Les Amis de Collége, ou l'Homme oisif et l'Artisan

Les Amis de Collége, ou l'Homme oisif et l'Artisan, comédie en 3 actes, en vers, de Picard. 23 frimaire an 4. Huet.

Théâtre de la République

Titre :

Amis de collège (les), ou l’Homme oisif et l’Artisan

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

23 frimaire an 4 (14 décembre 1795)

Théâtre :

Théâtre de la République

Auteur(s) des paroles :

Picard

Almanach des Muses 1797.

Tableau intéressant de trois hommes qui, après s'être juré une amitié éternelle au collége, se retrouvent long-temps après dans la société. Des trois, l'un est un poète dramatique ; le second, nommé Derville, est un riche désœuvré ; le troisième un habile menuisier. Le poète a besoin de mille écus ; il s'adresse à Derville : celui-ci les lui donne de si mauvais grace, que le poète se fâche et lui rend son argent. Il a recours au menuisier, qui les lui promet, sans trop savoir comment il pourra les trouver. Cependant des événemens inattendus ruinent Derville, et le réduisent à se faire apprentif chez le menuisier : mais d'autres événemens lui rendent sa fortune ; et corrigé par l'adversité, il la partage avec ses anciens amis.

Beaucoup de mérite dans les caractères. On a sur-tout applaudi à celui de l'ancien régent des trois amis.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1795, volume 6 (novembre-décembre 1795), p. 278-282 :

[Le compte rendu commence de façon enthousiaste  la pièce repose sur « une heureuse idée », surtout qu’elle a germé dans la tête de Picard. La présentation des personnages permet de poser le cadre de l’intrigue. Curieusement, le critique annonce qu’il ne va pas faire « une analyse détaillée de la pièce », avant d’en raconter assez longuement l’intrigue, avec parfois un brin de scepticisme (« l’accablant de reproches, un peu légèrement à mon gré »). Le dénouement connu, il dit le bien qu’on peut penser de la pièce ; elle s’achève sur un « tableau frais & délicieux », et le vieux professeur des trois anciens collégiens tire la leçon morale de l’aventure, une « morale douce & saine que respire en général tout l'ouvrage, & qui fait honneur aux principes & au cœur du cit. Picard ». Mais le compte rendu s’achève sur un ton moins agréable : il y a dans la pièce des « personnages inutiles », et Picard se voit conseiller de les supprimer. Et un second conseil l’invite, de façon ferme, à travailler ses pièces : il est invité à choisir « des sujets vraiment dignes de la comédie », de les laisser mûrir, « de soigner sévèrement son style », lui qui est présenté comme un émule de Regnard, tout comme l’autre espoir de la scène comique, Andrieux (l’auteur des Étourdis, ou le Mort supposé). Le critique s’adresse même à Picard, pour lui donner un plan de travail qui lui permettra d’obtenir « un grand succès & une réputation solide, bien préférable à toutes les jouissances du moment ».]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

Les amis du Collège , comédie en j actes.

C'est vraiment une heureuse idée que celle de mettre sur la scène trois amis du collège, séparés longtemps, se retrouvant enfin dans des états différens, mais avec leurs mêmes caractères. Les Amis de Collège ! Un tel sujet, ce titre seul est le présage presque assuré du succès, sur-tout quand il s'est offert à un auteur doué d'une imagination vive, riante & facile, telle que le jeune auteur des Visitandines, du Conteur, des Conjectures, &c. le citoyen Picard.

Trois jeunes écoliers, qui s'étoient démêlés & chéris de préférence au collège entre tous leurs camarades, qui s'y étoient juré une amitié éternelle, se sont perdus de vue depuis plusieurs années ; l'un des trois sur-tout, Clermont, plus sémillant, plus vif, vérifiant bientôt l'horoscope de son maître, s'est écarté & consacré uniquement à la poésie, peu effrayé de l'exemple de son père, peintre habile, & mort dans la misère ; pauvre comme lui, il se console par ce vers heureux :

C'est l'usagé, on le sait, des homme» à talens.

Robert, fils de menuisier, a embrassé la profession de son père, & tout fier de la prédilection de Jean-Jacques pour son métier , il se croit un autre Emile.

Derville, le troisième, a recueilli trop jeune, & presque dissipé dans l'oisiveté, les grands biens que son père avoìt amassés dans le commerce.

