Les Châteaux en Espagne

Les Châteaux en Espagne, comédie en cinq actes et en vers, par M. Collin d'Harleville (20 février 1789). Paris, Moutard, in-8°. de 132 pages.

Théâtre françois

Titre :

Châteaux en Espagne (les)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

vers

Musique :

non

Date de création :

20 février 1789

Théâtre :

Théâtre françois

Auteur(s) des paroles :

Collin d’Harleville

Almanach des Muses 1791

Manie assez difficile à mettre sur la scène, mais que l'auteur a fait ressortir par la situation où il place le personnage qui en est atteint.

M. d'Orfeuil qui est à sa campagne, attend le gendre de sa fille qui veut examiner sa prétendue, avant de se faire connoître. L'homme aux châteaux, voyageur intrépide, vient sur ces entrefaites demander un azile : on le prend pour le futur. Sa confiance dans son heureuse destinée, fait qu'il n'est nullement étonné de l'accueil qu'il reçoit, et prête merveilleusement à la méprise. Cependant le vrai rpétendu arrive. La jeune personne a du penchant pour ce dernier : mais il est modeste et timide ; il croit que l'autre est favorisé, et prend le parti de se retirer. D'Orlange, l'homme aux châteaux, apprend le quiproquo dont il est cause : c'est un honnête-homme malgré son travers ; il fait courir après son rival, et les deux amans sont unis.

Invraisemblance de la durée de cette méprise après l'arrivée du prétendu. Plusieurs scènes plaisantes. Dialogue facile et piquant. De charmans détails, comme dans les autres pièces du même auteur.

Des images où la confiance de d'Orlange dans son propre mérite, domine plus que la manie de faire des châteaux en Espagne.

 

Sur la page de titre de la brochure, paris, chez Moutard, 1790 :

Les Châteaux en Espagne, comédie en cinq actes et en vers ; Par M. Collin d'Harleville ; Représentée, pour la première fois, au Théatre Français, le 20 Février 1789 ; & à Versailles, devant leurs Majestés, le 26 Mars suivant.

        Quel esprit ne bat la campagne ?
        Qui ne fait Châteaux en Espagne ?
Pichrocole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,
        Autant les Sages que les Fous.
Chacun songe en veillant ; il n'est rien de plus doux.

La Fontaine, Fable de la Laitière & le Pot-au-lait.

Dans la brochure, les personnages masculins sont appelés M. d'Orfeuil, M. de Florville et M. d'Orlange.

 

Mercure de France, n° 12 du 21 mars 1789, p. 150 :

[La pièce de Collin d’Harleville a connu un début difficile : la première représentation a été un échec, et l’auteur a remanié sa pièce pour la faire jouer un mois après, cette fois avec succès.]

COMÉDIE FRANÇOISE.

Nous parlerons dans le Mercure prochain, des Châteaux en Espagne, Comédie nouvelle en cinq Actes & en vers, par M. Collin d'Harleville. Cet Ouvrage, représenté pour la première fois le 20 Février, laissoit quelque chose à désirer. Le Public l'avoit jugé avec ce genre de sévérité qui tient ensemble à l'estime & à l'intérêt. L'Auteur s'est jugé plus sévèrement que le Public. Il a interrompu le cours de sa Pièce, dont il a refait & refondu deux Actes. Nous savions ses projets, & nous avons cru devoir prendre le parti du silence jusqu'à la seconde représentation. Elle a été donnée le 10 Mars avec le plus grand succès. Voilà tout ce que nous en pouvons dire aujourd'hui.

L'Esprit des journaux français et étrangers, dix-huitième année (1789), tome IV (avril 1789), p. 307-311 :

[Le compte rendu s'ouvre quasiment sur le résumé de l'intrigue, une histoire de mariage, le mari pressenti n'étant pas con nu de son futur beau-père, ce qui permet un quiproquo avec un inconnu uqon prend pour le futur mari, d'autant que le vrai futur mari choisit de ne pas se faire connaître et d'arriver incognito chez son futur beau-père. L'intrigue se dénoue quand chacun est reconnu pour celui qu'il est vraiment, et le mariage attendu a lieu, comme de bien entendu. L'article reprend ensuite l'histoire des représentations : la première a été houleuse, et si on a rendu hommage à « une foule de détails brillans que l'ouvrage présente », jusqu'à l'enthousiasme pour certaines scènes, le caractère du personnage principal « a paru tracé d'une manière indécise », l'action reposant sur « l'erreur où l'on est à son égard » qu'à ses travers – les fameux châteaux en Espagne. Collin d'Harleville a fait de nombreux changements à sa pièce (le critique en donne une idée assez précise), et la seconde représentation « eut le succès le plus universel & le plus complet ». Et le critique de conclure que l'échec relatif de la première a permis de beaucoup améliorer la pièce.]

