Le Bonheur inattendu

Le Bonheur inattendu, comédie en prose & en deux actes, mêlée d'ariettes, de Thouvenin, 18 juillet 1793.

Théâtre de Mlle. Montansier.

Titre :

Bonheur inattendu (le)

Genre

comédie mêlée d’ariettes

Nombre d'actes :

2

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

ariettes

Date de création :

18 juillet 1793

Théâtre :

Théâtre de Mlle Montansier

Auteur(s) des paroles :

Thouvenin

Compositeur(s) :

 

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 6 (juin 1793), p. 379-383 :

[Le compte rendu s’ouvre sur un long résumé de la pièce, parfois un peu ironique (pour souligner le caractère très convenu de l’intrigue : « Tous les spectateurs voient, d'après cet exposé, que Babet est la fille de M. de Valsain, & ils seroient surpris que M. Griffon ne le vît pas, s'ils ne savoient pas que la piece est en deux actes »). Le jugement porté sur la pièce est sévère : « On ne peut dire que cette piece soit bien faite ni bien écrite ». Les reproches : la faiblesse du plan (absent même du premier acte), l’exposition bien longue et qui laisse bien longtemps le spectateur dans l’incertitude, la qualité de l’écriture (emploi de servitude là où le critique voudrait service, l’emploi d’un terme technique de théâtre (celui de l’emploi de grime) pour désigner un personnage : cela nuit à l’identification par le spectateur du comédien – un grime – au personnage. La musique est qualifiée d’agréable (ce qui n’est pas signe d’enthousiasme, et l’abondance des réminiscences donne à penser que le compositeur a l’excuse de la jeunesse... Rien sur l’interprétation, rien non plus sur la possible dette de la pièce nouvelle avec une plus ancienne du même titre : le critique ne peut comparer, faute d’avoir a pièce ancienne sous les yeux...]

THÉATRE DE MLLE. MONTANSIER.

Le Bonheur inattendu, comédie en prose & en deux actes, mêlée d'ariettes, représentée pour la premiere fois le 18 juillet 1793.

Le vieux procureur Griffon aíme Babet. Comment ne l'aimeroit-il pas ? elle est belle, elle est jeune, elle est sans cesse auprès de lui, elle est sa gouvernante, & Babet paroît avoir reçu une éducation bien plus soignée que celle des filles de son état. Aussi, le premier clerc de Griffon, Durval le fils, est-il devenu éperduement amoureux de cette charmante fille, qui le paie d'un tendre retour. La jeunesse aime la jeunesse, comme la rose le zéphyr, dit quelque part M. Marmontel.

Tout iroit le mieux du monde, si Durval le fils, poëte & musicien, ne s'amusoit tout le jour, au-lieu de grossoyer dans son étude, à faire des chansons, & à les chanter, en soutenant sa voix avec sa guittare langoureuse. Ce train de vie déplaît infiniment à M. Griffon. Pour être procureur, il ne faut ni vers ni musique, il ne faut ni cœur ni ame ; & l'on ne s'appercevroit pas que notre vieux praticien eût rien de tout cela, sans son amour' pour Babet.

Mais cet amour le rend excessivement malheureux ; Babet le rebute sans cesse, & elle se moque toujours de lui, quand il veut lui minuter sa déclaration. Mais, dit-il, une telle rigueur n'est pas naturelle ; ma gouvernante dédaigne mon cœur & ma main ; ceci cache quelque mystere ; Balthasar ne pourroit-il pas m'aider à l'éclaircir ? il est si niais, que pour peu que je l'interroge, il me sera facile de découvrir la vérité.

Par quelle singuliere fatalité les hommes désirent-ils toujours le plus vivement d'apprendre ce qu'ils ont le moins besoin de savoir pour leur repos ? Balthasar, tout bête qu'il est, ne peut pas concevoir comment M. Griffon ne s'est point apperçu des amours de Durval & de Babet. On ne voit que cela dans la maison. Quel creve-cœur pour M. Griffon !

Le pere de Durval arrive sur ces entrefaites ; il est si préoccupé, qu'il ne s'enquiert seulement pas de son fils ; une affaire singuliere l'amene de Saint-Germain à Paris ; il vient y faire les plus exactes recherches, & en voici le sujet. Le malheur des tems contraignirent, il y a trois ans, M. de Valsain, son ami, négociant très-estimé, à faire banqueroute. Ne pouvant soutenir la honte de cette démarche, & désirant de la réparer, il passa en Amérique. Plus heureux dans le nouveau-monde que dans l'ancien, il y a fait en peu de tems une brillante fortune, & non-seulement il a payé tout ce qu'il devoit, mais encore il revient avec des richesses immenses.