Voilà l’avant scène ; les amis de collège vont se réunir, & l’action commence.

N'attendez point de moi une analyse détaillée de la pièce, analyse qu'on trouvera dans tous les journaux. En deux mots, le poëte enchanté d'ailleurs de son sort, mais sans meubles & sans asyle, s’il ne trouve le soir même mille écus, s'adresse au riche Derville, son ancien camarade, qui hésite, prête de mauvaise grace, & finit par railler avec amertume son nouveau débiteur : celui ci, blessé au vif, lui rend fièrement ses mille écus, en lui disant : Derville, vous valiez beaucoup mieux au collège. Il est au désespoir ; mais Robert le menuisier, qu'il rencontre, verse un baume sur sa blessure, lui procure les mille écus pour le soir ; de plus, lui offre dès-à-présent une petite chambre dans sa maison, & une autre pour la sœur ; &, pour couronner l’ouvrage, lui promet pour convive le bon & respectable Bonnard, leur ancien professeur de rhétorique ; ce qui amène des souvenirs délicieux, de charmans détails.

Le professeur, qui paroît bientôt, rend encore tous les souvenirs plus doux; & au deuxième acte, égayé par le dessert, qui lui rappèle le vin de Falerne & le bon Horace, il cite Virgile, Tacite & Cicéron, qu'il a quelquefois l'intention de traduire en français ; puis il sort pour herboriser ; & cela amène encore tout naturellement le nom du bon Jean-Jacques & celui d'Ermenonville.

Derville , qui se reproche l'accueil qu'il a fait à Clermonr, voit son aimable sœur sans la connoître pour telle, la trouve jolie, lui dit des douceurs, mais respecte bientôt la sœur de son ancien camarade ; il court à lui & lui offre, en l’embrassant, son porte-feuille. Clermomt, bon & confiant, l’acceptte ; mais soupçonnant, d'après un mot de Robert, un peu amoureux & un peu jaloux, les vues secrètes de Derville, il court à lui & lui rend son porte-feuille, en l’accablant de reproches, un peu légèrement à mon gré.

Cependant Derville apprend la faillite & la fuite de son banquier, & court à Paris sur sa trace; revient désespéré, mais se console, en s’offrant pour apprentif au menuisier ; & quand, par un retour ua peu brusque, on vient lui annoncer que le banquier est arrêté & ses biens sauvés, il ne change point de résolution & reste compagnon menuisier; heureux d'employer sa fortune à occuper les pauvres ouvriers du voisinage !

Les trois amis de collège font vœu de finir ensemble leur carrière comme ils l'ont commencée ; leur bon professeur mettra dans la communauté sa petite pension, le poëte ses pièces, & sa sœur apporte en dot au menuisier ses crayons & son carton. Tableau frais & délicieux que ce bon professeur consacre par d'aimables & sages préceptes, sur la nécessité du travail, sur le danger & les torts de l’oisiveté : morale douce & saine que respire en général tout l'ouvrage, & qui fait honneur aux principes & au cœur du cit. Picard.

Je n'ai point parlé d'une mère un peu triviale & de sa fille, son éternel écho, personnages inutiles, vrais hors-d'œuvre dans l'ouvrage, & que j'inviterois l'auteur à retrancher ; mais ce n'est pas le seul conseil que j'ai à lui donner.

Il faut le dire hautement : il n'est plus permis à Picard d'éparpiller son esprit & son talent. Le premier acte des Amis de Collège, le charme répandu dans tout l'ouvrage & le caractère dé l’homme aux Conjectures, imposent à Picard la loi de se vouer de plus en plus à des sujets vraiment dignes de la comédie, de laisser mûrir ses sujets, de soigner sévèrement son style, déjà facile & naturel; enfin de mériter l'honneur de suivre de près l’auteur charmant des Etourdis, sur les traces de Regnard, dont tous deux rappèlent la gaieté, la facilité, le trait. Si j'étois l'ami de Picard, je lui dirois à l'oreille : » Picard, Picard ! hâte-toi lentement, & consacre tout cet hiver à composer ta première pìece, cet été prochain à la retoucher :à ce prix, je te promets, un grand succès & une réputation solide, bien préférable à toutes les jouissances du moment. «

(Journal de Paris.)

