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Adrien

Adrien, opéra, d'Hoffman, musique de Mehul, chorégraphie de Gardel. 16 Prairial an 7 [4 juin 1799].

Théâtre de la République et des Arts

Titre :

Adrien

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

oui

Date de création :

16 prairial an 7 (4 juin 1799)

Théâtre :

Théâtre de la République et des Arts (Opéra)

Auteur(s) des paroles :

Hoffmann

Compositeur(s) :

Méhul

Chorégraphe(s) :

Gardel

Almanach des Muses 1800

Adrien, général romain, a vaincu Cosrës, et reçoit dans Antioche les honneurs du triomphe. Erimène, fille de Cosroës, est devenue sa captive ; Adrien, oubliant la foi qu'il a jurée à Sabine, les loix qui ne lui permettent pas d'épouser la fille d'un roi, veut s'unir à Ersimène. Mais celle-ci, qui aime Pharnace, et Cosroës qui ne cesse, quoique vaincu, de conspirer contre le vainqueur, mettent Adrien dans l'alternative, ou de sacrifier Sabine, ou de se venger d'Erimène sur son père et sur le rival qu'elle lui préfère. Adrien fait enfin un retour sur lui-même ; Sabine est prête à le quitter, un ami l'aide de ses conseils, et le fait rougir de sa faiblesse ; il pardonne à Cosroës, unit Erimène à Pharnace, et rend son cœur à Sabine.

Les caractères de Coroës et de Sabine bien dessinés ; dénouement un peu froid, musique très-belle, quoique parfois trop bruyante : très-beau spectacle.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, tome XI, thermidor an 7 [juillet 1799]

p. 188-192 :

[Impossible de parler de cette pièce sans évoquer son histoire tourmentée : prévue en 1791, sa première représentation n’a pu avoir lieu qu’en juin 1799. Pour rendre possible cette première, il a fallu d’ailleurs faire des changements destinés à éviter de froisser des susceptibilités politiques, mais, nous assure le critique, ils « n'ont aucunement nui à la vraisemblance de la fable, ni à la conduite de l'action ». Le résumé de l’intrigue qui suit est conclu par une série de « légers défauts » : dénouement un peu froid (il appartient au genre admiratif : quels autres genres de dénouement peut-on rencontrer ?), caractère du personnage principal trop monotone (« ni assez d’emportements […] ni assez d’énergie », intrigue bien compliquée, pas toujours très compréhensible. Ces défauts sont rachetés par la peinture de certains caractères, et par « la pompe dont il a revêtu son ouvrage », pompe qui est « le vrai genre de l’opéra ». Il s’agit de rendre à l’opéra sa nature de spectacle complet : « C'est dans la peinture seule des passions qu'elle [la musique] peut exercer son génie, & ce n’est par conséquent que dans des actions vraiment dramatiques, & dans des caractères fortement dessinés, qu'elle peut prendre son véritable effet ». La fin de l’article passe en revue les différents aspects du spectacle, musique (éloge de Méhul), chœurs, décorations, ballets. Le dernier paragraphe revient sur les aspects politiques de la pièce, autrefois interdite pour de mauvaises raisons, et aujourd’hui encore en butte à des attaques indues qui risquent de coûter cher au gouvernement (argument économique intéressant : peut-on laisser perdre 60 000 francs ?).]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS.

Depuis l'opéra d'Anacréon, ce théâtre n'avoit point donné de nouveauté, & c'est aux nouveautés seules qu'il peut devoir son éclat.

La première représentation d'Adrien devoit par plusieurs motifs attirer beaucoup de monde ; premièrement à cause du nom connu de ses auteurs, & en second lieu à cause des contrariétés que sa mise au théâtre, projetée en 1791, avoit suscitées , & qui sont, comme on sait, un stimulant très-actif pour la curiosité du public.

L'action de ce poëme & l'intérêt qui peut en résulter, ne tenant point au nom & au rang des personnages, mais seulement à leur caractère, il paroît que les changemens commandés par les circonstances, ou plutôt par l'espèce de respect qu'on doit à l'ombrageuse susceptibilité de quelques têtes ardentes, n'ont aucunement nui à la vraisemblance de la fable, ni à la conduite de l'action.

