Achille à Scyros

Achille à Scyros, ballet pantomime en trois actes, de Pierre Gardel, musique de Cherubini, 27 frimaire an 13 [28 décembre 1804] (remis le 1er décembre 1812).

Académie Impériale de Musique.

 

Titre : Achille à Scyros
Genre : ballet pantomime
Nombre d'actes : 3
Musique : oui
Date de création : 27 frimaire an 13 [28 décembre 1804]
Théâtre : Académie impériale de Musique
Chorégraphe(s) : Pierre Gardel
Compositeur(s) : Cherubini

Almanach des Muses 1806.

Almanach des Muses 1806.

Le poème de M. Luce de Lancival mis en action avec les changemens ou embellissemens qu'exigeait la scène lyrique.

Thétis est inquiète du sort d'Achille. Elle craint que les Grecs ne l'enlèvent au centaure Chiron, à qui elle a confié son éducation, et ne le fassent marcher avec eux contre les Troyens. Elle l'a donc retiré des mains du centaure et l'a conduit à la cour du roi Lycomède, où il est déguisé sous des habits de femme. Achille n'a pas vu Déidamie, fille de Lycomède, sans être épris de ses charmes. Il est tout entier à son amour lorsqu'Ulysse et Diomède arrivent pour demander à Lycomède des secours contre les Troyens ; mais le véritable motif qui les amène est le desir et l'esoir de trouver Achille, dont la présence doit entraîner la conquête et la ruine de Troie. Déjà ils ont quelques soupçons ; mais ils vont tenter une épreuve qui doit leur réussir : ils donnent une fête guerrière à Lycomède, et des présens sont étalés aux yeux de ses filles, parmi lesquelles se trouve Achille. Les jeunes princesses prennent, l'une un collier, l'autre un luth, etc. Une armure a frappé les regards du fils de Thétis, il s'en saisit et la revêt ; un casque mbrage son front, une lance s'agite dans sa main ; c'en est fait, Achille est reconnu. Le bruit des clairons se fait entendre, et ce signal annonce aux Grecs qu'ils peuvent désormais compter sur Achille. Lycomède voit qu'il a été trompé, et son ressentiment éclate. Déidamie cherche à l'appaiser, et lui avoue l'amour qu'Achille lui a inspité, celui qu'elle ressent pour lui. Bientôt Thétis paraît avec l'Hymen, pour décider l'union des deux amans. Elle est conclue, la déesse emmène Déidamie, et Achille s'embarque avec les Grecs.

De l'intérêt, du mouvement, de très-beaux costumes. Spectacle magnifique. Ballet digne de son auteur.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique,seconde édition, Paris, 1825, volume 5, p. 264- :

ACHILLE A SCYROS.

Homère avait chanté les exploits d'Achille devant Troie. Plusieurs siècles après, Stace, poëte déclamateur, d'une imagination déréglée et de très-peu de sens, s'avisa de vouloir écrire en vers toute la vie d'Achille ; sa muse voulut embrasser le héros tout entier, sans songer que dans la vie d'un héros tout n'est pas héroïque. Il prit Achille au berceau, et son dessein était de le conduire jusqu'à la mort ; mais la mort l'empêcha lui-même d'achever ce projet extravagant, dont le moindre inconvénient eût été de forcer souvent le poëte latin à traiter les mêmes sujets que le poëte grec.

Il ne nous reste de son Achilléide que deux livres, qui contiennent quelques détails sur la première éducation d'Achille ; le stratagême de sa mère, qui, pour le dérober à la mort dont il est menacé devant Troie, le déguise en fille, et le cache dans le palais de Lycomède, roi de Scyros. Ce palais est pour Achille une espèce de sérail où il se trouve enfermé avec des filles : il y signale son courage par le seul exploit qui soit à sa portée dans un pareil séjour ; au milieu du tumulte d'une orgie, il emporte d'assaut la fleur virginale de Déidamie, fille de Lycomède ;. mais il répare cette saillie de jeune homme par le mariage. Aussitôt qu'Ulysse lui montre des armes, il ne soupire plus que pour la gloire : son enthousiasme guerrier trahit son déguisement ; il s'embarque avec les princes grecs pour le siége de Troie. Telle est l'esquisse du poëme de Stace, ouvrage dont le sujet est peu digne de la poésie, et qui devait rester dans l'oubli.

