Béniowski, ou les Exilés du Kamchatka

Béniowski, ou les Exilés du Kamchatka, opéra en trois actes, d'Alexandre Duval, musique de Boyeldieu, 19 prairial an 8 (8 juin 1800).

Théâtre de l’Opéra-Comique-National.

Titre :

Béniowski, ou les Exilés du Kamchatka

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose; couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

19 prairial an VIII (8 juin 1800)

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique National

Auteur(s) des paroles :

Alexandre Duval

Compositeur(s) :

Boieldieu

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, an X (1802) :

Béniowski, ou les Exilés du Kamchattka, opéra en trois actes, Représenté, pour la première fois, sur le théâtre de l’Opéra-Comique-National, rue Favart, le 19 prairial an 9. Paroles du C. Alexandre Duval. Musique du C. Boyel-Dieu.

Dans les Œuvres complètes d’Alexandre Duval, tome troisième, Paris, chez Barba, 1822, p. 435-441, on trouve une notice de la main de Duval, qui revient sur les circonstances de la rédaction de sa pièce :

NOTICE SUR BÉNIOWSKI.

Cet opéra de Béniowski, dont la musique charmante est de Boyeldieu, doit son existence à un singulier hasard. Je ne crains pas d'ennuyer le lecteur en entrant dans quelques détails à ce sujet : ils ont rapport à un acteur dont tout le public apprécie l'immense talent, depuis plus de trente années, et qui sans contredit peut se flatter d'avoir fourni, au théâtre, la carrière la plus longue et la plus glorieuse. D'après ce que je viens de dire, je n'aurais pas besoin de nommer Talma ; mais comme c'est lui dont je vais presque uniquement m'occuper dans cette notice, il faut bien que j'appelle mon principal personnage par son nom.

Si Talma a fait frissonner la France entière dans les rôles de conspirateurs qu'il représente si bien ; si tout le monde a admiré avec quel art et quelle énergie il a rendu les craintes, l'espoir, la fureur concentrée d'un conjuré qui se voit toujours près de monter sur l'échafaud, c'est que dans ces temps déplorables où notre patrie était livrée aux fureurs des partis, où l'on voulait trouver partout des coupables, même parmi les hommes les plus honnêtes, il avait bien réellement éprouvé toutes les angoisses de la crainte d'une mort soudaine et terrible.

Personne n'ignore que les opinions de Talma, conformes à celles de tous les patriotes sages, l'avaient mis en relation avec ce que la France avait de plus distingué parmi les représentants et les généraux d'une nation qui voulait la liberté, mais la liberté forte de ses lois et de ses institutions. Plusieurs de ces hommes recommandables se réunissaient souvent chez lui, et trouvaient dans une société aimable et près de la maîtresse de la maison, qui en faisait parfaitement les honneurs, des délassements à leurs travaux, et une conversation d'artistes de tous les genres qui les sortait de leur sombre politique.

Un jour que plusieurs représentants se trouvaient réunis chez Talma avec le général Dumourier, qui revenait vainqueur de l'armée du Nord, au moment où l'on se réjouissait avec le plus de franchise des premières victoires de la France, Marat, d'horrible mémoire, se présenta seul dans cette joyeuse assemblée. Sa présence fit sur la société l'effet de la tête de Méduse : il semble que l'on prévoyait déja tout le mal qu'il devait faire. Il était dans ce costume aimable sous lequel on l'a représenté, ce qui contrastait beaucoup, je ne dirai pas avec la grande parure, mais avec l'élégante simplicité de toutes les personnes qui composaient la fête. Lui, sans se démonter, s'adresse à Dumourier; dit des injures, dans son style ordinaire, aux représentants dont il ne partageait pas les opinions, et finit enfin par avoir avec le général une assez longue conférence à voix basse. Dugazon, l'un des personnages de la fête, qui était toujours sûr d'égayer la compagnie par son esprit et ses bons mots, quand il ne se laissait pas aller à toute son extravagance, fit une plaisanterie qui était plus que hardie, et qui pensa conduire Talma et sa femme sur l'échafaud. Il prit un réchaud embrasé, y répandit des parfums, et suivait Marat dans tous les mouvements qu'il faisait, comme s'il voulait purifier l'air qu'il empoisonnait de sa présence. Marat n'eut pas l'air d'y faire attention; mais dès le lendemain son journal retentit du repas donné par Talma aux conspirateurs, et de l'insulte faite aux véritables patriotes.