Adrien, non pas empereur, mais général romain, vainqueur de Cosroès, reçoit dans Antioche les honneurs du triomphe. Dans ses nombreux combats contre les Parthes, la fille de Cosroès est devenue sa captive ; or, suivant les us tragiques bien connus, le vainqueur devient bientôt lui-même l'esclave de la beauté dans les fers. Adrien soupirant pour Emirène, oublie tout ensemble & la foi qu'il a jurée à Sabine, & la sévérité des lois romaines qui ne lui permettent pas d'épouser la fille d'un roi Ce ne sont pas encore là les seuls obstacles à son amour, la princesse aime Pharnace ; & Cosroès, toujours implacable dans sa haine, ne cesse, quoique vaincu, de conspirer contre le vainqueur & de le forcer à reprendre sans cesse les armes. Adrien se trouve ainsi dans la cruelle position ou d'oublier son amour ou de se venger des mépris d'Emirène sur son père & sur le rival qu'elle lui préfère. Mais bientôt , ramené par un retour généreux sur lui-même, par la noble fierté de Sabine, qui s'apprête à le quitter, par les conseils sages & fermes d'un ami qui le fait rougir de sa foiblesse & lui rappelle sa gloire, il pardonne à Cosroès, unit Emirène à Pharnace, rend son cœur à Sabine, & ajoute à l'éclat de ses victoires celle qu'il remporte enfin sur lui-même.

Il faut convenir que ce dénouement, du genre admiratif, peut paroître un peu froid ; que le caractère d'Adrien est peut être trop monotone ; qu'il ne paroît avoir ni assez d'emportement dans sa passion pour Emirène, ni assez d'énergie contre des ennemis tels que Pharnace & Cosroès, qui conspirent sans cesse contre lui & qui méditent même le complot de l'assassiner ; sa patience à se laisser perpétuellement accuser de tyrannie, & presque insulter par Cosroès, reud son abandon moins intéressant : on ne fait gré d'un sacrifice qu'en raison de ce qu'il coûte, & si l’auteur I'a bien indiqué, il ne paroît pas l'avoir assez détaillé dans le développement du caractère. Il se pourroit aussi que l'action manquât un peu de clarté dans la contexture de l'intrigue, surtout au second acte : on a de la peine à concevoir l'imbroglio du souterrain. Mais l'auteur a bien racheté ces légers défauts, & par la manière énergique dont il a tracé les caractères de Cosroès & de Sabine, & par la pompe dont il a revêtu son ouvrage : c'est enfin là le vrai genre de l’opéra, & l’on doit savoir gré au C. Hoffmann d'avoir cherché à le ramener en luttant contre 1'invasion du mauvais goût, & en rendant à la musique un domaine aliéné depuis long-temps C'est dans la peinture seule des passions qu'elle peut exercer son génie, & ce n’est par conséquent que dans des actions vraiment dramatiques, & dans des caractères fortement dessinés, qu'elle peut prendre son véritable effet.

Méhul, déjà si avantageusement par de beaux opéras de Stratonice & d’Euphrosine, vient de confirmer dans cet ouvrage l'opinion qu'on avoit conçue de son grand talent. Il se met avec éclat sur la ligne des Gluck, des Sacchini, des Mozart, & de plus il a cet avantage à nos yeux, que né sur le sol français, il donne à notre nation le droit de ne plus aller chercher des talens musicaux chez les peuples voisins.

Les chœurs sont d'un effet large & neuf tout à la fois ; les airs de Sabine , ceux de Cosroès, les marches, les airs de ballets offrent des beautés du premier ordre & une variété qui en augmente le charme.

Les décorations sont d'un style flatteur & noble : on remarque au premier acte un combat sur un pont qui s'écroule pendant l'action, à cause de la surcharge ; cet effet, parfaitement rendu,, fait honneur & au décorateur qui l'a préparé, & au machiniste qui en a dirigé l'exécution.

Les ballets du dernier acte sont un peu froids ; ceux du premier sont charmans : les costumes réunissent la richesse à l'élégance, & tout l'ouvrage est mis avec un soin qui rappelle enfin les beaux jours de ce théâtre national ; aussi obtient-il un succès réel & bien mérité.

