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Le Dépit amoureux (Cailhava)

Le Dépit amoureux, comédie en cinq actes et en vers, de Molière, retouchée par Cailhava. 23 floréal an11 (13 mai 1803).

Théâtre Français, rue de Louvois.

Titre :

Dépit amoureux (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

23 floréal an 11 (13 mai 1803)

Théâtre :

Théâtre Français, rue de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Cailhava, d’après Molière

[Cailhava a consacré une part notable de son travail d’auteur de comédies à « réécrire » des pièces du répertoire comique (d’Aristophane à Molière en passant par Plaute), et le cas du Dépit amoureux est un bon exemple de ce qui constitue une curiosité littéraire. Les documents réunis ici constituent une ébauche de dossier sur un phénomène assez répandu à l’époque, qui consistait – pour faire simple – à réécrire des pièces considérées comme des chefs-d'œuvre tout en les considérant comme parfaites.]

Dès 1795, on trouve trace de la nouvelle version que Cailhava a faite de la pièce de Molière. Dans le Journal de Paris, repris ici par l’Esprit des journaux français et étrangers, il justifie sa tentative de réécrire une pièce de Molière qu’on ne jouait plus, selon lui, que de façon tronquée.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1795, volume 4 (juillet-août 1795), p. 263-264 :

CAILHAVA, aux rédacteurs du Journal de Paris.

Ils vont donc renaître, les beaux jours des muses françoises ! Plusieurs journalistes, dérobant un petit coin de leurs papiers-nouvelles aux débats politiques, osent parler littérature, & inviter les poètes dramatiques à moins sacrifier l'art aux circonstances.

L'auteur des Menechmes grecs est un des comiques que vos collegues veulent bien rappeller sur la scene. Pourquoi cette indulgence ? C'est qu’en retouchant le sujet de Plaute, je cherchai bien plus à rajeunir les beautés de la pièce qu’à lui ravir sa gloire. J’ai dans ce genre une nouvelle grace à demander aux gens de goût ; permettez-moi de leurdire ici :

Vous connaissez le Dépit amoureux, en cinq actes ; vous savez que Moliere n’a pas de comédie qoù l’on compte un aussi grand nombre de belles scènes ; mais, que jeune encore, & forcé par son génie d’aller toujours en avant, il les fondit dans la Credura maschio, la Fille crue garçon : mauvais canevas italien, aussi indécent qu’invraisemblable, sans exposition, sans dénouement ? Qu’en arrive-t-il ? dans les départemens, sur les mille & un théâtres de Paris, on a la barbarie de jouer le Dépit amoureux, en deux actes, ou plutôt en deux scenes isolées, décousues ; & personne ne s’éleve contre ce vandalisme ! mon respect religieux pour le plus étonnant des génies m’a inspiré le pressant désir de rétablir le Dépit amoureux en cinq actes, en retouchant le sujet italien ; d’y conserver non-seulement toutes les belles scenes de Moliere, mais de les placer dans un point de vue plus favorable ; de rendre enfin le tableau plus digne du peintre, en remaniant le cadre qui le gâtoit.

En cas de succès, gloire en soit rendue à Moliere ; en cas de défaveur, je dois me livrer de bonne grace aux gentillesses de l’ironie & de la malignité ; je suis consolé, si l’on dit : l’écolier cherche du moins à faire hommage à ses maîtres des connoissances qu’il a puisées dans leurs chef-d'œuvres.

Le travail de Cailhava est signalé dans deux livraisons de l’Almanach des Muses, en 1802 et 1804, une fois alors que la pièce n’a pas été reprise à Paris, puis alors qu’elle a été jouée au Théâtre de Louvois.

Almanach des Muses 1802

Théâtre français de la République. Comédie imprimée et non représentée

Hommage rendu en effet à Molière par un écrivain qui a fait de bonnes comédies, et qui connaît parfaitement le théâtre.

On s'est avisé de réduire le Dépit amoureux, et de le représenter en deux actes sur quelques théâtres de province. Le citoyen Cailhava a retranché, ajouté, refait ; et la pièce, dans l'état où il l'a rétablie, obtiendrait sans doute un plein succès si elle était représentée par les beaux talens dont s'honore le premier théâtre de Paris.