Comme le temps, quoique déja noirci par l'orage qui devait éclater en 1793, ne devait pas faire craindre que cette mauvaise plaisanterie eût des suites, Talma resta dans la plus grande sécurité. Bientôt l'orage éclate, nos amis communs périssent sur l'échafaud ; le tribunal révolutionnaire multiplie de jour en jour ses victimes; et souvent à ce tribunal de sang on demandait aux accusés s'ils faisaient partie des conspirateurs qui s'étaient réunis chez l'acteur Talma. On juge quelle était sa situation, celle de tous ceux qui l'aimaient, et certes le nombre en était grand. Cependant on lui conseilla de se taire ; on lui représenta que la force de son talent, que le peuple savait apprécier, l'empêcherait toujours de faire partie des victimes ; et en effet son grand talent seul l'a sauvé de la mort. Malgré eux ces monstres étaient désarmés par l'ascendant d'un homme qui élevait leur ame en leur peignant l'amour de la patrie, ou qui excitait leurs pleurs sur des malheurs qu'ils pourraient un jour avoir à supporter. Cependant, comme nos sales tyrans finirent par ne plus rien respecter, Talma fut instruit par un de ses amis que son nom était porté sur une liste de proscription. L’amitié qui nous unissait dès ce temps-là, la conformité de nos opinions, l'engagèrent à me confier ses craintes. Je me gardai de lui dire ce que je pensais de la fatale confidence qu'on lui avait faite. Un soir qu'après avoir joué la tragédie il me parut plus sombre qu'à l'ordinaire, je lui demandai le sujet de sa tristesse : il me dit qu'il ne pouvait se rendre compte de ses pressentiments, mais qu'il craignait d'être arrêté au premier moment, et que ce n'était qu'en tremblant qu'il rentrait chez lui; qu'il allait s'y trouver seul ; qu'il avait envoyé sa femme dans une campagne écartée.... Le voyant dans ce trouble, qu'il ne pouvait vaincre, je lui proposai d'aller souper chez lui, et même d'y passer la nuit. J'étais alors garçon, et rien ne s'opposait à l'exécution de mes offres. Le long de la route, je tâchai de lui donner de l'espérance ; et en soupant, et après quelques verres de vin, nous finîmes par éloigner tout-à-fait nos trop justes inquiétudes.

Mais quand je fus retiré dans ma chambre, ou plutôt dans sa bibliothèque, car c'était là que je couchais sur un très-beau lit grec, très-élégant sans doute, mais très-peu commode, je me mis à réfléchir sur la position dangereuse dans laquelle il se trouvait; et de réflexion en réflexion, je finis par me dire : Mais si par hasard on venait l'arrêter cette nuit ! mes opinions, moins connues que les siennes peut-être, mais qui néanmoins le sont assez, pourraient me mériter l'honneur de suivre mon héros jusque sur l'échafaud. Je ne pourrais pas dire que je ne suis pas de la compagnie de monseigneur. Cette idée m'attrista : ce n'est pas que je redoutasse beaucoup d'accompagner mon ami à la mort (en ces temps-là on tenait peu à la vie) ; mais j'éprouvais un sentiment mélancolique dont je ne me rendais pas compte, qui ne suffisait que trop pour m'empêcher de me livrer au sommeil. Pour comble de contrariété un maudit gros chien, gardien de sa maison (*), par ses aboiements furieux me faisait craindre de voir entrer à chaque instant la force armée, précédée, suivant l'usage de ce temps, des membres d'un comité révolutionnaire. Ne pouvant espérer de trouver le sommeil, je saisis le premier livre qui me tomba sous la main, et le hasard me fit tomber sur les Mémoires de Béniowski. Je lus ; et, malgré mes frayeurs, je me trouvai la tête assez libre pour faire le plan d'un opéra que le public a accueilli avec bienveillance, sans savoir seulement que ce malheureux enfant était né au milieu des craintes et des alarmes.