On sait que cet opéra dont la représentation avoit été défendue en 1791, à cause du couronnement d'un empereur, qui blessoit les yeux républicains, mais qui n'offre aujourd'hui, comme l'a très bien dit le ministre de l'intérieur, ni empereur, ni couronnement, vient néanmoins d'exciter encore quelques réclamations au conseil des cinq cents. Un républicain énergique qui ne l'a sans doute pas vu représenter, & qui ne l'a jugé que sur l'ancienne édition, s'est permis d'en · faire l'objet d'une dénonciation presque sérieuse, & de le dévouer en quelque sorte, en termes peu mesurés, à l'indignation des patriotes. Il eût mieux valu aller soi-même à la représentation, avant de compromettre par une diatribe sans fondement, sa véracité & sa justice à la tribune nationale. Il faut espérer que le rapport_du ministre de l'intérieur & celui du ministre de la police, détruiront l'impression fâcheuse qu'on a voulu donner au conseil sur un ouvrage qui ne mérite aucun reproche d'incivisme, qui ne fournit absolument aucun prétexte à l'allusion la plus légère, & dont l'interruption par l'effet d'un zèle indiscret, causeroit à l’administration, c'est à dire au gouvernement, une perte réelle de plus de 60 mille francs.
 

Magasin encyclopédique des sciences, des lettres et des arts, 5e année (1799), volume I, p. 545-546 :

Théâtre des Arts.

Adrien, opéra en trois actes, au théâtre de la République et des Arts, a eu beaucoup de succès.
Adrien, vainqueur des Parthes, reçoit à Antioche les honneurs du triomphe : il est épris des charmes d'Emirène sa captive, fille de Cosroès, roi des Parthes ; il a fait prisonnier aussi Pharnaspe, amant d'Emirène. Cosroès, sous les habits d'un simple soldat, s'est mêlé parmi ceux qui composent la suite de Pharnaspe, et a suivi sa famille dans le camp d'Adrien : celui-ci offre à Emirène sa main et l'empire, mais elle lui déclare son amour pour Pharnaspe. Cosroès arme en secret les Parthes contre Adrien ; un combat s'engage : les Parthes sont vaincus.

Cependant Sabine, fille de Trajan, et qu'Adrien doit épouser, aborde en Syrie ; son amour pour Adrien se change en jalousie, lorsqu'elle apprend qu'il aime Emirène. Cette captive lui confie son amour pour Pharnaspe, et Sabine protège leur fuite ; elle indique à Pharnaspe le chemin qu'il doit suivre. Dans ces entrefaites, Cosroès introduit sous les murs d'Antioche un parti déguisé en soldats romains ; son projet d'assassiner Adrien échoue, et Pharnaspe, arrêté dans sa fuite, est pris pour le meurtrier. Mais Emirène a vu le coupable se cacher, elle le découvre pour sauver son amant, on l'amène, et elle reconnoît son père.

Enfin, au moment où Cosroès va périr, Adrien reprend sur lui-même tout son empire, unit Emirène à Pharnaspe, les renvoie libres ainsi que Cosroès, et fait préparer son hymen avec Sabine.

Cet opéra a eu le plus grand succès ; il est fidèlement calqué sur l'Adrien, opéra du célèbre Métastase. Le poème est du C. Hoffmann, et la musique du C. Mehul. Elle est belle et harmonieuse, les chœurs sont du plus grand effet : les danses, les combats, la richesse et le goût des décorations, ont excité les plus vifs transports.

Les auteurs ont été demandés : le C. Mehul et le C. Gardel, à qui on doit la composition des ballets, ont paru au milieu des applaudissemens.

[Le site Cesar cite quatre représentations en juin 1799 (les 4, 6, 12 et 16), à l'Académie royale de Musique (qui n’est plus très royale en 1799 !).]

