L'Agioteur (Lebrun-Tossa, 1793)

L'Agioteur, comédie en prose et en un acte, de Lebrun-Tossa, 9 août 1793.

Théâtre des variétés amusantes.

Titre :

Agioteur (l’)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

prose

Musique :

non

Date de création :

9 août 1793

Théâtre :

Théâtre des Variétés Amusantes

Auteur(s) des paroles :

Lebrun-Tossa

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 12 (décembre 1793), p. 334-339 :

[Le compte rendu raconte d’abord l’intrigue, avant de porter un jugement. Pièce à succès, l’Agioteur offre beaucoup de choses agréables ; le style en est bon ; le but en est louable. Le critique lui reproche toutefois le manque de motivation des entrées des personnages, et le rôle d’un valet de chambre pas assez rattaché à l’action. Surtout, « l'agioteur n'est pas assez puni ». Et cet argument est longuement développé, en insistant sur le statut social de l’agioteur, qui, valet devenu prétendu baron, n’est pas si malheureux d’épouser une femme de chambre, puisqu’il garde son argent. Il reste heureux, et « il ne devroit ni l'être ni le paroître aux yeux des spectateurs. » (la comédie doit châtier mes mœurs...).]

THÉATRE DES VARIÉTÉS AMUSANTES.

L'Agioteur, comédie en prose & en un acte.

La veuve d'un ci-devant conseiller au parlement, Mme. d'Aprimont, est aimée par le fils d'un riche négociant, qu'elle est sur le point d'épouser. Le baron de Florvignac la voit, en devient amoureux, & met tout en usage pour avoir accès auprès d'elle, & lui offrir, avec son cœur & sa main, une vingtaine de mille livres de rente. Il ne croit pas pouvoir être refusé, parce que Mme. d'Aprimont est bien loin d'être riche.

Mais le baron de Florvignac n'est pas heureux. Il rencontre, chez sa belle veuve, une femme-de-chambre qu'il a beaucoup connue, étant laquais à Toulouse, & qu'il auroit même dû épouser, à cause de l'état où elle étoit, lorsqu'il la quitta, si la voix de la nature se faisoit entendre à tous les hommes. Le ci-devant Lafleur l'écoute si peu dans cette circonstance, qu'il vint à Paris, où, à force de bassesses & de friponneries, il parvint à acquérir une somme de douze mille livres. Avec cela il acheta de l'argent, le revendit, & de-là sa fortune de quatre cents mille livres.

Qu'on juge donc de sa surprise, lorsqu'il reconnoît Lisette, & qu'il en est reconnu. Il veut l'engager à garder le secret ; mais la soubrette, qui n'a point oublié ce que Lafleur lui fit à Toulouse, veut s'en venger sur M. de Florvignac, & c'est pour cela qu'elle apprend à sa maîtresse qui est ce prétendu baron. Pendant que Mme. d'Aprimont se dispose à le chasser, Philibert le fils arrive, & reconnoît dans Florvignac un ancien commis de son pere, auquel il lui reproche les escroqueries qu'il lui a faites.

Lisette voyant bien que son baron sera bientôt éconduit, veut tirer parti de la circonstance, & lui faire paver bien cher ce qu'elle lui avoit donné pour rien à Toulouse. Elle feint, à cet effet, que sa maîtresse est sur le point de voir saisir ses meubles, si elle ne paie pas sur le champ une somme de trente mille livres qu'elle doit à divers créanciers. Voulez-vous achever de vous faire aimer, dit la rusée femme-de-chambre à Florvignac, & ne plus trouver d'obstacle à votre flamme ? surprenez agréablement Madame, en remettant à M. Pointil, son notaire, qui va venir, ces dix mille écus, pour le remplacement desquels vous aurez bientôt ma maîtresse toute entiere.

L'agioteur, moins méfiant & moins fin que les gens de son espece, donne dans le panneau. Le prétendu Pointil, boîteux & borgne, arrive, & lui demande, en nasillant, Mme. d'Aprimont ; Florvignac lui propose les dix mille écus ; le notaire les accepte & s'en va. Lisette, qui étoit sortie un instant avant qu'il entrât, entre au moment où il vient de sortir. Le procédé de Florvignac l'enchante ; sa maîtresse en sera enthousiasmée ! elle vient ; quel moment heureux pour le baron agiotant !