THÉÂTRE FRANÇOIS.

On a donné le vendredi 20 février, la premìere représentation des Châteaux en 'Espagne, comédie en cinq actes & en vers.

Dorlange, grand voyageur, & dont le travers est de faire des châteaux en Espagne, a été arrêté en chemin par des voleurs qui lui ont pris sa bourse. Cet accident lui a procuré la connoissance de Dorfeuil, qui lui a offert un asyle dans son château, que Dorlange a accepté. Dorseuil a une fille nommée Henriette ; il la destine à Derval, neveu d'un de ses amis, que ni lui, ni Henriette, ni personne au château ne connoissent, & qu'il s'est décidé à prendre pour gendre, sur la bonne renommée dont il jouit. Derval en effet est un autre Grandiffon ; & aussi prudent que sage, il ne veut point s'engager sans connoître auparavant le caractere de celle dont il va recevoir la main. Pour y parvenir, il prend le parti de se présenter chez Dorfeuil comme simple voyageur ; & il part, en se flattant, avec raison , d'après le caractere officieux de son futur beau-pere, d'avoir assez de tems pour faire l'épreuve qu'il désire. Cependant l'oncle de Derval a écrit à Dorfeuil, & l'a informé du départ & du projet de son neveu. Dorfeuil montre la lettre à Henriette ; & tous deux, ne pouvant encore être détrompés, croient que Dorlange est le futur époux. Au moyen de cette erreur, on redouble d'attentions pour Dorlange, qui, se voyant si bien fêté, se trouve plus heureux que jamais. Toutefois, sans cesse occupé de ses chimeres, qu'il veut réaliser, il se dispose à quitter le château, & même donne ordre à son valet de tout préparer pour partir le lendemain. Sur ces entrefaites, arrive un second voyageur, qui est Derval lui-même. On lui fait, comme à Dorlange, un très bon accueil ; & les circonstances le favorisent assez pour qu'il ait bientôt une entrevue avec Henriette. Dans cet entretien, Henriette lui paroît telle qu'elle est, c'est à-dire, pleine de graces & de douceur, & il en devient vivement épris. Henriette, de son côté, n'est pas moins sensible à la délicatesse de sentimens que Derval montre dans ses discours ; & oubliant Dorlange, en faveur duquel elle étoit d'abord prévenue, elle ne désire plus que d'avoir Derval pour époux. Les deux amans n'osent cependant se déclarer leur flamme mutuelle ; & Dorlange qui finit par devenir amoureux d'Henriette, & qui, dès ce moment, cherche tous les prétextes pour ne point partir, comme il l'avoit projetté, Dorlange les désespere. D'ailleurs les apparences annoncent qu'il est favorisé du pere d'Henriette. Dans son désespoir, Derval quitte le château : mais avant de faire ses adieux, il laisse une lettre qu'on trouve & qu'on remet à Dorfeuil. Il est aisé dès lors de prévoir le dénouement : la lettre éclaire Dorfeuil sur sa méprise ; on court après Derval, on le rejoint, & revenu auprès de Dorfeuil, il en obtient le consentement qui est l'objet de tous ses vœux ; Dorlange est éconduit, & les deux amans sont unis.

Cette comédie, qui est de M. Collin d'Harleville, n'a pas eu à la premiere représentation, tout le succès que la brillante réputation de l'auteur, & l'attente du public sembloient promettre. Le caractere principal a paru tracé d'une maniere indécise, & tenir à l'action plutôt par l'erreur où l'on est à son égard, que par les travers dont il donne l'exemple. En effet, le valet de Dorlange est le seul qui connoisse la manie de son maître ; encore celui-ci ne la montre-t-il que par intervalle. Ce défaut, joint à un peu de lenteur dans l'action, à quelque foiblesse dans l'intrigue, a empêché le plein succès de l'ouvrage : mais on a rendu justice à une foule de détails brillans que l'ouvrage présente. Des scenes entieres ont encore obtenu & mérité de grands applaudissemens, particulierement celle où Dorlange s'imagine qu'il pourroit bien arriver qu'un jour il devînt roi de quelqu'isle nouvelle. Cette scene, où le caractere de Dorlange se montre dans tout son jour, a excité justement l'enthousiasme du public. La situation devient plus piquante encore par l'opposition du valet qui après s'être moqué du rêve de son-maître, finit par rêver lui même qu'il achetera un jour une métairie, & cela parce qu'il a dans sa poche un billet de loterie ; encore ce billet se trouve t-il perdu dans ce moment-là.

