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Bacchus & Ariane

Bacchus & Ariane, ballet pantomime de la composition de M. Gallet, musique de M. Rochefort, 11 décembre 1791.

Académie royale de musique.

Titre :

Bacchus et Ariane

Genre

Ballet pantomime

Nombre d'actes :

3

Musique :

oui

Date de création :

11 décembre 1791

Théâtre :

Académie royale de Musique

Auteur de l’intrigue :

M. Gallet

Compositeur(s) :

M. de Rochefort

Mercure français, tome CXXXIX, n° 53 du samedi 31 décembre 1791, p. 136-138 :

[Le ballet de Bacchus et Ariane reprend un sujet très classique en art, en étant particulièrement adapté au ballet d’action, dont le récit passe par la pantomime. Le critique raconte rapidement l’intrigue choisie par l’auteur, M. Gallet, un nouveau venu, dont la production a connu le succès, partagé avec le machiniste et les danseurs, cités et félicités. La particularité de cette nouvelle production, c’est qu’elle utilise une musique nouvelle, contrairement aux ballets de Gardel, qui utilise des musiques préexistantes. Elle « a paru faite avec art & remplie d'intentions ». L’article se clôt classiquement par un double éloge, celui des habits, décors et machines, et celui du « zele infatigable de l'Administration ».

SPECTACLES.

ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

Une Mortelle trahie par un Héros perfide, consolée par un Dieu qui lui donne l'immortalité, telle est, comme on sait, le sujet de Bacchus & Ariane. Tous les Arts se le sont approprié ; la Danse vient à son tour en tirer les tableaux, les oppositions, les effets qui lui sont propres. Il en est peu qui se prêtent mieux à une action Pantomime, parce qu'il est simple, &s'explique de lui-même, parce qu'il est fertile en situations pittoresques & en contrastes, parce qu'enfin les développemens mythologiques dont il est susceptible, donnent lieu de déployer toutes les richesses de ce Théâtre, que l'on peut appeler en Europe la Métropole de la Danse.

Ariane abandonnée dans l'Isle de Naxos par Thésée, qui enleve Phédre sa sœur ; le réveil de cette Amante délaissée, ses soupçons, ses craintes, l'horrible certitude qui leur succede, & le désespoir où elle s'abandonne, forment la premiere partie de l'action. Bacchus, vainqueur de l'Inde, sur son char traîné par des tigres, entouré de Soldats chargés de dépouilles & de trophées, suivi du vieux Silene & d'un Chœur de Bacchantes, de Faunes armés de thyrses, & faisant retentir l'air du son des cistres & des tambourins ; les fêtes que célebre pour lui cette Cour joyeuse ; Ariane amenée devant lui, les efforts du Dieu pour lui plaire, la résistance de la Belle, & le parti qu'elle prend enfin de se laisser consoler, remplissent la seconde partie. La troisieme consiste presque toute entiere dans l'apothéose d'Ariane, qui est enlevée avec son Amant sur des nuages, & reçue dans l'Olympe par Jupiter entouré de toute la Cour céleste.

L'Auteur de ce Ballet est M. Gallet , dont l'heureux début annonce une imagination fertile, & la connaissance de toutes les ressources de son Art. Le Public l'a demandé & applaudi : le Machiniste, M. Bornier, a reçu les mêmes honneurs. On a été en général très-content & des détails & de l'ensemble. M. Vestris a mis dans le rôle de Bacchus une perfection qui cause toujours une nouvelle surprise, quoiqu'on s'y attende toujours ; Mlle. Miller a rendu, avec infiniment d'expression & de grace, le rôle intéressant d'Ariane ; MM. Didelot, Beaupré, Huart, Goyon, Laurent ; Mesdames Perignon, Collomb, Chevigny, Coulon, paraissent dans les différens rôles accessoires avec des avantages divers, dont la réunion forme un tout véritablement magique.

L'usage de M. Gardel & de plusieurs autres Maitres dans des Ballets de ce genre, est d'employer pour la symphonie une suite de morceaux connus, dont l'application aux diverses situations des Acteurs est souvent heureuse, & sert même à expliquer l'action. M. Gallet a préféré de confier à un seul Musicien la composition de toute la musique de Bacchus & Ariane. Cette musique a paru faite avec art & remplie d'intentions : elle est de M. de Rochefort. La marche de Bacchus a été sur-tout fort applaudie.