L'histoire de l'opéra d'Hoffman et Méhul est racontée par Pierre-Ange Vieillard dans Méhul, sa vie, son œuvre, Paris, 1859 :

P. 13-14 :

A la même époque, Méhul fit recevoir au grand Opéra Adrien, dont Hoffmann avait fait les paroles. Cette pièce eut la plus étrange destinée, destinée qui ne fut pas sans influence sur celle des deux auteurs. Ni Hoffmann ni Méhul ne jouèrent jamais le rôle d'hommes politiques; mais le premier, doué d'infiniment d'esprit et d'une inflexibilité de caractère à toute épreuve, au lieu de donner aucun gage à la Révolution qui s'avançait plus menaçante de jour en jour, ne lui fit jamais les moindres concessions. Adrien n'était rien moins que ce qu'il fallait à la veille du 10 août. On savait que le héros devait y paraître sur un char traîné par quatre chevaux blancs, dressés par l'écuyer Franconi; sujet d'attente et d'impatience pour la curiosité du public, mais sujet de scandale ou plutôt d'indignation parmi les hommes tout-puissants qui se disposaient à faire feu sur la monarchie. On sent bien surtout qu'après le 10 août le char d'Adrien entra sous la remise. Il n'en devait sortir qu'en 1799, dans les derniers jours du directoire.

P. 18 :

Enfin, en 1799, l'Opéra qui se mourait d'inanition parvint à arracher l'autorisation du directoire pour la mise en scène d'Adrien ; mais les pentarques, qui, d'ailleurs, tiraient sur leur fin, peu attachés aux pompes monarchiques, ne voulurent pas faire les frais de l'attelage annoncé depuis huit ans, suppression qui nuisit beaucoup au prestige de la scène. Aussi; l'ouvrage, quoique fort applaudi, et qui méritait de l'être par le grandiose des tableaux, sinon par l'intérêt du sujet, par le caractère élevé de la composition plutôt que par la variété des effets, qui, en un mot, n'offrait qu'à trop petite dose ce qu'on va surtout chercher à l'Opéra, le prestige des tableaux qui charment les yeux, n'obtint qu'un grand succès d'estime, attrait insuffisant pour attirer et surtout pour retenir la foule. Adrien ne put se maintenir au répertoire.

 

Carrière à l'Opéra :

4 représentations en 1799 (04/06 – 16/06).

8 représentations en 1800 (04/02 – 07/07).

2 représentations en 1801 26/12 – 29/12).

4 représentations en 1803 (18/10 – 11/11).

Total : 18 représentations. Mais ce peu de succès ne tient pas à une volonté politique, selon la Bibliothèque musicale du théâtre de l'Opéra, tome 2, p. 14, mais à la faiblesse de l'oeuvre.

Sur le site Gallica, on peut lire un écrit de Hoffman défendant son opéra contre les attaques très violentes de Geoffroy, Réponses à M. Geoffroy, relativement à ses articles sur l'opéra d'Adrien, à Paris, chez Huet, 45 p.

 

Dans le tome 6 du Cours de littérature dramatique qui regroupe des articles de Geoffroy, on trouve sa réponse aux accusations d'Hoffman sous le titre alléchant de Querelles littéraires (p. 288-295) :

[Tout le débat tourne autour de cette vaste question : peut-on dire de l'empereur Adrien a été vainqueur des Parthes ? Peut-on le montrer sur le char du triomphe ? Hoffman a voulu justifier sa pièce, Geoffroy détruit ses arguments avec une belle ardeur. D'une tragédie, il fait un devoir d'histoire manqué et il en profite pour démolir son contradicteur.]

M. Hoffman triomphe comme son héros Adrien, sans avoir vaincu. Il me traîne enchaîné à son char, et ce char est une petite brochure où le faux bel-esprit se marie à une fausse érudition : tout l'arrière-banc des rimeurs, tous les auteurs sifflés jurent par leur génie que je suis un ignorant, et M. Hoffman tout au moins un Scaliger ou un Saumaise. La basse-cour des journalistes s'égosille à crier : « Benè, benè respondere ! Vive un faiseur d'opéras qui donne des leçons à un professeur ! » Les bonns gens, toujours les premières dupes, disaient avec inquiétude : « Cela est fâcheux ; il ne sait donc pas un mot d'histoire ? Nous verrons comment il se tirera de là. » J'avoue que j'ai ri moi-même des gasconnades et de la jactance bouffonne de mon maître d'histoire : cette mascarade d'un écolier travesti en pédant, m'a paru plaisante ; mais le jeu a duré trop long-temps : je vais souffler sur le château de cartes de M. Hoffman, et renverser sur la tête de ce petit géant la pile de bouquins poudreux qu'il avait entassés pour m'escalader.

