Albert, ou l'origine de la république de Lucques

Albert, ou l'Origine de la république de Lucques, opéra-vaudeville en trois actes, d'Andrieux et Deschamps, 20 décembre 1792.

Théâtre du Vaudeville.

Le nom des auteurs est donné, entre autres, par André Tissier, les Spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 2, p. 383.Il indique en note 4 que la date de création n'est pas le 9 décembre, mais le 20.

Titre :

Albert, ou l'Origine de la république de Lucques

Genre

opéra-vaudeville

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

20 décembre 1792

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

F.-G.-J.-S. Andrieux et J.-M. Deschamps

Mercure français, n° 53 du 23 décembre 1792, p. 65-66 :

[Pour rendre compte d’un vaudeville qui a peu réussi, le critique a besoin de faire la théorie du vaudeville, réduit pour lui à des couplets plaisants et « un sujet agréable, mais sans profondeur ». Il va jusqu'à exclure « tout sujet fort, moral ou politique, qui exige des développemens et une certaine étendue » : on ne connaît guère de vaudevilles en trois actes qui aient réussi. Or le vaudeville nouveau a trois actes, et c’est la cause de son peu de succès. Le sujet est emprunté à un conte de Voltaire et met sur scène un jeune prince qui s’ennuie sur le trône, jusqu’à ce qu’un corsaire attaque sa ville et prenne tout le monde en otage. Le jeune prince réussit, grâce à sa chère Estelle, à vaincre le corsaire, mais il choisit de renoncer au trône et épouse Estelle : « il aime mieux servir et défendre l’état que de le gouverner », ce qui est une belle conclusion politique. Plus la pièce avançait, moins elle plaisait, et le critique trouve bien des causes à cet échec : sujet trop fort, peu de place pour les « détails politiques » dans un vaudeville, local trop petit (il doit y avoir une scène de combats), public peu philosophe, acteurs trop peu énergiques pour un tel sujet. Il aurait fallu créer une musique particulière pour cette pièce et la porter sur « un grand théâtre : les auteurs, non nommés, sont invités à y songer.

Remarque : il y a une lacune dans l’article, due à une reproduction maladroite sur Internet (site de HathiTrust).]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Le caractere distinctif des pieces à vaudevilles, est la légéreté dans toutes les acceptions du mot. Des couplets tournés avec art, sur des airs heureusement choisis, présentant tour à tour ou 1e sel de l'épigramme, ou la délicatesse du madrigal ; une critique fine ou un mot plaisant ; un sujet agréable, mais sans profondeur, capable seulement d'amener quelques tableaux intéressans, quelques scenes comiques, des traits de sentiment, plus souvent de la gaieté, voilà tout ce qu'il faut à ce genre, tout sujet fort, moral ou politique, qui exige des développemens et une certaine étendue, n'y convient pas. Aussi, dans la foule d'opéras comiques, qui sont restés, n'en compte-t-on presque pas en trois actes.

Si cette esquisse de la théorie du vaudeville est vraie, il ne faut pas chercher plus loin la cause du peu de succès qu'a eu jeudi Albert ou l'origine de la République de Lucques. Ce sujet est pris du conte de Voltaire, intitulé : l'Education d'un prince. Le jeune Albert entre avec l'évêque qui l'a élevé comme pour lui, et qui dirige sa conscience, et l'intendant de son trésor, environné de courtisans perfides, croit son peuple heureux, et s'ennuie. Il n'a qu'un honnête homme, et il l'exile. Mais cet honnête homme a une jolie sœur : tandis qu'elle vient justifier son frere auprès du prince qui ne lui parle que d'un couplet amoureux, qu'il a fait ou fait faire pour elle ; le corsaire Abdalla s'empare de la ville et met tous les habitans aux fers. Toute la cour change d'état sous les loix de ce brigand. Le prince est transformé en valet d'écurie ; 1'on fait un jardinier de son secrétaire ; de ses deux courtisans, l'un devient maçon, c'était le ministre des finances, 1'autre devient d'évêque, meunier. La seule Estelle conserve son emploi, celui de plaire au souverain ; le brutal Abdalla lui donne le mouchoir. Elle emploie sa faveur à délivrer le jeune prince, à qui elle avoue l'intérêt qu'elle prend à lui. En se concertant avec son frere, il pourra reconquérir ses états. Mais elle l'instruit qu'Abdalla doit souper tête à tête avec elle, et elle recommande au prince d'arriver au dessert. Ce projet s'exécute au troisieme acte, dans le moment le plus critique Estelle est avertie d'une maniere ingénieuse par le jardinier.