Le lendemain, je contai à Talma mes terreurs de la nuit ; il en rit avec moi, comme on riait dans ce temps-là. Heureusement que quelques jours après, le neuf thermidor arriva, et la France secoua le joug horrible qui pesait sur elle. Si Talma, depuis ce temps de désastres, n'a pas cessé de faire des progrès dans son art, je suis convaincu qu'il en est redevable aux impressions qu'a dû faire sur son esprit le funeste spectacle qu'il a eu long-temps sous les yeux. C'est en voyant de près les crimes et les grands criminels, en éprouvant lui-même les terreurs de la victime, qu'il aura appris à donner à sa physionomie une expression si terrible, à peindre les sentiments violents, les passions fortes, avec tant de profondeur et d'énergie. Joseph Vernet étudiait au milieu de la tempête; et le grand Corneille a peut-être dû ses plus beaux vers sur les fureurs de parti, aux guerres de la fronde.

(*) Cette maison était celle de la rue Chantereine, que plus tard Talma vendit à Bonaparte.

Courrier des spectacles, n° 1192 du 20 prairial an 8 [9 juin 1800], p. 2 :

[Premier article consacré à Beniowski ; un succès, plein d'intérêt et servi par une musique remarquable. La pièce traite « un fait historique d’une époque peu éloignée ». Elle sera une pièce du répertoire de ce théâtre après quelques changements. Pour le décor, il n'y a rien à reprendre, le critique accordant aux costumes « la plus grande exactitude ». Les interprètes sont tous remarquables dans leur jeu, adapté « aux mœurs des habitans d’un pays où l’indigène lui-même existe comme sur une terre d’exil ». C'est même le cas de l'interprète d'un rôle jugé faible. Et les auteurs ont été nommés sans paraître.]

Théâtre Favart.

L’opéra qui vient d’être représenté pour la première fois sous le titre de Beniowski, ou les Exilés au Kamschatka, a obtenu un succès décidé. Tel est l’intérêt répandu dans cet ouvrage, et le mérite de la musique dans presque toutes ses parties, que les défauts considérables du troisième acte ont cédé aux beautés des deux autres.

Nous regrettons de ne pouvoir ce soir même entrer dans les détails de cette pièce qui consiste en un fait historique d’une époque peu éloignée ; même avec les défauts que nous y avons remarqués et dont nous devons un compte dans cette feuille, elle est encore de nature à exciter autant la curiosité que l’intérêt, et comme il est certain que l’auteur y fera quelques changemens, nous présumons et nous présageons même que cet ouvrage sera mis au rang des plus importans de ce théâtre. Quant aux principaux accessoirs [sic], ils sont traités avec un soin extraordinaire ; les plans, les points de perspective et le ton local des décorations sont d’un effet surprenant ; les costumes sont de la plus grande exactidude [sic].

Les acteurs se distinguent tous par leur jeu qui, suivant les personnages, répond’ bien aux mœurs des habitans d’un pays où l’indigène lui-même existe comme sur une terre d’exil. Le cit. Elleviou, chargé du rôle de Beniowski, Gavaudau remplissant celui de Stephanoul, officier exilé comme Beniowski, Martin jouant le personnage de l’un des chefs de la conjuration, et Philippe représentant la Gouverneur du Kamschatka, y disputent de talent et d’intelligence ; un rôle d’Aphanasie, nièce du Gouverneur, laisse beaucoup à desirer, et peut être regardé comme la partie foible de l’ouvrage : mais il est chanté par Mlle Armand, c’est assez dire qu’il acquiert ainsi un prix que les amateurs d’un chant pur et expressif ne peuvent dès-lors lui contester.

