Abel

Abel, tragédie lyrique en trois actes, paroles d'Hoffmann, musique de Kreutzer, ballet de Gardel, 23 mars 1810.

Académie Impériale de Musique.

Lors de sa reprise le 17 mars 1823, la tragédie lyrique d'Hoffamn et Kreutzer, rebaptisée la Mort d'Abel,a été réduite en 2 actes.

La pièce est également désignée sous le titre de la Mort d'Abel, qui a l'inconvénient de désigner également une tragédie de Legouvé à laquelle il vaut mieux réserver ce titre.

Titre :

Abel

Genre

tragédie lyrique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

23 mars 1810

Théâtre :

Académie impériale de Musique

Auteur(s) des paroles :

Hoffmann

Compositeur(s) :

Kreutzer

Chorégraphe(s) :

Gardel

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Vente, 1810 :

Abel, tragédie lyrique en trois actes représentée pour la première fois sur le Théâtre de l’Académie impériale de Musique. Le 23 mars 1810.

Le Journal de Paris du 24 mars 1810 a donné une longue critique de la pièce de Hoffmann, musique de Kreutzer. Elle est largement reproduite (avec des coupures toutefois) sur le site du Palazetto Bru Zane (centre de musique romantique française) :

http://bruzanemediabase.com/Documents/Articles-de-presse/Journal-de-Paris-24-mars-1810-La-Mort-d-Abel-de-Kreutzer/%28offset%29/24

La musique y est mieux traitée que le « poème »...

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 15e année, 1810, tome II, p. 158-160 :

[Le compte rendu de cet opéra biblique n’en cache pas les faiblesses : Abel furieux intéresse plus qu’Abel, « d’une monotonie fatigante », et la mise en scène de ce qui impressionne dans la Bible devient un peu ridicule. Le « poème » est « bien écrit », mais le chant ne le sert pas, parce qu’il le ralentit. Dans un opéra, « il faut des événemens, de grands effets », qui manquent dans Abel. Quelques acteurs sont cités de façon élogieuse. Livret qui « fait honneur » à son auteur. Musique et ballet sont jugés plus sévèrement.]

ACADEMIE IMPERIALE DE MUSIQUE.

Abel, tragédie lyrique en trois actes, jouée le 23 mars 1810.

Les scènes patriarchales, si belles à la lecture, perdent au théâtre beaucoup de leur prestige. Les fureurs de Caïn, dans l’opéra que nous annonçons, produisent de l'effet: mais la douceur d'Abel est d'une monotonie fatigante, et n'inspire aucun intérêt. Caïn est poussé par un démon puissant ; l'Eternel, au lieu de le secourir, l'irrite en recueillant le sacrifice d'Abel et en laissant renverser le sien par les puissances infernales. La fatalité fait excuser Caïn. Au
second acte, on voit les Démons forger dans l'Enfer la massue qui doit tuer Abel ; ils ont l'air de serruriers, et cette scène qui, à l'imagination est effrayante, fait rire au théâtre. Le pont qui traverse le Chaos et qui unit la Terre aux Enfers est une idée sublime dans le Dante ou dans Milton. A l'Opéra il a l'air du Pont-Rouge. Autant l'esprit est au dessus des sens, autant ces objets sont rappetissés par la peinture, et sont loin de remplir l'idée que s'en forme notre imagination.

Il faut convenir cependant que les objets agréables sont infiniment mieux représentés que les autres, et que le Ciel, qu'on croiroit plus difficile à peindre que les Enfers, forme un tableau enchanteur. Il avoit d'autant plus d'obstacles à surmonter,que l'artiste avoit déja épuisé une partie de ses ressources pour la Gloire de l'opéra d'Adam.

