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Pantomime

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Pantomime.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 367-372 :

PANTOMIME. On appelloit Pantomi[m]e, chez les Romains, des Acteurs qui, par des mouvemens, des signes, des gestes, & sans s'aider de discours, exprimoient des passions, des caractères & des événemens. Le nom de Pantomime, qui signifie imitateur de toutes choses, fut donne à cette espèce de Comédiens, qui jouoient toutes sortes de Piéces de Théâtre sans rien prononcer ; mais en imitant & expliquant toutes sortes de sujets avec leurs gestes, soit naturels, soit d'institution. On peut bien croire que les Pantomimes se servoient des uns & des autres, & qu'ils n'avoient pas encore trop de moyens pour se faire entendre. En efïèt , plusieurs gestes d'institution étant de signification arbitraire, il falloit être habitué au Théâtre pour ne rien perdre de ce qu'ils vouloient dire. Ceux qui n'étoient pas initiés aux mystères de ces Spectacles, avoient besoin d'un Maître qui leur en donnât l'explication ; l’usage apprenoit aux autres à deviner insensiblement ce langage muet. Les Pantomimes vinrent à bout de donner à entendre par le geste , non- seulement les mots pris dans le sens propre, mais même les mots pris dans le sens figuré ; leur jeu muet rendoit des Poèmes en entier, à la différence des Mimes, qui n'étoient que des bouffons inconséquens. Je n'entreprendrai point de fixer l'origine des Pantomimes. Zozime, Suidas, & plusieurs autres la rapportent au tems d'Auguste, peut-être par la raison que les deux plus fameux Pantomimes, Pylade & Bathylle, parurent sous le règne de ce Prince, qui aimoit passionnément ce genre de Spectacle. Je n'ignore pas que les Danses des Grecs avoienr des mouvemens excessifs; mais les Romains furent les premiers qui rendirent, par de seuls gestes, le sens d'une fable régulière d'une certaine étendue. Le Mime ne s'étoit jamais fait accompagner que d'une flûte ; Pylade y ajouta plusieurs instrumens, même des voix & des chants, & rendit ainsi les fables régulières. Au bruit d'un Chœur, composé de musique vocale & instrumentale, il exprimoit avec vérité le sens de toutes sortes de Poèmes. Il excelloit dans la Danse tragique, s'occupoit même de la comique & de la satyrique , & se distingua dans tous les genres. Bathylle, son éleve & son rival, n'eut sur Pylade que la prééminence dans les Danses comiques. L'émulation étoit si grande entre ces deux Acteurs, qu'Auguste, à qui elle donnoit de l'embarras, crut qu'il devoit en parlera Pylade, &; l'exhorter à bien vivre avec son concurrent, que Mécénas protégeoit : Pylade se contenta de lui répondre, « que ce qui pouvoit arriver de mieux à l'Empereur, c'etoit que le peuple s'occupât de Bathylle & de Pylade. » On croit bien qu'Auguste ne trouva point à propos de répliquer à cette réponse. En effet , tel étoit alors le goût des plaisirs, que lui seul pouvoit faire perdre aux Romains cette idée de liberté si chère à leurs ancêtres.

Nous avons nommé, pour les deux premiers instituteurs de l'art des Pantomimes, Pylade & Bathylle sous l'Empire d'Auguste : ils ont rendu leurs noms aussi célèbres dans l'Histoire Romaine, que le peut être dans l'Histoire Moderne le nom du Fondateur de quelque établissement que ce soit. Pylade, ai-je dit, excelloit dans les Sujets Tragiques, & Bathylle dans les Sujets Comiques. Ce qui paroîtra surprenant, c'est que ces Comédiens, qui entreprenoient de représenter des Pièces sans parler, ne pouvoient pas s'aider du mouvement du visage dans leur déclamation : ils jouoient masqués, ainsi que les autres Comédiens : la seule différence étoit, que leurs masques n'avoient pas une bouche béante, comme les masques des Comédiens ordinaires, & qu'ils étoient beaucoup plus agréables. Macrobe raconte que Pylade se fâcha, un jour qu'il jouoit le rôle d'Hercule furieux, de ce que les Spectateurs trouvoient à redire à son geste trop outré, suivant leurs sentimens. Il leur cria donc, après avoir ôté son masque : « Foux que vous êtes, je représente un plus grand fou que vous. »

Après la mort d' Auguste, l'art des Pantomimes reçut de nouvelles perfections. Sous l'Empereur Néron il y en eut un qui dansa, sans musique instrumentale ni vocale, les amours de Mars & de : Vénus. D'abord un seul Pantomime représentoit plusieurs Personnages dans une même Pièce ; mais on vit bientôt des Troupes complettes, qui exécutoient également toutes sortes de Sujets Tragiques & Comiques. Comme ils n'avoient que des gestes à faire, on conçoit aisément que toutes leurs actions étoient vives & animées ; aussi Cassiodore les appelle des hommes dont les mains disertes avoient, pour ainsi dire, une langue au bout de chaque doigt. Ces sortes de Comédiens fasoient des impressions prodigieuses sur les Spectateurs. Séneque le père, qui exerçoit une profession des plus graves, confesse que son goût pour les représentations des Pantomimes, étoit une véritable passion. Lucien, qui se déclare aussi zélé partisan de l'art des Pantomimes, dit qu'on pleuroit à leur représentation comme à celle des autres Comédiens.