Les auteurs ont été demandés, on a nommé d’abord celui de la musique, et les plus justes applaudissemens se sont fait entendre quand on a su que l'on devoit cette nouvelle production au citoyen Boieldieu, déjà si avantageusement connu par celle de Zoraïme et Zulnare : on a nommé ensuite le citoyen Duval pour les paroles ; tous les deux ont été vivement demandés et n’ont point paru.

Le public a désiré que les principaux acteurs vinssent du moins recueillir les témoignages de la satisfaction que leur zèle lui procure, et ils se sont rendus à ses empressemens.

B* * *          

Courrier des spectacles, n° 1193 du 21 prairial an 8 [10 juin 1800], p. 2-3 :

[Second article, consacré à la présentation de l'intrigue. Elle repose sur les aventures d'un personnage historique, le comte Béniowski, condamné à l'exil par le tsar. Condamné à vivre au Kamtchatka, il tombe amoureux de la fille du gouverneur : on sort là du récit de l'histoire pour entrer dans une anecdote personnelle. Il prépare son évasion, et la pièce se soumet à ce moment au plan que Kotzebue a suivi dans son drame en cinq actes, simplement réduit ici à trois. C'est bien un drame aussi sombre que compliqué, avec des rebondissements spectaculaires, jusqu'à un dénouement heureux, comme il se doit. Le critique insiste sur la qualité du plan de la pièce : clarté de l'exposition, solidité de l'enchaînement des scènes, intérêt ménagé avec beaucoup d'habileté. Mais il faudrait encore parle de bien des aspects de la pièce, dont la musique, qui a « le mérite assez rare d'appartenir, sans copie et sans exclusion, au compositeur ».]

Théâtre Favart.

Le sujet de l’opéra donné hier sous le titre de Beniowski, est tiré des Mémoires du comte de Beniowski, ouvrage en deux volumes, imprimé en 1791.

Beniowski, fils d’un Magnat de Hongrie, fut appelé en 1759 à la succession d’une principauté de Lithuanie ; ses beaux-frères s'étant mis en possession de la portion qui lui revenoit, il y rentra à main-armée, et cet acte le fit passer pour un rebelle à la cour de Vienne qui, par un jugement, le dépouilla de tous ses biens. Obligé de fuir en Pologne, il y devint membre de la fameuse confédération.

Fait prisonnier par les Russes, après divers évènemens, il est envoyé en exil au Kam-Chatka. Il y forme avec d’autres exilés le projet de leur délivrance commune. Tandis que ce projet se murissoit, il trouve le moyen de se rendre agréable à Nilow, gouverneur de Balsoretkoi-Ostrogg, lieu de son exil. Bientôt il gagne le cœur d’Aphanasie, fille du Gouverneur, qui découvre par la suite cette intimité, mais qui, après une vive explosion de ressentiment, se détermine, conformément à une loi du czar Pierre Ier., à casser la sentence d’exil de Beniowski, avec l’intention de l’unir un jour à sa fille.

Beniowki confie à sa maîtresse le complot d’évasion formé par les exilés ; Nilow conçoit des soupçons, interroge Beniowski et se dispose à le faire arrêter ; celui-ci se rend maître du fort. II se livre un combat, Nilow est tué dans la mêlée, et Asphanasie éprise d’amour pour ce Hongrois, se détermine à le suivre par-tout, quoique le jaloux Stéphanow l’ait instruite de l’alliance que son amant avoit contractée en Europe.

Kotzebüe a fait sur ce sujet un drame en cinq actes, qu’il paroit que l’on a réduit en trois pour le théâtre Favart.