La magnificence des habits, des décorations, les soins donnés à l'exécution des machines & de toutes les autres parties du Spectacle, sont une nouvelle preuve du zele infatigable de l'Administration, pour conserver à ce Théâtre sa pompe & tout son éclat.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 2 (février 1792), p. 317-324 :

[Le compte rendu de la création de Bacchus et Ariane est l’occasion pour le critique de rappeler ses réserves concernant le « ballet d’action » ou « ballet pantomime », genre né d’après lui en 1775 sous forme d’un ballet mythologique, mais qui est devenu rapidement ballet historique et ballet tragique. Le compte rendu reproduit un long extrait d’une critique parue lors de la représentation des Horaces, imitation de la tragédie de Corneille. Dans une distinction entre théâtre allemand et théâtre français, il insiste sur le besoin des Français de voir sur le théâtre la réalité : c’est le progrès de l’art qui le fait passer de la simple pantomime (appelée aussi « gesticulations ») à « une expression plus détaillée, plus variée, plus propre à la-raison, que celle qui résulte du geste ». Il y a donc un domaine propre à la pantomime, « la magie, la féerie, la mythologie », mais elle ne peut traiter « les sujets historiques » pour lesquels il faut « expressément une articulation orale ». Dans son domaine propre, la pantomime a l’avantage d’être accessible à tous, puisque chacun peut la comprendre selon ce qu’il est.

C’est après ce très long préambule qu’on arrive au ballet nouveau. L’action principale est jugée sans intérêt, et l’exposition, faite par des personnages qu’on ne revoit plus ensuite, est « ridicule ». Et l’action est jugée immorale « même dans un sujet mythologique ». Si le ballet a réussi, c’est par « les accessoires de son sujet », «  par l'opposition des effets, par la variété des grouppes, le dessin ingénieux des ballets, & par le charme des décorations & des machines »

Le compte rendu s’achève par une mise en garde : la pantomime conduit l’art à sa décadence, si elle prend la place des autres formes de théâtre. « Conservons tout, mai ne confondons rien. »]

Académie royale de musique.

Le dimanche 11 décembre, on a donné la premiere représentation de Bacchus & Ariane, ballet pantomime de la composition de M. Gallet, musique de M. Rochefort.

Si la mythologie galante a perdu au théatre une partie de ses droits, depuis que le célebre Gluck y a présenté Melpomene, avec toute son énergie & avec des accens dignes d'elle, c'est lorsqu'elle y est développée dans de tristes pastorales qu'on pourroit appeller des moutonnades, ou dans de prétendus poëmes, qui n'ont d'héroïque que le titre menteur qu'ils s'arrogent ; elle les a, & devoit les conserver dans les ballets d'action. Puisque nous avons à parler du succès d'un de ces ballets, nous allons nous permettre quelques réflexions sur les productions de ce genre, genre qui a ses bornes, mais qui a aussi de grandes ressources.

Le ballet d'action qu'on appelle autrement ballet pantomime, n'est pas susceptible d'embrasser toutes les nuances. Au-lieu d'énoncer des principes spéculatifs auxquels on répondroit, ici avec de l'orgueil, là, avec de la prévention, plus loin, avec de l'ignorance, citons des faits ; ils parlent plus haut encore que les principes, souvent inconnus, des arts. En 1775, M. Vestris fit représenter à l'opéra Médée & Jason, ballet mythologique dont M. Noverre étoit auteur, & dont nous croyons que Lou diou dou la danse avoit été acteur à Stutgard. Ce ballet, parfaitement composé, dessiné, conduit avec une intelligence supérieure & parfaitement exécuté, eut un succès prodigieux ; il le méritoit. En 1776, vers le commencement de l'année, M. Noverre, qui, alors étoit à Paris, fit représenter Apelle & Campaspe, ballet héroïque. On donna des éloges à tous les accessoires de cette composition; mais l'action principale déplut, & Alexandre, figurant, en pas cadencés, son amour pour Campaspe, n'eut pas le suffrage des connoisseurs. Le ballet ne tomba point, parce qu'on avoit juré de le soutenir ; il se traîna pendant quelques représentations ; les critiques s'amuserent un peu du ballet, & M. Noverre se fâcha. Il eut tort ; car non-seulement il ne se fâcha point contre lui-même, mais il eut cette foiblesse, trop malheureusement commune aux vrais talens, de se fâcher bien fort contre un de ses critiques.

