La Caverne (Forgeot, Méhul)

La Caverne, opéra en 3 actes, par le C. Forgeot, musique du C. Méhul. 14 frimaire an 4 [5 décembre 1795].

Opéra-comique National, ci-devant Théâtre italien

Almanach des Muses 1797.

Sujet tiré de l'épisode de la caverne, dans le roman de Gilblas.

Des situations, du spectacle, du fracas, &c.

La Décade philosophique, littéraire et politique, tome septième, an IV, 1er trimestre, n° 60 (30 Frimaire) p. 556-560 :

[Le critique commence par un grief contre les théâtres et les auteurs, qui donnent des pièces sur le même sujet que leur confrère (et une série de titres est donnée...). Le plus grave bien sûr, pour le pauvre critique, c'est que cela ne multiplie pas les chefs-d'œuvre. L'exemple du jour, un épisode de Gil Blas, n'échappe pas à la règle : d'une intrigue piquante et originale, les deux compositeurs n'ont su faire qu'une comédie ennuyeuse. La pièce de l'Opéra-Comique est « un tel amas d'incohérences » que le critique doute de pouvoir en faire l'analyse. Il se lance dans le résumé de l'intrigue, acte par acte, en montrant soigneusement combien l'intrigue est compliquée et chargée. Mais le public a demandé les auteurs, preuve de sa satisfaction. Après avoir parlé du livret (« le poëme » selon l'usage du temps), l'article accorde une belle place à la musique, à qui il reproche seulement une trop grande uniformité. Des « passages sublimes » dans l'ouverture, mais aussi « du décousu », quand « le goût prescrit la règle de l'unité ». Peu de chant, comme dans les autres œuvres de Méhul. Mais des accompagnements soignés. Et la caverne de Lesueur reste pour le critique supérieure à celle de Méhul, alors qu'elle est bien oubliée.]

Théâtre de l'Opéra-Comique.

La Caverne, opéra en 3 actes.

On représente des pièces à arriettes sur deux de nos théâtre [sic], sur celui de l'Opéra-comique et sur celui de la rue Feydeau. Pourquoi lorsqu’un des deux donne une grande pièce de ce genre, le même sujet est-il infailblement traité sur l’autre quelque-tems après ? Lodoïska, Roméo et Juliette, Paul et Virginie et maintenant la Caverne en sont des exemples. Il me semble que les auteurs et les acteurs qui devraient éviter de se rencontrer dans le choix de leurs sujets, paraissent au contraire le désirer, car il est bien difficile de croire que le hasard seul en ait décidé. Si au moins de cette rivalité il resultait quelque chef-d’œuvre ; mais.....

Il faut que l’épisode de la Caverne de Gil-blas offre bien des difficultés à ceux qui veulent le mettre sur la scène, puisque de l’un des morceaux les plus piquans, les plus originaux de cet excellent roman, on n’a réussi, deux fois, qu'à faire des comédies fort ennuyeuses, malgré le grand talent des deux compositeurs qui les ont mise en musique. La dernière qui est celle dont nous rendons compte, offre un tel amas d'incohérences que je ne sais pas si je pourrai réussir à en faire l'analyse.

Ambrosio, chanoine avare, a une jolie nièce qui se nomme Léonore et qu’il a promise à un français, lequel n’a jamais approché de sa maison ni de sa nièce. Cela n’est pas trop vraisemblable, mais aussi cela est fort nécessaire à l’auteur pour faire une charmante situation dans son premier acte. Vous allez voir ça.

Alvar, autre amoureux de la nièce, pendant l'absence de l’oncle chanoine, vient enlever cette nièce, mais sa voiture est renversée dans un ravin en arrivant ; ce qui dérange son projet. Fort heureusement arrive le prétendu : Alvar le reconnaît : c'est lui ! c’est toi ! c'est son ami ; Alvar lui raconte qu’il venait enlever la jeune personne qui demure là, et lui dit, l'accident qui s'y oppose. Le prétendu de la meilleure grace du monde lui offre sa chaise : Alvar en profite, va chercher sa maîtresse, et l'un et l'autre s’en vont après avoir fait leur revérence au prétendu.

