Bon naturel et vanité, ou la Petite école des mères

Bon naturel et vanité, ou la Petite école des mères, comédie en vers, par M. Dumolard ; 8 avril 1808.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Bon naturel et vanité, ou la Petite école des mères

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

8 avril 1808

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Dumolard

Almanach des Muses 1809.

Mme de Merville, jeune femme chérie de son époux, fréquente les bals, rentre fort tard, se leve de même, et préfère une société d'êtres frivoles à celle de son mari et de sa famille. Mme Muller, sa tante, vient la voir ; la porte lui est refusée. Merville, ne pouvant déterminer sa femme à aller faire ses excuses à Mme Muller, qui mérite toute sa reconnaissance, va lui-même chercher cette bonne tante. Celle-ci s'invite sans façon à dîner ; mais Mme de Merville lui fait sentir que ses manieres ne lui conviennent pas ; elle sort, et Mme Muller n'ose pas la suivre. Un oncle de Mme de Merville, qui a tout vu, tout entendu, se concerte avec Mme Muller, et tous deux se réunissent pour conseiller Merville de s'éloigner de sa femme. L'oncle annonce qu'il faut qu'il s'en sépare pour aller occuper dans un autre pays une place importante : à cette nouvelle, Mme de Merville se désespere ; la crainte de perdre son époux lui fait reconnaître et abjurer ses torts, et une tendre réconciliation suit cette heureuse métamorphose.

Des vers élégants et faciles, un dialogue ingénieux, des rôles tracés avec esprit, quelques scenes qui se rapprochent un peu trop du drame. Succès d'estime.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1808, p. 259-265 :

[Le théâtre doit être « une école de bonnes mœurs » : c’est sur ce principe que s’ouvre le compte rendu de la pièce, avant d’insister sur la difficulté aujourd’hui de remplir ce projet. Il faut être vrai et utile, mais il n’y a plus désormais de ridicules ou de mœurs nationaux (le critique s’arrête à ce cadre limité !). Il ne reste plus que des situations particulières, et le critique développe longuement ce point. Il arrive ainsi à l’analyse de l’intrigue, une histoire familiale où on retrouve comme d’habitude intérêts financiers et affaires de mariage où chacun se mêle de faire ce qu’il conçoit comme le bonheur de l’autre. Le jugement porté sur la pièce revient sur la question de la moralité des personnages, l’attitude de la jeune femme étant comparée à celle d’un personnage d’Esope à la cour qui se montre si ingrate. Fonds jugé léger, pas toujours assez développé, mais la pièce « est écrite avec esprit et gaieté ». Une actrice est mise en avant, et l’auteur, qui a été nommé.]

Bon Naturel et Vanité.

