Opéra Comique

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Opera-Comique.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 337-345 :

OPERA-COMIQUE. Ce Spectacle étoit ouvert durant les Foires de S Laurent & de S. Germain. On peut fixer l'époque de l'Opera-Comique en 1678 ; c'est en effet cette année, que la Troupe d'Alard & de Maurice firent représenter un Divertissement Comique en trois intermedes, intitulés les Forces de l’Amour & de la Magie. C’étoit un composé bisarre de plaisanteries grossieres, de mauvais Dialogues, de Sauts périlleux, de Machines & de Danses. Ce ne fut qu'en 1715, que les Comédiens Forains, ayant traité avec les Syndics & Directeurs de l'Académie Royale de Musique, donnèrent à leur Spectacle le titre d'Opera-Comique. Les Pièces ordinaires étoient des Suiets amusans mis en Vaudevilles, mêlés de Prose & acompagnés de Danses & de Ballets ; on y représentoit aussi les Parodies des Pièces qu'on jouoit sur les Théârres de la Comédie Françoise & de l'Académie Royale de Musique. M. le Sage est un des Auteurs qui a fourni un plus grand nombre de jolies Pièces à l'Opera-Comique ; & l'on peut dire, en un sens, qu'il fut le fondateur de ce Spectacle par le concours du monde qu'il y attiroit. Cependant les Comédiens François, voyant, avec déplaisir, que le Public abandonnoit souvent leur Théâtre, pour courir à celui de la Foire, firent entendre leurs plaintes & valoir leurs privilèges : ils obtinrent que les Comédiens Forains ne pourroient faire des représentations ordinaires. Ceux ci ayant donc été réduits à ne pouvoir parler, eurent recours à l'usage des cartons sur lesquels on imprimoit en prose ce que le jeu des Acteurs ne pouvoit rendre. A cet expédient, on en substitua un meilleur; ce fut d'écrire des couplets sur des airs connus, que l'Orchestre jouoit, que des gens gagés, répandus parmi les Spectateurs, chantoient, & que le Public accompagnoit souvent en chorus ; ce qui donnoit au Spectacle une gaieté qui en fit long-tems le mérite. Enfin l’Opera-Comique, à la sollicitation des Comédiens François, fut tout-à-fait supprimé. Les Comédiens Italiens, qui, depuis leur retour à Paris en 1716, faisoient une recette médiocre, imaginèrent en 17é1 de quitter, pour quelque tems, leur Théâtre de l'Hôtel dé Bourgogne, & d'en ouvrir un nouveau à la Foire : ils y jouèrent, trois années consécutives, pendant la Foire seulement. La Fortune ne les favorisa point dans ce nouvel établissement : ils l'abandonnèrent. On vit encore reparoître l'Opéra-Comique en 1724 ; mais en 1745 ce Spectacle fut entièrement aboli. L'on ne jouoit plus à la Foire que des Scènes muettes & des Pantomimes. Enfin le sieur Monet obtint la permission de rétablit ce Théâtre à la Foire S. Germain en 1752 ; & les soins qu'il se donna ont amené, peu à peu, ce Spectacle au point où il est aujourd'hui.

Le mérite des petits Poèmes Dramatiques qu'on joue sur le Théâtre de l'Opera-Comique, consiste moins dans la régularité & dans la conduite du plan, que dans le choix d'un sujet qui produife des Scènes saillantes, des représentations badines & des Vaudevilles d'une Satyre fine & délicate, avec des airs gais & amusans.

Les morceaux susceptibles de chant y sont mis en Ariettes & chantés. Les autres y sont ordinairement en prose & déclamés. Ce Spectacle semble s'attacher principalement à la représentation fidèle des mœurs naïves & simples des Artisans & des Villageois, au moyen d'une petite intrigue d'amour ou autre. Telles font les Piéces du Maréchal, du Bûcheron, des Chasseurs & de la Laitiere, &c ; ce qui n'empêche pas qu'il ne puisse embrasser d'autres sujets plus relevés ; car il n'en exclut aucun à la rigueur.

L'Opera-Comique est un Drame d'un genre mixte, qui tient delà Comédie par le fond, & qui s'approche de l'Opéra par la forme. Il y en a deux espéces ; savoir, l'Opéra-Comique en Vaudevilles, production légère de la gaieté de notre Nation ; & les Pièces à Ariettes, dont l'invention est due aux Italiens. Comme les principales régles que l'on doit observer pour la composition de ces sortes d'Ouvrages sont générales, & regardent toutes les Pièces de Théâtre, je ne parlerai que des régles qui leur sont particulières ; & je commencerai par l'Opéra-Comique en Vaudevilles.

