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Opéra

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Opéra.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 327-332 :

OPERA. Drame dont l'action se chante & réunit le pathétique de la Tragédie & le merveilleux de l’Epopée. Le pathétique, que l'Opéra imite de la Tragédie, consiste dans les sentimens, les situations touchantes, le nœud, les incidens frappans, l'intérêt, le dénouement. Le merveilleux qu'il imite de l’Epopée, consiste à réaliser aux yeux tout ce qu’elle ne fait que peindre à l'imagination. S'il y est question d'une Divinité du Ciel, de l'Enfer, d'un naufrage, des êtres même moraux & inanimés, il les représente au naturel par la magie des décorations. Le caractère de l’Epopée est de transporter la Scène de la Tragédie dans l'imagination du Lecteur. Là, profitant de l'étendue de son Théâtre, elle aggrandit & varie ses tableaux, se répand dans la fiction, & manie à son gré tous les ressorts du merveilleux. Dans l'Opéra, la Muse Tragique à son tour, jalouse des avantages que la Muse Epique a sur elle, essaye de marcher son égale, ou plutôt de la surpasser, en réalisant, du moins pour les sens, ce que l'autre ne peint qu'en idée. Pour bien concevoir ces deux révolutions, supposé qu'on eût vu sur le Théâtre une Reine de Phénicie, qui, par ses grâces & sa beauté, eût attendri, intéressé pour elle les Chefs les plus; vaillans de l'armée de Godefroi, en eût même attiré quelques-uns dans sa Cour, y eût donné asyle au fier Renaud dans sa disgrace, l'eût aimé, eût tout fait pour lui, & l'eût vu s'arracher aux plaisirs, pour suivre les pas de la gloire ; voilà le sujet d’Armide en Tragédie. Le Poète Epique s'en empare ; & au lieu d'une Reine tout naturellement belle, sensible, il en fait une enchanteresse ; dès-lors, dans une action simple, tout devient magique & surnaturel. Dans Armide, le don de plaire est un prestige ; dans Renaud, l'amour est un enchantement : les plaisirs qui les environnent, les lieux même qu'ils habitent, ce qu'on y voit, ce qu'on y entend, la volupté qu'on y respire, tout n'est qu'illusion ; & c'est le plus charmant des songes. Telle est Armide embellie des mains de la Muse Héroïque. La Muse du Théâtre la reclame & la reproduit sur la Scène, avec toute la pompe du merveilleux. Elle demande, pour varier & pour embellir ce brillant Spectacle, les mêmes licences que la Muse Epique s'est données, & appellant à son secours la Musique, la Danse, la Peinture, elle nous fait voir, par une magie nouvelle, les prodiges que sa rivale ne nous a fait qu'imaginer. Voilà Armide sur le Théâtre Lyrique ; & voilà l'idée qu'on peut se former d'un Spectacle qui réunit le prestige de tous les Arts :

Où les beaux Vers, la Danse, la Musique,
L'art de tromper les yeux par les couleurs,
L'art plus heureux de séduire les cœurs,
De cent plaisirs font un plaisir unique. Voltaire.

Dans ce componé , tout est mensonge ; mais tout est d'accord ; & cet accord en fait la vérité ; la Musique y fait le charme du merveilleux ; le merveilleux y fait la vraisemblance de la Musique : on est dans un monde nouveau : c'est la nature dans l'enchantement, & visiblement animée par une foule d'intelligences, dont les volontés sont ses loix.

Une intrigue nette & facile à nouer & à dénouer ; des caractères simples ; des incidens qui naissent d'eux-mêmes ; des tableaux sans cesse variés par le moyen du clair obscur, des passions douces, quelquefois violentes, mais dont l'accès est passager ; un intérêt vif & touchant, mais qui par intervalles, laisse respirer l'ame : voilà les sujets que chérit la Poësie Lyrique, & dont Quinault a fait un si beau choix. La partition qu'il a préférée, est de toutes la plus féconde en images & en sentimens ; celle où se succedent avec le plus de naturel, toutes les nuances de la Poësie, & qui réunit le plus de tableaux rians & sombres tour-à-tour. Les sujets de Quinault sont sîmples, faciles à exposer, noués & dénoués sans peine. Voyez celui de Roland : ce Héros a tout quitté pour Angélique ; Angélique le trahit & l'abandonne pour Médor. Voilà l'intrigue de son Poëme : un anneau magique en fait le merveilleux ; une fête de Village en amene le dénouement. Il n'y a pas dix Vers qui ne soient en sentimens ou en images. Le sujet d'Armide est encore plus simple.