C’est à-peu-près ce plan qu’a suivi l’auteur de la pièce nouvelle. Tous les exilés se lient par un serment qui voue à la mort le premier traître. Beniowski, brûlant d’amour pour la fille du Gouverneur, laisse concevoir des soupçons à Stéphanow. Celui-ci, poussé par son extrême jalousie, dénonce son rival au Gouverneur. Nilow interroge Beniowski sur la conjuration dont il le croit le chef. Beniowski détourne facilement les soupçons, mais inquiet sur les suites de la dénonciation de Stéphanow, il prend 1e parti de fuir, et se précipite sur des rochers. Après a voir souffert tout ce qu’un projet aussi hardi peut avoir de périlleux, meurtri, accablé de fatigue et de froid, il tombe presque sans mouvement sur un rocher couvert de neige. Stéphanow, qui dans ce moment conduit les exilés sur les bords de la mer, et semble avec eux poursuivre les ours, pour tromper tous les yeux sur le grand projet d’évasion, apperçoit cet étranger à l’instant où il succombe. Stéphanow est jaloux, mais n’est point inhumain. Une liqueur qu'il porte avec lui rappelle à la vie le malheureux qui expiroit ; il le couvre de son manteau ; bientôt il reconnoît Beniowski. Les exilés qui, prévenus par Stephanow, croyent leur chef parjure, veulent le massacrer ; Stéphanow arrête la fureur des exilés. Bientôt Aphanasie vient rejoindre son amant. Nilow vole sur les pas de sa fille, mais elle est au pouvoir de Beniowski, et se tient sur un rocher dont la poudre et le salpêtre remplissent tontes les cavités. Nilow hésite, effrayé du danger que court sa fille, et au moment où il veut réduire les exilés par la force, ceux-ci réunis à d'autres, venus de la Sybérie, et ayant également formé le projet de rompre les chaînes de leur exil, désarment sa troupe et laissent Beniowski maître de sa liberté, ainsi que ses compagnons d’infortune.

L'exposition est extrêmement claire. Les premiers nœuds du plan même de l’ouvrage sont liés par les moyens les plus simples ; la jalousie de Stephanow est ménagée avec beaucoup d’art ; elle occasionne une scène du plus grand intérêt, celle où le Gouverneur accuse Beniowski d’ingratitude et de trahison : c'est ici principalement que se déploye sous un jour absolument nouveau le talent du cit. Gavaudan, et c’est par un trait très-rare d’habileté que l’auteur a ménagé l’intérêt du spectateur pour les incidens subséquens, en mettant à la fin de cette belle scène les expressions suivantes dans la bouche du délateur Stéphanow : « Je croyois que la vengeance procuroit à l’ame une jouisance [sic] plus douce. » Après ce peu de mots, Stéphanow disparoit, le remords dans le cœur, et dès-lors on est disposé aux mouvements de sensibilité que cet exilé plein de repentir témoigne à son rival malheureux.

L’espace et le tems nous empêchent de poursuivre davantage aujourd’hui ces développemens, que nous continuerons aux numéros suivans.

Nous éprouverons alors un plaisir de plus à établir des observations particulières sur la musique de cet opéra, musique à laquelle on ne peut refuser le mérite assez rare d’appartenir, sans copie et sans exclusion, au compositeur.

B * * *          

La continuation de l'analyse de Beniowsy, promise pour les « numéros suivans ». Il faut attendre le 22 juin pour trouver un article sur cette pièce, mais un article répondant bien peu à c equi était attendu.

Courrier des spectacles, n° 1205 du 3 messidor an 8 [22 juin 1800], p. 2 :

[L'article promis le 21 prairial ne paraît pas avant le 3 messidor (du 10 au 22 juin), et il ne répond pas à ce qu'on attendait : poursuite du succès, malgré la multiplication des parodies de Beniowski (on a envie de dire que ces parodies soulignent le succès, loin d'être un obstacle), nouvel éloge des interprètes masculins (c'est une pièce très masculine !). On s'attend à lire un développement sur la musique de la pièce, mais c'est de Bonaparte vainqueur en Italie qu'il est question. On ne saura rien du travail de Boieldieu.]

Théâtre Favart.

Les parodies de Beniowsky ont beau se multiplier, cet opéra n’en continue pas moins d’avoir un grand succès, auquel doit contribuer pour beaucoup l'ensemble qu’offrent les acteurs qui paroissent dans cette pièce : les cit. Philippe, Elleviou, Gavaudan, Martin, ont tous des droits bien acquis à la bienveillance du public, pour qui ce doit être une véritable jouissance de les voir dans un même ouvrage.