M. Noverre alla plus loin : il fit représenter le 21 décembre 1776, un ballet tragique, intitulé les Horaces. Ce ballet étoit imité, en partie, de la tragédie de P. Corneille. On y trouvoit le qu'il mourût du vieil Horace, & la faneuse imprécation de Camille. On devine l'effet que produisirent ces deux situations pour les spectateurs qui connoissoient l'ouvrage du créateur de notre tragédie. Qu'on ajoute, à cet effet, la contrainte où M. Noverre avoit été de multiplier les anachronismes, & par conséquent les invraisemblances, pour donner une marche quelconque à son ballet, & l'on aura une idée de l'impreflîon qu'il produisit. Nous fîmes alors les observations suivantes.

« M. Noverre est justement célebre, & il est capable de procurer à la capitale des jouissances qui lui sont presque inconnues ; mais ne se tromperoit-il pas dans les moyens qu'il emploie aujourd'hui ? Il a séjourné en Allemagne, où les spectacles, par leur invraisemblance, n'ont jamais produit de ces illusions qui approchent de la vérité. On y a vu mal jouer de mauvaises pieces : cela ne donne aucune idée du vrai, & quand on n'est point accoutumé à voir quelque chose de mieux, on peut trouver quelque plaisir, & être entraîné par la pompe d'un spectacle dont l'éclat éblouit plus qu'il n'impose. Si, tel qu'il est, ce spectacle ne représente pas l'action avec justesse, les yeux & les oreilles ont été amusés, & malgré l'invraisemblance de l'exécution, on a pu suivre l'intrigue, avec quelque curiosité, jusqu'au dénouement.

« Mais nous, nous François, qui, dans notre jeunesse, avons pu être séduits, au point de prendre sur nos théatres, Auguste pour un empereur, & Tartuffe pour un hypocrite ; nous qui, dans un âge plus avancé, pleurons à la tragédie & rions à la comédie de la meilleure foi du monde ; pouvons-nous prendre Horace & Curiace dansant, pour des héros, & quand nous voyons les Romains & les Albains se frapper en mesure marquée par des violons, imaginerons-nous qu'ils combattent ?

« Vologese , un roi des Parthes, un barbare, reçut de Néron un pantomime comme le présent le plus précieux que pût faire alors le despote le plus puissant qui fût au monde. Sans doute Vologese tira un grand parti de ce présent. Il ne pouvoit attirer à sa cour un spectacle en regle ; quoiqu'à Rome tout le monde se piquât de réciter, de jouer même des scenes, les bons comédiens étoient plus rares peut-être que chez nous ; la disposition des théatres rendoit l'art infiniment diffîcile ; d'ailleurs on n'eût pas entendu leur langue dans une cour aussi éloignée, aussi étrangere à Rome que celle de Vologese : mais le pantomime, par ses leçons & sur-tout par son exemple, pouvoit stiler [sic] les premiers Parthes qui lui tomberoient sous la main, & les rendre susceptibles d'une suportable exécution. Ainsi le présent de Néron étoit pour Vologese d'une grande importance. Chez les peuples qui ne sont pas encore sortis de la barbarie, l'art de la pantomime peut être utile à donner une idée premiere de tout ; mais à mesure que les esprits le perfectionnent, que les arts acquierent des amis, qu'on les cultive, qu'ils s'étendent, il faut plus que le secours de la gesticulation pour satisfaire les spectateurs devenus difficiles ; & les grandes conceptions du génie, les développemens profonds du cœur humain, demandent une expression plus détaillée, plus variée, plus propre à la-raison, que celle qui résulte du geste. »

Ces observations que nous adressâmes, en 1777, à M. Noverre, nous y tenons encore, & nous les répétons ici, parce qu'il nous paroît essentiel de rappeller des principes capables d'indiquer les bornes auxquelles doivent s'arrêter les auteurs de ballets d'action. Les arts ne se conservent & n'aquierent quelque perfection qu'autant qu'ils restent, chacun sur la ligne qui lui est particuliere, que par une ambition mal entendue, ils n'empietent pas sur les droits les uns des autres ; autrement ils marchent vers leur décadence ; amenez la confusion des genres, les genres disparoissent tous, & les arts ne font plus qu'un chaos.