Cependant on a vu en Anglererre, & sur le Théâtre de l’Opera-Comique à Paris, quelques-uns de ces Comédiens jouer des Scènes muettes, que tout le monde entendoit. Je sais bien que Roger & ses Confrères ne devoient pas entrer en comparaison avec les Pantomimes de Rome ; mais le Théâtre de Londres ne possède-t-il pas à présent un Pantomime qu'on pourroit opposer à Pylade & à Bathylle ? Le fameux Garrick est un Acteur d'autant plus merveilleux, qu'il exécute également toutes sortes de Sujets tragiques & comiques. Nous savons aussi que les Chinois ont des espéces de Pantomimes qui jouent chez eux sans parler ; les danses des Persans ne sont elles pas des Pantomimes ? Enfin il est certain que leur art charma les Romains dans sa naissance ; qu’il passa bientôt dans les Provinces de l’Empire éloignées de la Capitale, & qu’il subsista aussi Iong-tems, que l'Empire même. Dès les premieres années du Règne de Tibère, le Sénat fut obligé de faire un Règlement pour défendre aux Sénateurs de fréquenter les Ecoles des Pantomimes, & aux Chevaliers Romains de leur faire cortège en public : ne domos Pantomimorum Senator introiret. ne egredientes in publicum Equites Romani inngerent. Ce Décret prouve assez, que les professions chéries dans les pays de luxe, sont bientôt honorées, & que le préjugé ne tient pas contre le plaisir. Cependant les Ecoles de Pylade & de Bathylle subisterenr toujours, coduites par leurs Eleves, dont la succession ne fut point interrompue. Rome étoit plein de Professeurs qui enseignoient cet art à une foule de disciples, & qui trouvoient des Théâtres dans toutes les maisons. Non-seulement les femmes les recherchoient pour leurs jeux, mais encore par des motifs d'une passion effrénée : illis fæminæ, simulque viri, animas & corpora, substituunt, dit Tertullien. Il est vrai que les Pantomimes furent chassés de Rome sous Tibère, sous Néron, & sous quelques autres Empereurs ; mais leur exil ne durott pas long-tems : la politique qui les avoit chasssés, les rappelloit bientôt pour plaire au peuple, ou pour faire diversion à des factions plus à craindre pour l'Empire. Domitien les ayant chassés, Néron les fit revenir ; & Trajan les chassa encore. Il est aisé de juger que le peuple, fatigué de des propres désordres, demandoit l’expulsion des Pantomimes ; mais il demandait bientôt leur rappel avec plus d’ardeur. Il est aisé de juger que l’ardeur des Romains pour les jeux des Pantomimes, dut leur faire négliger la bonne Comédie. En effet, on vit depuis le vrai genre Dramatique décheoir insensiblement ; & bientôt il fut presque absolument oublié. On négligea les expressions de l'organe de la voix, pour ne s’appliquer qu’à celles que pouvoient rendre les mouvemens & les gestes du corps. Ces expressions, qui ne pouvoient admettre toutes les nuances de celles des sens, & avec lesquelles ont n’eût jamais inventé les sciences spéculatives, firent, sous les Empereurs, une partie de l'éducation de la jeunesse romaine. Les personnes les plus respectables leur rendoient des visites de devoir, & les accompagnoient par-tout. L'Empereur Antonin s’étant apperçu que les Pantomimes étaient cause qu'on négligeoit le Commerce, l'Eloquence & la Philosophie, voulut réduire leurs jeux à des jours marqués; mais le peuple murmura ; & il fallut lui rendre en entier ses amusemens, malgré toute l'indécence qui marchoit à leur suite. Rome étoit trop riche, trop puissante, & trop plongée dans la mollesse, pour redevenir vertueuse ; l'art des Pantomimes, qui s'étoit introduit si brillamment sous Auguste, & qui fut une des causes de la corruption des mœurs, ne finit qu'avec la destruction de l'Empire. Je me suis gardé de tout dire sur cette matiere ; je n'en ai pris que la fleur : mais ceux qui seront curieux de plus grands détails, peuvent lire Plutarque, Lucien, les Mémoires de Littératures, l'Abbé du Bos, & le Traité plein d'érudition de Caliacchi.

Références :

L’article (qui n’est sans doute pas très original) traite essentiellement de la pantomime antique et utilise un très grand nombre de références érudites, anciennes comme modernes. Pour l’époque moderne, les références servent à montrer la persistance de la pantomime, en Angleterre (avec Garrick, un pantomime très célèbre), ou en France, mais aussi en Chine et en Perse. Parmi les références modernes, on relève l’abbé du Bos (1670-1742), auteur de Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture parues à partir de 1719 et souvent rééditées, et Caliacchi, auteur en 1714 d’un De ludis scenicis.

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