Dix ans de constance, ou le Retour inespéré

Dix ans de constance, ou le Retour inespéré, comédie en 3 actes, 10 vendémiaire an 12 [3 octobre 1803].

Théâtre du Marais.

Courrier des spectacles, n° 2403 du 11 vendémiaire an 12 [4 octobre 1803], p. 2 :

[Comme le rédacteur du Courrier du spectacles a peu l’habitude de rendre compte de ce qui se joue au Théâtre du Maris, il se sent dans l’obligation de parler longuement des raisons qui justifient ce silence : peu de nouveautés, une localisation peu attirante, une salle vieillotte, un orchestre de basse qualité, un public facile, des acteurs plus zélés que talentueux, et pour couronner le tout des auteurs à la prolixité suspecte. La pièce nouvelle reflète bien ce qu’est le Théâtre du Marais : genre indéterminé, pas de succès, puisqu’on l’a sifflée et que l’auteur n’a pas été demandé. Le critique rapproche Dix ans de constance du Mariage du Capucin, auquel l’auteur aurait emprunté personnages, scènes et dénouement. Emprunt malheureux, puisque la pièce pillée est un des succès du Théâtre du Marais. Après avoir résumé le sujet (une jeune fille abandonnée et maltraitée, que l’homme qui l’a laissée seule avec son enfant revient aider finalement : rien de très neuf !), le critique donne son jugement : un rôle inutile, une petite fille remarquable (la fille d’un acteur ; on aime beaucoup les enfants prodigues), un acteur assez bon, mais trop réservé (pour un acteur, c’est ennuyeux).]

Théâtre du Marais.

Première représentation de Dix ans de constance.

Ce théâtre figure rarement dans cette feuille, d’abord il donne peu de nouveautés, en second lieu, ses fréquentes clôtures ont annoncé peu de stabilité dans les administrations qui l’ont dirigé. Lorsque l’on s’avise d’y donner une pièce nouvelle elle est comme exilée, comme enterrée au fonds du Marais, d’où personne du centre de la ville n'est tenté d’aller la retirer pour la produire dans un jour plus avantageux. Ce quartier est si éloigné de celui des spectacles, que c’est comme un autre monde dont les nouveautés théâtrales sont étrangères aux autres quartiers de la capitale. Il faut convenir aussi qu’il y a peu de chose qui puisse piquer la curiosité. Une salle vaste, mais un peu gothique, mal éclairée, un orchestre composé de quelques anciens musiciens réunis à quelques bourgeois amateurs qui exécutent des symphonies aussi longues qu’ennuyeuses, et tout aussi étrangères à la pièce que celles que l’on n’écoute pas au théâtre Français, bref, un orchestre pour la forme et parce que c’est l’usage d’en avoir un, des spectateurs toujours prêts à applaudir, toujours prêts à tirer le mouchoir à la moindre phrase sentimentale, des acteurs pleins de zèle, il faut le croire , mais ignorant l’art de mettre dans les représentations l’ensemble si nécessaire au succès des pièces, voilà le théâtre du Marais.

Quantùm mutatus ab illo !

Ajoutez à cela des auteurs qui brochent un drame ou une comédie en plusieurs actes tout aussi lestement que certains autres expédient un vaudeville, avec une pareille réunion, peut-on raisonnablement prétendre à ramener le public ? On attire bien les mamans, les bonnes, les enfans du quartier ; ils applaudissent ; leur suffrage console l’auteur de l’indifférence des autres ; c’est savoir se contenter de peu. Ces observations s’adressent entr’autres à l’auteur de la comédie ou drame, comme on voudra l’appeler, représenté hier sous le titre de Dix ans de constance. Il n’a pas dû être content de son public ; quelques-uns ont osé le siffler, et il n’a pas été demandé.

Nous ne lui dirons pas que sa pièce est une contre-épreuve du Mariage du Capucin, qu’il en a emprunté ses personnages, plusieurs scenes et le dénouement ; mais nous lui ferons observer qu’il étoit contraire à ses intérêts de donner sa production sur le même théâtre où les mêmes spectateurs avoient vu tant de fois jouer la comédie du Mariage du Capucin. En deux mots, voici le sujet :

Julien est parti il y a dix ans comme simple soldat, laissant Sophie enceinte. Elle donne la jour à une fille qu’elle éleve ; le bruit de la mort de son amant se répand dans le village, l’oncle du jeune homme s’empare de son bien. Comme il loue une maison à Sophie et à son pere, voyant qu’ils ne peuvent plus lui payer son terme, il veut les congédier et louer la maison à un officier arrivé depuis peu. Les fatigues, les années ont changé Julien, personne ne le reconnoît, pas même Sophie. L’oncle emploie la violence pour la renvoyer, mais Julien paroît, se nomme, et force son oncle à lui rendre son bien.

Le rôle du pere de Sophie est absolument nul. On ne sait pas ce qu’il vient faire. Celui d’une petite fille a été rendu avec beaucoup d’intelligence par la petite Beaupré, fille de l’acteur de ce nom qui remplit à ce théâtre les premiers rôles avec distinction. L’acteur qui faisoit Julien est assez bien, mais il faudroit qu’il fût moins gêné et qu’il animât la scene un peu davantage.

F. J. B. P. G***.

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