Si nous interdisons au ballet pantomime les sujets historiques où la poésie, l'éloquence, les ressources du langage & la logique des choses demandent expressément un articulation orale, nous lui abandonnons, avec justice, tous les sujets où les mouvemens .seuls écrivent, pour ainsi dire, la marche de l'action, & tracent les caracteres. La magie, la féerie, la mythologie sont pour l'auteur pantomime, des ressources inépuisables où il trouvera toujours de quoi développer son génie, à parler suffisamment & à intéresser par le geste, enfin de quoi fixer l'attention du public, en lui en imposant par la pompe du spectacle, par la variété des décorations, par leur contraste & par le jeu savant des machines. La pantomime a cet avantage, que l'action muette convient également à tous les états, à tous les caracteres. L'homme sensible, le philosophe, l'ignorant, le bourgeois, l'artisan, tout spectateur, enfin, dans le silence que remplit la musique, fait parler intuitivement chaque personnage comme il parleroit lui-même. Il lui attribue son style, ses passions, son caractere, il s'identifie avec lui, & comme c'est toujours lui qui parle, il est toujours content : l'imagination d'ailleurs finit par se mettre en mouvement, elle ne perd rien, car elle ne met rien en dehors, elle ne rend de compte qu'à elle, & elle travaille dans le centre d'intérêt où elle s'est placée, sans avoir jamais ni le besoin ni l'envie d'en sortir. Certainement aucune autre partie de l'art dramatique ne présente un aussi brillant, un aussi sûr avantage.

Il est tems d'en venir à la premiere représentation de Bacchus & Ariane, qui a eu un grand succès. Ce n'est sûrement point l'action principale de ce ballet qui a causé sa réussite, car elle n'offre & ne peut offrir aucun intérêt. Thésée enleve Phèdre, sœur d'Ariane, pendant le sommeil de celle-ci ; & quand Ariane voit voguer sur les flots le navire qui emporte l'ingrat qu'elle a sauvé du labyrinthe, elle se livre au plus violent désespoir. Le dieu du vin, le vainqueur de l'Inde, Bacchus arrive dans l'isle de Naxos, voit Ariane, s'enflâme pour elle, lui déclare son amour, est d'abord foiblement écouté, puis mieux, puis bien. Le dieu doue sa nouvelle épouse de l'immortalité, l'Olympe s'ouvre, & Ariane y est reçue par les dieux.

Rien n'est plus ridicule qu'une exposition faite par deux personnages qu'on ne doit plus revoir ; mais ce qui ne l'est pas moins, & qui chagrine le spectateur un peu éclairé, c'est de voir une femme abandonnée par un ingrat, éprouver toutes les fureurs, toutes les angoissas de l'amour trahi, désirer la mort, l'implorer & se rendre, un instant après, aux propositions d'un nouvel amant : une telle action est immorale, même dans un sujet mythologique.

Mais l'auteur a couvert ces défauts graves par tout ce que les accessoires de son sujet lui pouvoient fournir de séduisant, par l'opposition des effets, par la variété des grouppes, le dessin ingénieux des ballets, & par le charme des décorations & des machines. C'est par le moins, si l'on veut, qu'il a réussi ; mais ce moins souvent devient le plus pour les grands enfans qui fréquentent l'opéra. Rien de plus parfait que l'exécution de cette pantomime : la musique en est dramatique, & doit faire beaucoup d'honneur à M. Rochefort, second maître de musique de ce théatre. Tous les premiers sujets de la danse y paroissent avec avantage. Les machines font infiniment d'honneur aux talens de M. Bornier, principalement celle qui effectue l'apothéose d'Ariane : elle est aussi neuve que brillante.

Nous revenons sur nos principes de rigueur, avant de terminer cet article. Qu'on y prenne garde. Les pantomimes, dans la Grece & dans Rome, firent déserter tous les autres théâtres. Ce fut l'époque de la perte entiere du génie. La danse, ou plutôt, la gesticulation & la musique occuperent les yeux & les oreilles ; l'ame devenue oisive perdit peu-à-peu son énergie, sa sensibilité. La France, dans son éclat précédent, tenoit la littérature de toute l'Europe en haleine. Si tout s'éteint ici, à peine restera-t-il, dans le inonde entier, une ame assez sensible, une plume assez diserte, pour arracher des larmes à la postérité sur l'anéantissement du don de penser, de sentir & d'exprimer. Conservons tout, mais ne confondons rien ; & tâchons qu'on ne dise pas un jour que les destructeurs des beaux-arts ont existé dans un siecle aussi éclairé que le nôtre.

Carrière à l'Opéra :

5 représentations en 1791 (11/12 – 23/12).

22 représentations en 1792 (13/01 – 14/12).

27 représentations en 1791 et 1792.

Le ballet a été repris aux Variétés Amusantes, Comiques et Lyriques en 1794, pour 6 représentations.

D’après Chronopéra, Bacchus et Ariane a été repris en 1931 (5 représentations) et en 1967-1968 (10 représentations). Mais ce n’est pas le même ballet... : livret d’Abel Hermant, musique d’Albert Roussel, chorégraphie de Serge Lifar en 1931, de Michel Descombey en 1967-1968.

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