Les rôles d'Henriette & de Derval sont aussi très-agréables ; & la piece est en général écrite de ce style aimable & facile qui caractérise les comédies charmantes de l'Optimiste & de l'Inconstant.

La seconde représentation, donnée le 10 mars, eut le succès le plus universel & le plus complet. M. Collin d'Harleville avoit éprouvé, à la premiere, que les vers les mieux tournés & les tirades les mieux faites pouvoient nuire au succès d'une piece, lorsqu'ils ne tiennent pas à l'action, & qu'ils ne tendent point à son développement. Il a fait en conséquence des sacrifices, mais si nombreux, que plusieurs ont été regrettés du public. Il a fait de plus de grands changemens dans le quatrieme acte, & le cinquieme acte a été refait en entier. Ce n'est plus Florville, qui, au moment de son départ, désabuse Henriette & son pere ; c'est d'Orlange lui-même ; c'est le même d'Orlange qui sait courir après Florville pour le ramener au château. Les scenes auxquelles ce retour donne lieu, sont pleines, les unes d'un excellent comique, les autres d'une grande sensibilité. Florville & Henriette doivent leur union à la générosité de d'Orlange, qui, satisfait de sa bonne action, veut renoncer à ses voyages, abandonner ses chimeres, & pour se fixer enfin, conçoit dans le même moment un projet non moins chimérique que tous ceux qui l'ont précédé.

Nous pourrions presque assurer, d'après la maniere dont cette seconde représentation a été accueillie, que l'auteur doit pour ainsi dire se féliciter de n'avoir pas complettement réussi à la premiere. Le public n'a pu déterminer ce qu'il devoit admirer le plus dans M. Collin, ou les prodigieuses ressources de son esprit, ou son inconcevable facilité.. C'est pendant le cours de treize journées que le plan a été refondu dans des parties essentielles, que les deux derniers actes ont été presqu'entiérement refaits , & que les acteurs se sont trouvés en état de jouer leurs rôles.

Mercure de France, tome CXXXIX, n° 38 du samedi 18 septembre 1790, p. 89-102 :

