Cécilia

Cécilia, drame en trois actes et en vers, de Sewrin, 18 fructidor an 12 [5 septembre 1804].

Théâtre de la Porte-Saint-Martin.

La pièce de Sewrin est une adaptation d'un roman de Fanny Burney, Cecilia or Memoirs of an Heiress (Cécilia ou les Mémoires d'une héritière), publié en 1782 et traduit en français dès 1783. Il fait partie des trois livres que la famille royale demande alors qu'elle est prisonnière au Temple.

Courrier des spectacles, n° 2749 du 19 fructidor an 12 [6 septembre 1804), p. 2 :

[Le premier compte rendu de la pièce est un peu mystérieux : son succès apparent (l'auteur, demandé, a paru) est présenté comme une revanche après un échec récent. Le résumé de l'intrigue est vite expédié et finit par une incertitude : le mariage nécessaire dans ce genre de pièce « semble prêt » de se faire. Et le dernier paragraphe de l'article est peu clair : le critique paraît ne pas trop savoir quoi penser de la pièce, et il annonce qu'il reviendra sur la pièce le lendemain.]

Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Première représentation de Cécilia.

Le roman de Cécilia a fourni à M. Sewrin l'occasion de prendre, au Théâtre St.-Martin, une revanche de la disgrâce qu’il venoit d’essuyer à celui de Louvois.

Son drame en trois actes et en vers à [sic] paru plaire généralement ; les applaudissemens ont été souvent répétés pendant le cours de la pièce.

Lord Melworf, depuis long-tems séparé de sa femme, apprend en même tems sa mort et l’existence d’une fille, née pendant les premières années de son mariage.

Soupçonnant la réalité de son droit de paternité sur cet enfant, il ne veut point la recevoir, puis il consent à la loger dans son château, puis elle se présente à ses yeux, ce qui lui déplaît d'abord ; mais des supplications, des expressions pleines de tendresse, l'émeuvent et lui font retrouver son cœur. Elles étoit sur le point de rentrer totalement en grâce lorsqu’un étourdi l’enlève.

Aussi-tôt le père, l’amant, les amis courent après elle ; on la retrouve ; le ravisseur s^excuse, le père s’attendrit, il embrasse sa fille ; il pardonne au téméraire et semble prêt à faire épouser Cécilia à son neveu.

Voilà ce qu’il nous a été possible de saisir. .Demain nous reviendrons sur ce drame qui mérite de plus longs détails, et qui annonce un talent réel chez l’auteur comme poète .et comme écrivain dramatique.

On a demandé M. Sewrin , qui a paru.

Courrier des spectacles, n° 1750, du 20 fructidor an 12 [7 septembre 1804], p. 2-3 :

[Second article donc, qui explique les règles nécessaires à la création d'une comédie : logique dans les faits, caractère des personnages cohérent, enchaînement logique des événements. C'est quand une pièce respecte ces grands principes que le spectateur suit la pièce avec plaisir. Or c'est le manque de logique de la pièce qui semble la caractériser : « Chaque personnage n’y présente qu'une physionomie équivoque » : « Ou ne sait trop ce qu’ils veulent; ni quel est le but auquel ils tendent. » Le résumé fait ensuite de l'intrigue s'attache justement à mettre au jour ce que le critique voit comme des erreurs de logique, comme un manque de cohérence. Plusieurs personnages sont présentés comme des êtres ambigus. Le critique conclut son propos en insistant sur le contraste entre ces erreurs manifestes et la qualité de l'écriture dramatique de l'auteur : dialogue, vers bien écrits, pleins de grâce et de naturel. Mais « il ne suffit pas d’être poëte pour faire un bon ouvrage de théâtre », un « art difficile », hermétique. L'article s'achève par le rappel de la reprise d'une pièce de Lesage datant de 1707, et bien jouée par un acteur comique qui a « beaucoup de mérite et de talent ».]

Théâtre de la Porte St-Martin.

Première représentation de Cécilia.

(Deuxième article).

On a souvent répété, mais bien rarement avec fruit, que la fable, ou si l’on veut, le sujet d’une comédie, doit avoir pour première base une logique parfaite dans les faits, que les personnages pourvus, s’il est possible, d’un caractère bien tracé et bien soutenu, doivent agir d’une manière conséquente ; qu’ils ne peuvent s’écarter ni du but, ni de l'intérêt que chacun d’eux se propose ; et que par suite, chaque incident, chaque fait, chaque partie du développement doivent naître l’un de l’autre, et s’acheminer par la môme route vers le dénouement de l’ouvrage.