Revenons au poème : il est bien écrit, il gagneroit même beaucoup plus à être declamé que chanté. La musique le ralentit : excepté le duo du premier acte

« Unissons-nous pour le rendre sensible, »

et le chœur qui termine ce même acte, il y a peu de morceaux, marquants. Le second acte, consacré entièrement au conseil des Démons, devoit être d'une grande énergie, il est écrit vigoureusement ; la musique n'y a aucun mouvement. Satan n'a qu'un récitatif lent et lourd qui tue l'expression de ces beaux vers :

« Immortels habitans des gouffres de l'abyme,
« Indignés comme moi dû joug qui nous opprime,
« Les droits et les malheurs sont égaux entre nous ;
« Mais, en haine pour Dieu, je vous surpasse tous. »

Les Démons, animés par les discours de Satan, chantent un chœur qui ressemble beaucoup au dîxit Dominus Domino meo.

« Sortons des Enfers, disent-ils, et remontons sur la terre où Caïn endormi voit en songe sa race maudite et le bonheur de celle d'Abel. »s Cette idée ingénieuse est toute entière dans le poème de Gessner auquel l'auteur de l'opéra doit beaucoup ; mais tout ce qui est charmant dans un poème n'est pas aussi bien placé dans une pièce de théâtre.

La scène du poème de Gessner, où les humains ont la première idée de la mort, est très-touchante et fait verser des larmes ; à l'Opéra elle ne produit aucun effet.

En général un opéra ne peut pas se soutenir par le charme du style. On entend si rarement les paroles. Il faut des événemens, de grands effets. D'après cela, Abel n'aura pas plus de succès qu'Adam; il en aura peut-être moins, parce qu'il est venu le dernier.

On a justement applaudi Dérivis dans Adam ; Lainez dans Caïn s'est montré grand tragédien. Mademoiselle Hymm n'avoit qu'un morceau à chanter, elle y a mis de l'expression et a déployé une très-belle voix.

Le poème, à quelques négligences près, fait honneur à la plume de M. Hoffmann. La musique de M. Kreutzer n'est pas ce qu'il a fait de plus fort. Les ballets sont fort peu de chose, ils n'ont sans doute pas beaucoup coûté à M. Gardel.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1810, p. 276-286 :

[Une bonne part de ce compte rendu s’attache à souligner que le sujet de l’opéra n’est justement pas un sujet d’opéra, mais plutôt un sujet d’oratorio, les deux genres étant nettement distincts : d’un côté, beautés austères, de l’autre, « variété des tableaux, […] opposition des situations, […] contrastes poétiques et lyriques, […] mélange du chant et de la danse, […] luxe des décorations ». Hoffmann a tenté, avec une réussite incomplète, de faire un opéra « d’un sujet qui promettait si peu d'en donner un », sa tâche étant encore compliquée par le débat récent né à la création de la Mort d’Adam, débat qui portait plus sur la question de la priorité de la création que sur ce qui aurait dû en être le véritable sujet, les rôles, les caractères, les scènes, la versification. Ce n’est qu’après avoir traité ces questions que le critique arrive « à l'examen de l'opéra nouveau ». Il commence par la comparaison avec la tragédie de Legouvé, jouée en 1792 au Théâtre de la Nation, auquel Hoffmann a fait « les emprunts légitimes que le goût et la différence du genre lui permettaient ». Mais il fallait ajouter à l’« extrême simplicité » de l’intrigue tragique les « vastes ressources » que l’opéra propose. Le découpage de l’opéra montre que Hoffmann a voulu montrer dans son opéra le « dogme de la fatalité des anciens », et cette assertion est appuyée du rappel des grands personnages mythologiques victimes du destin. « Il résulte de sa conception, que Caïn est coupable mais l'est involontairement, si bien qu’il devient le personnage le plus intéressant de la pièce, tandis qu’Abel « intéresse très-faiblement ». Plus que la question secondaire du titre, c’est l’obligation où Hoffmann a été de donner une large place à Satan qui est aux yeux du critique sa « faute capitale ». Elle conduit à accorder tout un acte à la vison de l’enfer, obligeant le compositeur à créer une musique impossible à supporter par les auditeurs. Des exemples illustres montrent bien qu’une telle musique dépasse les possibilités de tous les compositeurs, y compris les plus réputés. L’opéra ne peut réussir que par l’insertion de l’acte deux réduit à une scène unique à la fin de l’acte un, l’opéra ramené à deux actes pourrait entrer au répertoire. La question du style est vite traitée : si on peut faire des reproches de détail, l’ensemble a « le mérite d’un ton lyrique et d’une coupe favorable à la musique ». Quant à la musique de Kreutzer, elle « fait honneur » au compositeur. Le crtique cite plusieurs morceaux remarquables. Le chanteur Lainez y a fait preuve de son talent. Les ballets de Gardel (ou plutôt le seul ballet de l’acte 3, celui des démons l’acte 2 « ne peut être cité ») sont conformes à ce que ce grand chorégraphe a déjà produit. Un ultime paragraphe revient sur les deux opéras à sujet biblique pour dire qu’ils sont estimables, mais que ce n’est pas là le véritable opéra, et l’annonce de l’opéra des Bayadères promet le retour à l’Académie de Musique de tout ce qui fait naître le plaisir des spectateurs, « tableaux aimables, variés, gracieux ; [...] danses de l’Inde que la grace et le goût auront rendues décentes ; [...] sites nouveaux et pittoresques ; [...] musique expressive, vive et légère ».

