Style

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Style.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 188-191 :

STYLE ; c'est, en général, la maniere dont on exprime, par les paroles, ses sentimens & ses idées. Le Style Dramatique a pour régle générale de devoir être toujours conforme à l'état de celui qui parle. Un Roi, un simple Particulier, un Commerçant, un Laboureur, ne doivent point parler du même ton ; mais ce n'est pas assez. Ces mêmes hommes sont dans la joie ou dans la douleur, dans l'espérance ou dans la crainte ; cet état actuel doit donner une seconde conformation à leur style, laquelle sera fondée sur la premierę, comme cet état actuel est fondé sur l'habituel; & c'est ce qu'on appelle la condition de la personne. Pour ce qui regarde la Comédie, c'est assez de dire que son style doit être simple, clair, familier ; cependant, jamais bas ni rempant. Je sais bien que la Comédie doit élever quelquefois son ton ; mais dans ses plus grandes hardiesses, elle ne s'oublie point : elle est toujours ce qu'elle doit être. Si elle alloit jusqu'au Tragique, elle seroit hors de ses limites : son style demande encore d'être assaisonné de pensées fines, délicates, & d'expressions plus vives qu'éclatantes.

Il est important de faire ici quelques réflexions sur le style de la Tragédie. On a accusé Corneille de se méprendre un peu à cette pompe de vers, & à cette prédilection qu'il témoigne pour le style de Lucain : il faut que cette pompe n'aille jamais jusqu'à l'enflure & à l'éxagération ; on n'estime point dans Lucain, bella per emathios plusquàm civilia campos ; on estime nil actum reputans, si quid superesset agendum. De même les connoisseurs ont toujours condamné, dans Pompée, les fleuves, rendus rapides par le débordement des parricides, & tout ce qui est dans ce goût ; mais ils ont admiré :

O Ciel ! que de vertus vous me faites haïr !

Reste d'un demi-Dieu, dont à peine je puis
Egaler le grand nom, tout vainqueur que j'en suis.

Voilà le véritable style de la Tragédie ; il doit être toujours d'une simplicité noble, qui convient aux personnes du premier rang ; jamais rien d'empoulé ni de bas, jamais d'affectation ni d'obscurité. La pureté du langage doit être rigoureusement observée ; tous les vers doivent être harmonieux, sans que cette harmonie dérobe rien à la force des sentimens. Il ne faut pas que les vers marchent toujours de deux en deux ; mais que tantôt une pensée soit exprimée en un vers, tantôt en deux ou trois, quelquefois dans un seul hémistiche ; on peut étendre une image dans une phrase de cinq ou six vers, ensuite en renfermer une autre dans un ou deux. Il faut souvent finir un sens par une rime, & commencer un autre sens par la rime correspondante.

On peut distinguer de deux sortes de styles dans la Poésie : le style d'imagination, & le style de sentimens & de pensées. Le premier consiste à relever, à annoblir par des figures, & à représenter par des images propres à nous émouvoir, tout ce qui ne toucheroit pas, s'il étoit dit simplement. Si Hypolite disoit simplement, depuis que j'aime, je ne puis plus supporter la chasse, il ne toucheroit pas ; mais qu'il dise, mes traits, mes sanglots, mon arc, tout m'importune ; voilà la pensée annoblie & rendue touchante. Racine excelle dans l'art d'embellir son style par des images. Voyez avec quelle noblesse Aricie rend une idée assez triviale :

Pour moi, je suis plus fiere, & fuis la gloire aisée
D'arracher un hommage à mille autres offert,
Et d'entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.

Que de tableaux dans ce peu de vers !

Le style d'images, est ce qui fait la différence de la Poésir & de la Prose. Il sert à exprimer les plus communes, d'une maniere non commune. Il donne de la noblesse, de la grace à tout.

Le style de sentiment est celui qui tire sa force & sa beauté de la force même, & de la beauté des sentimens & des pensées qu'il exprime. Ces premieres idées, qui naissent dans l'ame, lorsqu'elle reçoit une affection vive, & qu'on appelle communément sentiment, touchent toujours, bien qu'elles soient énoncées par les termes les plus simples. Ils sont le langage du cœur. On ne s'arrête point à l'enveloppe. Les sentimens cesseroient même d'être aussi touchans, aussi sublimes, s'ils étoient exprimés en termes magnifiques & pompeux. L'amitié intéresse quand elle dit :

J'aime encor plus Cinna, que je ne hais Auguste.

Si ce fameux, qu'il mourut, étoit rendu avec des figures, il ne seroit plus rien. Où l'on apperçoit l'affectation, on ne reconnoît plus le langage du cœur. Le style dont nous parlons ici, est indispensable dans les situations passionnées : celui d'imagination y seroit déplacé. Il faut le réserver pour les descriptions, les récits, & pour tout ce qui n'est point mouvement. Mais il faut prendre garde de n'employer jamais de grandes expressions & des termes fort relevés, pour énoncer un sentiment foible : rien ne choque davantage.

Le style foible, non seulement en Tragédie , mais en toute Poésie, consiste à laisser tomber ses vers deux à deux, sans entremêler de longues périodes & de courtes, & sans varier la mesure ; à rimer trop en épithètes, à prodiguer des expressions trop communes, à répéter souvent les mêmes mots, à ne pas se servir à propos des conjonctions qui paroissent inutiles aux esprits peu instruits, & qui contribuent cependant beaucoup à l'élégance du discours.

Tantùm series juncturaque pollent.

Ce sont toutes ces finesses imperceptibles, qui font en même tems la difficulté & la perfection de l'Art.

In tenui labor, at tenuis non gloria.

Rien n'est si froid que le style empoulé. Un Héros, dans une Tragédie, dit qu'il a essuyé une tempête ; qu'il a vu périr son ami dans cet orage. Il touche, il intéresse, s'il parle avec douleur de la perte, s'il est plus occupé de son ami que de tout le reste. Il ne touche point, il devient froid, s'il fait une description de la tempête, s'il parle de source de feux bouillonnant sur les eaux, & de la foudre qui gronde, & qui frappe à sillons redoublés la terre & l'onde. Ainsi, le style froid vient tantôt de la stérilité, tantôt de l'intempérance des idées, souvent d'une diction trop commune, quelquefois d'une diction trop recherchée.

Références :

Pièces :

Corneille, Cinna, acte 1 scène 1, vers 18 :la simplicité exprime mieux le sentiment d'Émilie que le ne feraient des images pompeuses.

Corneille,Horace, le fameux qu’il mourût (acte 3, scène 6, vers 1021) n’a nul besoin d’images.

Corneille, la Mort de Pompée : on y trouve aussi bien des images excessives, comme celle des vers 5 et 6, et la simplicité noble des vers 1072 et 1527-1528.

Racine, Phèdre, acte 2, scène 2, vers 549 (Hippolyte mélancolique), acte 2, scène 1, vers 446-448 (Aricie heureuse d’être aimée d’Hippolyte) : noblesse de l’expression des sentiments.

Critique littéraire :

Horace, Art poétique, vers 242 : l’importance du choix et de l’ordonnance des mots.

Virgile, Géorgiques, livre 4, vers 6 : minceur du sujet, mais gloire de le traiter.

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