Avant de commencer cette pièce, qui fut don née hier la seconde, on est venu faire part au public d’une lettre envoyée d’Italie par le premier Comsnl Bonaparte, annonçant la victoire signalée qui remet l’Italie au pouvoir des Français, Nous regrettons de ne pouvoir donner la copie de cette lettre, dont nous craindrions, la citant de mémoire, d’atténuer les expressions. Six mille Autrichiens restés sur le champ de bataille, la prise de quinze drapeaux, de quarante pièces de canon et d’un très -grand nombre d'ennemis, font partie de cette victoire, qui laisse à regretter le général Desaix , qui a été atteint d'une balle deux jours après son arrivée à l’armée. Le premier Consul finit par ces mots : « J’espère que le peuple Français sera content de son armée. »

En feuilletant le Courrier des spectacles jusqu'à la fin du mois de juin, on ne trouve pas d'article consacré à la musique de la pièce.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 6e année, an VIII, 1800, tome I, p. 557-558 :

[Succès, fait historique, c’est l’histoire du comte Beniowski que le compte rendu raconte pour l’essentiel. Il se contente ensuite de donner le nom des auteurs, et celui des acteurs « demandés et applaudis par le public ».]

Beniowski , ou les Exilés au Kam-Chatka.

Le succès a couronné la première représentation de cet opéra en trois actes, jouée le 19 prairial an 8.

Voici le fait historique qui a donné lieu à cette pièce.

Le comte Beniowski, fils d'un magnat de Hongrie, fut appelé en 1759 à la succession d'une principauté de Lithuanie ; ses beaux frères s'en emparèrent ; il y rentra à main armée. Ce acte le fit passer pour rebelle à la cour de Vienne, qui, par un jugement, le dépouilla de tous ses biens. Obligé de fuir en Pologne, il y devint membre de la fameuse confédération ; fait prisonnier par les Russes, il est envoyé en exil au Kamchatka. C'est ici que commence la pièce, dont le fonds est le fait historique lui-même, embelli seulement des détails qu'exige le théâtre.

Tous les exilés, Beniowski à leur tête, se lient par un serment qui voue à la mort le premier traître. Beniowski aime Aphanasie, fille de Nilow : Stephanow, un des exilés et son rival, poussé par la jalousie, le dénonce à Nilow. Beniowski détourne le soupçon, mais croit plus prudent de prendre la fuite ; il se précipite sur des rochers, et tombe dans la neige presque sans mouvement. Stephanow qui prend, ainsi que les autres exilés, le prétexte de poursuivre les ours pour faciliter ensuite leur évasion, le rencontre, le rend à la vie, et le reconnoît enfin. Les exilés qui croient Beniowski parjure veulent le massacrer ; Stephanow arrête leur fureur. Bientôt Aphanasie vient rejoindre son amant ; elle est suivie de son père : mais Beniowski la défend, et elle se place elle-même sur un rocher dont les cavités sont remplies de poudre. Le gouverneur hésite quelques instans ; et au moment où il veut réduire les exilés par la force, ceux-ci, réunis à d'autres venus de la Sibérie, désarment sa troupe et deviennent libres.

La musique est du C. Boyeldieu. Le dialogue est du C. Duval.

Les acteurs ont été demandés et applaudis par le public, entr'autres, les CC. Gavaudan, Elleviou, Philippe , et M.lle Armand.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-neuvième année, tome X, messidor an VIII [juin-juillet 1800], p. 202-204 :

[Le compte rendu s’ouvre par une analyse précise du sujet qui en fait ressortir l’aspect romanesque sans toutefois donner beaucoup de place au ressort sentimental, dont la présence dans la pièce paraît pourtant importante, même si le critique ne dit pas qu’elle s’achève par le traditionnel mariage. Le jugement porté ensuite souligne le succès obtenu, lié à « des situations fortes, de très-beaux tableaux & de très belles décorations ». la musique est également mise à l’honneur : elle « est alternativement énergique & gracieuse, mélodieuse & savante, simple & originale ». Auteurs et acteurs sont ensuite cités. Ils ont tous eux droit à être nommés et amenés sur scène.]