Cependant l'abbé Métastase, poëte de la cour de Vienne, voulant composer une pièce capable d'embellir les fêtes du mariage du duc de Lorraine avec la reine de Hongrie, fit un opéra du poëme de Stace, sous le titre d'Achille à Scyros. Cet opéra de circonstance eut un succès brillant : on le traduisit en français, et Guyot de Merville osa même transporter sur la scène française cette aventure galante, qu'il habilla en tragi-comédie. Ne pouvant se dissimuler combien un héros, déguisé en femme et enfermé avec des filles, était indécent et risible sur un théâtre aussi noble, l'auteur sollicita l'indulgence du public par un compliment qui fut débité avant la première représentation. Sans prétendre justifier l'irrégularité d'un pareil sujet, Guyot de Merville se bornait à prier le public de vouloir bien écouter jusqu'à la fin, afin de pouvoir le juger avec connaissance de cause. Le compliment procura quelque succès à cette mauvaise tragi-comédie, aujourd'hui absolument inconnue.

Les absurdités mythologiques ne conviennent point à une scène régulière : elles sont mieux placées à l'Opéra, pays des enchantemens et des illusions, où l'on se propose de parler aux sens bien plus qu'à l'esprit ; et cependant, lorsque Danchet, en 1735, donna son opéra d'Achille et Déidamie, dont Campra avait composé la musique, l'ouvrage tomba. Il est vrai que la chute pouvait être attribuée à la faiblesse des auteurs autant qu'au choix du sujet. Danchet et Campra étaient alors dans l'âge où l'on radote, ce qui fit dire au poëte Roy : « Achille et Déidamie ! peste, ce ne sont pas là des jeux d'enfans, faisant allusion à l'extrême vieillesse du poëte et du musicien.

Riccoboni et Romagnesi parodièrent l'opéra de Danchet et de Campra ; un certain Caroleti travestit aussi à l'Opéra-Comique Ulysse en raccoleur, qui enrôle le jeune Achille. Il faut convenir que le sujet prêtait aux plaisanteries et aux parades foraines, et même il y a quelques années qu'on l'a mis en vaudeville. Ces considérations n'ont pas détourné M. Luce de Lancival de bâtir, sur un fond aussi graveleux, une espèce de poëme épique. Stace était peut-être excusable de présenter l'enfance et les premières aventures de son héros, puisqu'il se proposait de réparer ensuite son honneur en chantant des exploits plus graves, plus glorieux, plus dignes d'occuper la lyre d'un poëte. M. Luce, au contraire, semble avoir borné sa carrière épique à ce qui n'était que l'exorde de Stace : il n'a voulu célébrer que les entreprises amoureuses d'Achille ; il a compté avec raison sur la richesse de son imagination et les grâces de son style, pour répandre quelque intérêt sur un sujet aussi frivole et sur un exploit aussi commun ; car, s'il ne fallait, pour être le héros d'un poëme épique, que ravir les premières faveurs d'une jeune fille, il y aurait plus de héros que de poëtes pour les chanter.

Un des avantages les plus flatteurs du poëme de M. Luce de Lancival, est d'avoir fourni un sujet au talent de M. Gardel : le compositeur a mis en danse ce que le poëte avait mis en vers. Lu par toutes les belles, M. Luce doit s'applaudir encore d'être dansé par les plus charmantes nymphes de l'Opéra : la langue dans laquelle on a traduit ses vers, n'en affaiblira point l'expression ; les pas brillans des Duport, des Gardel, des Bigottini, des Delille, etc., valent les meilleurs hémistiches ; l'élève de Calliope n'a pas plus d'élégance et de volupté dans son style, que les élèves de Terpsichore n'en ont dans leurs mouvemens et dans leurs attitudes. Le ballet, rival du poëme, bien loin de nuire à son succès, ne fera qu'augmenter sa célébrité, et l'on ne quittera M. Luce dans le cabinet que pour aller le retrouver au théâtre.