Quand on veut se mêler de réfuter une opinion, monsieur Hoffman, il faut tâcher de l'entendre ; c'est la première chose qu'on doit faire avant même de compiler des in-folio; rien n'est plus ridicule que de se couvrir de la poussière des bibliothèques, pour prouver ce que personne ne conteste. Il est plus facile d'entasser à tort et à travers des passages d'auteurs, que de saisir le point d'une question. Faites-nous donc grâce d'abord de tous les exploits d'Adrien, quand il ne fut que simple particulier; ne nous parlez point du diamant que Trajan lui donna pour récompenser sa valeur. Je n'ai jamais prétendu qu'Adrien fût un lâche ; je conviens qu'il fut bon soldat et bon officier. Il voulait plaire à Trajan ; il aspirait à lui succéder, et Trajan voulait pour successeur un militaire. Mais il est difficile de forcer le naturel : apparemment qu'Adrien ne joua pas encore assez bien son rôle de guerrier ; car Trajan ne l'aima jamais, et la prétendue adoption d'Adrien fut l'ouvrage des intrigues de l'imperatrice Plotine. Il faut juger du caractère d'un homme par ce qu'il a fait lorsqu'il était maître de lui-même. Adrien, empereur, a été le plus pacifique de tous les princes ; et même, du moment où Trajan, accablé d'une maladie mortelle, a remis entre ses mains le commandement de l'armée, il reste dans la plus grande inertie. Ouvrez Crévier, écrivain très-exact, très-judicieux, qui dans ses Vies des Empereurs a comparé et fondu les originaux : « Adrien, dit-il, n'avait ni le zèle, ni peut-être la capacité nécessaires pour continuer une guerre si difficile; ainsi l'éloignement du conquérant fut la perte de toutes les conquêtes. Les Parthes, dédaignant le roi que Trajan leur avait donné, le déposèrent, se remirent en possession d'être gouvernés suivant leurs lois, et rappelèrent Cosroès, qui avait été détrôné par les Romains : l'Arménie et la Mésopotamie retournèrent à leurs anciens maîtres, et voilà à quoi aboutirent les grands et glorieux exploits de Trajan : pour tant de dépenses, tant de dangers, tant de sang répandu, il ne resta aux Romains que la honte d'une entreprise manquée. »

Quel magnifique début de ce superbe conquérant, de ce grand vainqueur des Parthes ! A peine est-il à la tête de l'armée, qu'il recule devant l'ennemi que son prédécesseur a vaincu; il s'en laisse insulter : car l'expulsion du roi établi par Trajan, et le rappel de Cosroès, étaient un outrage sanglant pour le nom romain ; et voilà le guerrier fameux que M. Hoffman promène à l'Opéra sur un char à quatre chevaux ! voilà le héros de sa petite brochure, qui vaut un poëme épique ! Il ne faut pas laisser ignorer aux lecteurs de ce savant panégyrique, un petit tour de passe-passe qui me paraît un peu fort pour un homme qui sait si bien son histoire ; ses paroles sont curieuses, il n'en faut pas perdre un mot : « Mais de tous les traits historiques, celui qui revient le plus à mon sujet est celui-ci, que votre léthargie, sans doute, vous a fait oublier comme les autres : Adrien détrôna Parthamaspate, que Trajan avait fait roi des Parthes, et leur rendit Cosroès qu'ils aimaient, et qui avait été chassé par Trajan. »

