Les Dangers de la présomption

Les Dangers de la présomption, comédie en 5 actes, en vers, de Brousse-Desfaucherets. 28 pluviôse an 6 [16 février 1798].

Théâtre de la rue Feydeau

Titre :

Dangers de la présomption (les)

Genre :

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

28 pluviôse an 6 [16 février 1798]

Théâtre :

Théâtre de la rue Feydeau

Auteur(s) des paroles :

Brousse-Desfaucherets

[Le Mariage secret, auquel il est fait référence dans les critiques, est une comédie en vers et en 3 actes de Desfaucherets, jouée en 1785. Elle a connu un grand succès (elle a eu 129 représentations à la Comédie Française de 1786 à 1836).]

Almanach des Muses 1799

Un jeune homme de vingt ans se flatte que jamais femme n'aura assez d'empire sur lui pour le maîtriser ; cependant une intrigante qui veut perdre une jeune personne, sa rivale, le séduit, lui inspire la passion la plus violente, et parvient à lui arracher un papier qui lui a été confié sous le sceau du secret. Ce papier contient les preuves de la naissance de Sophie ; c'est elle qui a très-innocemment enlevé à l'intrigante le cœur de Fierville son amant. Ces preuves compromettent la sûreté de Sophie ; elle est enveloppée dans la proscription prononcée par la révocation de l'édit de Nantes. Cependant madame de Malsage, cette femme vindicative, veut abuser du secret qu'elle a surpris et perdre sa rivale. Mais l'oncle de Fierville, qui se doute de l'imprudence du jeune présomptueux, prévient les démarches de madame de Melsage auprès du gouvernement, obtient la liberté de Sophie, et la lui apporte au moment où l'on exécutait l'ordre de l'arrêter.

Pièce qui a été jugée sévèrement.

Il y a des défauts dans l'ouvrage ; le titre promettait davantage ; on s'attendait à voir les dangers de la présomption autrement présentés. Le Mariage secret prévenait si favorablement pour l'auteur ! On a du moins rendu justice à d'excellentes scènes, à l'art profond avec lequel le C. Desfaucherets a développé une intrigue qui lui opposait de grandes difficultés à surmonter.

Décade philosophique, littéraire et politique, an VI de la République, IIe trimestre, n° 16 (10 Ventôse an VI, 28 février 1798), p. 429-433 :

[L’auteur d’une comédie en 3 actes peut-il passer à une comédie en 5 actes ? C’est ce qui est longuement discuté dans les premiers paragraphes de ce long compte rendu qui constate l’échec de Desfaucherets, bien qu’il ait tenté de donner « à son ouvrage le coloris du drame ; genre, comme on sait, mille fois plus facile que celui de la vraie comédie ». Le critique invite néanmoins le public à plus d’indulgence, surtout quand la pièce qu’il condamne a des qualités que ses défauts ne doivent pas masquer, ce qui est le cas dans la pièce présente. L’analyse de la pièce qui suit ce long rpéambule met en lumière ce qui est jugé comme les « tort[s] de ce drame ». D’abord il ne correspond pas à son titre, puisque son intrigue n’est pas fondée sur la présomption, « mais sur les artifices d'une femme odieuse » et sur les maladresses de deux personnages qui mettent en danger la malheureuse Sophie. Ensuite, il aurait fallu mieux préparer le revirement de Fierville, « du calme le plus confiant au délire d'une passion fougueuse ». Surtout, la facilité avec laquelle l’intrigue se dénoue fait passer « tout ce qui [...] précède […] un froid et inutile remplissage » : la pièce « pèche essentiellement par la conception du plan », dont l’exécution montre pourtant l’habileté de l’auteur. Il y a dans la pièce beaucoup de belles choses, « scènes d’un vrai mérite », « détails d'une grande finesse d'observation », « style qui sans être précisément très-correct, a pourtant de l'énergie et quelquefois de la grâce ». La conclusion revient sur la nature de la pièce, puisqu'elle invite l’auteur à ne pas se joindre « aux partisans du drame qui n'a déjà que trop de propagateurs » (le dernier mot est assez fort !]

Théâtre de la rue Feydeau.

Les Dangers de la présomption, en cinq actes en vers.

