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Chapelain, ou la Ligue des auteurs contre Boileau

Chapelain, ou la Ligue des auteurs contre Boileau, comédie en un acte et en prose mêlée de vaudevilles, de Barré, Radet et Desfontaines1er nivose an 11 [22 décembre 1802].

Théâtre du Vaudeville

Almanach des Muses 1804.

Titre :

Chapelain, ou la Ligue des auteurs contre Boileau

Genre

comédie vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

1er nivôse an 11 [22 décembre 1802]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Barré, Radet et Desfontaines

Sur la page de titre de la brochure, a Paris, chez Mme. Masson, an 12 (1804) :

Chapelain, ou la Ligue des auteurs contre Boileau, comédie vaudeville, en un acte et en prose ; Par MM. Barré, Radet et Desfontaines. Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 1er. Nivôse an XI.

Courrier des spectacles, n° 2118 du 2 nivôse an 11 [23 décembre 1802], p. 2-3 :

[La pièce traite d'un sujet bien mince, une querelle entre écrivains du 17e siècle autour de la distribution des pensions royales (une des grandes sources de revenus des auteurs), mais ce sujet si mince cache des questions plus sérieuses, sur les droits de critiquer des auteurs, en rapprochant deux époques où la liberté d'expression n'est pas la règle. La pièce a souffert de « signes non équivoques de défaveur » peu nombreux, mais rien qui puisse inquiéter des auteurs capables d'ironiser sur les critique. L'emploi dans un couplet de la formule « Journaliste inhumain » fait bien sur réagir le critique du Courrier des spectacles qui y voit « une petite vengeance d'amour propre ». Mais il reste capable de reconnaître les qualités de la pièce, « de jolis couplets, des détails spirituels, des citations heureusement appliquées », et ses défauts, froideur et absence d'intérêt (en donnant à ce dernier mot le sens qu'il a quand il s'agit de théâtre). Le sujet est très mince (heureusement qu'y figure « l’épisode des Amours de Mignot), une affaire de distribution de pensions dans laquelle Chapelain montre son sens de la justice, en oubliant que Boileau s'est moqué de lui. Et l'anecdote de Rolet, un fripon, donne une idée intéressante des relations entre écrivains de l'époque de Louis XIV, ou de l'idée que les vaudevillistes s'en font... L 'article finit par l'envoi de deux jolies flèches empoisonnées, contre des acteurs qui ne savaient guère leur rôle, et mademoiselle Desmares qu'on n'entendait pas.]

Théâtre du Vaudeville.

Première représentation de Chapelain, ou la Ligue des Auteurs contre Boileau.

Chez Apollon, de race en race,
On a remarqué des ligueurs,
On a vu ligués au Parnasse
Les censeurs contre les auteurs,
Les auteurs contre les censeurs.
Mais ici c’est une autre affaire ;
Nos auteurs, s’ils sont trois ou deux,
Ne se liguent que pour vous plaire :
N’allez pas vous liguer contr’eux.

Le public et les auteurs étant en présence, ces derniers ne pouvoient porter des paroles de conciliation plus propres à commander l’indulgence ; aussi les auditeurs se sont-ils ligués pour faire réussir l’ouvrage qui est arrivé heureusement à la fin, quoiqu’alors quelques personnes aient paru , par des- signes non équivoques de défaveur, réclamer contre le jugement de la grande majorité.

Malgré ce petit échec inattendu, les auteurs n’en doivent pas moins croire au succès de Chapelain. D’ailleurs ce sont de bons vivans qui seroient loin de se décourager pour quelques improbations dirigées contre leur pièce, et qui ont des moyens de s’en consoler ; nous pouvons les en croire sur parole.

      Les auteurs de l’ouvrage
      Assez gaiment d’abord
      Se sont mis en voyage
      Pour arriver au port.
      A la fin de la route
      S’ils manquent le succès,
      Rien ne pourra sans doute
      Les en consoler : mais
S’ils n’ont contr’eux le lendemain
Que le
Journaliste inhumain,
Chez Mignot, le verre à la main,
Ils iront noyer leur chagrin.

journaliste inhumain ! l’épithète n’est pas polie ; mais c’est une fureur ! on veut aujourd’hui lancer un trait contre les journalistes, voire même dans les plus méchantes pièces de théâtres. Elles n’auroient plus de sel sans cela, et d’ailleurs c’est une petite jouissance, c’est une petite vengeance de l’amour-propre souvent blessé.

Nous ne nous fâcherons pas de cette apostrophe innocente, et nous rendrons justice à la piece de messieurs Barré, Radet et Desfontaines qui offre de jolis couplets, des détails spirituels, des citations heureusement appliquées , mais aussi dont le défaut est d'être froide et sans intérêt. Le sujet est bien peu de chose ; et sans l’épisode des Amours de Mignot, ce pâtissier peint dans ce vers de Boileau :

Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier,

l’ouvrage seroit extrêmement court.

