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L'Ami vrai

L'Ami vrai, comédie en un acte et en prose. 19 frimaire an11 (10 décembre 1802.

Théâtre Français de la République

Titre :

Ami vrai

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

oui (au moins une ariette)

Date de création :

19 frimaire an 11 (10 décembre 1802)

Théâtre :

Théâtre Français de la République

Auteur(s) des paroles :

 

Compositeur(s) :

 

Almanach des Muses 1804

Madame Melcour déteste, on ne sait trop pourquoi, une nièce qu'elle n'a jamais vue. Son fils aime la jeune personne, et il l'introduit auprès de sa mère en qualité de femme de chambre. Un ami vrai, que les deux amans ont mis dans le secret, feint d'être épris de la fausse soubrette, et fait part à madame Melcour du dessein qu'il a formé de l'éposuer, malgré l'inégalité de leur fortune et de leur condition. Celle-ci, que les qualités de la jeune personne ont séduite, en fait un éloge pompeux, et approuve le mariage. Tout se découvre, Madame Melcour revient de son injuste prévention, et les amans sont unis.

Moyens connus. Des longueurs. Point de succès.

 

Journal des Débats, 21 frimaire an 11, dimanche 12 décembre 1802, p. 2-4 :

Voilà un bel exemple d’éreintement d’une pièce : n’ayant eu aucun succès, la petite comédie en un acte ne méritait vraiment pas un feuilleton complet (4 colonnes de texte, tout de même). Le critique ne trouve rien à sauver : pas de respect des règles de l’art et des lois du sens commun, pas même d’esprit tant apprécié aujourd’hui. L’auteur, resté anonyme semble connu du critique (ce n’est pas étonnant : le mystère sur l’identité de l’auteur des pièces nouvelles est souvent un secret éventé), et le manque d’esprit dont il a fait preuve surprend, mais c’est le signe, validé par une citation d’Horace, Art poétique, vers 309, d’une pensée qui n’est pas fondée sur la raison. La comédie nouvelle n’en serait pas une : elle aurait déjà été jouée sans succès sous le titre du Cousin et la cousine. La représentation a été houleuse, faute du moindre mérite pour la pièce. Ce qui amène le critique à s’interroger sur la façon dont les comédiens du Théâtre de la République (qui est la Comédie-Française) choisissent les pièces qu’ils veulent mettre au répertoire. Comment expliquer le choix d’une pièce que le plus humble employé du théâtre aurait naguère regardée avec mépris. On sent là le thème bien connu de la décadence du théâtre ? Cet Ami vrai reprend le thème d’une pièce à succès, Alexis, ou l'Erreur d'un bon Père. Le résumé de l’intrigue de ce modèle sert à souligner la maladresse de l’adaptation qu’est censée en faire la nouvelle comédie. Le critique souligne combien l’intrigue est noyée dans des bavardages insipides. Rien n’est sauvé, ni la mère, ni l’ami vrai, ni la cousine qu’on va marier. Même une utilité est jugée insupportable. Conclusion : « un amas de pauvretés, et, tranchons le mot, de bêtises », « une pièce sifflée qui n’en vaut pas la peine ». C’est l’occasion de faire la leçon aux jeunes auteurs, mis en garde contre leur précipitation. Le paragraphe consacré à l’interprétation est d’une belle méchanceté : des acteurs inaudibles (mais les sifflets ne doivent pas aider !), mais ce n’est pas une grosse perte ; une actrice principale au costume ridicule et qui chante mal – mais ce n’est pas sa faute : elle n’est pas cantatrice. Seul l’acteur jouant le vieil ami est sauvé du désastre, bien que son rôle soit « trivial et niais ». Il faut bien que le critique montre aussi son esprit, et menace les auteurs modernes d’être transformés en bêtes, mais pas par la coupe de Circé, mais « par celle de l’orgueil », une transformation déjà entamée.

Théâtre Français de la République.

L’Ami vrai.