Académie Impériale de Musique.

La Mort d'Abel.

On croyait assez généralement que, satisfaite du succès soutenu de La Mort d’Adam, l'administration de l'Opéra ne viendrait pas chercher â moissonner de nouveau dans un champ peu fertile, déjà amplement moissonné. Deux ouvrages du même genre, pris la même année, dans l'histoire de nos premiers parens ! La mort du père, puis la mort du fils, quoiqu'il eût été plus naturel de rétablir dans l'ordre des événemens, ces deux tableaux d'une couleur trop égale, indiscrètement rapprochés l'un de l'autre ; c'est trop d'un seul de ces ouvrages, ont dit des spectateurs difficiles ; d'autres diront avec plus de raison, c'est trop de deux, sur une scène destinée à la réunion des arts pour charmer les sens et enchanter les imaginations ; c'est trop de deux ouvrages qui, ne rappellant hors de leur place que des idées religieuses, et ne faisant naître que des impressions graves et tristes, dans un lieu où l'on en désire de toutes différentes, sont beaucoup moins des opéra que des oratorio; de grandes beautés y peuvent être répandues en pure perte ; ces beautés d'un genre trop austère et trop uniforme, se nuisent l'un à l'autre, le spectateur rejette l'impression qui le fatigue par sa durée. Sur un théâtre où toutes les illusions sont possibles, c'est surtout par la variété des tableaux, par l'opposition des situations, par les contrastes poétiques et lyriques, par le mélange du chant et de la danse, par le luxe des décorations, que l'on plaît et que l'on réussit ; ce ne sont pas les tragédies lyriques les meilleures qui ont produit le plus d'effet, ce sont les ouvrages où ce titre de tragédie a permis le mélange de plus d'accessoires, de spectacle et d'éclat.

Dans son Abel, M. Hoffmann a fait ce qui était en lui pour obtenir un opéra d'un sujet qui promettait si peu d'en donner un ; ses efforts n'ont pas été tout-à-fait impuissans, même en ayant à lutter contre l’impression récente et le souvenir d'Adam : mais dans un autre moment, ou en traitant un autre sujet, avec bien moins d'efforts, il eût produit plus d'effet; et c'est ici que le temps fait quelque chose à l'affaire.

