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Reconnaissance

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Reconnoissance.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 14-16 :

RECONNOISSANCE. La reconnoissance, comme son nom même le témoigne, est un changement qui, faisant passer de l'ignorance à la connoissance, produit ou la haine ou l'amitié dans ceux que le Poëte a dessein de rendre heureux ou malheureux. La reconnoissance est simple ou double. Elle est simple, lorsqu'une personne est reconnue par une autre, qu'elle connoît. Elle est double, quand deux personnes, qui ne se connoissent ni l'une ni l'autre, viennent à se reconnoître.

Il y a deux sortes de reconnoissances. La premiere , qui est la plus simple & sans aucun art, & dont les Poëtes sans génie se servent, c'est celle qui se fait par les marques extérieures ; & ces marques sont naturelles ou factices. Naturelles, lorsque ce sont des signes imprimés par la nature, comme la lance, empreinte sur le corps des Thébains, qui étoient nés de la terre. Factices, comme des lettres, des portraits, des bracelets, des exclamations, des paroles qui rappellent des souvenirs.

La seconde espéce de reconnoissance, est celle qui est imaginée par le Poëte. C'est ainsi que dans l'Iphigénie d'Euripide, Oreste ayant reconnu sa sœur, par le moyen d'une lettre, est reconnu d'elle, à son tour, à certaines enseignes qu'il lui donne. Cette reconnoissance est double.

La troisieme, est celle qui se fait par la mémoire, lorsqu'un objet réveille en nous quelque souvenir qui produit la reconnoissance. Comme chez Alcinoüs, Ulysse entendant un joueur de Harpe, & se souvenant de ses travaux passés, ne put retenir ses larmes, & fut reconnu.

La quatrieme est produite par le raisonnement, lorsque, dans le Dialogue, il échappe des paroles qui nous décélent. Oreste, prêt à être immolé par sa sœur Iphigénie, devenue Prêtresse de Diane, à laquelle Oreste la croyoit sacrifiée elle-même, s'écrie : Ce n'est donc pas assez que ma sœur ait été immolée à Diane, il faut que le frere le soit aussi. Cette réflexion de raisonnement, produit la reconnoissance.

Les plus belles de toutes les reconnoissances, sont celles qui naissent des incidens mêmes, par des moyens vraisemblables, & sans le secours des signes naturels ou inventés. Ce sont celles qui produisent les surprises les plus touchantes.

Entre les situations, celles qui peuvent réussir à moins de nouveauté & même de mérite, de la part de l'Auteur, ce sont les reconnoissances ; je n'entends pas les reconnoissances de simple vue, qui n'ont qu'un moment, & qui retombent aussitôt dans le cours des Scènes ordinaires ; celles-là sont dangereuses, parce que, la premiere surprise ne se soutenant pas, on passe trop vîte d'un grand mouvement à un moindre, qui, dès-là, est languissant : j'entends les reconnoissances d'éclaircissement, où deux personnes cheres, qui ne se sont point encore vues, ou qui, séparées depuis long-tems, se croyent mortes, ou du moins fort éloignées l'une de l'autre, s'émeuvent peu-à-peu par les questions qu'elles se font, & les détails qu'elles se racontent; & viennent enfin sur une circonstance décisive, à se reconnoître tout-à-coup. Ah ! ma mere ! ah ! mon fils ! ah ! mon frere ! ah ! ma sœur ! Ces exclamations seules sont presque sûres de nos larmes ; &, sans l'embarrasser si la reconnoissance ressemble à d'autres, ni même si elle est filée avec assez de justesse, on se laisse entraîner à l'émotion des personnages : car, plus ils sont émus, moins ils laissent de liberté pour réfléchir s'ils ont raison de l'être.

Références :

Euripide, Iphigénie en Tauride : Oreste reconnaît sa sœur par une lettre et est reconnu par elle par des renseignements qu’il lui donne (on a donc une double reconnaissance qu’Aristote utilise dans la Poétique, chapitre 17).

Homère, Odyssée : Ulysse est reconnu chez Alcinoüs parce que le récit du joueur de harpe l’a ému.

La reconnaissance double d’Oreste et d’Iphigénie (Euripide, Iphigénie en Tauride) est utilisée par Aristote, Poétique, chapitre 17.

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