Pour faire du théâtre une école de bonnes mœurs, ce qui est, comme chacun sait, son véritable objet, il faut non seulement que les mœurs en soient bonnes, mais qu'elles soient vraies ; que les leçons en soient sages, mais qu'elles soient utiles. Cependant où trouver à peindre aujourd'hui des mœurs qui soient vraies pour tout le monde, que tout le monde reconnaisse et dont la représentation puisse être utile pour tout le monde ? Où trouver un travers à fronder qui soit le travers général, des ridicules qui soient ceux de tout Paris ? Nous n'avons plus de ridicules nationaux, pas. plus que de mœurs nationales. Chacun a ses mœurs aujourd'hui comme ses affaires, sa société particulière ; et il serait aussi difficile de trouver parmi nous de ces gens qui ressemblent à tout le monde, que de ceux qui ne ressemblent à personne ; car nous n'avons pas gagné en originalité ce que nous perdons en unité de ton et de manières. On ne pense et on n'agit pas plus d'après soi-même qu'autrefois ; mais, pour penser et pour agir, on n'a pas besoin d'un si grand nombre d'autorités. Chacun a un petit cercle où il trouve ses modèles, qui hors de là ne seraient peut-être pas plus regardés comme des gens à la mode, que les habitans d'une autre planète, s'ils tombaient sur la terre, ne seraient probablement regardés par nous comme des créatures intelligentes. Le monde est aujourd'hui un mot vide de sens ; nous avons, s'il est permis de le dire, la pluralité des mondes, tout est habité ; le coin le plus reculé du Marais a aussi ses prétentions de modes particulières, sur lesquelles on pourrait faire une comédie de mœurs du jour, que les habitans de la rue du Pont-aux-Cboux admireraient pour la vérité des peintures, tandis que, dans les antres coins de la salle, les gens venus des autres coins de Paris trouveraient que cela ne ressemble à rien. Ainsi, il est très-possible qu'il y ait une société de Paris où puisse se trouver une Mme. de Merville, qui, aimant son mari, croit du bon ton de s'en cacher, et de faire des agaceries aux jeunes gens. J'ai bien vu quelques femmes, mêmes de celles qui aimaient leurs maris, faire des coquetteries à d'autres, mais je n'ai pas vu que ce fût pour faire comme les autres ; elles avaient trouvé cela à elles toutes seules. Il peut encore se rencontrer dans la même société un Florvel qui, avec le ton qu'on prête aux incroyables, dont je n'ai guères vu la caricature que sur les boulevards, raconte à Mme. de Merville qu'il a pensé tout-à-l'heure se battre pour elle contre un homme qui soutenait qu'après six ans de mariage elle avait encore de l'amour pour son mari. Tout cela se trouvait, il y a cinquante ans, dans les romans de Crébillon, d'où l'auront pu reprendre aujourd'hui quelques sociétés forcées de chercher leur ton dans les livres et leurs modes dans les journaux, faute de savoir où les prendre ailleurs ; mais ce qu'il y aura de fâcheux, ce sera que de pareilles mœurs, après être arrivées jusqu'à nous par les romans, se perpétuent par les comédies : des provinciaux iront s'imaginer que c'est là la mode de tout Paris ; on aura beau leur dire qu'elle est ridicule, n'importe, on leur aura dit que c'est la mode. Eh ! point du tout, ne vous y trompez pas. Je pourrais vous dire que rien n'est aujourd'hui de meilleur goût et de meilleur ton que de bien vivre avec son mari et de se montrer toujours ensemble ; qu'on ne s'est jamais tant occupé de ses enfans, qu'on n'a jamais tant vécu à la campagne et dans la solitude, et je vous dirais vrai. Un autre vous assurerait qu'il n'y a jamais eu tant de bals, de fêtes; que les femmes se tuent de divertissemens, et il vous dirait vrai encore. Ce n'est donc pas la faute de l'auteur de la pièce nouvelle, si ce qu'il a peint n'est vrai tout au plus que pour un très petit nombre de gens. Il fallait seulement en avertir ceux qui pourraient prendre les choses au pied de la lettre, et croire qu'on peut faire dans ce temps-ci une comédie de mœurs.

Un personnage qui appartient plus particulièrement à l'état de choses actuel, où le bouleversement de toutes les fortunes a confondu toutes les classes, et où sur-tout la fureur du luxe, qui a saisi les classes intermédiaires, a placé quelquefois l'excès le plus brillant du faste bien près des habitudes d'une grands simplicité de mœurs, c'est une vieille tante de M. de Merville, bonne bourgeoise, bavarde, franche, de bon sens et le meilleur cœur du monde, mais qui convient fort peu aux sociétés élégantes de Mme. de Merville. C'est pourtant le mari de cette Mme. Miller qui, se trouvant tuteur de Mme. de Merville, a de sa bourse soutenu un procès d'où dépendait la fortune de celle-ci, et que sans lui elle aurait perdu faute d'avoir de quoi payer les frais ; c'est Mme. Miller qui l'a soutenue dans le temps de son infortune, qui l'a ensuite mariée à son neveu Merville, qu'Emilie (c'est le nom de Mme. de Merville) aimait autant qu'elle en était aimée, et que M. d'Ernal, oncle d'Emilie, qui vient d'obtenir une place brillante, s'occupe de placer aussi d'une manière avantageuse. Emilie n'a point oublié les bienfaits de Mme. Miller ; elle l'aime, mais voudrait bien ne la voir que quand elle est seule, et il faut convenir qu'elle a un peu raison ; car Mme. Miller, très-plaisante avec sa robe de satin cramoisi retroussée dans les poches, son gros bon sens et sa grosse amitié, exprimées d'une manière aussi triviale que franche, doit paraître fort ridicule dans le monde. Mais le tort d'Emilie, c'est de ne pas sacrifier le monde à sa bonne tante ; cet étourdi de Florvel, avec qui elle a dansé hier toute la soirée, vient lui demander à déjeûner avec une étourdie de ses amies, et pour cela Emilie refuse d'aller dîner chez Mme. Miller qui l'attend, qui depuis huit jours est venue huit fois à sa porte sans pouvoir entrer. Merville y va tout seul, et pour réparer la chose, amène sa tante déjeûner chez sa femme. On juge de l'embarras et du désespoir d'Emilie. Les impertinences s'accumulent ; l'oncle d'Ernal qui, pour corriger Emilie, veut aggraver les conséquences de ses fautes, y ajoute encore. La bonne femme outrée est prête à s'en aller, quand d'Ernal la retient pour lui avouer son stratagême, dont l'objet est de rendre Emilie si ridicule, que son mari, toujours amoureux et partant difficile à fâcher tout de bon, prenne cependant son parti à la fin de faire un éclat qui la corrige ; la bonne tante enchantée promet de l'aider :

Allez, on sait comment pousser un homme à bout,
Et feu monsieur Miller en dirait quelque chose.