Lors de la représentation de la Mort d'Adam, il s'éleva un débat littéraire, et une polémique fort piquante entre l'auteur de cet opéra, qui était joué avec succès, et celui de la Mort d'Abel, qui attendait son tour, pour savoir s'il aurait le même sort. Ce qu'il y avait de remarquable dans ce débat, c'est que les auteurs ne revendiquaient point la priorité quant à l'invention, au plan, à la conduite de leurs ouvrages ; il n'était question ni des rôles, ni des caractères, ni des scènes, ni de la versification ; que réclamait-on ? L'idée d'une apothéose, c'est-à-dire, l'idée qui, dans un tel sujet, devait naître dans la tête de tout le monde, particulièrement dans celle du décorateur, qui, au besoin l'eût donnée à l'auteur si par malheur elle ne fût pas venue à ce dernier : elle était dans son domaine, et elle y était si bien, qu'après son exécution dans la Mort d'Adam, dont elle a fait la fortune, elle se trouve encore appliquée très-heureusement à l'opéra d’Abel, auquel elle ne nuira point. Les auteurs avaient donc quelque tort de se disputer la priorité d'une telle idée ; l'avoir eue n'était rien, mais l'avoir exécutée deux fois d'une manière différente est beaucoup : cet éloge appartient au décorateur, et les applaudissemens du public l'ont à l'avance justifié. Cette question de priorité réduite à sa valeur, nous passons à l'examen de l'opéra nouveau.

La Mort d’Abel a commencé au Théàtre Français la réputation d'un de nos auteurs dramatiques les plus distingués. On trouvera de la hardiesse dans le choix du sujet, autant que de talent dans l'exécution : l'élégance et la pureté de la versification parurent en harmonie avec la simplicité de l'action : le rôle de Caïn, si bien annoncé dans le premier vers où il se peint lui-même,

Travailler et haïr, voilà donc mon partage.

réunit tous les suffrages ; l'ouvrage eut un très-grand succès; il en aurait encore si Saint-Prix jouait Adam et Talma Caïn ; mais la belle actrice dont les traits seraient nécessaires pour représenter Eve dignement, est absente encore, et il faudra probablement l'attendre.

M. Hoffmann, auteur d’Abel, a fait à l'auteur de la tragédie les emprunts légitimes que le goût et la différence du genre lui permettaient ; mais il a senti que cette extrême simplicité de la scène tragique conviendrait mal à notre grand théâtre lyrique ; il a pensé que l'opéra lui offrant de vastes ressources, il ne devait pas s'en priver. Ainsi, au lieu de nous peindre seulement, comme M. Legouvé, la première mort, et le premier deuil de nos premiers parens, il a adopté une conception plus grande, et inventé des ressorts qui, autant que possible, ont mis à son ordre toutes les puissances du ciel et de l'enfer ; c'était ainsi qu'à l'Opéra, après avoir choisi un pareil sujet, il fallait le concevoir et le traiter.

Au premier acte, nous sommes au milieu de la famille d'Adam sur la terre ; au second, dans le fond de l'abime où ont été précipités les anges rebelles, qui méditent la chute de Caïn et lui forgent la massue fratricide ; au troisième acte, nous revenons sur la terre pour y voir commettre le premier meurtre dont elle ait été souillée, et à la fin de cet acte nous nous élevons jusqu'au ciel avec la victime renaissante que Dieu appelle à lui Voilà qu'elle [sic] est la coupe générale de l'opéra.

Cette manière de concevoir ce sujet est neuve, elle nous reproduit ce dogme de la fatalité des anciens, ces arrêts irrésistibles du destin, qui voulaient que les Œdipe, les Oreste, les Phèdre fussent coupables ; le théâtre des Grecs nous représente ces victimes du sort comme intéressantes alors même qu'elles sont criminelles : les imitateurs du théâtre grec se sont emparés parmi nous de ce ressort tragique qui constitue la terreur et la pitié ; M. Hoffmann a cru pouvoir s'en servir également, et appliquer à nos premiers parens les idées que la mythologie nous a transmises sur les personnages des temps fabuleux.