[Cet article fleuve est écrit à l’occasion de la publication du texte de la pièce. Il s’ouvre sur un examen des autres comédies de l’auteur, et on n’arrivera aux Châteaux en Espagne qu’après avoir longuement examiné les deux comédies à succès qui l’ont précédée : il s’agit de dire « ce qu'il me paroît qu'on doit penser de toutes les trois, & du talent de l'Auteur ». C’est l’Inconstant qui est d’abord examiné, pour contester d’abord le sujet lui-même, à l’image de toute une série de traits de caractère (l’irrésolu, le capricieux, le l’esprit de contradiction) incapables de fournir la matière de cinq actes, indispensables pour une comédie digne de ce nom (on vit encore pleinement sous la dictature des règles de l’art !) : « l’inconvénient général de ces sortes de sujets; c'est d'offrir une suite de boutades » qui ne constituent pas une intrigue. L’Inconstant a de plus le défaut de ne pas pouvoir entrer dans la limite de l’unité de temps (encore les règles de l’art, cette fois les unités !) : il faut trop de temps pour permettre à l’intrigue de se développer, sinon on arrive à l’invraisemblance d’un homme qui promet trois fois le mariage en une jurnée : on sort de la nature pour montrer « un tableau de démence » (encore une règle de l’art : la comédie montre la nature, et non la monsturosité que constitue la démence). Le dénouement est lui aussi inacceptable  il montre la folie du personnage passant sans raison de l’acceptation du mariage à la volonté d’entrer au couvent. Seul mérite de cette pièce sans intrigue, le style, toujours naturel, non sans élégance. Mais sinon, un comique forcé, démontré par un exemple d’incohérence (le personnage dénonce la vie à Paris où il n’est que depuis deux heures, en parlant des événements d’une semaine dont il n’a pas l’expérience en si peu de temps). D’autres exemples soulignent l’erreur sur le caractère de l’inconstant (il est « un bon homme », pas un « grondeur ») ou l’invraisemblable incompréhension de celle qu’il courtisait et à laquelle il renonce (provisoirement, bien sûr : il est inconstant). La vraisemblance joue dans l’argumentation du critique un rôle essentiel, comme on devait s’y attendre. Dernier reproche, assez étonnant, l’emploi du mot « singer » au sens de « contrefaire », refusé au nom des règles de l’analogie Heureusement, les deux autres pièces n’ont pas tous ces défauts. L’Optimiste a une intrigue un peu faible, mais bien meilleure que celle de l’Inconstant, parce que les incidents y sont amenés de manière naturelle. Ce nouveau caractère d’optimiste « n’est […] point du tout hors de nature », et il existe bien des optimistes, de plusieurs sortes, certains étant optimistes au milieu des malheurs, ce qui n’est pas vraiment le cas du personnage de Collin. Le critique invite d’ailleurs Andrieux, auteur des Etourdis, ou le Mort supposé, à s’emparer d’un sujet qu’il estime fait pour lui (il a été doté par la Nature, encore elle, d’un don de gaîté). La gaîté de Collin est plus douce, et ses personnages se ressentent de cet état d’esprit. L’Optimiste est bien construit même si l’intrigue est un peu mince. Sa versification est aussi critiquée : elle ressemble trop à de la prose rimée (c’est encore plus sensible dans ses poèmes, il abuse des enjambements et des interruptions. Ce n’est pas ainsi qu’agissent les grands auteurs de Comédie (Molière, Gresset, Destouches, Piron). Au lieu de couper le vers, il faut « varier les formes de la phrase, sans détruire la versification ». Sinon, l’intrigue contient ce qu’il faut de vraisemblance et d’intérêt, avec l'exception d’un rôle de misanthrope qui fait preuve de générosité sans que ce soit motivé. On arrive enfin aux Châteaux en Espagne, dont le critique dit qu’elle est plutôt mal conduite, mais que la situation qu’elle développe est susceptible de beaucoup de gaîté. L’intrigue résumée rapidement commence bien (par une histoire d epère qui veut marier sa fille à quelqu’un qu’il ne connaît pas, et qui se trompe de gendre : il prend pour le futur mari de sa fille le premier venu). Dans la suite les invraisemblances se multiplient, et le père comme la fille agissent de manière irréfléchie, nul ne songeant à vérifier que celui qu’ils ont pris pour le futur gendre est bien celui qui était attendu. Le dénouement non plus n’est pas crédible (le premier venu se retire sans qu’on sache pourquoi alors qu’il a obtenu une promesse de mariage). Mais la pièce se tient, en particulier grâce à la qualité du dialogue. Mais il a nui à sa réputation en écrivant des Epîtres dans le style de ses dialogues de théâtre, sans tenir compte de la différence des genres, là encore grave entorse aux règles de l’art. L’article s’achève là, de façon un peu brutale, par une phrase flatteuse pour l’auteur, qui a bien un talent dramatique...]

Les Châteaux en Espagne, Comédie en cinq Actes & en vers, par M. Collin d’Harleville ; représentée pour la première fois, au Théatre François, le 20 Février 1789 ; & à Versailles, devant Leurs Majestés, le 26 Mars suivant. A Paris, chez Moutard, Libr.-Impr. rue des Mathurins. In-8°. Prix, 30 s.

M. Collin débuta dans la carrière dramatique, par la Comédie de l'Inconstant ; elle fut suivie de l'Optimiste, ensuite des Châteaux en Espagne. Ces trois Pièces ont eu du succès. Je réunirai dans cet article ce qu'il me paroît qu'on doit penser de toutes les trois, & du talent de l'Auteur.

On est convenu que l'Inconstant étoit un sujet mal choisi : il tient beaucoup de l'Irrésolu & du Capricieux. De ces deux sujets déjà traités, l'un eut peu de succès, l'autre n'en eut point du tout ; mais aucun des deux ne se refuse aux principes de l'Art, quoique l'un ni l'autre, ce me semble, ne comporte cinq Actes. L'inconvénient général de ces sortes de sujets; c'est d'offrir une suite de boutades, qui au bout de quelques scènes sont nécessairement prévues & uniformes : il ne faut donc pas les prolonger. C'est pour cela que l'Esprit de Contradiction, qui d'abord en cinq Actes & puis en trois, étoit tombé, réussir beaucoup en un seul, & resta au Théatre dans le rang de nos petites Pièces les plus agréables. L'Irrésolu, réduit en trois Actes, avec la connoissance de l'Art, que Destouches a fait voir, se seroit bien mieux soutenu. Le caprice est de tous les momens : le Capricieux pouvoit donc fournir une peinture comique entre les mains d'un homme qui auroit eu du talent pour le Théatre, & Rousseau n'en avoit pas ; mais il faudroit rétrécir le cadre, parce qu'une suite de caprices finit par rebuter. Il y a encore une autre raison de restreindre la mesure de ces sortes de sujets ; c'est la difficulté d'attacher une intrigue à des caractères dont l'essence est de ne tenir à rien.