Si l'auteur de l'Ami vrai avoit eu de vrais amis, ils ne lui auroient jamais laissé faire une pareille sottise ; mais les vrais amis sont rares ; on n'en trouve plus guères que dans les pièces de théâtre. La chute de cette petite comédie ne laisse presqu’aucune consolation à l'amour-propre ; ses défauts sont de la plus mauvaise espèce : elle ne pèche pas seulement contre les règles de l'art, contre les loix du sens commun ; elle manque aussi de cette qualité qu'on prise plus aujourd'hui que la raison et l'art ; on n'y trouve point d'esprit, et l'auteur n'a pas assez de ce que les autres ont de trop ; ce qui leur sert d'excuse, fait sa condamnation.

Si l'on me demande comment l'écrivain qui a mis tant d'esprit dans quelques jolis romans, en a été si avare dans cette comédie, je ne me charge point de résoudre ce problème ; je ne m'aviserai point aussi de définir cet esprit dont on est aujourd'hui si vain, dans la crainte qu'il ne soutienne pas la définition : je dirai seulement que les résultats qu'on peut se procurer par l'analyse chimique de l’esprit du jour, sont très-incertains et même très-opposés entr’eux : souvent ce qu'on décore du nom brillant d'esprit pourroit avec autant de justesse recevoir la fâcheuse qualification de bêtise. Il n'y a point d'esprit sans raison ; c'est l'axiome le plus universel et le plus vrai de toute la littérature.

Scribendi rectè sapere est et principium et fons.

On n'écrit jamais bien quand on pense mal.

On assure que la pièce qui vient de tomber au Théâtre-Français sous le nom de l'Ami vrai, avoit déja été sifflée autrefois à Feydeau sous le titre du Cousin et de la Cousine, qui lui convient beaucoup mieux : c'est un appel d'une petite juridiction de village au premier tribunal dramatique de la France : l'arrêt a été confirmé et jamais il n'y en eut de plus juste. L'Ami vrai, ou le Cousin et la Cousine, ne sont qu'une très-mauvaise rapsodie de quelques mauvais romans ; l'idée en est par-tout, et l'exécution est plus malheureuse qu'on ne peut se l'imaginer ; on a voulu faire un drame pathétique et l'on y rit d'un bout à l'autre ; il est ̃vrai que c'est de l'auteur. La pièce a été beaucoup plus baffouée que sifflée, parce qu'elle est d'une médiocrité au-dessous même des sifflets : on a sifflé et avec raison des ouvrages où il y avoit cependant quelque mérite : mais dans l'Ami vrai il n y a rien, pas même de l'esprit ; c'est bien le dernier degré de l'indigence : pas même de l'esprit quand tout le monde en regorge !

Comment croire, après cela, qu'il y ait un comité établi pour juger les pièces ? Comment les comédiens ne sont-ils pas révoltés d'un amas de platitudes, de trivialités, d'inconvenances ? Comment s’exposent-ils à louer des niaiseries qui auraient jadis fait hausser les épaules aux moucheurs et sous-moucheurs de chandelles de l'ancien théâtre ? On reprochoit aux comédiens d'être trop difficiles ; ils sont devenus beaucoup trop accommodans. L'expérience prouve qu'on ne sauroit mettre trop de rigueur dans l'examen des candidats qui aspirent aux honneurs de la représentation ; le malheur est que l'indulgence est pour la médiocrité, et l'excessive sévérité pour le talent.

Alexis, ou l'Erreur d'un bon Père, petit opéra assez intéressant du Théâtre Feydeau, semble avoir fourni l'idée de l'Ami vrai. C'est un père qui, séduit par les artifices d'une belle-mère, a conçu de la haine contre son fils, et dont la tendresse se réveille lorsque ce fils, absent depuis plusieurs années de la maison paternelle, y revient comme un étranger et un inconnu. Le vieux célibataire qui rend son amitié à son neveu qu'il haïssoit sans le connoître, a aussi l'honneur d'avoir servi de modèle à l'Ami vrai ; mais quelle énorme distance de la copie à l'original ! Madame d'Alvigni a une nièce qu'elle déteste sans l'avoir jamais vue : cette nièce est jolie ; son cousin la rencontre par hasard à Rouen : c'est une orpheline dans la misère, il la fait venir à Paris, chez sa mère : la mère, aussi étourdie que le fils, la prend pour femme de-chambre, après lui avoir entendu chanter une ariette, quoiqu'elle n’ignore pas que cette virtuose est la maîtresse de son fils : enfin, un vieux ami de la mère découvre que sa nouvelle femme-de-chambre est sa nièce, et la force à consentir au mariage de la cousine avec le cousin.