Chapelain est chargé par Colbert de lui présenter la liste des écrivains célebres qui méritent la pension La foule des poètes, vulgus poëtarum, brigue l’honneur d’y être portée : c’est Cotin, c’est Pradon, c’est Bonnecorse, etc.

Tous les auteurs de même force.

Chapelain est avare, extrêmement avare, mais homme d’honneur. Déchiré dans les Satyres de Boileau, il refuse d’entrer dans la ligue formée contre ce grand écrivain : il ne veut pas se venger ainsi-de quelques traits dirigés contre lui, et il défend lui-même Boileau contre ses confrères, en disant :

Si la critique un instant nous aigrit,
    Elle nous instruit à mieux faire.

Ensuite il déclare aux Ligueurs qu’il a porté en tête de la liste des pensions les noms de Boileau, Racine et Molière. Ce qui désespère et fait sortir furieux nos Cotins, etc. , et sur-tout le procureur Rolet qui vouloît à toute force intenter à Boileau un procès criminel, comme en ayant été attaqué dans son honneur.

            Censurer les vers et la prose,
            Des grands et des petits auteurs,
            Ce n’est rien ou c’est peu de chose.
            Mais attaquer les procureurs !
            Vous osez dans une satyre
Dire : Un chat est un chat, et Rolet un.... morbleu
            Nous verrons, nous verrons dans peu
            S’il vous est permis de tout dire.

Si à la seconde représentation les rôles sont mieux sçus, et si mademoiselle Desmares s'applique d’avantage à se faire entendre, le succès n’éprouvera plus d’oppositions.

F. J. B. P. G ***.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 8e année (an 11-1802), tome 4, p. 538 :

[Une pièce sur la vie littéraire au 17e siècle (les noms cités ont pour certains perdu tout sens pour nous), mais ce n’est pas ce que conteste l’auteur de l'article : un dénouement plaqué sur la pièce (ce pâtissier qui surgit à temps pour épouser une servante), une absence d’intrigue, des détails agréables, mais pas d’ensemble (la pièce se résume à un tableau). Et puis, si les couplets « sont la plupart très jolis », la musique qui les accompagne est vieille ou mal choisie, et on nous rappelle opportunément l’importance du choix des airs dans les vaudevilles. Vaudeville qui restera. Un rôle difficile, celui de Chapelain, très bien tenu par Chapelle (quel hasard !).]

Chapelain, ou la Ligue des auteurs contre Boileau.

Pradon, Cotin, Bonne-Corse, Colletet, et quelques autres auteurs maltraités par Boileau, animés par le procureur Rollet, forment une ligue contre le satyrique et veulent lui intenter un procès. Ils choisissent pour chef de la ligue, Chapelain, un des poètes les plus en crédit, et chargé par Colbert de la liste des pensions. Chapelain, quoique peu ménagé par Boileau, refuse d'entrer dans la coalition, et le place même en tête de la liste qu'il doit offrir à Colbert. On lui en demande la raison, il est mon ennemi, dit-il, et je craindrais de l'oublier. Les auteurs furieux sortent pour aller tenir ailleurs leur assemblée ; et, comme cela ne suffit pas pour faire le denouement, le pâtissier Mignot épouse la servante de Chapelain. Cette pièce n'a pas d'intrigue ; c'est un tableau dont les détails sont fort agréables, mais qui péche par l'ensemble. Les auteurs sont les CC. BARRÉ, RADET et DESFONTAINES. Leurs couplets sont la plupart très jolis, mais ils sont placés sur des airs vieux ou mal choisis, qui les empêchent d'être goûtés. Le choix des airs fait beaucoup plus qu'on ne pense dans un vaudeville. Au reste celui-ci figurera longtemps dans la galerie qu'il ne déparera pas. Le rôle très-difficile de Chapelain a été joué avec beaucoup de talent par le C. Chapelle.           T. D.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an XI, IIe trimestre, n° 11 (20 nivose), p. 113 :

[L’intrigue est résumée, peut-être avec un peu d’ironie (« beaucoup d'autres fameux écrivains du même calibre », Chapelain étant épargné en raison de la sagesse dont il fait preuve (il a un « mot vraiment sublime de générosité », alors que les autres ne peuvent lui répondre qu’en l’injuriant. Le tableau présenté ne constitue pas une action dramatique, et il a bien fallu y ajouter une intrigue matrimoniale sans lien avec l’intrigue (ou l’absence d’intrigue). Le mariage prévu se fait d’ailleurs dans des conditions amusantes, mais qui ne grandissent pas Chapelain qui consent si le pâtissier continue à lui donner biscuits et pâtés. Le paragraphe suivant est de pure polémique : il vise « un connu par son âpre sévérité » : s’il a eu raison de reprocher aux auteurs le portrait trop contrasté de Chapelain (ils contreviennent ainsi à une règle absolue en art « de n'offrir point des contrastes choquans », même si c’est pour respecter la vérité historique), il a eu tort de se croire visé par des allusions perfides. Il a par ailleurs trop peu souligné la qualité de la restitution de cette sorte de ligue hostile à Boileau. Les couplets (dont un seul est cité) sont « pleins de finesse et d'une facture qui annoncent les véritables maîtres en ce genre », ce que confirme le nom des auteurs, le trio Barré, Radet et Desfontaines.]