Il résulte de sa conception, que Caïn est coupable mais l'est involontairement ; que l'enfer souffle dans son sein la soif de la vengeance ; qu'il arme son bras, qu'il le pousse au crime ; qu'Abel est frappé par Satan, dont Caïn n'est que l'aveugle instrument. Cependant la justice divine sommeille ; l'enfer conspire, Dieu se tait ; Caïn succombe, et Dieu punit : Caïn est le personnage le plus intéressant de la pièce ; on le plaint lorsque ses parens lui préfèrent Abel, lorsque son offrande est rejettée ; et lorsqu'il frappe on le plaint encore, puisque sa massue, forgée par les anges rebelles, est un présent de l'enfer qu'il n'a pas été le maître de refuser. Abel est très-malheureux sans doute d'être l'objet de tant de haine et la victime de tant de fureur ; mais celui qui est forcé d'en être l'instrument est peut-être plus malheureux encore, et très-certainement c'est sur lui que s'est porté l'intérêt et l'attendrissement. Etait-ce le but de l'auteur ? On ne peut en douter : ce but devait-il être le sien ? C'est ce qu'on pourrait nier, lorsqu'on le voit intituler son opéra Abel, personnage qui intéresse très-faiblement, et non pas Caïn, personnage qui est l'ame et le ressort de l'ouvrage. Racine n'a point intitulé Hyppolite, la tragédie où ce jeune prince succombe; Joas celle où ce jeune roi est en péril ; noua n'avons point de tragédies de Laïus, de Jason, de Zopire, de Gusman, mais un Œdipe, une Médée, un Mahomet, une Alzire; et le titre de Cléopâtre, conviendrait peut être mieux que celui de Rodogune à l'un des chefs d'œuvres du père de notre théâtre.

Quoiqu'il en soit de cette difficulté, un peu oiseuse, sur le titre de l'ouvrage, la conception de l'auteur l'a conduit à une faute capitale : en mettant Satan en action, il a fallu peindre sa demeure horrible, son conseil infernal, armer ses nouveaux cyclopes, et faire entendre leurs imprécations, leurs cris de rage, leurs blasphèmes contre l'homme et contre l'Eternel. L'idée de l'arme de Caïn, forgée par les anges rebelles, était poétique et belle, elle ne devait former qu'une scène, et elle occupe tout un acte. Le second acte tout entier, sans opposition, sans contraste, sans repos, est infernal dans toute l'étendue du mot : que le poète l'ait conçu, cela se peut ; que le musicien y ait épuisé ses forces, cela se conçoit ; que les choristes et l'orchestre y conservent les leurs, cela est incroyable ; que les auditeurs supportent une musique aussi cruellement locale, cela est impossible. Gluck dans toute la force de son génie, et peut-être à cause de cette force même, eût refusé d'écrire un tel acte ; il a trouvé pour ses chœurs de démons dans Armide et dans Orphée des motifs admirables ; mais dans le second acte d’Abel, il est plus que douteux qu'il se fût soutenu : il avait une juste idée des limites de son art, celui qui refusa de composer Castor, parce que Rameau avait fait le chœur des démons ; et ici, pendant tout un acte, c'est l'ouvrage de Rameau, ce sont les idées de Gluck que M. Kreutzer a été obligé de reproduire à-la-fois et d'éviter. La tâche était au-dessus de ses forces , comme au-dessus de celles de tout autre.

Cet acte sera l'écueil de l'ouvrage comme il a. été celui du compositeur ; s'il était possible de réunir au premier et en une seule scène, la situation épisodique qu'il présente, et de réduire ainsi Abel en deux actes, nul doute que cet opéra ne prît sa place au répertoire : le premier acte en effet offre des tableaux frais et des situations touchantes bien prises dans la nature du sujet ; et dans le troisième, la scène des fureurs de Caïn, celle de son sommeil, le songe pendant lequel il voit la postérité d'Abel fortunée et la sienne proscrite, celle du meurtre, celle où les premiers hommes envisagent la première mort, sont traitées avec beaucoup de chaleur et de talent par le poète et le musicien.