L'Inconstant ne pouvoit, en aucune manière, fournir réguliérement un caractère dramatique, parce qu'il ne peut être développé en vingt-quatre heures, sans ressembler à la folie. Il y a sans doute un âge où l'on aime toutes les femmes, pour peu qu'elles soient jeunes & jolies, c'est-à-dire, où l'on voudroit les avoir ; mais il n'y a point d'hommes qui, dans l'espace d'une journée, en aime trois l'une après l'autre, de manière à vouloir les épouser. Cela n'est nullement dans la nature, qui a marqué certaines bornes à nos défauts, comme à nos vertus. C'est mettre sur la scène un tableau de démence : il y a plus, cette espèce de démence fait, dans certains momens, jouer un rôle trop méprisable au principal Personnage, que l'Auteur n'a pourtant point donné pour un objet de mépris ; ce qui est encore contre les convenances de l'Art. On dira que le Public l'a cependant supportée : c'est seulement une preuve que l'Acteur y a répandu un agrément personnel ; mais il ne s'ensuit pas qu'on la supportera toujours : ce qui est certain, c'est qu'à la lecture elle n'est pas tolérable.

Rien ne l'est moins sur-tout que le dénouement. L'Inconstant vient d'obtenir, à force de prières, la promesse d'épouser la fille de Kerbanton, après qu'on aura éprouvé pendant trois mois s'il est capable de se fixer ; & dans la Scène suivante, il finit la Pièce, en disant qu'il va se jeter dans un Cloître. Le spectateur judicieux ne peut que l'envoyer aux Petites Maisons.

Il n'y a d'ailleurs dans la Pièce aucune espèce d'intrigue ; pas une situation comique. Tout le fond de l'Ouvrage n'est autre chose que la succession brusque des divers changemens de l'Inconstant : ils offrent des détails agréables, & sur-tout le style est toujours naturel, sans manquer d'élégance. C'est le seul talent qu'annonçât ce coup d'essai, & c'étoit beaucoup.

Si l'on examine quelques-unes de ces saillies d'inconstance, on verra aisément qu'elles ne peuvent produire qu'un comique forcé. Florimond, par exemple, fait, en arrivant à Paris, l'éloge de cette capitale, & en fait, deux heures après, la satire : le retour est prompt, & c'est plutôt contradiction qu'inconstance, car assurément il n'a eu le temps d'essayer rien ni en bien ni en mal. Mais du moins il ne falloit pas, au bout de deux heures, que sa critique portât sur une semaine de Paris.

                                   Eh bien ! chaque semaine
De celles qui suivront est le parfait tableau ;
De semaine en semaine il n'est rien de nouveau.
Alternativement Bals, Concerts , Comédie,
Wauxhall, Italiens, Opéra, Tragédie ;
Ce cercle de plaisirs peut bien plaire d'abord,
Mais la seconde fois il ennuie à la mort.

Cela seroit fort bon, s'il eût passé cette semaine ; mais il n'a encore rien vu ; il ne peut pas être dégoûté, puisqu'il n'a goûté de rien : ce n'est donc pas inconstance ; c'est déréglement d'idées. Ce n'est pas un homme qui change ; c'est un homme qui dit le pour & le contre, & il ne fait autre chose pendant toute la Pièce : or, un caractère doit être en action, & celui de l'Inconstant ne pouvant être en action qu'avec le temps, le Drame, qui ne donne point ce temps-là, n'étoit pas susceptible d'un tel caractère.

