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Le Café des artistes

Le Café des artistes, vaudeville en un acte, composé en trois jours par trois auteurs et refusé à trois théâtres, Étienne, Morel et Gaugiran-Nanteuil. Publié chez Huet, an 8.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Huet, chez Bouquet, chez Huguelet, imprimeur, an 8 :

Le Café des artistes, vaudeville en un acte ; Composé en trois jours, Par trois Auteurs, Et refusé par trois Théâtres. Dédié aux Lycées de Paris.

Le texte de la pièce est précédé de cette « petite préface » :

PETITE PREFACE.

Il y a environ trois mois que trois Auteurs en trois soirées ont fait ce petit Vaudeville. Leur dessein avoit été de tracer un des ridicules du jour. Le sujet leur avoit paru affez saillaut. Ils abusèrent peut-être du droit que le vaudeville a d'être malin ; du moins ils crureut le lire sur la figure de trois Directeurs de théâtre auxquels ils présentèrent l'Ouvrage ; mais sans doute ils se sont trompés ; il vaut mieux croire que la faiblesse de la pièce a occasionné les trois refus qu'ils ont éprouvé. Ceux qui jetteront les yeux sur ces couplets, jugeront si les trois Auteurs sont blâmables d'avoir cédé à leur amour-propre, et de s'être livrés à l'impression.

Dans l'édition des Oeuvres de C. G. Etienne, tome premier, publié en 1846, un an après la mort de l'auteur, le Café des artistes fait l'objet d'une longue notice, signée A. F. (mais qui est-ce ?), p. 173-178 :

LE CAFÉ DES ARTISTES,

VAUDEVILLE EN UN ACTE,

Composé en trois jours par trois auteurs, et refusé à trois théâtres.

(1799.)

Ces refus peuvent aisément s'expliquer par le sujet de la pièce : c'est une satire des auteurs à la mode, des comédiens à effet, des musiciens à fracas, des peintres d'enseignes qui se croient des Raphaël, des critiques de salon qui tranchent de l'Aristarque. Ces gens-là ont toujours eu beaucoup de crédit ; l'intérêt et même l'amour-propre des directeurs devaient donc s'opposer à la représentation d'une pareille pièce.

Dans cette revue, l'intention de M. Étienne est surtout de livrer au ridicule les prétentions de ceux qui usurpent le titre d'artiste : le barbouilleur d'enseignes s'intitule artiste ; le ménétrier de banlieue se croit le confrère de Viotti et de Baillot ; un déclamateur de mélodrame, le camarade de Talma ; un glacier n'est pas limonadier,... fi donc ! c'est un artiste... La prétention s'est encore étendue depuis et malgré le vaudeville de M. Étienne. Nous avons aujourd'hui des artistes coiffeurs, des artistes cordonniers, etc., et l'on ne peut dire où cette prétention s'arrêtera ; car elle n'a d'autres limites que la sottise et la vanité, qui n'en ont pas.

Ces deux couplets expriment fort bien ce ridicule toujours croissant.

Le sot masque son ignorance
A l'aide d'un nom fastueux,
Mais sans une vaine apparence
Le talent brille à tous les yeux.
Ce n'est point un titre éphémère
Qui pourra jamais l'embellir :
C'est toujours le titre, au contraire,
Que le talent sut anoblir.

Voyez une laide coquette :
Tout son éclat est emprunté,
Ses charmes sont dans sa toilette ;
Telle est la sotte vanité.
La jeune beauté sans parure
N'a pour plaire aucun ornement ;
Elle doit tout à la nature :
C'est l'image du vrai talent.

Un café est un lieu bien choisi pour une pièce à tiroir. Un honnête limonadier, M. Duthé, dont toutes les pratiques sont des artistes, s'enflamme naturellement d'une belle passion pour les arts. Il entend que sa fille épouse un peintre, un musicien ou un poëte. Le bonhomme, qui ne s'y connaît guère, prend pour artiste et veut donner à Lucile un méchant comédien de boulevard, qu'il croit un personnage considérable, parce qu'il l'a vu jouer les seigneurs et les rois. Le portrait de ce faquin est spirituel et n'a point changé :

Au théâtre, l'habit doré
Me donee la grande tournure ;
Au dehors, un frac déchiré
Compose toute ma parure.
Je donne des bals, des festins,
Pour dîner je suis sans ressource ;
Je verse l'or à pleines mains,
Et n'ai pas le sou dans ma bourse.

Dans cette galerie d'originaux, on trouve un personnage très-comique : c'est un tailleur-costumier qui s'intitule aussi artiste, se croit le soutien nécessaire de tous les ouvrages de théâtre, et se met sans façon de moitié dans la gloire de tous les auteurs. On le proclame avec eux ; on met son nom sur l'affiche à côté de leur nom. Ce fat, si plaisant et si vrai, rappelle le mot d’un décorateur de l'Opéra , après la première représentation du Comte Ory. On vantait devant lui le joli poëme de M. Scribe : « Oui, mais comme la lampe du couvent au second acte est bien moyen âge ! – Quelle délicieuse musique ! — Oui ; mais avez-vous vu ma lampe ? » Ce monsieur croyait de bonne foi que le succès du Comte Ory lui appartenait. N'est-ce pas le costumier de M. Étienne qui dit naïvement :

Oui , grâce à l'habit, les acteurs
Sont applaudis, c'est la coutume ;
Et nos plus illustres auteurs
Doivent presque tout au costume.

