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Elisabeth, ou les Exilés en Sibérie

Élisabeth, ou les Exilés en Sibérie, ou les Exilés en Sibérie, mélodrame en trois actes, d’Hippolyte Dorvo, musique de Piccini, ballet d’Eugène Hus ; 28 octobre 1806.

Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Almanach des Muses 1807.

Hyacinthe Dorvo est parfois baptisé Hippolyte.

Mélodrame inspiré d'un roman de madame Cottin qui porte le même nom. Ce roman a eu un grand succès, puisqu'il a donné naissance, en 1806, à deux mélodrames, celui-ci, œuvre d'Hippolyte Dorvo et celui de Joseph Aude et Henri-Joseph Thuring, Élisabeth ou l'héroïsme filial, joué le 20 octobre 1806 au Théâtre de la Gaîté. Et ils ne font que précéder le mélodrame de Pixerécourt, La fille de l'exilé, ou Huit mois en deux heures, joué en 1818. Voir Charlotte Krauss, La Russie et les Russes dans la fiction française du XIXe siècle, p. 136-137.

Courrier des spectacles, n° 3551 du 30 octobre 1806, p. 3-4 :

[Compte rendu qui s’ouvre par l’annonce d’un succès justifié par la qualité de la mise en scène d’une intrigue touchante et du travail de l’auteur. C’est en particulier le personnage d’Élisabeth qui rend la pièce si exceptionnelle. Après des préliminaires élogieux, c’est le résumé de l’intrigue pleine de rebondissements qui occupe l’essentiel de l’article, entrecoupé de réflexions sur les contraintes propres au genre du mélodrame, fondé sur des contrastes destinés au public populaire (car le mélodrame est encore vu avec réticence par le critique, qui le juge encore comme un genre inférieur). Le critique compare aussi l’intrigue avec celle du roman qui l’a inspirée. Bien sûr, tout finit bien, et les auteurs ont été nommés. La pièce n’a pas connu un sort sans incertitudes : première représentation houleuse (on peut suspecter la présence d’une claque hostile), seconde représentation triomphale. Mais cela n’empêche pas des critiques : action trop pauvre et trop lente, trop de place aux « accessoires », procédés dramatiques sans originalité, morale « très pure », mais qui sent un peu trop le sermon. Après des corrections (et il en reste quelques-unes à faire), le succès est assuré.]

Théâtre de la Porte St-Martin.

Élisabeth.

Ce mélodrame offre un des plus beaux spectacles que puisse présenter un théâtre du second ordre ; le piété filiale d’Élisabeth est si touchante et si noble ; elle a droit à tant d’hommages que l’on n’a rien négligé pour honorer un trait d’héroïsme si élevé. Rien de plus brillant, de plus frais, de plus imposant que les décorations qu’on a préparées pour cette représentation ; les costumes sont aussi d’une exactitude parfaite et d’une grande richesse.

L’auteur du poème est un homme d’esprit connu par des productions d’un autre genre, où l’on remarque un grand fonds de gaité et de verve comique. Le mélodrame est d’un genre différent ; ses manières sont plus sérieuses, son ton solemnel. Élisabeth exigeoit plutôt de la grâce et des couleurs tendres, que la pompe et le faste des sentimens. Une fille qui se sacrifie pour son père, est toujours sûre d’émouvoir sans le secours du luxe des mots et de l’amphâse [sic] des sentimens. Aussi l’auteur a-t-il évité ce défaut. Sa composition est en général sage, les effets en sont bien distribués, et à l’exception du rôle de niais auquel il a été obligé de se condamner pour satisfaire à l’usage, les autres ont la justesse et le ton qui leur convient.

Élisabeth est très-intéressante dans tout l’ouvrage ; elle a du courage et de l’intrépidité, sans manquer à la réserve et à la décence qui conviennent à son sexe. La jeune actrice qui la représente joue ce rôle avec beaucoup d'ame, son débit est toujours juste, et ses intentions vraies.

Stanislas Potoski, exilé sous le nom de Springer a la gravité d’une ame élevée que le malheur ne sauroit abaisser ; son langage a la dignité de sou rang, la fermeté de son caractère et l’expression tendre de la paternité.