Almanach des Muses 1804

Pièce retouchée, en effet, mais habilement. Les acteurs du théâtre français de la République ne se sont pas souciés de la représenter, et en ont laissé tout l'honneur aux acteurs du théâtre de Louvois. Les enfans ne sont pas toujours reconnaissans envers leurs nourrices.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Charles Pougens, an ix (1801) :

Le Dépit amoureux, rétabli en cinq actes. Hommage à Molière, par Cailhava, de l'Institut.

Dans une préface, l'auteur justifie son audace de reprendre la pièce de Molière.

Il est rare que le public ne s'élève pas contre tout homme qui s'annonce avec la prétention de savoir son métier ; cependant, j'osai, jeune encore, publier l'Art de la comédie, et forcer les comiques de tous les âges et de tous les pays à nous y dévoiler leurs secrets : j'ai osé depuis demander à Regnard une part à la succession des Menechmes dont il jouissoit exclusivement depuis un siècle, et personne n'a crié à la témérité. Pourquoi cette indulgence ? c'est que dans mes divers écrits je fais continuellement hommage de mes connoissances aux auteurs à qui je les dois ; puissent les amateurs me continuer la même bienveillance au moment où je vais tenter un essor qui paroîtra bien plus hardi sans doute, mais qui n'est pas sans exemple !

Chez les Grecs, une première loi défendoit de faire le moindre changement aux pièces des auteurs morts. Bientôt les magistrats sentirent à quel point cette défense pouvoit nuire à l'art dramatique ; et convaincus que ses progrès ne doivent étre sacrifiés à aucune considération, il fut non-seulement permis de retoucher les pièces des grands hommes, il fut encore décidé que ces pièces retouchées pourroient concourir pour le prix avec les nouveautés.

Les Anglais estiment beaucoup ce talent de retoucher les drames anciens ; ils lui ont même consacré un titre qui le caractérise d'une manière aussi flatteuse que significative, REVIVE ; et Garrick, Laukestvorth, Malme, Hull, Reynold, se sont distingués en faisant revivre, par des changemens heureux, les chefs-d'œuvre de leurs prédécesseurs : Mais, pour donner une nouvelle vie à un ouvrage, les Grecs et les Anglais se sont bien gardés de le mutiler, et voilà l'attentat que s'est permis, sur une pièce de Molière, le plus barbare des écrivains, et voilà l'attentat qu'ont souffert pendant vingt ans, et que souffrent encore tous les jours des spectateurs indifférens.

Tout le monde connoît le Dépit amoureux de Molière, tout le monde sait qu'aucun de ses ouvrages n'offre un plus grand nombre de belles scènes ; mais que semées sur un fonds ingrat, bâties sur la fable, invraisemblable autant qu'indécente, de la creduta maschio, la fille crue garçon, canevas italien ; elles sont pour la plupart étouffées par des incidens forcés, des situations désagréables ; que l'exposition de la pièce, noyée dans un récit traînant, et adressée à une confidente nulle, ne s'y fait qu'au second acte ; que l'héroïne de l'aventure joue un rôle pénible, et son père un rôle malhonnéte ; que deux ou trois scènes seulement répondent au titre, et qu'il résulte de tout cela un dénouement assez peu satisfaisant.

Tout le monde sait encore que le Dépit amoureux est une des premières comédies de Molière, et que si son génie ne l'eût pas forcé d'aller toujours en avant, s'il lui eût permis de donner à cette pièce quelques-unes des veilles, consacrées depuis à vingt chefs-d'œuvre, elle en auroit augmenté le nombre.

Tout le monde sait enfin que dans les départemens, sur les mille et un tréteaux de Paris, et même sur les grands théâtres, on a la cruauté de jouer le Dépit amoureux en deux actes, ou plutôt en deux scènes, et Thalie pourroit nous dire si le bon goût a présidé aux Coupures du grand tableau et à l'ordonnance de la miniature.

Toujours tourmenté du Moliéranisme, comme me le reprochent finement les Marivaudistes ; journellement pressé par le désir d'enlever à la barbarie la plus mutilée des pièces, j'ai cru que pour remédier au mal, il falloit remonter à sa cause. Je me suis emparé de la creduta maschio ; j'en ai décomposé le canevas : j'ai remanié, j'ai distribué à mon gré tout ce qui n'étoit pas à Molière, et je me suis dit : Peut-étre sera-t-on bien aise de voir sur la scène si les belles situations du Dépit amoureux, une fois débarrassées du fatras qui les entouroit, s'appellent, se succèdent, se dénouent sans effort ;

Mais fol et vain espoir, vermisseaux que nous sommes !
Comme le ciel se rit des vains projets des hommes !
Ecoutez la noirceur.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

(Regnard, dans le Distrait.)