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, deuxième édition (1825), tome 4, p. 217-219 :

[Article à l'occasion de la reprise de la pièce en 1810. Geoffroy n'aime pas les philosophes du 18e siècle, et il trouve ou croit trouver leur influence dans la pièce, celle de Rousseau en particulier, et celle aussi de la Révolution, autre objet de détestation de la part de Geoffroy.]

LES AMIS DE COLLÈGE.

J'ignore ce qui a pu engager les comédiens à remettre cette pièce. Le Conteur se soutient par le mouvement, la chaleur, la variété des incidens, et même par l'irrégularité et les changemens du lieu de cette petite farce : on est indulgent pour les défauts qui font rire.

Les Amis de collége sont froids ; ils tiennent du roman, du drame ; on y trouve de ces parades usées de bienfaisance, de générosité, d'héroïsme, sans que tant de vertu produise un intérêt suffisant pour excuser le romanesque. Un menuisier qui vend le peu de couverts d'argent qu'il a pour prêter à un poëte, son ami, une somme de six cents francs, cela est trop sublime pour une petite comédie, et je crois que la vieille mère de ce généreux menuisier a raison de lui reprocher l'excès de sa grandeur d'âme. M. Picard a composé cette pièce sous l'influence du mauvais goût des dernières années de l'ancien régime, encore détérioré par l'anarchie révolutionnaire. Au lieu de ridicules, il y peint des vertus, et ces vertus ne sont que dans les pauvres. Le seul riche de la pièce est un égoïste dur et libertin ; mais il se convertit, et fait une bonne fin quand il est ruiné : pour devenir vertueux, il ne lui fallait que devenir pauvre.

C'est un grand hasard que trois amis de collége, avec leur professeur, se trouvent dans le même village ; c'est une nouveauté sur la scène française, que la boutique d'un menuisier maniant le rabot. Ce menuisier, nommé Robert, est le héros de la pièce. Son ami Clermont est un jeune poëte qui a les plus beaux sentimens du monde, et qui n'a pas le sou : il sert à exercer la vertu de Robert, et à éprouver le mauvais cœur de Derville. Ce Derville a soixante mille livres de rente ; il en dépense quatre-vingt-dix mille, je ne sais à quoi; car il paraît fort triste, fort ennuyé, fort ennuyeux. Il a une velléité libertine pour la sœur du poète, mais elle n'a pas de suite. La sœur du poëte est une artiste à grands principes, qui gagne sa vie à dessiner ; le professeur, un bonhomme qui ne hait pas le bon vin, qui a peu d'esprit, et pourrait même en un besoin passer pour un niais : du reste, presque aussi grand héros de générosité que le menuisier Robert.

J.-J. Rousseau est en vénération dans la pièce : la menuiserie y est en grand honneur ; et parce que Rousseau a jugé à propos de faire un menuisier de son Emile, pour la singularité du fait, il y a je ne sais combien de déclamations dans la pièce sur l'importance, l'utilité et la beauté de l'art de la menuiserie. Quand le mauvais riche Derville est ruiné par une banqueroute, et en ruine beaucoup d'autres, Robert, l'un des ruinés, forme le noble projet de faire de son banqueroutier un menuisier. Le banqueroutier se résigne ; déjà il est prêt à s'armer du tablier et du rabot, sûr de braver dans cet équipage tous les traits de la fortune ennemie. Maître, j'ai besoin d'ouvrage. Compagnon, mettez-vous là, comme dit si bien J.-J. Rousseau. Mais la fortune revient à Derville avec un bon visage : adieu l'enthousiasme pour la menuiserie. Le fripon qui enlevait ses fonds est pris et forcé de rendre gorge ; événement miraculeux. Derville, en recouvrant ses richesses, promet d'en faire un bon usage. Voilà les trois amis, le professeur, la bonne mère et la jeune fille tous heureux et contens, hors l'auteur, dont la pièce a été reçue assez froidement. (5 août 1810.)

D’après la base César, la pièce de Picard a été créée le 14 décembre 1795, au Théâtre français de la rue de Richelieu. Elle a été jouée 5 fois en 1795, 21 fois en 1796, 4 fois en 1797, 7 fois en 1798, 4 fois en 1799. Et l’article deGeoffroy reproduit ci-dessus montre que sa carrière ne s’est par arrêtée là. La base La Grange de la Comédie-Française répertorie pour sa part 22 représentations, de 1799 à 1802, à partir du 3 juin 1799.

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