L'Opéra peut embrasser des sujets de trois genres différens ; du genre Tragique, du genre Comique & du genre Pastoral. Nous allons faire, d'après le Spectacle des Beaux-Arts, quelques observations sur chacun de ces genres.

Le Poëte qui fait une Tragédie Lyrique, s'attache plus à faire illusion aux sens qu'à l'esprit ; il cherche plutôt à produire un spectacle enchanteur, qu'une action où la vraisemblance soit exactement observée. Il s'affranchit des loix rigoureuses de la Tragédie ; & s'il a quelque égard à l'unité d'intérêt & d'action, il viole sans scrupule les unités de tems & de lieu, les sacrifiant aux charmes de la variété & du merveilleux. Ses Héros sont plus grands que nature ; ce sont des Dieux, ou des hommes en commerce avec eux, & qui participent de leur puissance .Ils franchissent les barrières de l'Olympe ; ils pénètrent les abîmes de l'Enfer. A leur voix, la Nature s'ébranle, les Elémens obéissent, l'Univers leur est soumis. Le Poète tend à retracer des sujets vastes & sublimes ; le Musicien se joint à lui pour les rendre encore plus sublimes. L'un & l'autre réunifient les efforts de leur art & de leur génie pour enlever & enchanter le Spectateur étonné, poux le transporter tantôt dans les Palais Enchantés d'Armide, tantôt dans l'Olympe, tantôt dans les Enfers, ou parmi les Ombres fortunées de l'Elysée. Mais quelque effet que produisent sur les sens l'appareil pompeux, & la diversité des décorations, le Poète doit encore plus s'attacher à produire, dans les Spectateurs, l'intérêt du sentiment. Voyez au mot Poëme Lyrique, tout ce que doivent observer à cet égard le Poëte & le Musicien.

Les Sujets Tragiques ne sont pas les seuls qui soient du ressort du Théâtre Lyrique : il peut s'approprier aussi le genre Comique ; c'est-à-dire, les Piéces-de caractère, d'intrigue, de sentiment. Le Comique de caractère peut être d'une ressource infinie pour ce Théâtre. Il fourniroit au Poëte & au Musicien un moyen de sortir de la Monotonie éternelle d’expressions miellées, de sentimens doucereux, qui caractérisent nos Opéras Lyriques. Cependant ce genre est entièrement négligé à notre grand Opéra. On l'a abandonné au Théâtre des Italiens, avec les Piéces d'intrigue & de sentiment. Voyez ci-après Opera-Comique.

Le génie Pastoral trouve aussi sa place au Théâtre Lyrique. Plusieurs de nos Poëtes s'y sont exercés avec succès. Les sujets champêtres font plaisir par les tableaux naïfs qu'ils nous présentent, & sont très-susceptibles d'une Musique gracieuse, par les images riantes dont ils sont ornés. L’amour Pastoral a une candeur, une aménité, un charme ravissant. Il rappelle l'âge d'or, où le goût seul faisoit le choix des Amans, & le sentiment leurs liens & leurs délices. C'est, parmi nos Bergers, que l'Amour est vraiment un enfant, simple comme la Nature qui le produit ; il plaît sans fard & sans déguisement ; il blesse sans cruauté ; il attache sans violence. De telles peintures demandent une Musique naïve, des airs simples, un chant uni, une symphonie douce & tendre. Mais ce genre semble épuisé parmi nous, & n'avoir plus rien que de fade & de monotone.

Réérences :

Pièces :

Quinault, Armide (1686, musique de Lully) : la pièce de Quinault est utilisée pour distinguer la muse tragique de la muse héroïque. L’intrigue de cet opéra est de plus d’une grande simplicité. A travers l’opéra, on peut visiter toute sorte de lieux, dont les palais enchantés d’Armide (pas d’unité de lieu).

Quinault, Roland (1685, musique de Lully) : c’est la simplicité de l’intrigue qui est mise en valeur.

Critique littéraire :

Lacombe (Jacques, 1724-1811), le Spectacle des beaux arts ou Considérations touchant leur nature, leurs objets, leurs effets & leurs règles principales (1758), deuxième partie, « Des beaux arts considérés en particulier », chapitre 13, « de l’opera » définit les trois genres de l’opéra, tragique, comique et pastoral.

Voltaire, le Mondain, vers 95-98 : résumé des charmes d’un spectacle total, l’opéra.

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