Le barbare qui mutila le Dépit amoureux, compte tous les jours, parmi les comédiens, mille et mille complices ; et moi, vieux serviteur de Thalie, j'ai vainement cherché (1), parmi ces mêmes comédiens, quelques artistes qui voulussent venger avec moi leur maitre et le mien : ce génie qui sut en même temps enfanter des chefs-d'œuvre, former des acteurs, et leur créer des juges.

(1) Pendant dix ans au moins ; et cependant, curieux de connoître l'effet que produiroit mon ouvrage sur quelques acteurs consultés séparément, je l'ai confié à M.me Bellecour, à M.lle Joly, à Dazincourt, qui tous m'ont dit, comme s'ils s'étoient concertés : « En lisant votre manuscrit, en y retrouvant sans cesse Molière, on oublie que le sujet ait été traité différemment. »

La dernière fois que l'ouvrage fut lu au théâtre de la République, (il y a près de six ans) en présence de Grandménil, de Dugazon, le dernier s'écria : « Il faut être juste, la pièce est supérieurement bien rétablie en cinq actes ; nous n'avons pas à faire de grands frais de mémoire, encore moins de décorations : il faut la jouer tout de suite, il n'est pas même nécessaire d'en enregistrer la réception , c'est toujours la comédie de Molière. »

Vous dites vrai, Dugazon, c'est toujours le tableau du maître, l'écolier n'a fait que le transporter respectueusement sur une autre toile, et je suis trop flatté si quelques connoisseurs disent, Il a voulu servir l'art qu'il idolâtre, il a voulu rendre hommage à l'homme immortel qui en fixa les beautés.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIII.e année (an XI.-1803), tome VI, p. 549-551 :

Le Dépit amoureux.

Depuis long-temps on ne jouait plus que quelques scènes de cette comédie en cinq actes de Molière. Ces scènes sont celles qui ont donné le nom à la pièce. Elles roulent sur un dépit causé par un quiproquo, et finissent par le raccommodement des Amans brouillés. Loin de rendre hommage à Molière, c’étoit l'insulter que de défigurer ainsi son ouvrage en le morcellant. Il est vrai que quelques longueurs, des passages qui ne sont plus du goût actuel, et quelques situations un peu forcées, déparoient l'ensemble de l'ouvrage et pouvoient empêcher les comédiens français de le représenter. Mais un vis comica qui n‘appartient qu’à Molière, des scènes charmantes, et un dialogue aussi vif que naturel, devoient faire regretter de voir cette pièce éloignée du théâtre. M. CAILHAVA, dont les études sur Molière, l'art de la comédie, et des pièces jouées avec succès ont assez fait connoîtrc le talent, avoit depuis long-temps retouché le Dépit Amoureux, et l'avoit rétablie en cinq actes. Il avoit fait tous ses efforts pour le faire jouer aux Français ; mais par une indifférence, impardonnable pour un ouvrage du père de notre théâtre comique, il a été obligé d'y renoncer, après avoir été long-temps ballotté par les comédiens, qui lui faisaient les plus belles promesses du monde, mais qui ne les tenoient pas.

Picard avoit déjà donné un asile à Molière, en faisant monter, avec soin, la comtesse d’Escarbagnas et Georges Dandin ; il a fait la même chose pour le Dépit Amoureux, qui a été joué le 23 floréal, et le succès a comblé son attente. La pièce attire beaucoup de monde, et le publie reconnaissant lui a témoigné toute sa gratitude.

Donner une analyse de la pièce, serait faire injure au lecteur. Il n'est personne qui n’ait lu Molière, et le Dépit amoureux, avec les changemens de CAILHAVA, est imprime.

Les acteurs ont tous donné des preuves de leur zèle. Picard jeune, qui avoit foiblement commencé le rôle de Gros René, s'est raffermi et y a été ensuite vivement applaudi. Picard aîné jouoit Mascarille avec gaieté, et M.lle Moliêre a su rendre en bonne actrice le joli rôle de Marinette. M.lle Delille est la seule à laquelle on puisse faire un petit reproche, c'est de n’avoir pas su parfaitement son rôle. Elle réparera sans doute ce tort aux représentations suivantes.

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