La Satyre des mœurs, des usages ridicules & des modes extravagantes, la parodie, la critique des Ouvrages, les événemens du jour, les intrigues populaires & bourgeoises, l'allégorie, le merveilleux, la Pastorale ; enfin, excepté la Tragédie & le Comique larmoyant, tous les sujets peuvent être de son ressort. Quel que soit celui qu'on adopte, il doit être simple, afin que l'exposition s'en fasse nettement, & avec précision : une longue exposition en Vaudevilles ne serait pas supportable ; la marche doit être rapide, & les Scènes courtes ; parce que le chant en prolonge la durée : il y a des Scènes qui demandent à être filées ; l'art consiste à leur donner l'extension qui leur convient, sans sortir des bornes qu'on s'est prescrites. On a senti qu'il étoit nécessaire d'employer le secours de la Prose pour les liaisons & les transitions. C'est encore un avantage pour le Dialogue : il y a des choses communes qui n'auroient aucune grace dans un couplet. Un des principaux agrémens de l'Opera-Comique, est un heureux choix d'airs propres à caractériser exactement tout ce qu'on veut exprimer. Cette recherche est pénible, mais indispensable ; ia fabrique du couplet exige encore plus de soin. Tout couplet est mauvais, lorsqu'il ne renferme pas une pensée ; lorsque le tour en est contraint & maniéré ; qu'il y a des rimes négligées, des vers inutiles, & des mots parasites. Il faut encore que la coupe soit régulière, que la ponctuation des paroles suive toujours la ponctuation de la phrase musicale ; que tous les mots soient arrangés selon le mouvement de 1’air ; qu'il n'y ait point d'enjambement, sur-tout au-delà des repos.

Les quatrains ont un repos marqué au deuxieme vers ; les sixains ordinairement au troisieme, quelquefois au second ou au quatrieme ; ce qui suffit pour juger des autres couplets : ceux qui ne sont pas assujettis à un rithme régulier, n'en ont pas moins un repos sensible, qui n'échappe jamais aux oreilles délicates.

Si on recommande aux Versificateurs d'observer exactement les régles de la Prosodie, cette exactitude est beaucoup plus nécessaire au Chansonnier. Lorsque ces régles sont variées, & que l'on met une syllabe longue sur une note brève, ou un accent grave sur un son foible & mourant, l'Acteur qui chante ne peut, malgré les efforts de sa prononciation, faire entendre les paroles à une certaine distance. D'ailleurs, ce n'est plus du François, mais une Langue étrangère & barbare. Voici une régle sûre qui peut servir à ceux qui n'ont pas les connoissances suffisantes pour saisir la dissonance des sons & des mots. Dans une mesure à deux ou à quatre tems, la note qui suit la barre est toujours longue, la seconde brève, la troisizme longue, la quatrieme brève. Dans une mesure à trois tems, la premiere est longue; les deux autres sont brèves pour l'ordinaire. Il arrive pourtant assez souvent que l'on appuie sur une note, qui doit être foible ; c'est qu'alors elle est précédée par une note de double valeur. Il faut observer néamoins que ces régles ne doivent peint ôter la liberté & l'aisance du couplet ; la gêne se supporte encore moins que le manquement à la régle. Les Vaudevilles de M. Panard peuvent servir d'exemple ; & les airs parodiés par Vadé sont encore des modèles à suivre.

Ceux qui se sont le plus distingués dans ce genre de travail, on toujours observé que la plûpart des couplets, quoiqu'essentiellement attachés au fond de la Pièce, pussent néanmoins s'en détacher, & se chanter dans les sociétés. On doit donc regarder ce Spectacle comme un parterre de différentes fleurs, qui peuvent se cueillir chacune ééparément, & dont la réunion néanmoins forme un tout agréable.