[…] retour de son amant, qui en effet se rend maître de la ville, de tous les turcs plongés dans l’ivresse, et de la personne d’Abdalla. Vainqueur généreux, il renvoie ce corsaire en lui donnant même pour esclaves l’évêque et le contrôleur financier ; mais il ne veut plus remonter sur le trône, et content de posséder Estelle, il aime mieux servir et défendre l’état que de le gouverner.

Le premier acte a infiniment réussi, le second, moins et le troisieme a déplu. Ce n'est pas qu'il ne pétille d'esprit et qu'on n'y trouve une foule de couplets charmans, mais ce sujet est beaucoup trop fort et pour le genre qui se prête peu à ces détails politiques, et pour le local qui ne pouvait le présenter avec la pompe convenable, et pour les habitués de ce théâtre qui ne paraissent pas avoir l'esprit tourné à la philosophie, et pour les acteurs même qui n'ont pas encore le dégré d'énergie qu'il exigeait, de sorte que cette piece qui, soutenue d'une musique vigoureuse, aurait eu tout ce qu'il faut pour réussir sur un grand théâtre, n'a pu réussir sur celui du vaudeville. Les auteurs gagneraient peut-être à le change de forme ; il serait dommage que tant d'esprit et de talent fût perdu.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 3 (mars 1793), p. 336-337 :

[Le critique cite d’abord longuement Voltaire : la pièce a une source littéraire... Puis il s’attache à expliquer l’échec de la pièce, et ses arguments sont nombreux : trois actes, c’est beaucoup pour un vaudeville ; la conduite de la pièce n’est jamais la bonne, « souvent rapide, souvent traînante, & presque toujours invraisemblable ; plaisanterie trop lourde et musique mal choisie : «  les événemens heureux ou malheureux y tombent, pour ainsi dire, des nues ». Certes les nombreux couplets sont « fins, ingénieux », certaines situations sont « adroites et intéressantes ». Mais le public a boudé : les auteurs n’ont pas été demandés.]

Albert, ou l'origine de la république de Lucques, opéra-vaudeville en trois actes.

Dans Bénevent jadis régnoit un jeune prince,
Plongé dans la mollesse, ivre de son pouvoir,
Elevé comme un sot, & sans en rien savoir,
Méprisé des voisins, haï dans sa province.
Deux frippons gouvernoient cet état assez mince ;
Ils avoient abruti l'esprit de monseigneur,
Aidés dans ce projet, par son vieux confesseur :
Tous trois se régaloient. On lui faisoit accroire
Qu'il avoir des talens, des vertus, de la gloire.
Qu'un duc de Bénevent, dès qu'il étoit majeur,
Etoit du monde entier l'amour & la terreur ;
Qu'il pouvoit conquérir l'Italie & la France,
Que son trésor ducal regorgeoit de finance ;
Qu'il avoir plus d'argent que n'en eut Salomon.
Sur son terrein pierreux du torrent de Cédron.
Alamon (c'est le nom de ce prince imbécile)
Avaloit cet encens, & lourdement tranquille,
Entouré de bouffons, & d'insipides jeux,
Quand il avoit dîné, croyoit son peuple heureux, &c.

Tel est le début du conte de Voltaire, intitulé l'Education du prince, qui a fourni le sujet d'Albert, donné sans succès sur ce théatre. Le conte est suivi jusqu'au troisieme acte, où les auteurs d'Albert s'en sont considérablement écarté. Plusieurs raisons ont pu motiver le froid accueil que le public a fait à cet ouvrage ; d'abord trois grands actes en vaudeville réussiront difficilement à ce théatre, sur-tout trois actes renfermant une action sérieuse, & qui demande du jeu & de l'intérêt. En second lieu, la conduite de l'ouvrage est souvent rapide, souvent traînante, & presque toujours invraisemblable. Enfin la plaisanterie y est quelquefois lourde, les airs y sont mal choisis ; le personnage d'Abdalla, joué d'ailleurs avec intention par Duchaume, y est souvent plus que grossier : les préparations, les développemens n'y sont pas assez bien ménagés : en un mot, les événemens heureux ou malheureux y tombent, pour ainsi dire, des nues.

Tous ces défauts n'ont pu être effacés par une foule de couplets fins, ingénieux, & par quelques situations adroites & intéressantes. Le public a souvent manifesté son mécontentement, & il ne s'est pas même montré curieux de connoître les auteurs de cette singuliere production.

D'après la base César, Albert, ou l'Origine de la république de Lucques est d'auteur inconnu. Deux représentations seulement, les 9 et 20 décembre 1792. Mais André Tissier, les Spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 2, p. 182, note 4, explique que la représentation du 6 décembre a été seulement annoncée, et que, d'après les annonces ultérieures et le compte rendu, elle ne fut représentée que le 20 décembre.

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