THÉATRE DE L'OPERA COMIQUE NATIONAL, RUE FAVART.

Beniowsky, ou les Exilés du Kamtchatka, opéra en trois actes.

Beniowsky, général polonais, ayant été fait prisonnier par les Russes, est envoyé au Kamtchatka parmi les exilés de la cour de Pétersbourg. Ceux-ci conçoivent le projet de s'affranchir, & le choisissent pour chef de leur entreprise ; il accepte, & met tout en œuvre pour se rendre digne de leur confiance. Mais , appelé au château du gouverneur (Milorff), qui le traite avec distinction, & dont il aime passionnément la nièce (Aphalasie), il se trouve bientôt placé dans la plus cruelle alternative. Un exilé russe, (Stephanoff) homme sombre & secrètement jaloux de Beniowsky, profite de cette situation pour jeter des doutes sur la loyauté de ce brave Polonais. Le germe du soupçon se développe d'abord lentement ; mais un nouvel incident lui fait bientôt prendre un accroissement rapide. Beniowsky, rendu à la liberté, épouse la belle Aphalasie, & devient ainsi l'objet des présomptions les plus défavorables. Cependant, Stephanoff, toujours poussé par le désir de la vengeance ; se présente chez le gouverneur, annonce qu'il veut dévoiler une conjuration, demande & obtient d'avance la grâce de tous les coupables, hors celle du chef, & finit par accuser Beniowsky. On lui offre la liberté pour prix de sa délation ; mais il la refuse, & va, rongé de remords, rejoindre ses compagnons. Beniowsky, interrogé par Milorff, ne cherche pas à se justifier ; mais trouvant le moyen de fuir au travers de mille précipices, il quitte à l'instant le château. Bientôt le bruit d'une trahison s'est répandu parmi les exilés ; c'est Beniowsky qu'ils nomment traître, c'est à Stephanoff qu'ils veulent obéir ; ils s'arment ; ils forment un arsenal dans le creux d'un rocher ; ils prennent pour ôtages les femmes & les enfans de leurs ennemis ; ils les placent sur leur magasin à poudre. La nuit vient : Beniowsky, épuisé de fatigue, se traîne de roc en roc, & va tomber sans connoissance au lieu même où Stephanoff se livre à de sombres réflexions. Celui-ci le reconnoît, peut le tuer & . se défaire ainsi d'un homme qui revient pour le perdre.... La générosité parle au cour du coupable, & Beniowsky est rendu à la vie par ce même rival qui l'a dénoncé Plusieurs exilés accourent ; ils reconnoissent Beniowsky, ils veulent l'immoler ; mais Stephanoff s'y oppose & a le courage de s'avouer criminel ; c'est alors sur Stephanoff que les exilés vont exercer leur vengeance ; mais Beniowsky s'y oppose à son tour & pardonne à son ennemi. Cependant, des troupes réglées s'avancent contre les rebelles, dont une partie vient d'être défaite, & il ne reste plus à ces malheureux que la ressource de périr en faisant sauter leur magasin à poudre avec les ôtages qui sont auprès. Le gouverneur paroît, suivi de ses cosaques ; déjà les torches s'approchent de la mêche fatale.. Tout à coup, un renfort de 300 hommes survient aux exilés... Milorff, surpris, est forcé de se rendre, & Beniowsky lui offre un asile en Pologne.

Tel est le sujet de cet opéra en trois actes ; dont la première représentation a obtenu récemment un succès complet. Cet ouvrage, qui offre des situations fortes, de très-beaux tableaux & de très belles décorations, est fait pour attirer la foule à ce théâtre. La musique en est alternativement énergique & gracieuse, mélodieuse & savante, simple & originale. Elle fait le plus grand honneur au talent de son compositeur, le C. Boiel-Dieu ; le poëme est du C. Duval. Après la pièce, ces deux auteurs ont été demandés, ainsi que les acteurs, & tous ont été amenés sur le théâtre.