Ambrosio revient, et avant d’entrer chez lui, il est volé par Gil-blas, qui, observé par le reste de sa bande, s'approche du chanoine et lui demande timidement la bourse ou la vie.

Au second acte on est dans la caverne. Léonore a été saisie et emmenée par les voleurs ; elle est delivrée par Gil-blas. Celui-ci feint, comme dans le roman, d’être incommodé et se dispense ainsi de suivre la bande dans une expédition qu’elle entreprend. Cependant au moment de fuir, il est surpris par un des bandits qui est resté ; mais ce bandit est désarmé à son tour par le nègre qui favorise et accompagne la fuite de Gil-blas et de Léonore. On voit aussi dans cet acte la vieille Léonarde ; mais ni elle, ni le nègre n’ont conservé le caractère original qu’ils ont dans 1e roman. Je ne dirai rien de l'inconvenance d’avoir fait jouer le rôle de Gil-blas par une femme (la citoyenne Carline) ; cela choque le bon sens. Si c’est par un arrangement des comédiens, c'est sur eux que tombe le blame.

 Dans cet acte le théâtre représente à-la-fois le souterrain et la forêt qui se trouve au-dessus ; on voit passer dans cette forêt les personnages à mesure qu’ils sortent du souterrain ; ils mêlent leurs voix à celles des personnages d’en bas et il en résulte d’assez beaux effets de musique. Mais je suis étonné qu’avec cette ressource dans la décoration, les auteurs n'aient pas fait chanter en même tems, et par les habitans du souterrain, et par ceux de la forêt, qui ignorent ce qui se passe sous leurs pieds, des airs de différens caractères. La chanson réjouie d'un bucheron, par exemple, aurait fait contraste avec les accens plaintifs des prisonniers, et l'effet aurait pu en être piquant.

Le troisième acte se passe dans la forêt ; mais ce serait en vain que je prétendrais en rendre compte ; tout ce que je sais, c’est qu’on y tire des coups de pistolets et de fusils ; le chanoine, le prétendu, l'amant, les voleurs, la dame, tout cela se retrouve pèle-mêle, et il y a apparence que les choses se terminent à la satisfaction de tous et même du public, car il a demandé à connaître les auteurs qui sont le citoyen Forgeot pour le poëme, et Méhul pour la musique.

On trouve. la musique un peu trop uniforme. Mais ce défaut tient à la pièce. Méhul aurait du sentir que le poëme n'offrait point de ressources à l'art.

L'ouverture offre plusieurs passages sublimes : le commencement est du nombre. Mais il y a du décousu dans cette symphonie : les motifs ne sont point amenés par gradation, enchaînés les uns aux autres. A un morceau de la plus belle, de la plus noble harmonie, succède sans préparation un motif d'un style presque trivial. C'est-là un vrai défaut. En musique, comme en tout autre chose, le goût prescrit la règle de l'unité.

On a souvent répété que l’on trouvait peu de chant dans la musique de Méhul. Cette nouvelle-production ne prouvera peut-être pas que le reproche’ est injuste.

Mais en revanche, ses accompagnemens sont soignés, brillans, expressifs. Il y a, par exemple, un morceau d’un genre neuf, et qu’on ne saurait entendre sans émotion ; c’est un prélude d'air, une espèce de récitatif qui précède l'ariette que Léonore chante dans la caverne. Il est aussi très-beau le morceau d’ensemble pendant lequel Gil-blas arrête le moine, et tremble en lui demandant sa bourse.

Toute belle qu'est cette musique, elle ne doit point faire oublier celle de la caverne de Le Sueur. L’une et l'autre annoncent des compositeurs qui peuvent porter l'art en France à un très-haut degré.

Mais comment se fait-il que ce Le Sueur ne paraît point avoir parmi les musiciens, une aussi grande réputation que celle dont il jouit dans le public ?... Compositeurs, vous me feriez croire que c’est un rival très à craindre, et que vous voulez écarter.                S.

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