Nous avons dit qu'il étoit une autre espéce d'Opera-Comique, appellée Pièces à Ariettes. Elle consistoit d'abord à parodier des airs Italiens, en y appliquant des paroles Françoises. Ce travail est encore plus pénible que le précédent, par la difficulté de saisir l'esprit de la Musique dans chaque Ariette, dont le trait principal & caractéristique se trouve moins souvent dans le chant que dans l'accompagnement. Nous en avons un exemple dans la Servante Maîtresse, où le Poëte s'est tellement assujetti à la Musique, qu'on la croiroit faite pour les paroles. Mais, pour réussir parfaitement dans ce travail, il faut reunir la qualité de Poëte à celle de Musicien, & s'être également exercé dans les deux Arts. On a reproché à la Servante Maîtresse la fréquente répétition des mêmes mots, qui souvent ne présentent aucune idée, Les Italiens, qui ne font attention qu'à la Musique, ne sont point choqués de ce retour des mêmes paroles : pour nous qui aimons la variété, & dont l'esprit veut être occupé, tandis que l'oreille est amusée agréablement, nous sommes blessés de toutes ces répétitions vuides de sens. Dans les Pièces qui ont suivi, on a substitué à ces retours fréquens & désagréables, différentes pensées qui rendent la Scène plus piquante. Le succès de ces sortes d'Ouvrages ont introduit insensiblement l'espéce d'Opera Comique qui règne aujourd'hui. On entrevit dès-lors ce qui est arrivé effectivement, que la Musique pouvoit en être le principal objets & MM. D'Auvergne, Duni, Philidor, Monsigni & Grétry, ont enfin fixé ce genre par l'excellente Musique dont ils l'ont enrichi : il s'agit de fournir au Musicien un Poëme qui lui soit convenable, & prête à son génie l'occasion de faire des tableaux qui ne nuisent ni à la chaleur de l'action, ni à l'intrigue, qu'on ne doit jamais perdre de vue ; & c'est-là principalement le mérite de M. Sedaine. Le Musicien doit observer de ne point refroidir le mouvement de la Scène par des annonces d'Ariettes ou des Ritournelles. Quelque brillantes qu'elles puissent être, elles sont toujours déplacées, lorsqu'elles ne sont point nécessaires. Quoi de plus ridicule, par exemple, que de voir un Acteur transporté de la passîon la plus violente, s'arrêter tout à- coup pour entendre froidement une symphonie qui prépare un morceau de Musique, & compter ses mesures pour reprendre sa première agitation ! Il faut donc que le Musicien ait encore plus d'égard à l'Acteur qui écoute, qu'à celui qui chante- Dans un Monologue, il est permis de préparer les Ariettes par la symphonie, & de les finir de même.

Pour bien couper une Ariette, il faut, autant qu'il est possible, l’assujettir à un rithme ; ensorte que la première partie soit égale à la seconde. Ce n'est cependant pas une régle absolue ; & c'est le goût & l'oreille que l'on doit consulter. Les exemples instruiront mieux que les préceptes.

Ce qu'on doit observer encore, c'est de proportionner le Dialogue aux Ariettes, de manière qu'il n'occupe pas la Scène plus long-tems que la Musique: comme il ne faut pas non-plus que la Musique absorbe entièrement le Dialogue. On doit étendre l'un & l'autre, autant que le sujet & la marche de la Pièce peuvent le permettre. Les Vers qui forment le Dialogue étant plus analogues aux Ariettes, il semble qu'on devroit les préférer dans les Ouvrages de ce genre ; mais on a senti que la Prose, comme plus rapide, donne plus de mouvement & de chaleur à l'action.

Dans les Duo, Trio, Quatuor, &c, dont les paroles sont contrastées , le Poëte & le Musicien doivent tellement disposer les mots & la Musique, que chaque Personnage soit entendu distinctement; & que toutes les voix, réunies, ne forment ni un bruit étourdissant, ni une confusion désagréable.

Références :

Anseaume (Louis, 1721-1784)), les Deux Chasseurs et la Laitière (1763, musique d’Egidio Duni, 1709-1775), opéra comique en un acte mêlé d’ariettes.

Guichard (Jean-François, 1731-1811) et Castet (Nicolas, ?-1806), le Bûcheron ou les trois souhaits (1763, musique de François-André Dunican Philidor), opéra comique en un acte.

Quétant (Antoine-François, 1733-1823), le Maréchal ferrant (1761, musique de François-André Danican Philidor, 1726-1795), opéra comique en deux actes.

Vondrebeck (Maurice, 1649-1699) et Alard (Charles, 16??-1711)), les Forces de l’Amour & de la Magie (1678, divertissement comique en trois intermèdes) : la plus ancienne pièce du Théâtre de la Foire dont on ait conservé le texte.

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