Par malheur, Philibert la suit de près. Quoi ! dit la veuve en parlant de Florvignac à Lisette, je vois encore cet homme-là devant mes yeux ! j'avois pourtant dit de l'éconduire. Celui-ci demeure stupéfait ; il balbutie quelques mots à Mme. d'Aprimont, qui daigne à peine lui répondre ; il parle de trente mille livres, elle ne l'entend pas ; il s'explique, elle l'entend encore moins ; il nomme M. Pointil ; la veuve assure que son notaire n'a jamais porté ce nom ; il cite le pâtissier auquel il étoit dû dix mille livres, le Juif Iscariotte, auquel il en étoit dû quinze ; Mme. d'Aprimont ne comprend rien à tout cela. Enfin Lisette, voulant les tirer tous d'embarras, avoue franchement que c'est elle qui, déguisée en notaire, a reçu les trente mille livres ; mais elle proteste qu'elle ne les rendra pas si Lafleur de Florvignac ne répare, en l'épousant, le tort qu'il lui a fait à Toulouse. Un baron épouser une femme-de-chambre, c'est bien fort ; cependant il s'y résout, après y avoir été invité par Mme. d'Aprimont & Philibert.

Cette piece marche très-bien ; elle offre beaucoup de choses agréables ; le style en est bon ; le but en est louable. Nous pensons toutefois que l'entrée des personnages n'est pas en général assez motivée ; que le valet-de-chambre Blaisot, dont nous n'avons point parlé, devoit, pour paroître utile, de même que Philibert & Mme. d'Aprimont, être plus étroitement lié à l'action, & que l'agioteur n'est pas assez puni. Qu'importe à un homme si vil, d'être persifflé & honni par d'honnêtes gens ? Ne voit-on pas qu'il est égal à ce cœur de boue d'épouser Mme. d'Aprimont ou sa femme-de-chambre, puisque cet être méprisable n'agissant que par & pour l'argent, sait que Mme. d'Aprimont n'est rien moins que riche ? si l'agioteur avoit été puni par la perte d'une maîtresse douée d'une grande fortune qui l'auroit refusé parce qu'elle aurait su qu'il se livroit à l'agiotage, à la bonne heure, sur-tout si, à la suite de cette punition, on l'avoit encore livré à la justice. Mais un homme qui a été laquais, est-il puni pour épouser une femme-de-chambre ? Non, sans doute, non ; il a volé pour acquérir, quatre cents mille livres ; il les conserve; il est donc heureux, & il ne devroit ni l'être ni le paroître aux yeux des spectateurs.

La comédie de l'Agioteur présente des situations qui ont beaucoup de ressemblance avec celle de Turcaret ; est-ce imitation ? elle est trop servile ; est-ce réminiscence ? il falloit y prendre garde. L'auteur auroit bien fait aussi d'élaguer quelques bons-mots qu'il a parodiés sur d'autres bons-mots trop généralement répandus. Lorsque Florvignac soutient, par exemple, que sa noblesse est bien à lui parce qu'il l'a achetée, nous nous rappellons involontairement les sermons de l'abbé de Despréaux, qui soutient que c'est parce qu'il les achete que ses sermons sont à lui. Le compliment que fait Florvignac à Mme. d'Aprimont est trop spirituel pour un homme de cette espece. Vous êtes bien loin, lui dit-il à-peu-prés, de penser comme on 1e doit aujourd'hui. Vous allez contre les principes de la liberté, puisque vous enchaînez tous ceux qui vous approchent ; & vous violez ouvertement les principes de l'égalité, puisqu'il est impossible de pouvoir trouver quelqu'un qui puisse vous être comparé. Tout cela est fort bien ; mais il falloit le faire dire à Philibert, & non à Lafleur.

Il est bon d'observer que les Agioteurs, comédie en trois actes & en prose, que Dancourt fit représenter en 1710, n'a aucun rapport avec l'Agioteur.

César : le seul Agioteur que connaît César, c'est la comédie en un acte et en vers d'Armand Charlemagne, jouée à la fin de 1796. Il ignore donc la pièce de Lebrun-Tossa, donnée le 7 août 1793, que signale André Tissier, Les Spectacles à Paris sous la révolution, tome 2 (2002), p. 278.

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