bien être là une permission divine. On le mene chez le Curé, qui, instruit de sa conduite envers ses pere & mere, trouve le cas trop grave pour en connoître, & le renvoye à l'Evêque. Celui-ci, informé de l'excès de son ingratitude, juge qu'il n'y a que le Pape qui puisse l'absoudre, & lui conseille de l'aller trouver : il obéit. Dès qu'il est arrivé, il se confesse au Saint Pere, qui lui fait un beau Sermon, pour lui faire sentir toute l'énormité de son crime ; & voyant la sincérité de son repentir, il lui donne l'absolution. A l'instant le crapaud tombe du visage de ce jeune homme, qui, suivant l'ordre du Pape, vient se jetter aux pieds de son pere & de sa mere pour leur demander pardon, & il l'obtient.

Référence :

Mystère de la Conception de la glorieuse Vierge Marie, publié chez Alain Lotrian, présenté comme une Conception à personnages : c’est de là qu’est extrait la tirade de Joseph.

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