Les principaux rôles sont joués avec beaucoup de talent, par les CC. Elleviou, Gavaudan, Martin & Philippe ; & par Mlle. Armand.

Les trente Jours, ouvrage périodique, à Paris, chez Barba, 1800, p. 174-176 :

[Publiés après un roman de Pigault-Lebrun, Métsuko, ou les Polonais, des comptes rendus de quelques pièces de théâtre, dont celui de Beniowski. On retient la suggestion que la pièce s’inspire d’un « drame en cinq actes » de Kotzebue. L’essentiel ensuite est le résumé de l’intrigue, avant de conclure sommairement : « De grands défauts, cachés sous des beautés supérieures, sous un intérêt soutenu, n'ont pas nui au succès très-prononcé de cet ouvrage », mais rien n’est dit de ces « grands défauts ». Une phrase sur la musique de Boieldieu : « une musique enchanteresse et qui lui appartient exclusivement ».]

THÉATRE DE LA RUE FAVART.

Ce théâtre, dont les acteurs devraient amener la foule par leurs talens et leurs travaux soutenus, a donné trois nouveautés en prairial, une matinée de Voltaire, ou la famille Calas à Paris ; une nuit d'été, ou un peu d'aide fait grand bien ; Beniowski, ou les exilés au Kamschatka.

[…]

Le cit. Duval, déjà si avantageusement connu par plusieurs ouvrages gais ou sérieux, et tous marqués au coin du talent, est l'auteur de Beniowski. Il a tiré son sujet d'un roman historique, imprimé en 1791. Kotzebue avait fait de Beniowski un drame en cinq actes, qui peut-être n'a pas été inutile à Duval.

Beniowki, fils d'un magnat d'Hongrie, passe en Pologne à la suite de différens événemens. Il joue un grand rôle dans la confédération. Il est pris par les Russes et exilé au Kamschatka. Il forme, avec plusieurs de ses compagnons d'infortune, un projet d'évasion. Pour se rendre moins suspect il se lie d'amitié avec Nilow, gouverneur du canton qu'il habite, et cette amitié feinte le conduit à un amour vrai. Aphanasie, fille de Nilow, lui plaît, il s'en fait aimer. Les conjurés sont liés par un serment ; Beniowski leur est fidèle en dépit de son amour. Cependant Nilow a des soupçons. Il interroge Beniowski, qui détourne l'orage, mais qui apprend qu'il a été dénoncé par Stéphanow, l'un des exilés et son rival. Il prend le parti de la fuite et court de rochers en rochers. Cette disparition le fait passer pour un traître parmi les conjurés, et ils le vouent à la mort s'il retombe en leur puissance.

Stéphanow, depuis l’absence de Beniowski, est devenu leur chef et les conduit à travers des rochers impraticables. Un malheureux accablé de fatigue et périssant de froid, se rencontre sous ses pas. Stéphanow le rappelle à la vie et reconnaît son rival. Ses compagnons, qui le croyent parjure, veulent le massacrer ; Stéphanow, capable de tout dans un mouvement de jalousie, n'est pourtant pas inhumain, et sauve Beniowski de la fureur de ses compagnons. Aphanasie vient rejoindre son amant, mais Nilow court sur les traces de sa fille ; elle va être séparée de ce qu'elle aime, et elle préfère la mort à cette séparation. Les cavités d'un rocher sont remplies de poudre, elle se décide à y mettre le feu. Nilow, effrayé de la résolution de sa fille, consent à son union avec Beniowski, mais veut réduire les conjurés par la force. D'autres exilés arrivent de la Sibérie et se joignent à ceux-ci ; il désarment la troupe de Nilow, et tous recouvrent la liberté.

De grands défauts, cachés sous des beautés supérieures, sous un intérêt soutenu, n'ont pas nui au succès très-prononcé de cet ouvrage. Le citoyen Boieldieu y a singulièrement contribué par une musique enchanteresse et qui lui appartient exclusivement.

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