Plus nous voyons de tentatives dans le genre de la comédie en cinq actes, plus l'expérience doit nous confirmer que c'est, en général, l'œuvre la plus difficile de l'esprit humain. Je n'en excepte pas même la tragédie, et j'en tire la preuve du charme et de la facilité que la jeunesse éprouve à s'exercer dans l'art des Corneille, des Racine et des Voltaire ; du grand nombre d'essais supportables, et même assez heureux quelquefois, que nous voyons chaque jour éclore dans ce genre, et au contraire de la stérilité désolante qui se manifeste de plus en plus dans le champ qu'ont fertilisé jadis les Molière, les Regnard, les Dufrény, les Destouches, etc.

L'auteur de I'ouvrage intitulé : les Dangers de la presomption, me fournit une preuve de plus : le succès, mérité de la jolie pièce en trois actes du Mariage secret, semblait devoir assurer au C. Desfaucherets, plus qu'à tout autre, le privilége de s'élever à la mesure des cinq actes ; cependant, il vient d'échouer à son tour, quoiqu'il eût néanmoins éludé encore la difficulté en donnant à son ouvrage le coloris du drame ; genre, comme on sait, mille fois plus facile que celui de la vraie comédie.

Si l'extrême difficulté de faire une bonne comédie en cinq actes frappait davantage le public, aux premières représentations, il les écouterait sans doute avec plus d'indulgence, il tiendrait compte aux auteurs de leur travail et de leurs efforts, ne se hâterait pas de prononcer sans appel, sur-tout quand les ouvrages laissent apercevoir, parmi les fautes mêmes, des preuves d'un talent distingué. N'admirons-nous pas quelquefois dans des tableaux dépourvus d'ensemble, et que des yeux vulgaires dédaigneraient sans doute, des parties extrêmement méritantes, et qui leur ont valu l'honneur d'être admirés par les Artistes, et sauvés de l'oubli ? Ayons donc toujours la sagesse et l'esprit de nous accoutumer à entendre plus tranquillement les grands ouvrages qu'on soumet à notre jugement ; si leurs défauts nous frappent, disons le franchement, mais sans fermer les yeux sur les beautés qui peuvent quelquefois nous dédommager.

Ces réflexions m'ont été dictées par la sévérité qu'on a témoignée à la première représentation des Dangers de la présomption : ce n'est pas, je l'avouerai, sans quelqu'indignation, que j'ai entendu des jeunes auteurs même, encore tout-à-fait inconnus dans la carrière et qui ne feraient peut-être pas une scène supportable dans un opéra comique, provoquer en quelque sorte la rigueur du public contre une pièce très défectueuse sans doute, mais qui suppose néanmoins un travail assidu, et même des études dramatiques toujours respectables. En voici l'analyse.

Un jeune étourdi de vingt ans, a la présomption de croire que jamais femme n'aura assez d'empire sur lui pour le maîtriser : cependant une intrigante très-odieuse, qui veut perdre une jeune personne sa rivale, trouve le secret de le séduire, sous les couleurs de l'amitié, au point de l'enflammer d'un amour presque forcéné, et de lui arracher, par ses artifices, un mémoire très-essentiel dont le dépôt lui a été confié sous le sceau du plus grand secret. Ce mémoire contient les preuves de la naissance de Sophie, personne intéressante qui a très-innocemment enlevé à madame de Melsage le cœur et les hommages de Fierville. Il était d'autant plus important de ne pas révéler ces preuves, que la jeune Sophie se trouve enveloppée dans la proscription qu'entraîne la révocation de l'édit de Nantes, et Fierville ne l'a confié à son cousin que comme un dépôt sacré ; cependant madame de Melsage, maîtresse du secret, en abuse et veut perdre sa rivale : mais l'oncle de Fierville, qui se doute de ce qu'est devenu son mémoire, des imprudences du jeune présomptueux, et de la noirceur de madame de Melsage, prévient celle-ci auprès du Gouvernement, obtient la radiation de Sophie et l'apporte au moment où l'on exécutait l'ordre fatal de son arrestation.

Il est aisé de voir que le premier tort de ce drame est son titre ; car ce n'est pas du-tout sur le danger de la présomption qu'est fondée l'intrigue, mais sur les artifices d'une femme odieuse.

