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Delphine, ou l'Opinion

Delphine, ou l'Opinion, comédie en un acte, de M. Dupaty, 26 floréal an 11 [16 mai 1803].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Delphine, ou l’Opinion

Genre :

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

26 floréal an 11 (16 mai 1803)

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Dupaty

Almanach des Muses 1804

Courrier des spectacles, n° 2263 du 27 floréal an 11 [17 mai 1803], p. 2 :

[Le critique a choisi de dire le plus grand mal de la pièce, et il en souligne d'emblée les deux défauts essentiels, la faiblesse de l'intrigue et l'indécence des couplets. Sur la réputtaion (sulfureuse) du roman de Madame de Staël, le public était nombreux, mais il a été déçu  au lieu d'« une critique fine et spirituelle, on n’a vu que des scènes froides et insignifiantes », et l'immoralité de la pièce et l'inconvenance des personnages ont fait naître des sifflets tardifs, mais assez violents pour faire baisser la toile, si bien que le critique est incapable de dire si la pièce a bien été achevée (c'est un point important : une pièce qui n'a pu aller à son terme ne peut plus être reprise). C'est autour du personnage du « ravisseur » que les reproches se concentrent : c'est un personnage « du plus mauvais ton », accusé de multiplier les tentatives de corruption; avant u n étrange retournement, puisqu'il fait en sorte que son rival en amour « recouvre l'honneur », ce qui surprend fort le critique. Mais la confusion des propos du journaliste s'explique par le tumulte qui a marqué la représentation.]

Théâtre du Vaudeville.

Les vaudevilles sont assez ordinairement foibles d’intrigue ; rarement un ouvrage de ce genre est conduit d’après les règles de l’art ; les uns manquent de gaîté, les autres d’esprit. Ceux-ci présentent des couplets trop lestes, ceux-là n’en offrent pas un à citer. Tous ces défauts se trouvent réunis au suprême degré dans le vaudeville joué hier pour la première fois sous le titre de Delphine , ou l’Opinion.

Personne n’avoit douté, en lisant l'affiche, qu’il ne fût question du trop fameux roman de Delphine, aussi l'affluence étoit-elle très-grande à cette représentation. On s’attendoit à entendre une critique fine et spirituelle, on n’a vu que des scènes froides et insignifiantes. Mais c’est sur tout l’immoralité qui règne dans cette production et l’inconvenance des personnages qui ont révolté tous les spectateurs. Les sifflets, quoique tardifs, se sont fait entendre assez violemment, pour forcer de baisser la toile. Nous ne sommes cependant pas sûrs que la pièce n'ait point été achevée ; mad. Belmont s'étant avancée pour chanter un couplet, il est probable que c’étoit le dernier de la pièce. Au reste ce couplet n’est pas le seul qu’on n’ait point écouté ; et il faut en convenir, on en a trop entendu.

Le personnage de Serbellane est du plus mauvais ton ; ou ne peut même pas dire que le rôle soit chargé, il est dénaturé.

Serbellane a enlevé Thérèse de chez son tuteur, et il vient prier Delphine de la recevoir : « Pour, lui dit- il, conserver son innocence et la mienne. » Delphine cède à une considération aussi puis sante aux risques de se brouiller avec Cléonce son amant et avec Mad. Dumarsay ; celle-ci, en lui parlant toujours du respect qu’on doit à l'opinion, blâme la légereté de sa conduite, La jeune ravisseur se conduit de la manière la plus indécente avec Mad. Dnmarsay qu’il emmène et ramène jusqu’à trois fois malgré elle, il apprend que Thérese est retournée chez son tuteur : R'enlevons la, s'écrie-t-il : mais il n’en a pas la peine, elle revient d’elle-même. Dans l’intervalle, Cléonce est accusé d’être banqueroutier : Delphine qui continue de braver l’opinion, ne lui en offre pas moins sa main, et cette fois cesse de paroitre coupable aux yeux de son amant. Ce dernier recouvre l’honneur par les soins de Serbellane, de qui, à coup sûr, on n’attendoit pas un tel service.

Voilà à peu-près ce que nous avons recueilli à travers les cris et les sifflets.


Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIII.e année (an XI.-1803), tome VI, p. 551 :

[Le passage de Delphine du roman à la scène du Vaudeville n’a pas convaincu : il a été sifflé au point qu’il « auroit été impossible, au milieu des cris et des sifflets, de suivre l'intrigue de cette pièce », et cela paraît justifié. Le critique s’étonne qu’on ait rejoué la pièce, et s’il ignore si elle a été sifflée lors de cette reprise, il croit impossible qu’elle n’ait pas ennuyé.]

Théâtre du Vaudeville.

Delphine, ou l'Opinion, jouée le 26 floréal.

Le roman métaphysique de M.me de Stael mis en scène, et en vaudeville ! Il auroit été impossible, au milieu des cris et des sifflets, de suivre l'intrigue de cette pièce, qui paroît avoir tous les défauts du roman, dont on a conservé les personnages. L'auteur, comme Delphine, bravant l'opinion, quoique fortement prononcée par le public, a fait rejouer sa pièce, nous ignorons si on a été assez complaisant pour ne pas la resiffler, mais il est impossible qu'on n'y ait pas bien bâillé.              T. D.