Il renvoie son Valet, parce qu'il l'a depuis un mois ; fort bien. Mais il le renvoie avec dureté, sans aucune raison de mécontentement, & on le peint sans cesse comme un homme bon : cela est gratuitement contradictoire Il se plaint avec aigreur de ce que ce Valet le sert fort bien, de ce qu’il est toujours à ses ordres. Cette bizarrerie va fort bien au Grondeur, qui veut absolument avoir à gronder. Il ne falloit point l'emprunter au Grondeur ; car elle ne va point à l’Inconstant, qui est un bon homme. Toute cette Scène devoit être autrement conçue.

Il y en a une bien plus répréhensible, & où le dialogue est absolument faux, c’est celle où Eliante, instruite que Florimond a une Maîtresse à Brest, se plaint d'avoir été trompée par les fausses protestations d'amour qu'il lui a faites. Elle ignore que depuis ces protestations, c'est-à-dire, depuis quelques heures, il aime déjà une autre femme. Il se justifie sur celle de Brest, en disant qu'il n'est venu à Paris que pour fuir ce mariage. Mas dans le courant de la conversation, il est accusé de fausseté par Eliante, qui lui dit :

                                         Quel fut votre dessein
Quand votre oncle, pour vous, vint demander ma main ?
Répondez.

FLORIMOND.

                  A cela je répondrai, Madame,
Que mon oncle ignoroit cette subite flamme.

ÉLIANTE.

Allons, fort bien. Mais vous, Monsieur, vous le saviez,
Quand ici même, ici, vous futes [sic]à mes pieds
Prodiguer les scrmens d'une amour éternelle.

FLORIMOND.

Moi, Madame, depuis ma passion nouvelle,
Je ne vous ai pas dit un mot de mon amour.

Il n'y a que peu d'heures qu'il lui en a parlé, & beaucoup. Il parle ici d'une nouvelle passion ; cela est clair. Cependant Eliante s'obstine à ne rien entendre, & quand il a juré qu'il n'épouseroit jamais sa Maîtresse de Brest, elle est rassurée, & lui dit :

Ne parlons plus de torts ; ils sont tous effacés.

Tout ce Dialogue est un mal-entendu absolument invraisemblable ; & dans un entretien de cette nature, une femme qui aime fait trop d'attention à ce qu'on lui dit, sur-tout à des paroles aussi décisives que celles de Florimond, pour s'y méprendre si grossièrement.

Je dois observer en relevant ces fautes, que l'Auteur n'en a point commis de pareilles dans ses deux autres Pièces. Mais je ne finirai point ce qui regarde son Inconstant, sans lui marquer mon chagrin de ce qu'un Ecrivain pur & correct comme il l'est, se sert, dans une note, du mot de singer. Il l'a sans doute entendu souvent dans la bouche des beaux parleurs du Foyer & du Parterre. Il a pu même le lire dans des Brochures & dans des Journaux ; mais comme ce n'est pas à cette école qu'il paroît avoir formé son style & son goût, il devroit savoir que singer, pour contrefaire, est un terme de l'argot moderne, qui va tous les jours s'enrichissant ; que ce terme n'a jamais été François, & que s'il pouvoit l'être, il ne pourroit signifier, suivant les règles de l'Analogie, que faire des singes, comme chienner & chater, signifie faire des chiens & des chats.

L'Optimiste est fort supérieur à l'Inconstant, & ce progrès même est une nouvelle preuve d'un talent véritable. L'intrigue en est un peu foible, mais bien conduite & bien ménagée ; elle a même un mérite essentiellement dramatique, c'est d'amener naturellement des incidens, qui font ressortir le principal caractère ; tel est sur-tout l'incident des cent mille écus perdus par l'Optimiste. Il ne s'en afflige guère qu'à cause de sa fille, dont il croit que cette perte empêchera le mariage avec Morinval. Il ignore qu'elle ne l'aime pas, & qu'elle en aime un autre ; &comme à l'âge d'Angélique, rien n'est plus naturel que de compter pour rien l'argent, & le sentiment pour tout, elle se livre avec transport au plaisir d'assurer son père qu'elle ne regrette nullement le mariage, & qu'elle sera trop heureuse de vivre pour lui. Cette effusion de tendresse où se mêle la satisfaction secrète d'un jeune cœur, qui ne craint plus d'être sacrifié, touche vivement l'Optimiste, dont le caractère est sensible & bon. Il observe avec raison que sans la perte des cent mille écus, il n'auroit pas joui de cette épreuve si douce de l'attachement de sa fille ; & cette scène joint au mérite de l'intérêt celui de mettre en situation le caractère principal, de manière que pour cette fois tout le monde est de son avis.