Théâtre du Vaudeville.

Chapelain, ou la Ligue des auteurs contre Boileau.

Rollet vivement offensé, comme on peut croire, du vers

J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon.

veut intenter un procès criminel à l'auteur des Satires ; mais pour donner plus de poids encore à sa cause, il a trouvé le secret d'y intéresser tous les auteurs attaqués comme lui dans les écrits du satirique. Il n'a pas eu de peine à faire entrer dans la ligue Cotin, l'abbé de Pure, Colletet, Pelletier, Bonnecorse et beaucoup d'autres fameux écrivains du même calibre, immolés sans pitié dans des vers malheureusement devenus proverbes.

Toute cette tourbe vindicative et animée se flatte à plus forte raison de s'associer le ressentiment de l'illustre auteur de la Pucelle, si terriblement et si. fréquemment rappelé dans les épigrammes de Boileau. Tout le corps plaignant se rend à cet effet chez Chapelain, mais celui-ci, bien loin d'adopter le plan de vengeance, en fait sentir à tous ses confrères le ridicule ineffaçable ; soutient que les rieurs seront du côté de Boileau, que les satires survivront au procès, que lui-même est forcé de convenir de la supériorité de son adversaire, et qu'à ce titre, loin de lui en garder rancune, il a cru devoir se venger plus noblement en l'inscrivant à la tête de la liste des pensions à faire, dont le gouvernement l'a chargé. Oui, Messieurs, leur dit-il, c'est lui que j'ai mis tout le premier sur cette liste : comme il était mon ennemi, j'avais peur de l'oublier. Ce mot vraiment sublime de générosité, déconcerte un peu Rollet et ses associés, qui s'en vengent par des injures.

A ce tableau, qui seul ne pouvait faire une action dramatique, les auteurs ont cru devoir ajouter une exposition et un dénouement entièrement étrangers au nœud principal ; c'est l'amour de Mignot le pâtissier pour la nièce de Chapelain, qui n'obtient la main de son amante qu'en promettant à cet oncle avare de lui continuer les tributs et les attentions ordinaires, et de lui présenter gratis, après comme avant le mariage, les hommages de son talent pour les biscuits et les pâtés.

Un critique, connu par son âpre sévérité, a reproché aux auteurs d'avoir composé leur portrait de Chapelain de deux couleurs beaucoup trop tranchantes. Cette fois le critique me paraît avoir eu toute raison. L'avarice de Chapelain ne devait pas se trouver dans le même cadre avec la générosité presque sublime de sa conduite. On allègue en vain que c'est la vérité historique. Le peintre de portrait qui veut flatter son modèle, doit avoir l'art de le poser de manière à ce que le défaut puisse se dissimuler. C'est la règle invariable des arts de n'offrir point des contrastes choquans, même quand une bizarrerie de la nature les aurait formés par hasard. Mais le critique a eu tort et grand tort de chercher dans la pièce une arrière-pensée qui lui fût relative. C'est aussi se regarder comme trop important que de toujours se croire l'objet des épigrammes et le point de mire des écrivains qui n'ont aucune raison de cacher leurs armes et leurs hostilités. Le même critique n'a pas assez rendu justice à la partie de ce joli petit ouvrage, qui mérite les plus grands éloges. Toute l'histoire de la ligue de Rollet et des Cotins contre Boileau, quoiqu'un peu au-dessus de la portée du public actuel, est remplie de détails littéraires fins et délicats. Rien de mieux imaginé que la scène où Rollet lit les passages de Boileau contre les auteurs, et où chacun d'eux sourit volontiers au trait malin qui regarde son confrère et fulmine contre celui qui l'atteint personnellement. Cette scène rappelle la malice de l'auteur de la Dunciade française, qui, en lisant son poëme, obtenait les applaudissemens de tous ceux qui ne s'y croyaient point attaqués, parce qu'il avait soin de dissimuler à chacun d'eux ce qui pouvait les regarder.

Les couplets de ce petit ouvrage sont pleins de finesse et d'une facture qui annoncent les véritables maîtres en ce genre. Nous ne citerons pour exemple que celui-ci de Rollet :

     Attaquer les vers et la prose
     Des écrivains et des auteurs
     Ce serait encor peu de chose ;
     Mais attaquer les procureurs !
     Vous dites dans votre satire :
J'appelle un chat un chat, et Rollet un .... morbleu !
     Il suffit ; nous verrons dans peu
     S'il vous est permis de tout dire.

On pourrait en citer dix ou douze tout aussi saillans : aussi l'ouvrage est-il des CC. Barré, Radet et Desfontaines.                    L. C.

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