M. Gardel, quoique imitateur, n'en est pas moins original ; et la manière dont il a rendu dans son idiome les beautés du poëme, peut être regardée comme une véritable création. Moins le sujet lui fournissait d'action, plus il a fallu couvrir ce vide par le charme des détails, l'élégance des dessins et la variété des tableaux : il a bien fait de donner à Lycomède une foule de filles, et de peupler son palais d'un essaim de jeunes beautés. Le magasin de l'Opéra en est si bien fourni, qu'il n'a dû être embarrassé que du choix; mais la difficulté était de trouver un Achille qui ne fût pas ridicule et choquant sous le costume féminin. Heureusement la jeunesse de Duport, sa vigueur unie à une figure enfantine, ont levé le plus grand obstacle au succès de ce ballet : quant à Déidamie, le compositeur en avait une sous sa main, telle qu'on pouvait la désirer pour la finesse, l'expression et les grâces.

La nature même d'un spectacle tel que l'Opéra, consacré au merveilleux, à la galanterie et aux amours, excuse ce que le déguisement d'Achille peut avoir de contraire à la bienséance. Cependant, lorsque les filles de Lycomède, fatiguées de la danse, succombent au sommeil; lorsque le jeune Achille, très-éveillé, en contemplant ces beautés endormies, paraît en proie à la violence de ses désirs, une situation aussi singulière et aussi vive a d'abord blessé la délicatesse des spectateurs ; mais bientôt, entraînés par le charme du jeu des acteurs, ils n'ont pu s'empêcher d'applaudir à cette lutte de la pudeur et de l'amour exécutée avec une si grande perfection. Le combat finit par un baiser qu'Achille ravit sur les lèvres de Déidamie, larcin qui fait pousser à la belle un cri de surprise ou de terreur : c'est avec cet adoucissement que M. Gardel a traduit l'emportement amoureux d'Achille, beaucoup plus grave dans ses effets chez M. Luce.

Ulysse et Diomède, qui viennent chercher Achille à la cour du roi de Scyros, donnent à la scène plus de mouvement, et font succéder des images guerrières à des tableaux voluptueux. Les ruses d'Ulysse, pour découvrir Achille sous les habits qui déguisent son sexe, les divers incidens qui développent le caractère du jeune héros, les inquiétudes jalouses de Déidamie, qui voit la gloire prête à lui enlever son amant, animent le théâtre, et soutiennent l'attention jusqu'au moment où le fils de Thétis, se jetant sur les armes qui s'offrent à sa vue, révèle par son ardeur martiale le secret de son travestissement.

Quoiqu'on ne trouve pas dans ce ballet toute l'action nécessaire à ces sortes d'ouvrages, ce défaut est avantageusement réparé par l'agrément et la variété des danses, par la légèreté, la précision et la grâce des évolutions, par le spectacle de cette foule de jeunes filles, la plus belle de toutes les décorations ; en un mot, par la réunion de ce que l'Opéra possède de plus brillant dans les deux sexes. Vestris n'a qu'un rôle assez court ; mais il est assez long pour lui donner le temps de mériter les suffrages les plus flatteurs. Pendant tout le cours de la représentation, le ballet a été vu avec plaisir et favorablement accueilli : cependant quelques sifflets se sont fait entendre quand on a baissé la toile; mais les applaudissemens ont bientôt pris le dessus. M. Gardel, vivement demandé, s'est rendu à l'empressement des amateurs. (29 frimaire an 13.)

Carrière à l'Opéra :

2 représentations en 1804 (18/12 – 28/12.

13 représentations en 1805 (05/08 – 17/12).

12 représentations en 1806 (17/01 – 23/12).

5 représentations en 1807 (02/01 – 09/09).

3 représentations en 1812 (01/12 – 25/12).

9 représentations en 1813 (15/01 – 24/12).

5 représentations en 1814 (22/04 – 16/12).

4 représentations en 1815 (16/06 – 27/10).

51 représentations de 1804 à 1815.

Chronopéra signale en outre 4 représentations supplémentaires en 1816.

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