Ce caractère de l’Optimiste, quoiqu'il ne soit pas très-commun, n'est pourtant point du tout hors de nature : on en a vu plus d'un modèle. Il pourroit même fournir un Ouvrage tout différent de celui dc M. Collin. Celui-ci a mis son Optimiste, il faut l'avouer, dans une situation telle que si l'on excepte l'incident inattendu & passager des cent mille écus, il doit en effet, tout systême à part, se trouver fort heureux. L'Auteur auroit pu prendre un autre parti, & nous montrer un homme doué d'un si grand fond de gaîté (car c'est-là sur-tout ce qui fait l'Optimiste de caractère), qu'au milieu des peines & des contradictions, il vît toujours les choses du bon côté. Cette tournure pourroit être piquante, & ce seroit sur-tout l'Auteur de la jolie Pièce des Etourdis que j'inviterois à manier ce canevas ; car la Nature paroît l'avoir doué de gaîté. Mr. Collin a fait son Optimiste sur un plan analogue à son caractère, qui le porte aux idées douces, & aux sentimens philantropiques. L'espèce de gaîté qui règne dans ses Pièces est aimante, & fait naître le sourire de l'ame. Elle n'a jamais ni quolibets ,ni mauvais goût, pas même dans ses rôles de Valets, qui, sans sortir de la vérité relative, ont une physionomie qui s'accorde avec le ton général de ses principaux Personnages.

Les fils de son intrigue dans l'Optimiste ,comme dans les Châteaux en Espagne,sont minces & déliés ; mais il les conduit & les soutient avec assez d'adresse jusqu'à un dénouement qui satisfait le Spectateur.

Il y a ici beaucoup plus de vers heureux & de situation, que dans l'Inconstant. Cependant l'on peut faire observer à M. Collin, qu'il néglige trop souvent, non pas son expression, mais sa versification. Il se permet trop souvent les enjambemens & les interruptions qui hachent le style, & qu'on ne doit guère employer qu'avec un motif & un effet. Molière, l'Auteur du Méchant, celui du Glorieux, celui de la Métromanie, c'est-à-dire, ceux qui ont le mieux écrit la Comédie, n'ont point ainsi morcelé leurs vers. C'est un défaut aujourd'hui très-commun, mais c'est aussi une ressource trop facile qu'il faut laisser à ceux qui n'ont d'autre moyen pour imiter le naturel de la prose, que de faire mal des vers. Sans doute il ne faut pas dialoguer par tirades, ce seroit un autre excès ; mais pour faire ressembler le dialogue en vers au langage de la conversation, le moyen du vrai talent n'est pas de couper le sens d'un vers en trois ou quatre endroits, c'est de varier les formes de la phrase, sans détruire la versification. La méthode contraire est favorable aux Acteurs, qui savent mieux dire des mots que des vers; mais elle déplaît au Lecteur éclairé.

Les amours d'Angélique & de Belfort ont le degré d'intérêt qui suffit à la Comédie. Le dénouement se fait par un Personnage qui n'a point encore paru ; mais ce moyen est justifié par l'exemple des meilleurs Auteurs, & je ne le crois point contraire aux principes, même dans. la Tragédie, pourvu qu'il soit convenable ment amené & annoncé ; & il l'est ici. L'on a dit que M. de Plainville agissoit un peu légèrement en gardant chez lui, comme Secrétaire, un jeune homme amené par le hasard, & qu'il ne connoît en aucune manière ; mais son caractère de confiance est assez établi, & un Optimiste doit être confiant.

Je ne ferai qu'une seule observation sur le rôle de Morinval : quand il apprend qu'il n'est point aimé d'Angélique, il offre sa fortune pour lui faire épouser Belfort. Cet excès de générosité envers un inconnu & un rival, est peu vraisemblable dans un homme qui ne s'est montré jusque-là que morose & misanthrope. Tout ce qui est extraordinaire en soi, doit être motivé par avance, & ceci ne l'est pas. De plus, il ne faut pas multiplier les actes de vertu ; ce sont alors des ressorts usés & factices. Celui-ci d'ailleurs ne produit rien ; raison de plus pour le supprimer