   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Par une adresse sans égale
Je change un poltron en héros,
Une vieille actrice en vestale,
Un marmot en dieu de Paphos.
D'un sot je fais un philosophe,
D'une soubrette une Junon ;
Avec quelques mètres d'étoffe
Je fais d'un rustre un Apollon.
   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Mais c'est peu de cet artifice ;
Mon talent est d'un plus grand prix :
Si j'habille les personnages,
On me voit aussi faire plus :
J'habille encore les ouvrages ;
Car souvent ils sont un peu nus.

M. Étienne a su placer habilement dans une satire l'éloge des vrais talents, de Picard et de Colin d'Harleville, dont lui-même devait être bientôt le rival. Nous citons ces deux couplets, qui ne font pas moins d'honneur à son goût qu'à son caractère :

Du drame le fantôme affreux,
Arrivé de la Germanie,
A pour quelque temps de ces lieux
Exilé l'aimable Thalie.
N'allez pas croire cependant
Qu'elle ait abandonné la France,
Car de Joigny tout récemment
Elle revient en diligence (1).

Toi, qui sus peindre le tableau
Du célibat, de l'inconstance,
Reprends ton aimable pinceau ;
Thalie accuse ton silence :
La scène l'offre des succès ;
Tes jolis
Châteaux, tes Artistes,
Pour tes ouvrages désormais
Nous ont rendus tous optimIstes.

(1) Picard venait de faire jouer avec un grand succès la Diligence à Joigny, ou le Collatéral.

Le dénoûment est ingénieux et vif. Au milieu de ces originaux, on distingue un jeune auteur dont on représente la pièce ce soir même. Il a mis sur la scène les personnages ridicules du café de M. Duthé dont il aime la fille. Il a joué ses rivaux, aux applaudissements du public. Cette peinture comique éclaire et désabuse le bonhomme sur le compte des artistes dont il est entiché. « Mais quel est le dénoûment de votre pièce ? dit-il au poëte. – Il dépend de vous, Monsieur. De moi ? Ah! je suis trop ami des arts pour empêcher une pièce de se dénouer. Voici la main de Lucile. »

Le vaudeville final célèbre les bienfaits du Consulat, qui ranimait les arts en rétablissant l'ordre et les lois, et les inspirait par l'éclat de sa gloire :

Trop longtemps le marbre et la toile
Chez nous furent inanimés ;
Les Arts, couverts d'un sombre voile,
Dans la nuit semblaient abîmés.
Mais plus d'un sublime génie
Déjà les arrache au tombeau,
Et sur l'Ignorance et l'Envie
Fait tomber enfin le rideau.

Voyez la Vertu triomphante
Foudroyer l'affreuse Terreur ;
Voyez la Pitié consolante
Sécher les larmes du malheur.
Le Vandalisme et la Licence
D'un crêpe couvraient le tableau ;
La main qui nous rend l'espérance
A su déchirer le rideau.

Mais l'amoureuse ramène le spectateur à la pièce par un dernier couplet fort bien tourné :

Le dénoûment de cet ouvrage
Fat hasardé par son auteur ;
Consentez à mon mariage :
Entre vos mains est mon bonheur.
Le même intérêt nous rassemble
Pour le succès de ce tableau ;
Ne faites point tomber ensemble
Pièce, mariage et rideau.

On demandera peut-être encore une fois comment une pièce où se trouvent d'ingénieux détails et de jolis couplets n'a pu être représentée ? La liste des personnages pourra répondre. On y voit un bel esprit, un auteur de coterie, qui n'aime point que des jeunes gens viennent chasser sur ses terres ; le théâtre n'appartient qu'à lui et à ses amis. Or, n'était-ce pas à une personnalité pour MM. Radet, Barré, Desfontaines et Piis, qui exerçaient sur tous les théâtres de vaudeville un monopole exclusif et jaloux ?

M. Étienne et ses deux amis, MM. Morel et Moras, se sont vengés de ces refus, de cette coalition des vieux contre les jeunes, par une petite préface fort plaisante :

« Il y a environ trois mois que trois auteurs, en trois soirées, ont fait ce petit vaudeville. Leur dessein avait été de tracer un des ridicules du jour. Ils abusèrent peut-être du droit que le vaudeville a d'être malin ; du moins ils crurent le lire sur la figure de trois directeurs de théâtre auxquels ils présentèrent l'ouvrage ; mais sans doute ils se sont trompés : il vaut mieux croire que la faiblesse de la pièce a occasionné les trois refus qu'ils ont éprouvés. Ceux qui jetteront les yeux sur ces couplets jugeront si les trois auteurs sont blâmables d'avoir cédé à leur amour-propre, et de s'être livrés à l'impression, »

On nous excusera si, malgré l'usage et l'ordre naturel, nous terminons l'analyse de la pièce par la préface ; mais cette boutade, qui exprime toute la pensée des auteurs, est aussi un curieux monument des coteries, des cabales littéraires, éternelles entraves du talent qui commence.

A. F.          

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