Rien ne manqueroit donc à son bonheur, si une fille que M. de Valsain laissa, avant de partir, à une vieille parente, n'avoit disparu depuis la mort de celle-ci. On ne fait plus ce qu'elle est devenue. Hélas ! que fera Valsain de ses richesses, s'il ne retrouve plus sa fille ? C'est pour la chercher que Durval le pere est à Paris.

Tous les spectateurs voient, d'après cet exposé, que Babet est la fille de M. de Valsain, & ils seroient surpris que M. Griffon ne le vît pas, s'ils ne savoient pas que la piece est en deux actes. Le vieux procureur ne pouvant donner aucun renseignement, Durval le pere sort, & il reviendra pour dîner.

Pendant son absence, son fils, qui ignore qu'il est à Paris, fait une promesse de mariage à Babet ; & celle-ci, pour lui prouver qu'il ne fera point un mariage mal assorti, lui fait voir une tabatiere, sur laquelle est le portrait de son pere, ancien négociant, que des malheurs ont obligé de s'éloigner de la capitale. Durval le fils est au comble de la joie.

II n'en est pas de même du vieux Griffon ; il sort furieux du cabinet où il s'étoit caché, & il veut chasser à l'instant de chez lui son clerc Durval. Heureusement le pere de ce jeune homme survient ; il veut savoir pourquoi tout le monde est si fort agité ; on lui répond que c'est parce que son fils vient de faire une promesse de mariage à la gouvernante Babet. — O ciel ! — Mais mon pere, Babet n'est pas ce qu'elle paroît être, c'est la fille d'un négociant. — O ciel ! Babet seroit-elle par hasard la fille de M. de Valsain ? — Ah ! Monsieur, vous venez de nommer mon pere, pourriez-vous me donner de ses nouvelles ? — O ciel ! quel bonheur inattendu !

On s'explique plus clairement ; on entre dans de très-longs détails, on acheve de se convaincre ; & il résulte de tout cela, que M. de Valsain arrivera bientôt, & que certainement il ne trouvera pas mauvais que le pere Durval confirme un mariage préalablement assuré par une promesse écrite en présence de M. Griffon.

On ne peut dire que cette piece soit bien faite ni bien écrite. L'auteur semble marcher sans plan dans tout le premier acte ; & son exposition n'a bien réussi qu'à la fin de cet acte, c'est-à-dire, à l'arrivée de Durval le pere. Jusques-là, il nous a laissé flotter incertains au milieu des conjectures. Mais on n'en fait plus, quand l'exposition est achevée ; car tout le monde s'attend dès-lors au bonheur inattendu de Babet.

Nous avons observé encore que la langue & le goût ne sont pas toujours fort respectés dans cette comédie. On n'aime pas à y entendre dire, par exemple, à diverses reprises, que Babet est dans la servitude ; on sent bien que l'auteur a voulu dire dans le service ; mais cela ne suffit pas.

« Sur tout qu'en vos écrits, la langue rêvérée,
Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée. »

Vers la fin de la piece, Griffon se désespere de ce qu'il ne peut obtenir la main de Babet. Eh bien! lui dit celle-ci, ne vous fâchez pas, si vous ne pouvez plus jouer les amoureux, vous jouerez les peres grimes. Ceci peut être fort plaisant dans une répétition, lorsque le comédien n'est que comédien ; mais lorsque le rideau est levé, & que le comédien est identifié avec le personnage qu'il représente, Babet la cuisiniere ne peut plus se servir, en parlant au procureur Griffon, des termes techniques de l'art du comédien.

La musique du Bonheur inattendu est souvent agréable ; les nombreuses réminiscences qu'elle présente, & la fréquence de certains motifs, donnent lieu de croire que nous la devons à un jeune artiste. si cela est, tant mieux, c'est un homme de plus qui se présente dans la carriere, avec des dispositions.

Il avoit déjà paru sous le même titre un opéra-comique en trois actes, mêlé de prose, & en vaudevilles. Nous ne l'avons pas sous les yeux, pour dire à nos lecteurs s'il a d'autre analogie que celle du titre avec la piece dont il vient d'être question ; mais s'il n'est pas meilleur, ce seroit assurément un Bonheur inattendu, que de le voir réussir au théatre.

César : l'auteur, Thouvenin. Première le 18 juillet 1793. 6 représentations jusqu'au 6 novembre 1793. Il n’est pas question du compositeur dans les « créateurs » de la pièce.

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