Ensuite l'auteur, pour faire tomber le mémoire entre les mains du présomptueux, commence par faire commettre deux fautes à deux de ses personnages, la première à l'oncle qui remet le mémoire à Fierville, au lieu de lui révéler tout uniment le secret ;. la seconde à Fierville, qui n'a nulle raison de le confier à son cousin dont il connaît l'étourderie, la présomption, et sa liaison avec madame de Melsage : ainsi, ce n'est donc pas de la présomption seule de notre étourdi que naît le danger de la jeune personne.

La seconde faute capitale est que la séduction de madame de Melsage, pour obtenir enfin ce mémoire sans qu'elle sache très-positivement ce qu'elle peut en tirer d'avantageux pour elle, n'est pas assez adroite pour motiver l'abus de confiance du présomptueux : il fallait nous montrer, ce me semble, dès l'avant-scène, le jeune homme à moitié séduit et ne croyant pas l'être ; il fallait ne pas le faire passer sans vraisemblance du calme le plus confiant au délire d'une passion fougueuse ; il fallait enfin que la manière d'obtenir le mémoire fut infiniment plus séduisante : et peut-être n'eût-il pas été difficile de donner à cet abus de confiance une couleur presqu'intéressante, en faisant feindre à madame de Melsage, une très grande envie de ne connaître Sophie et le mémoire, que pour la servir de tout son crédit, motif qui pouvait au moins faire excuser l'aveuglement et la confiance du présomptueux.

Quant au cinquième acte, le mémoire une fois livré au quatrième, et l'oncle instruit de tout, le dénouement était si clair et si prévu, que tout ce qui le précède n'est réellement qu'un froid et inutile remplissage.

Voilà ce que la franchise d'une censure sévère qu'on doit au talent, me force de dire sur l'ouvrage du C. Desfaucherets ; son drame pèche essentiellement par la conception du plan : mais il ne faut pas être assez injuste pour ne pas voir dans l'exécution de ce plan, d'autant plus d'art qu'il était plus défectueux : il décèle souvent une main très-exercée ; on y trouve des scènes d'un vrai mérite, telles que celle de l'oncle avec Sophie et son neveu, celle de Fierville avec son cousin, celle du même Fierville avec madame de Melsage, on doit admirer encore tout le rôle de l'oncle supérieurement rendu par Molé, quelques détails d'une grande finesse d'observation dans le rôle odieux de madame de Melsage, joué par mademoiselle Contat avec cette supériorité de talent qui lui est ordinaire. Toutes ces beautés réelles jointes à un style qui sans être précisément très-correct, a pourtant de l'énergie et quelquefois de la grâce, doivent ne pas faire regarder cette pièce comme un ouvrage sans mérite : je désirerais cependant que l'auteur, que le mariage secret a déjà si avantageusement placé au rang des conservateurs de la bonne comédie, ne se joignit pas aux partisans du drame qui n'a déjà que trop de propagateurs.                      L. C.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année, 1798, tome VI, p. 118-120 :

[Ce compte rendu commence par reconnaître le succès de la pièce, avant d’en dire le sujet. Ensuite, une fois l’intrigue résumée, le critique affirme que le succès annoncé au départ repose sur la qualité des comédiens. Car « cet ouvrage est froid et long », l’intrigue ne devenant intéressante qu’au quatrième acte, les trois premiers étant qualifiés de « remplissage ». Le personnage titre est considéré comme « manqué, car il auroit attiré sur lui tout l'intérêt, tandis qu’il n'est qu’accessoire ». Points positifs : la qualité de la versification, un « style aisé, remplie de sentences morales et de détails agréables ». Mais, revers de la médaille, la pièce manque « de situations heureuses, et de vrai comique » (on peut en effet se demander si c’est bien une comédie).]