La ruse réussit, et Merville profite de l'occasion d'une place que d'Ernal lui a, dit-il, procurée en province pour se séparer de sa femme. Alors Emilie, désespérée, veut le suivre ; on juge ce qui s'ensuit ; la place se trouve, au lieu de cela, être à Paris, et personne ne part que les deux étourdis, mâle et femelle, qu'Emilie sacrifie à sa bonne tante, et elle fait bien ; tout cela n'irait pas ensemble. Si l'on veut toujours considérer l'effet moral, bien des gens du monde pourront trouver encore Mme. Miller si embarrassante en bonne compagnie qu'ils ne blâmeront peut-être pas Emilie autant qu'elle le mérite. Dans Esope à la cour, Rhodope va jusqu'à méconnaître et repousser sa mère esclave, et cette mère n'a que la simplicité, et non la grossièreté d'une éducation commune ; elle n'est que tendre, et non point pétulante comme Mme. Miller, ce qui la rend beaucoup moins embarrassante, et Rhodope plus inexcusable ; mais Mme. Miller est beaucoup plus comique. Cette petite comédie, dont le fonds assez léger, comme on voit, n'a peut-être pas même reçu tous les développemens dont il était susceptible, est écrite avec esprit et gaieté ; on y trouve plusieurs vers heureux, et le rôle de Mme. Miller, très-bien joué par Mme. Molé, anime toute la pièce. Elle a été fort applaudie, et l'auteur a été demandé et nommé, c'est M. Dumolard, auteur de Vincent de Paule et de plusieurs autres ouvrages.                      P.

Les quatre saisons du Parnasse, quatrième année, été – MDCCCVIII, p. 282-283 :

BON NATUREL ET VANITÉ,

ou LA PETITE ÉCOLE DES FEMMES.

Première représentation le 8 avril.

Cette petite comédie est un tableau des mœurs du-jour qui n'est pas nouveau ; quelques auteurs s'en sont déjà emparés.

Madame Merville, jeune femme d'un bon naturel, mais légère, reçoit chez elle une coquette et un fat qui lui gâtent l'esprit ; elle fréquente les bals, les sociétés dites du bon ton, voit peu son mari ; trop livrée à ses plaisirs, elle n'a pas le temps de s'occuper de l'éducation de son fils. Madame Muler, tante de son mari, à qui elle a de grandes obligations, est venue pour la voir, mais madame Merville est en compagnie, elle ne peut pas la recevoir ; la tante, fort mécontente, est prête à sortir, lorsque M. Dernal, oncle de madame de Mervïlle, entre.

Elle lui fait part de la manière dont sa nièce en use à son égard. Ils se concertent sur les moyens de la rappeler à ses devoirs ; ils entrent chez elle, lui font voir les suites fâcheuses qui peuvent résulter d'une conduite aussi inconsidérée, et lui disent que son mari, ne pouvant plus supporter ses mépris, a pris la résolution de la quitter pour la laisser libre de se livrer à ses goûts, et que M. Dernal, qui vient d'obtenir une place éminente, vient de lui procurer un emploi en province.

Madame de Merville ne résiste pas à cette épreuve, elle n'est que légère et vaine ; elle aime son mari, et lorsqu'il s'agit d'opter entre lui et la coquette et le fat, elle n'hésite pas à lui faire le sacrifice de sa vanité.

Cette petite pièce est bien écrite. Il y a des tirades très agréables. Le rôle de madame Muler est théâtral ; et quoiqu'il soit un peu chargé, il n'en produit pas moins son effet comique, et forme un contraste très piquant avec celui de la coquette et du fat qui est l'un des personnages les plus ridicules qu'on ait mis sur la scène. Cet ouvrage a obtenu beaucoup de succès ; il est de M. Dumolard, déjà connu par plusieurs productions, jeune auteur estimable, et qui dirige son art du côté des mœurs.

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