Lequel de nous, monsieur Hoffman, est en léthargie ? Pendant que vous ne songez qu'à copier le Crispin du Légataire, vous donnez dans des bévues historiques un peu lourdes : vous faites un titre de gloire pour Adrien de ce qui fait sa honte ; vous attribuez à sa puissance ce que les Parthes firent eux-mêmes de leur propre autorité ; et lorsque vous tombez dans une erreur si grossière , vous avez la bonhomie de nous dire que c'est ce qui revient le plus à votre sujet. Je vous exhorte, et même je vous somme, en vertu de votre grande science dans l'histoire, de nous apprendre si c'est Dion, Spartien, Eusébe ou saint Jérôme, qui vous a révélé qu'Adrien détrôna Parthamaspate, et rendit aux Parthes Cosroès. Le pauvre Adrien ne songeait alors qu'à sortir d'embarras, et, loin de s'occuper des affaires des Parthes, il avait bien peur que les Parthes ne se mêlassent des siennes ; toute sa conduite le prouve. Lorsque dans la suite ce Cosroès voulut remuer, Adrien, pour l'apaiser, se hâta de lui renvoyer sa fille que Trajan avait faite prisonnière : c'est ce que le savant Hoffman appelle, d'après le Dictionnaire historique imprimé chez Ley, en 1771, aller soumettre les Parthes révoltés ; et voilà comme on attrape les sots par un fatras de citations. J'avoue que c'est un grand plaisir pour un petit poëte de faire retentir aux oreilles des ignorans les noms de Dion Cassius, de Spartien, d'Eusebe de Césarée, de saint Jérôme, etc. ; mais il faut se refuser cette douceur, lorsqu'en les citant mal à propos on a lieu de craindre de se rendre ridicule.

Rien n'est plus comique que les rodomontades continuelles de M. Hoffman. A chaque fait qu'il tronque, ou qui ne prouve rien, dans sa brochure, il me croit percé à jour, et me demande si j'en ai assez. A l'occasion de quelques traits de bravoure d'Adrien dans la guerre contre les Daces, lorsqu'il combattait sous les ordres de Trajan, il me demande fièrement : « Eh bien ! ai-je eu tort d'en faire un vainqueur des Parthes ? » Oui, monsieur Hoffman, très-grand tort, et Métastase aussi. Quelques belles actions contre les Daces, ne font point d'un officier un vainqueur des Parthes ; et quand même il se serait signalé contre les Parthes (ce dont vous ne pouvez fournir aucune preuve, quoique vous ayez fureté partout), c'est toujours Trajan, et non point Adrien, qui est le véritable vainqueur des Parthes. Plusieurs officiers et généraux français ont fait éclater leur bravoure au-delà des Alpes ; Bonaparte mérite seul le titre de vainqueur de l'Italie.

Le Nain de Tillemont, dont les travaux ont répandu tant de jour sur l'histoire des empereurs, nous apprend qu'Adrien rejeta le triomphe que la flatterie du sénat lui avait décerné, après la mort de Trajan ; il sentit à quel point il se rendait ridicule de vouloir s’approprier les conquêtes d'autrui. M. Hoffman a été moins scrupuleux ; il nous montre Adrien qui triomphe à la faveur des victoires de Trajan, et cela, dans le temps même où l'histoire nous apprend qu'Adrien abandonnait, non pas ses conquêtes, puisqu'il n'en avait point fait, mais celles de Trajan : quand on méprise à ce point les conquêtes, on ne fait pas grand cas des triomphes. Je réponds donc à toutes les questions très-impertinentes dont M. Hoffman a semé sa brochure : oui, monsieur Hoffman, oui, encore une fois ; il est contre le bon sens, il est contre la nature de un [sic] conquérant, un triomphateur d'un homme tel qu'Adrien ; il n'y a pas dans l'histoire de point plus constant, plus formel, plus avéré, que le caractère pacifique d’Adrien et son éloignement pour la guerre : en démentant l'opinion de tous les siècles, vous compromettez gravement l'honneur de votre raison.