C’est une nécessité dans un mélodrame d’égayer les situations les plus touchantes par des scènes d’un genre opposé. Ces contrastes plaisent singulièrement à la multitude, qui se lasseroit promptement du genre héroïque ou sentimental. L’auteur de la pièce qui a suivi le roman a profité de l’épisode du batelier pour créer un personnage comique, mais estimable ; il a fait de ce batelier un homme joyeux qui aime à caresser sa bouteille, mais plus encore à soulager les malheureux ; enfin, pour tirer quelqu’effet pathétique de son sujet, il a créé un personnage qui n’existe point dans le roman de Mad. Cottin, c’est celui du dénonciateur de Stanislas, qui se trouve condamné comme lui à l’exil, et obligé de partager les horreurs de sa solitude ; mais il n’en a point fait un odieux scélérat, c’est un homme que le remords poursuit, et qui voudroit effacer de tout son sang le crime qu’il a commis.

Voici à-peu-près la marche du poème :

Fœdora recherchée en même tems par le Comte de Walsberg et par Stanislas, a donné la préférence au Prince Polonais. Le Comte irrité, dénonce Stanislas, et parvient à le faire condamner à un exil perpétuel dans la Sibérie. Douze ans se passent sans que Stanislas obtienne aucun adoucissement à ses peines. Il avoit emmené avec lui sa fille Élisabeth, tendre enfant de trois ans ; sa femme Fœdora étoit ensuite venue le joindre dans sa douloureuse solitude, et partager avec lui tous ses chagrins. Nul espoir ne brilloit encore pour eux, lorsque la jeune Élisabeth conçut un projet digne de l’amel a plus élevée. Pleine de confiance dans la protection du ciel et la clémence de l’Empereur, elle forme la généreuse résolution de partir seule de la Sibérie, et d’aller jusqu’à la capitale implorer le pardon de son père. Elle est secondée dans ce dessein par le fils du Gouverneur de Tobolsc, qui s'intéresse à cette famille malheureuse ; il donne même un guide à Élisabeth, et charge un missionnaire vertueux de l’accompagner jusqu’à Moskou. Ces préparatifs et la douleur de la mere quand elle apprend le départ de sa fille, remplissent le premier acte ; il est remarquable par la beauté de la décoration qui représente la nature glacée de la Sibérie, des arbres et des chaumières chargés de neige, des melèzes antiques et presque dépouillés de branches et de feuillages. Le ballet est aussi très-agréable.

Le second acte offre un tableau différent ; on y voit la cabane d’un pécheur, les bords du fleuve et des barques qui le traversent. Une de ces barques dépose sur la rive l’accusateur de Stanislas chargé de chaînes, et conduit par des gardes qui le mènent au lieu de son exil. Le batelier lui prodigue tous les soins d’un cœur généreux. Un orage s’annonce, le tonnerre gronde, des monceaux de neige s’écroulent de toutes parts. On retire le vieillard et la jeune Élisabeth presque inanimés ; on les secoure [sic], et ils continuent courageusement leur entreprise.

Au troisième acte, Stanislas effrayé pour sa fille, prend le parti de suivre ses traces ; il se trouve en présence du Gouverneur, qui lui annonce qu’il a reçu de nouveaux ordres de la part de l’Empereur, et que tout espoir de pardon est perdu pour lui. En même tems il lui présente le comte de Walberg, condamné comme lui à l’exil, et destiné à vivre sous la même chaumière. Fœdora reconnoît le délateur de son mari ; elle est saisie d’horreur. Le trouble s'accroît, lorsque l’intrépide Élisabeth arrive avec la grâce de son père, et la permission de prononcer sur le sort du comte de Walberg ; elle n’a fait usage de cette faveur que pour lui pardonner et lui rendre la liberté.

Cet heureux événement est célébré par des fêtes, où brillent les talens de Morand et de Mesd. Caroline Soissons, d’Outreville et Degville. L’auteur du poème est M. Dorvo ; celui de la musique M. Piccini, dont la manière est gracieuse et élégante. Les ballets sont de M. Eugène Hus.

La première représentation de cet ouvrage avoit été troublée par quelques sifflets. La seconde représentation n’a recueilli que des applaudissemens. Son succès a été complet. On pourroil néanmoins désirer une action plus vive, plus forte et mieux nourrie. Les accessoires dévorent un peu le fonds ; et l'on y trouve des moyens répétés fréquemment, tels que l’envoi des lettres écrites par Élisabeth, par l’Empereur, etc. La morale du missionnaire est très-pure ; mais elle couvieudroit mieux à un prône qu’à une pièce de théâtre. On a déjà fait beaucoup de corrections à cet ouvrage. Il en reste encore quelques-unes à faire, et l’auteur peut se promettre ensuite un succès flatteur.

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