Achille et Déidamie, ou Achille à Scyros

Achille et Déidamie, ou Achille à Scyros, comédie en un acte. 7 pluviose an 10 (27 février 1802).

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Achille et Déidamie, ou Achille à Scyros

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

vers ou prose ?

prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

7 pluviôse an 10 (27 février 1802)

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

 

Almanach des Muses 1803

Journal des débats et loix du pouvoir législatifs, et des actes du gouvernement, du 9 pluviose, an 10 de la République, p. 2-4 :

THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.

Achille et Déidamie, ou Achille à Sciros.

Voilà un titre pompeux et l'on pouvoit être tenté de croire que le Vaudeville, fier du succès de ses drames, vouloit s'élever jusqu'au genre héroïque : tous les spectateurs ont été bien surpris en voyant qu'on n'avoit mis i 'contribution la brillante mythologie, les héros grecs et le siège de Troye que pour en tirer la plus insipide bouffonnerie qui jamais ait déshonoré le théâtre..
Achille devoit périr devant les murs de Troye ; c'étoit l'arrêt des destins : par une foiblesse naturelle aux femmes et aux mères Thétis essaya de tromper l'oracle ; elle déguisa le sexe de son fils et le cacha parmi les filles de Lycomède, roi de l'île de Scyros, plus occupée du soin de sa
vie que de la conservation de ses mœurs. Un jeune homme, fraîchement sorti de l'antre du centaure Chiron, pouvoit-il voir impunément tant de filles charmantes ? Il oublia bientôt, auprès de Déidamie la morale austère de ce sage précepteur, et le fameux Pyrrhus fut le fruit de cette intrigue. Ulysse, encore plus rusé que Thétis, s'introduisit à la cour de Lycomède sous le nom d'un marchand de modes : à peine a-t-il ouvert ses ballots que les filles se jettent sur les étoffes et les parures de leur sexe : un sabre étoit caché dessous ; Achille s'élance sur cette arme, et, rendu à son caractère, abandonne les filles de Lycomède pour suivre UIvsse à la guerre. Ce n'est là qu'une ingénieuse allégorie sur la force invincible du naturel ; c'est la chatte métamorphosée en femme, qui, couchée auprès de son mari, saute hors du lit à la vue d'une souris qui trotte dans la chambre.

Voilà ce que la fable fournissoit au poëte dramatique : jamais sujet ne fut moins théâtral ; cependant, l’abbé Métastase crut pouvoir le présenter la cour de Vienne. La pièce qu'il composa sous le titre d'Achille et Déidamie, fit partie des fêtes célébrées pour le mariage de la reine de Hongrie avec le duc de Lorraine et l'on sait que les comédies composées pour des fêtes, ne valent guères mieux que les vers de société ; témoin le Temple de la Gloire, la Princesse de Navarre, et une infinité d'autres. La médiocrité de l'ouvrage de Métastase n'empêcha point Guyot de Merville de faire tous ses efforts pour l'accommoder à notre théâtre et à nos mœurs. Cet auteur n'étoit point dépourvu de talent ; à force d'art et d'adresse, il parvint a faire supporter sur la scène italienne cette aventure insipide et même indécente. Deux ans auparavant, le même sujet avoit échoué sur le théâtre de l'Académie Royale de Musique entre les mains de Danchet et de Campra, qui en avoient fait une tragédie-opéra en cinq actes.

Que pouvoit faire le Vaudeville d'Achille et de Déidamie, sinon une mascarade qui paroît un peu trop tôt puisque le carnaval n'est pas encore ouvert?  Achille, sur une pareille scène ne peut-être qu'un Gilles. Représentez-vous un grand jeune homme maigre et sec, le col fort allongé, vêtu en femme, au milieu d'une douzaine de filles. Ce petit troupeau ressemble à une pension de jeunes demoiselles dont Achille a l'air d'être la gouvernante : les femmes déguisées en hommes ont presque toujours de l'avantage au-théâtre ; les hommes déguisés en femmes n'y sont que des caricatures burlesques qui font rire au premier aspect, mais qui l'instant d'après n'inspirent que l'ennui et le dégoût. Cependant, c'est pour prévenir en sa faveur qu'Achille paroît en femme, si l'on en croit le couplet d'annonce qui dit, en parlant de ce héros :

II ne connut jamais la peur,
Et la frayeur est dans son âme ;
Pour prévenir en sa faveur,
II va paroître en femme.