La conduite des Châteaux en Espagne, n'est pas, à beaucoup près, aussi bien entendue que celle de l'Optimiste. C'étoit le fond le plus comique que l'Auteur eût encore traité ; non pas à cause des visions de l’Homme aux Châteaux, qui ne peuvent jamais être qu'un lieu commun, toujours à peu près le même ; mais la fable sur laquelle l'Auteur a bâti son plan, offroit par elle-même un fond de situation piquante. M. d'Orfeuil, prévenu que son gendre futur, qu'il ne connoît pas, veut dans le même jour arriver inconnu, & se disposant à se prêter à son déguisement & à s'en amuser ainsi que sa fille, prend pour lui un voyageur que le hasard amène chez lui. Sa méprise toute naturelle & celle de sa fille, sont d'autant plus plaisantes que l’Homme aux Châteaux, qui ne doute de rien, les favorise merveilleusement par ses manières aisées & sa familiarité confiante. La situation promet encore davantage, lorsque le véritable gendre est arrivé ; mais c'est ici précisément que l'intrigue manque de tous côtés, & que les invraisemblances s'accumulent. Que le père & la fille, dans la prévention qui les occupe, se trompent sur le premier voyageur, on peut le croire, mais quand il en arrive un second quelques heures après, il n'est pas concevable qu'il ne vienne pas le moindre doute au père ni à la fille, & que M. d'Orfeuil conclue le mariage sans faire la moindre information sur une affaire de cette importance. Il n'y a aucune raison pour que l'un soit plutôt quel''autre le gendre qu'il attend ; & il n'est pas excusable qu'il ne lui vienne même pas à la pensée de s'en assurer. L'invraisemblance est encore plus forte dans la jeune fille, qui ayant de l'éloignement pour le premier voyageur, & du goût pour le second , accepte pourtant le premier pour époux sans dire à son père ce qu’il est si simple qu'elle dise : » Mais, mon père, ne seroit-ce pas le second qui est Florville ? cela vaut bien la peine de s'en informer «. Le départ de Florville n'est pas non plus assez motivé. Henriette n'a rien dit, ni rien fait qui puisse lui persuader qu'elle aime l’Homme aux Châteaux ; au contraire, elle fait à Florville un accueil qui n'est rien moins que décourageant, & l’on ne prend pas si vîte le parti de renoncer à une épouse qu'on trouve charmante. Toutes ces fautes ont d'autant moins d'excuse qu'elles ne sont pas rachetées par l'effet théatral, qui est très-foible dans les deux derniers Actes,dont on devoit attendre beaucoup depuis l'arrivée de Florville. Cependant la Pièce se soutient encore un peu, parce que la méprise est toujours prolongée, n'importe comment, & le dialogue toujours agréable. Le dialogue est la grande ressource de l'Auteur ; c'est la partie de l'Art qu'il entend le mieux, & celle qui fait le plus d'honneur à son talent.

Il en a un peu compromis la réputation, par des Epîtres qu'il a publiées dans différens Recueils ou Journaux. Elles sont écrites du style de ses Comédies ; & l'Auteur paroît s'être entiérement mépris sur la différence des genres. Il a oublié que sur la Scène, ce sont des Personnages qui con versent, mais que dans une Epître en vers, c'est le Poëte qui parle, & qu'il est obligé d'être lui-même, c'est-à dire Poëte. Ce n'est pas qu'on ne trouve dans ces Epîtres de Mr. Collin quelques traits d'un naturel aimable ; mais en général c'est de la prose rimée, & de la prose foible d'idées & d'expressions. D'ailleurs, il y parle trop de lui, & de sa bonhommie. Il faut mettre de la mesure dans tout, & même dans le plaisir qu'on prend à parler de soi, & dans le bien qu'on en dit.

Mr. Collin pardonnera sans doute ces observations à l'intérêt qu'inspire son talent dramatique, qui est réel , & qui méritoit les encouragemens qu'il a reçus.

(D. . . . . . .)                   

Dans la base César : 12 représentations en 1789, du 20 février au 13 mai, au Théâtre de la Nation sauf la première, au Théâtre de l'Odéon. Puis 5 représentations du 3 novembre 1790 au 30 août 1792, au Grand Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. 6 représentations en 1793, au Théâtre de la Nation ; la pièce passe ensuite au Théâtre français de la rue de Richelieu, pour 35 représentations, du 16 avril 1795 au 9 novembre 1799, auxquelles s'ajoutent 6 représentations au Théâtre du Marais. Soit 64 représentations à la fin du siècle.

D’après la base la Grange de la Comédie Française, les Châteaux en Espagne a été créé le 20 février 1789 par la Comédie Française au Théâtre de l’Odéon. Elle a été jouée 98 fois de 1789 à 1835.

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