On a critiqué le style et cité un assez grand sombre de tirades et des vers, négligés : je doute qu'on les ait remarqués à la représentation, parce que cette négligence d'expression ne leur ôte pas la mérite d'un ton lyrique et d'une coupe favorable à la musique ; et c'est là l'essentiel.

En général la musique d’Abel a fait honneur à M. Kreutzer, et doit ajouter à sa réputation. L'ouverture annonce bien le sujet ; les premiers morceaux ont une mélodie attachante ; le premier duo entre Abel et Adam est un petit chef-d'œuvre de grace, d'expression et de naïveté ; si un sentiment aussi vrai et aussi profond eût présidé à la composition d'un plus grand nombre de morceaux, on ne saurait guères assigner, si ce n'est au premier rang, une place à l'ouvrage et au nom de son auteur ; mais le sujet lui a demandé d'autres combinaisons, d'autres efforts, un autre style, et en cherchant la force pendant tout l'acte des enfers ; il est inévitablement tombé dans l'exagération, le bruit et l'obscurité. Au troisième acte, il a écrit pour le sommeil de Caïn une très-belle scène justement appréciée au Conservatoire, et de très-jolis airs de ballet. La scène du meurtre lui-fait aussi beaucoup d'honneur, elle est écrite en maître ; il faut dire aussi qu'elle est jouée par Lainez en tragédien habile ; il faut avouer que lorsqu'on écrit de telles scènes pour l'Opéra, et que le compositeur emploie un style musical tel que celui des adieux, des fureurs et des remords de Caïn, il faut, avant tout, qu'on se soit assuré d'un acteur tel quel Lainez : tout autre y laisserait la scène sans effet, ou lui-même demeurerait sans voix.

M. Gardel a dessiné les ballets ; il serait plus vrai de dire le ballet, c'est-à-dire, un pas très-court mais très-agréable, exécuté au troisième acte ; car le pas des démons au deuxième, ne peut être cité ; mais avec un maître tel que M. Gardel on ne compte pas, on compare et l'on croit toujours que ses derniers dessins sont ceux où son imagination s'est montrée plus fraîche et plus riante.

Abel, malgré ce que la critique peut avoir de fondé, a réussi : il a été applaudi avec chaleur : que ce succès cependant n'abuse point l'administration sur le goût du public et sur les dispositions qu'il porte à l'Opéra : Adam et Abel ont tous deux des beautés réelles ; mais ils sont d'un genre plus que, sérieux : une estime peut leur être due ; mais le public n'aime pas toujours assez ce qu'il estime d'un si haut prix : il est désirable que quelques ouvrages demi-sérieux apportent un peu de variété, de délassement, et fassent descendre l'Opéra des hauteurs où il nous tient élevés. Aussi les Bayadères, dit-on, nous rameneront des tableaux aimables, variés, gracieux; les danses de l’Inde que la grace et le goût auront rendues décentes ; des sites nouveaux et pittoresques ; une musique expressive, vive et légère. Elles nous sont promises incessamment ; le nom connu des auteurs est un présage favorable du succès.                    S....

Revue encyclopédique, ou analyse raisonnée des productions les plus remarquables, tome 18, avril 1823, p. 238-239 :

Académie royale de musique. — Première représentation de la Mort d'Abel, opéra en deux actes de M. Hoffman, musique de Kreutzer (avril). Lorsque M. Hoffman offrit la Mort d'Abel, en trois actes, sur notre théâtre lyrique, malgré l'élégance de sa poésie, dont le rhythme est admirable, et malgré l'art profond du compositeur qu'il avait choisi, on convint généralement que cette pièce offrait des longueurs. L'auteur a eu la sagesse de supprimer un acte, et, sous cette nouvelle forme, la pièce a obtenu un succès complet.          L. G.

Carrière à l'Opéra :

8 représentations en 1810 (23/03 – 04/05).

2 représentations en 1811 (10/05 – 28/05).

Reprises en 1824 à 1826 : Chronopéra signale 5 représentations pendant cette période.

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