Ce couplet d'annonce est une espèce de phénomène : c'est un des plus pauvres d'esprit qu'on ait jamais entendus à ce théâtre.

Déidamie est la seule qui connoisse le sexe d'Achille ; elle est la seule aimée ; mais elle n'est pas la seule qu'Achille trouve aimable ; sa jalousie la transforme en mentor et en pédagogue, qui fait le catéchisme à son élève ; elle lui défend de se mettre en colère, de jurer, comme cela lui arrive quelquefois ; elle ne veut pas 'qu'il parle aux filles et même qu'il les regarde : si quelqu'une lui adresse la parole, ou lui lance des œillades, il doit baisser les yeux et garder le silence ; rien n'est plus risible et plus niais que toute cette instruction.

Si Achille est une espèce de Pierrot le roi Lycomède est un véritable Cassandre. De grands éclats de rire se sont élevés de toutes parts, à la vue de ce vénérable personnage hérissé d'une barbe extrêmement longue et touffue affublé d'un manteau immense qui lui donne une telle ampleur qu'il semble occuper à lui seul la moitié du théâtre. Il y a un tel contraste entre la majesté factice et les naïvetés plus qu'ingénues de ce grotesque souverain qu'on croit entendre Jocrisse devenu roi de l'île de Scyros. Après avoir endoctriné ses jouvencelles sur les dangers de l'amour, il pousse la sévérité de la morale jusqu'à leur proposer un vœu de virginité ; enfin, pour se délasser de son sermon : Voici, dit-il, mesdemoiselles, le moment où chacune de vous me chante un petit air. C'est le tour d'Achille qui, s'accompagnant de la lyre, chante les amours et les espiégleries de Jupiter ; sujet un peu gaillard, moins propre à prémunir les filles contre les pièges d'un amant, qu'à leur apprendre quel est le pouvoir de la beauté. Léda, Danaé, Europe, ont chacune leur couplet et ces couplets sont plus que médiocres 

Le cygne triste et solitaire
Ne chante, dit-on, qu'en mourant ;
Mais chez Léda, le téméraire
Vint et chanta de son vivant.

Danaé languit prisonnière
Dans le fond d'une tour d'airain
Impénétrable à la lumière,
Elle croit l'être au dieu malin
Mais en vain ; l'Amour qui l'épie
Aura bientôt su la trouver :
Sur elle ce dieu tombe en pluie ;
Quel abri pouvoit la sauver ?

Le profond Lycomède ajoute gravement : Et cette pluie étoit d'or. Quelle adresse!

Jupiter en taureau superbe,
Pour Europe daigna bondir ;
Soumis on le voit brouter l'herbe
Qu'elle a pris soin de lui choisir:
Mais auprès d'elle le coupable
N'écoutant que son tendre feu,
Pour un taureau fut trop aimable,
Et trop peu sage pour un Dieu.

Quelles risées ces derniers vers n'ont-ils pas excité ! Enfin Ulysse arrive en marchand forain il est mieux costumé que les autres ; il a l'air d'un de ces juifs porte-balles qui rôdent pour faire des dupes. L'entretien du roi de Scyros, avec cet aventurier, est curieux ; c'est là que Lycomède déploie tout son génie : il lui parle du siège de Troye, des rois grecs, d'Agamemnon, de Ménélas et même d'Ulysse qui a, dit-il, la réputation d'être bien rusé ; sur quoi le faux marchand répond avec naïveté. On lui donne peut-être plus d'esprit qu'il n'en a. Ce qui tourmente sur-tout le roi Lycomède, c'est de savoir si les femmes des rois grecs seront fidelles pendant leur absence et si les vainqueurs de Troye, à leur retour chez eux, ne trouveront pas la place prise ; mais Ulysse, sûr de sa Pénélope, ne partage point cette inquiétude.

Au moment où Achille s'empare du sabre, Ulysse se dit avec une emphase ridicule : C'est Achille ! et Achille après un moment de réflexion, répond avec un sang froid très comique : C'est lui-même. Il me semble qu'il y avoit là un beau coup de théâtre que l'auteur a manqué : Achille devroit tirer le sabre; à l'aspect du glaive nud, toutes les filles épouvantées prendroient la fuite, et le jeune héros resterait seul avec Ulvsse.