Les Dangers de la présomption, comédie en cinq actes et en vers, jouée sur le Théâtre Feydeau, le 28 pluviôse, a eu un succès assez marqué. Voici quel en est le sujet :

Mercourt est sur le point d'épouser Sophie, jeune, aimable et jolie, mais dont on ne connoîrt pas la famille. Orsimont, oncle de Mercourt, est seul dépositaire de ce secret, et il veut le lui apprendre avant de conclure leur hymen. Sophie descend d’une famille honnête, riche, mais prescrite, pour cause de religion, Orsimont remet à Mercourt un papier qui contient l’histoire de cette famille persécutée et. lui recommande le secret, d’où dépend le bonheur de Sophie. Mercourt a pour-cousin Fierville, jeune, présomptueux, qui se croit tout facile, qui se vante de ne pas craindre les femmes et d’être aguerri contre tous les pièges qu’elles pourroient lui tendre. Il prend intérêt à Sophie, et parvient à engager Mercourt-à lui prêter l’écrit qui contient- l’histoire desa famille,en lui assurant qu’il peut se reposer sur sa discrétion. Madame Melsage, qui aime Mercourt, et qui est-jalouse de ce qu’il lui préfère Sophie, apprend que Fierville possède le secret de la naissance de cette dernière. Elle-employe tous les moyens de séduction qu’elle croit capables de l’engager à lui confier ce papier, elle donne pour prétexte l'intérêt qu’elle prend à la jeune personne ; après une longue résistance, Fiervllle, ce philosophe, qui se croyoit si fort contre les femmes, cède et ne peut résister aux instances de madame Melsage ; il lui livre ce papier. Bientôt Orsimont apprend qu’elle le possède, il connoît son caractère, et sort aussitôt pour empêcher qu’elle ne le fasse servir contre la malheureuse Sophie. Cependant madame Melsage l’a prévenue, on vient pour enlever la jeune prescrite ; Fierville, au désespoir que son imprudence l’ait compromise à ce point, veut la défendre au péril de ses jours, mais Orsimont revient avec un contre-ordre, et Valmont épouse son amante.

Cette pièce, pour réussir, avoit besoin d’être jouée par les excellens acteurs qui en ont été chargés. Les citoyennes Contat et Mezerai, les citoyens Molé, Damas et Fleuri, sur tout dans le rôle du présomptueux, ont été couverts d’applaudissemens. Au reste cet ouvrage est froid et long, l’intérêt ne commence qu’au quatrième acte, et les trois premiers ne sont, pour ainsi dire, que du remplissage. Le rôle du présomptueux, n’est pas soutenu, on peut même le dire manqué, car il auroit attiré sur lui tout l'intérêt, tandis qu’il n'est qu’accessoire. La pièce est d’ailleurs très-bien versifiée, d’un style aisé, remplie de sentences morales et de détails agréables, mais manquant de situations heureuses, et de vrai comique. Elle est du citoyen Des-Faucheretz, auteur du Mariage secret, et de quelques autres ouvrages dramatiques.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-septième année), tome III (mars 1798, ventôse, an VI)

p. 202-204 :[Plutôt qu’une critique en bonne et due forme, la revue propose un fragment de lettre dont on ignore l’origine et le destinataire. L’auteur anonyme y débat de la nature de cette comédie déroutante pour le public du temps : pièce d’intrigue ou pièce de caractère ? Si on veut y voir une pièce d’intrigue, la difficulté est qu’on n’y trouve pas véritablement d’intrigue « vive ou forte, bien conduite, bien développée, bien dénouée » mais une intrigue terminée dès le moment où elle commence. Comédie de caractère ? On attendrait dans ce cas à voir sur la scène un homme toujours sûr de soi et de sa réussite, dans toutes ses dimensions, affaires,talents, amour. Or, déception, pas trace de présomption chez ce Présomptueux, qui se contente d’affirmer sa certitude qu’il « n'aimera jamais les femmes ». Il n’y a pas là de quoi remplir les cinq actes d’une comédie. Il ne reste plus d’agréable que le style, « toujours naturel et élégant », capable de faire oublier les défauts de la pièce.]

Les dangers de la présomption, par Desfaucherets. (Fragment d'une lettre sur cette pièce.)

Le titre promettoit une pièce de caractère ; & les avis ont été très-partagés sur cette pièce : on nous dit que c'est une pièce d'intrigue.

Y a-t-il en effet une intrigue vive ou forte, bien conduite, bien développée, bien dénouée ? Amène-t-elle des situations comiques, plaisantes, touchantes ou piquantes par leur nouveauté ? Quand vous faites ces questions, on vous répond : l'auteur a voulu faire une pièce de caractère.