Voila le fonds de la pièce ; mais qui pourrait rendre compte du bavardage incroyable et du ridicule extraordinaire des détails où il cette misérable intrigue est noyée ? Le jeune homme est, d'un bout à l'antre d'un emportement niais, d'une folie insipide et monotone, faisant l'enfant et sautant presqu’à chaque mot. La mère fait les plus beaux raisonnemens du monde pour se persuader que la prudence exige qu'elle prenne pour femme-de-chambre la maîtresse de son fils. L'Ami vrai, qui a soixante ans, n'a pas plutôt vu la jolie cousine qu'il veut l'épouser et lui donner tout son bien ; c'est mieux que de l'amitié : il ne soutient son titre d'Ami vrai que par les reproches grossiers qu'il fait à la mère, sur sa cruauté à l'égard de sa nièce : par-tout où cet Ami vrai n'est pas ridicule, il n’est qu'une très foible copie du Bourru bienfaisant. La cousine est une fade pleureuse, une aventurière romanesque qui n'intéresse personne, et fait rire par ses lamentations de commande. Le comble de l'insipidité est une vieille gouvernante imbécille qui trahit ses devoirs par philosophie, et favorise l'extravagance du jeune homme par sensibilité.

Quoique mon objet ne soit pas de critiquer une pièce sifflée qui n'en vaut pas la peine, j'insiste sur cet amas de pauvretés, et, tranchons le mot, de bêtises, non point pour offenser l'auteur qui est suffisamment corrigé et puni mais pour effrayer ceux qui suivent la même carrière, par l'exemple d'un homme d'esprit tombé si lourdement ; qu'ils se défient de leurs inventions, qu'ils soient modestes, circonspects, moins prompts à composer et à produire ; qu'ils renoncent à ce malheureux papillottage d'un dialogue qui porte sur des riens, à cette gaité factice qui n'est qu'un mauvais persifflage ; qu'ils se tiennent en garde contre leur esprit qui n'est qu'un misérable jargon et qu'ils tâchent, avant de parler, de s’assurer à-peu-près de ce qu'ils veulent dire.

On n'entendoit pas les acteurs ; ils ne se donnoient pas la peine de parler ; c'eût été un inconvénient grave, si ce qu'ils avoient à dire eût valu la peine d'être entendu. On a perdue entr'autres belles choses plus de la moitié d'une tirade où madame d'Alvigni peint les agrémens de la situation d'un vieillard qui se marie. Mlle Mézerai n'avoit pas été plus heureuse dans le plan de sa toilette, que l'auteur dans la combinaison de la pièce : sous un énorme chapeau, sa figure, offusquée par les cheveux, ne signifioit rien du tout ; ses doléances et ses sanglots ne produisoient pas plus d'effet que sa coëffure. Rien n'est plus fatiguant que la douleur glapissante et forcée, que les accens plaintifs qui partent de la gorge ou de la tête. Mlle Mézerai n'étant pas cantatrice de profession, on ne peut pas lui reprocher la foiblesse de son chant, encore moins la médiocrité de l'air qu'elle a chanté ; mais cette divine ariette qui doit faire triompher les talent de la nièce, réfroidit beaucoup la scène quand elle se réduit à des fredons très-communs. Michot a joué le vrai ami avec son naturel et sa rondeur ordinaire : mais par malheur, le rôle est trivial et niais depuis le commencement jusqu'à la fin.

En vérité nos modernes ont besoin de frotter leur esprit contre le bon sens des comiques du siècle dernier. S'ils restent plus long-tems brouillés avec le jugement et la raison, je leur prédis le plus terrible des fléaux, la plus étonnante des révolutions. Avec tout leur esprit, ils seront changés en bêtes, non par la coupe de la volupté, comme les compagnons d’Ulysse, mais par celle de l'orgueil, et déja même le breuvage opère, et la métamorphose est ébauchée.

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