Lorsque le roi d'Ithaque emmène Achille, on croit la pièce finie, on a tort : Achille a des engagemens, il a de la conscience ; il .ne -ressemble pas à ces militaires qui s’éloignent brnsquement d'une amante abusée : après s'être habillé en guerrier, il revient signifier à Lycomède qu'il ne vent point partir avant d'épouser sa fille Déidamie. Voilà ce qui s'appelle avoir des mœurs et des principes. Ce qu'il y a de malheureux, c'est qu'Achille, sous le harnois de guerrier, paroît tout aussi ridicule que sous l'habit de femme.

Il est étrange qu'on ose hasarder sur la scène un ouvrage aussi pitoyable ; c'est même abuser de la bonne foi du public, que de le rassembler, sous l'appât d'une pièce nouvelle, pour voir une misérable farce au-dessous de ce qu'on donne sur.les théâtres les .plus subalternes, au-dessous même de la Famille des Gilles. Ce seroit à la prudence et à la loyauté des directeurs de ne jamais admettre une pièce qui ne fût au moins passable. Achille et Déidamie ont à peine paru digues des sifflets ; on en a fait justice par des huées et des éclats de rire.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 7e année, 1801, tome V, p. 418 :

[Pour justifier la chute de la pièce, deux explications, des personnages mal dessinés, et « de très-foibles couplets ».]

Achille à Sciros n'a été joué qu'une fois. Tout le monde connoît l'histoire d'Achille travesti en femme, à la cour de Lycomède, et découvert par Ulysse. Ce sujet ne pouvoit guère convenir au Vaudeville, surtout de la manière dont il a été traité. Un Lycomède plus bête que le plus sot Cassandre, un Ulysse fort peu rusé, un Achille long, maigre et plâtré; tout cela, accompagné de très-foibles couplets a décidé la chute de la pièce.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trente-unième année, germinal an X [avril 1802]p. 211 :

[Echec, attribué à la difficulté du sujet : « les héros travestis ne réussissent que rarement au théâtre ». Le charme des détails ne couvre pas le défaut du plan (c’est pourtant la bonne méthode quand le sujet est mauvais, masquer un défaut de structure en le noyant sous des détails que le critique qualifiera d’heureux.]

Achille à Scyros.

Ce sujet étoit difficile ; les héros travestis ne réussissent que rarement au théâtre. L'auteur, quoique homme d'esprit, a trop négligé de couvrir le défaut du plan par le charme des détails ; c'est un ouvrage totalement avorté : il n'a pas réussi.

[Georges Duval], Calembourgs de l'abbé Geoffroy..., Paris, an xi, 1803, p. 164-165 :

9 pluviôse an 10.

Convoi et inhumation d'Achille et Déidamie au théâtre du. Vaudeville.

....Achille est mort ; ne troublons point sa cendre : aussi ferai-je, et je le laisserai dormir en paix à côté de Déidamie jusqu'au jour de la résurrection. L'ami Geoffroy n'est pas tout à fait aussi indulgent que moi ; il s'égaie avec un sang-froid révoltant sur le trépas de ce héros ; il insulte à ses derniers soupirs. J'ai déjà eu occasion de remarquer, et je remarquerai encore une bonne fois, par la suit, que le vieux stoïcien ne se fait aucun scrupule de tourner en dérision les choses les plus respectables, et qu'à tout propos il trouble la cendre des morts.

Jugez donc comme il rit de la culbute de ce malheureux Achille, qui ressemble tantôt à Gilles, tantôt à Pierrot. Et ne croyez pas qu'il épargne davantage le roi Licomède, lequel est tout juste la copie de Cassandre. « Ce qui tourmente surtout ce pauvre roi, dit-il, c'est de savoir si les f'emmes des rois grecs seront fidelles pendant leur absence, et si les vainqueurs de Troie, à leur retour chez eux, ne trouveront point la place prise. »

J'espère qu'il est bien conditionné celui-là ! Toutefois si les femmes peuvent être comparées à des citadelles, il faut convenir qu'en les assiégeant avec adresse on en obtient souvent les clefs à très-bonne composition, et que rarement elles attendent l'assaut pour capituler.

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