Dans l'édition critique du roman de Madame de Staël, Delphine de Simone Balayé et Lucia Omacini (Librairie Droz à Genève, 1987), introduction, p. 21-22 :

[Après avoir évoqué la polémique née de la publication du roman, qui déplaît fort à Bonaparte :]

On descend de plusieurs crans lorsqu'on retrouve Delphine raillée au Vaudeville, avec deux pièces médiocres, Delphine ou l'opinion, de Dupaty le 16 mai, et Colombine, de Radet, le 6 juin, deux auteurs à succès du théâtre de boulevard.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an XI, 3me trimestre, n° 25 (10 prairial), p. 439-440 :

[Le critique de la Décade philosphique choisit d'ouvrir son compte rendu par des généralités sur l’injustice que constituent les attaques personnelles dans les vaudevilles : il appelle le pouvoir sur son devoir de censure, non seulement pour ce qui regarde les attaques contre le gouvernement, mais aussi contre « les individus vivans ». Le conflit entre « deux femmes également célèbres par leur esprit et par leurs ouvrages, mais très-distantes d'opinion et de conduite », madame de Staël et madame de Genlis est au cœur de l’échec de la pièce : en attaquant madame de Staël, Dupaty aurait dû satisfaire les partisans de madame de Genlis, mais il n’a pas eu la prudence « de ne pas fléchir le genou devant leur idole Mme de Genlis : il ne lui restait plus que des ennemis, d’autant que la pièce a paru à beaucoup, dont le critique, manquait de piquant, d’esprit et de fond. Sa chute serait « un vrai service rendu à la société, si elle pouvait enfin dégoûter les auteurs et le public des satires de ce genre ». Une courte note signale la rumeur d’une seconde représentation moins houleuse, dont le critique doute : « J'ai peine à croire que l'ouvrage attire jamais beaucoup de monde. »]

Théâtre du Vaudeville.

Delphine, en un acte.

Il est quelques jeunes auteurs qui se persuadent toujours que le vaudeville doit être pour les Français ce que le théâtre d'Aristophane était pour les Grecs, et qui spéculant sur la malignité publique, fondent un grand succès sur les personnalités et sur les épigrammes : et nous, loin d'adopter ce système anti-social, nous ne nous lasserons pas de répéter que la justice, la raison et la décence le proscrivent, qu'il est contraire à toutes les bienséances non-seulement d'attaquer les personnes sur le théâtre, mais même de les désigner de manière à les faire reconnaître ; c'est les traduire à un tribunal auquel on ne les appelle point pour se défendre, c'est injustice ; c'est prendre à son choix le côté ridicule d'une opinion ou d'un ouvrage pour les livrer à la risée publique sans y mêler le correctif, c'est déraison ; enfin c'est médire publiquement, quelquefois même calomnier, et rendre une foule de personnes complices du trait malin ou de la noirceur que l'on décoche, c'est indécence.

Je persiste donc à croire que si le Gouvernement regarde la censure des pièces de théâtre comme utile pour empêcher les sarcasmes directs ou indirects que l'on voudrait lancer contre lui, il ne doit pas se croire moins obligé à devenir le conservateur des intérêts d'autrui que des siens, et qu'à ce titre il est autorisé à ne rien permettre de ce qui peut blesser les individus vivans.

Deux femmes également célèbres par leur esprit et par leurs ouvrages, mais très-distantes d'opinion et de conduite, ont toutes deux leurs partisans, leurs détracteurs, leurs amis et leurs ennemis : chacune de leurs productions devient sur le champ le brandon de la discorde, le signal de la guerre la plus incivile qui puisse s'allumer, et l'étendard de l'esprit de parti le plus déraisonnable.

L'une a le malheur de pencher pour la philosophie et le courage de n'en pas rougir ; l'autre a l'adresse de s'unir d'opinion aux détracteurs de cette philosophie et de prêcher contre les philosophes. Toutes deux ont leur cachet, leur talent et leurs défauts, toutes deux sont réellement fort au-dessus de la-plupart de ceux qui les jugent : elles ne devraient donc pas s'attendre à devenir la matière et le sujet d'une petite comédie épigrammatique.

L'auteur de ce vaudeville a mécontenté tous les partis ; ceux qui espéraient voir immoler Mme de Staël auraient volontiers applaudi aux épigrammes lancées contre elle ; mais ils ont été indignés que le C. Dupati se soit permis de ne pas fléchir le genou devant leur idole Mme de Genlis. Respectivement les partisans du roman de Delphine et de son auteur se sont réunis pour venger leur protégée des insultes du chansonnier, et il en est résulté un concert de sifflets auquel se sont peut-être joints tous ceux qui n'ont pas trouvé l'ouvrage assez piquant d'esprit et de fond pour sa prétention fastueuse. J'avoue que ces derniers me paraissent avoir eu raison, et je regarderais de plus cette chute comme un vrai service rendu à la société, si elle pouvait enfin dégoûter les auteurs et le public des satires de ce genre.          L. C.

On assure que la pièce s'est relevée à la seconde représentation ; mais on connaîtra réellement la valeur de cette résurrection au bout de quelques jours. J'ai peine à croire que l'ouvrage attire jamais beaucoup de monde.

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