Quand un auteur dramatique s’est bien pénétré de cette principale règle de son art, le spectateur suit sa pièce avec un intérêt croissant, il n’est ni distrait, ni préoccupé par des efforts pénibles de mémoire et de rapprochement. Il n’est point arrêté par des incohérences. Le cœur et l’esprit également satisfaits, il s’attache aux personnages, il se -pénétre [sic] du but de chacun d’eux, il partage leur intérêt, et il arrive comme eux au port après s’être amusé dans la route.

Noua éprouvons une sorte de difficulté à faire l’extrait du drame de Cécilia, et c’est au défaut de logique de cet ouvrage que nous en sommes redevables. Chaque personnage n’y présente qu'une physionomie équivoque. Ou ne sait trop ce qu’ils veulent; ni quel est le but auquel ils tendent.

Lord Melword, père de Cécilia, a quitté sa femme depuis de longues années ; il ne savoit pas même qu’il existât une fille de ce mariage. Pourquoi ce délaissement? Quel étoit le crime de cette épouse ainsi abandonnée ? Etoit-ce désordre, prodigalité ou méchanceté de caractère ? Si c’étoit désordre de conduite, il avoit donc droit de douter de sa paternité ; il est donc excusable de rejetter loin de lui le fruit de l’adultère. Ainsi le commande la nature ; ainsi le conseille la société. Dans ce cas, il doit avoir pris ses résolutions. Une fois tranquille sur le sort de l’individu et sur ses moyens d'existence, il lui est permis de l’oublier.

Que lui demande Cécilia ? Qu’il ait pour elle les entrailles d’un père ; mais s’il ne l’est point, pourquoi ose-t-elle revendiquer une affection sur laquelle elle n’a aucuns droits.

Lady Melword a-t-elle été calomniée auprès de son époux ? dans ce cas, qu’un iucident vienne donc détruire cette calomnie, et le public applaudira au retour de la tendresse mieux éclairée du père.

Que veut Sandfort, espèce de quakre [sic], jadis instituteur du lord ? Pourquoi .sa morosité ? pourquoi sa mauvaise humeur continuelle, tantôt contre le père, tantôt contre la fille ? Que veut il à celle-ci ? Est-il ou non amoureux et jaloux ? Pourquoi lui prêter ces amours ridicules ? A quoi nous mène-t-il ? Que produit-il ?

L’innocent Henri paroît être le véritable amant ; mais que cet amour est fade ! que ce personnage est languissant ! disons plus : qu'il est inutile ! Mais comme tout drame doit finir par un mariage, il faut bien qu’il se trouve là un épouseur tout prêt.

Près de Henri est un sir Hargrave, personnage épisodique, lourd petit-maitre, sottement libertin, fesant le bien comme le mal, disposant et exécutant l’enlevement d’une jeune personne qu’il ne connoît pas, qu’il n’aime pas, que peut-être même il ne désire pas, le tout par passe-tems, et comme l’on dit, pour passer un quart-d’heure ; mais l'auteur a probablement pensé qu’il avoit besoin d’allonger son troisième acte, et de produire un petit incident, le tout pour donner plus de mouve ment à la catastrophe.

Nous ne nous serions pas occupés de relever ces diverses fautes, si l’auteur de Cécilia n'annonçoit un talent distingué. Il dialogue avec justesse ; ses vers sont bien faits ; ils ont du naturel et de la grâce ; mais il ne suffit pas d’être poëte pour faire un bon ouvrage de théâtre, il faut étudier les autres parties de cet art difticile, il faut en pénétrer le secret et en deviner le prestige.

Cécilia avoit été précédée d’une très-jolie comédie de Lesage, Crispin rival de son maître. Cette pièce est du nombre de celles qu’il est difficile de mal jouer. Nous nous sommes fait nommer l’acteur qui jouoit le rôle de Labranche, c'est M. Bourdais. On ne peut lui contester beaucoup de mérite et de talent. Il a, dit-on, le projet de s’éloigner ; ce seroit une perte réelle. Nous connoissons peu de comiques de sa force.

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