Cependant, il faut être juste : ce héros de M. Hoffman, pendant le cours d'un règne de plus de vingt ans, a remporté en personne un faible avantage sur les Roxolans et les Sarmates qui s'étaient révoltés : encore dut-il cet avantage à la cavalerie auxiliaire des Bataves, qui se jeta dans le Danube, et par cette audace effraya l'ennemi. M. Hoffman voudrait bien aussi mettre Adrien à la nage ; mais il n'y a pas moyen de croire une pareille prouesse sur la seule parole de Suidas, écrivain très-suspect du dixième siècle. Je suis obligé, en conscience, de révéler ici une circonstance mémorable de cette histoire ; elle a, sans doute, échappé à M. Hoffman. Ce fameux guerrier Adrien avait déjà acheté la paix de ces barbares à prix d'argent ; mais comme il n'était pas exact à payer, ils prirent les armes pour demander les arrérages échus : l'invincible Adrien, dans cette bataille, paya de sa bourse beaucoup plus que de sa personne ; il promit d'acquitter plus régulièrement son tribut. Les Roxolans et les Sarmates se retirèrent enchantés de ses belles manières ; et voilà cependant, au rapport de Crévier, la seule expédition que le redoutable Adrien ait conduite en personne. Puis cet historien ajoute : « Tel est le procédé qu'Adrien suivit constamment à l'égard de tous les barbares.... Par des présens, par des pensions, il arrêtait leur fougue et les tenait dans le calme, et il s'applaudissait beaucoup d'une si sage conduite.... Mais cette prétendue sagesse n'était qu'une vraie lâcheté. » Vous frémissez, monsieur Hoffman! votre vainqueur des Parthes, votre triomphateur traité de lâche ! Mais il faut se faire une raison : quand vous fouilleriez toutes les librairies de l'Europe, vous ne viendriez pas à bout de faire de ce philosophe voyageur un héros et un conquérant ; vous avez par trop abusé de la crédulité publique, vous vous êtes moqué du monde un peu trop ouvertement, lorsqu'à la faveur d'un fatras pédantesque, vous avez entrepris de faire à ce prince pacifique une réputation militaire. Adrien n'a jamais triomphé qu'à l'Opéra, et vous savez même que son triomphe théâtral est indisposé. Quant au triomphe de votre brochure, il est fini ; convenez que vous avez eu quelques beaux jours, et qu'avec votre appareil scientifique, vous avez assez complétement mystifié quelques badauds.

Vous me reprochez des injures ; je ne sais pas pourquoi vous voulez endosser celles qui s'adressent à l'empereur Adrien : j'ai dit, et je le répète, qu'il est amoureux comme un sot ; c'est le mot propre : mais quand vous m'appelez ignorant, vous, docteur aussi savant que poli, c'est à moi que vous vous adressez, et vous voulez sans doute me donner tout à la fois une leçon d'urbanité française et une leçon d'histoire. Vous êtes un aussi bon maître de l'une que de l'autre.

Dites-moi donc, qu'est-ce que cette affectation de vous mettre derrière Zaïre ? Qu'avez-vous de commun avec Voltaire ? Oui, sans doute, j'ai dit que Zaïre était un roman tissu d'invraisemblances, et je vous défie bien vous-même de me prouver le contraire, quand vous feriez une brochure de cent pages ; mais en même temps j'ai reconnu que l'intérêt des situations, le pathétique des sentimens, le brillant des caractères et la chaleur du dialogue, couvraient au théâtre toutes ces folies. Cette critique juste et motivée ne rend pas vos ouvrages meilleurs ; elle peut tout au plus vous fournir quelques sarcasmes froids et insipides : Zaïre est un ouvrage de l'art qui vaut la peine d'être jugé ; vos petits opéras tragiques et comiques sont des bagatelles auxquelles on fait trop d'honneur en les critiquant.

Au reste, le résultat de cette petite guerre laisse les choses in statu quo : Adrien est toujours à l'Opéra un triomphateur pour rire et un sot amoureux, en dépit d'Eusèbe, de Fabretti, de Birague, de Golzius, et même de saint Jérôme ; vous en êtes pour vos frais de recherches et d'érudition ; et la seule chose que vous ayez bien prouvée au public connaisseur, c'est que la science, dépourvue de jugement, de sens et de critique, est pire que l'ignorance.

Aimable élève de Quinault, retournez aux petits vers galans, aux phrases doucereuses ; laissez cet attirail sauvage des compilateurs ; c'est une armure trop pesante pour un poëte lyrique : ne hérissez plus vos écrits des noms barbares d'anciens commentateurs ; que les noms harmonieux d'amour, de chaines, de tourmens et de flammes attendrissent vos hémistiches : disserter et citer n'est point votre élément ; le harnais de savant vous donne l'air un peu gauche ; à chaque instant votre logique est en défaut. La fable vous convient mieux que l'histoire : on n'est pas toujours obligé, dans la poésie lyrique, de savoir ce qu'on dit ; cela est commode. Ainsi , croyez-moi, c'est un conseil d'ami que je vous donne : renoncez aux dissertations, vous êtes né pour les opéras.

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