En la considérant comme pièce d'intrigue, on peut dire que l'action & l'intérêt ne commencent qu'au moment où Fierville (c'est le présomptueux) compromet la sûreté de Sophie, la pupille de son oncle, & l’amante de son ami, en apprenant à une coquette, jalouse de celui-ci, que Sophie est d'une famille proscrite. Mais la pièce finit à ce moment même ; car la coquette n'a pas plutôt couru pour solliciter un ordre contre sa rivale, qu'aussitôt l'oncle va solliciter la révocation des ordres qui la proscrivent, & l'une & l'autre ne sont pas plutôt sortis, qu'ils sont déjà revenus l'une avec l'ordre d'arrêter Sophie , l'autre avec l'ordre de la délivrer ; ainsi, entre le commencement & la fin de l'action, il n'y a aucun intervalle, le Présomptueux n'a aucune occasion d'agir ; & le spectateur n'a pas un moment pour craindre & espérer.

Je dis à ceux qui abandonnent la pièce comme pièce d'intrigue : si vous voulez juger la pièce comme pièce de caractère, je vous demande une seule chose : c'est de revenir au moment où vous en avez lu, sur les affiches, la première annonce, & où vous vous êtes dit : J'irai la voir. Que vous êtes-vous promis alors ? Vous vous êtes attendu, sans doute, à voir le caractère du Présomptueux bien développé dans les situations diverses que cinq actes doivent naturellement amener ; & quelle idée vous êtes-vous formée du Présomptueux que vous alliez voir en scène ? C'est probablement celle d'un homme qui, en affaires, ne doute jamais de sa réussite ; en talens, de ses succès ; en amour, de ses conquêtes : c'étoit là, en effet, l'homme bon à châtier par la comédie.

Eh bien, n'avez vous pas été tout à fait déçu sous ce double rapport, à la première représentation de la pièce ? ou je me suis bien trompé, ou dans la conduite du Présomptueux
on ne trouve pas un seul trait , pas un seul acte de présomption ; on voit seulement dans ses discours une opinion où la présomption entre pour quelque chose. Et quelle est cette opinion ? Fierville suppose-t-il qu'il lui est très facile de subjuguer toutes les femmes, & de supplanter tous les hommes, ce qui peut amener des incidens comiques ou du moins plaisans ? Non ; toute sa chimère consiste à penser qu'il n'aimera jamais les femmes. Comment ne pas voir que s'il y a, en effet, de la présomption à compter sur sa raison, au point de lui soumettre l'amour, cette présomption, toute négative, ne pourroit être théâtrale qu'autant qu'elle seroit soutenue par des opinions & des habitudes anciennes & multipliées, qui seroient successivement aux prises avec le besoin d'un cœur tendre, & succomberoient l'une après l'autre à ce besoin, comme dans le Philosophe marié ? N'est-il pas évident que dans un jeune homme de 20 ans, une telle présomption ne peut être que ferveur de séminariste ou pédanterie d'écolier ? Ce n'est pas là, ce semble, un caractère assez fécond pour animer la scène comique, ni assez fâcheux & assez général pour avoir besoin de ses leçons. C'est une opinion qui n'a rien à donner à la comédie, ni rien à en recevoir.

Ce qu'il y a d'agréable dans la pièce du C. Desfaucherets, & ce qu'on peut y louer presque sans réserve sans nuire à l'art, c'est le style. Il est toujours naturel & élégant, quelquefois délicat, plus souvent fin ; tour à tour doux & vif, calme & animé. C'est à ce mérite du style qu'on reconnoît l'auteur du Mariage secret ; c'est ce mérite qui déguise au grand nombre des
spectateurs les défauts de l'ouvrage, & empêche de sentir, à un certain point, ces défauts alors même qu'on le reconnoît. Le charme des détails prouve que l'entreprise d'une comédie en cinq actes n'est point au dessus des forces de l'auteur ; tout l'invite à en faire un nouvel essai, & à se pénétrer
des dangers de la défiance de soi-même, comme il a voulu se pénétrer de ceux de la Présomption.

Dans la base César, la pièce est créditée de 6 représentations, du 16 février au 12 mars 1798.

Ajouter un commentaire

Anti-spam