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Encore une caverne, ou le Brigand vertueux

Encore une caverne, ou le Brigand vertueux, comédie en prose & en trois actes, 18 mai 1793.

Théatre national de Moliere.

Titre :

Encore une caverne, ou le Brigand vertueux

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

18 mai 1793

Théâtre :

Théâtre national de Molière

Auteur(s) des paroles :

 

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 6 (juin 1793), p. 335-339 :

[Curieuse comédie, qui provoque une vive réaction chez le critique : après le résumé précis de l’intrigue, il entreprend de mettre à mal la pièce. Sa critique est très organisée. D’abord ce qu’il appelle la « contexture » de la pièce, qualifiée de « singulière ». Des longueurs au premier acte, dont il faut éliminer « les amours prolongés de deux ou trois domestiques imbéciles »: le premier acte est « monstrueux ». le second l’est moins, mais il montre le spectacle insoutenable d’un homme « bien né », devenu voleur et assassin. Spectacle prolongé au troisième acte, jusqu’à sa rédemption finale. La critique suivante porte sur l’indécence de ce qui est montré (et qui est jugé à l’aune de la sentence de Boileau, sur ce que « l’art judicieux doit éloigner » de nos regards). Puis il s’agit de dénoncer l’audace d’un auteur qui, au milieu de tant de noirceur, a tenté de faire rire. Enfin, un appel à la sobriété dans ce que le critique appelle « le spectacle » : le caractère artificiel de ces combats sur scène n’échappe à personne. Seule l’interprétation trouve grâce à ses yeux : « on la joue avec beaucoup d'intérêt, d'ensemble, & [...] les acteurs, pour la plupart, mettent dans leur rôle de l'intelligence & du talent », mais le spectacle n’en reste pas moins « un tout informe » que peuvent voir «  ceux qui ne craignent pas d'être fortement remués ». Encore un regret : que les méchants meurent « de la mort d'un soldat courageux », ce qui ne constitue pas une véritable punition pour ces « scélérats ».]

THÉATRE NATIONAL DE MOLIERE.

Encore une Caverne, ou le Brigand vertueux, comédie en prose & en trois actes, représentée pour la premiere fois le 18 mai 1793.

M. de Surville , homme d'un caractere dur & inflexible, a pour fils un très-mauvais sujet, qui n'a pas craint d'abandonner sa femme & un enfant jeune, pour se livrer aux passions & aux vices les plus honteux. On ne sait pas ce qu'il est devenu. Vertueuse, douce & sensible, sa femme est perpétuellement tourmentée par M. de Surville, qui, aigri par la douleur, la rend responsable de la fuite de son fils. II prétend qu'elle auroit pu l'arrêter sur le bord du précipice, & il ne cesse de lui faire les plus cuisans reproches. Quelle affreuse position !

Mme. de Surville ne peut la soutenir plus long-tems, & elle se résout à s'enfuir avec son fils du château de son beau-pere, pour aller se retirer dans celui d'une de ses sœurs, éloigné seulement de quelques lieues. Elle part, on est désolé chez M. de Surville ; on court, on cherche de tous les côtés.

En traversant une forêt, cette femme imprudente est arrêtée par une bande de voleurs qui ne lui laissent, ainsi qu'à son fils, que ce qu'il faut pour couvrir leur nudité. On les entraîne dans la caverne qui sert de repaire à cette horde de brigands. Demeurés seuls, ils cherchent à abandonner ce funeste lieu.

Un des voleurs, agité par les remords dévorans, vient gémir sur ses méfaits, il n'étoit pas présent à cette odieuse scène. Il rencontre, à la sortie de la caverne, les deux infortunés. O dieux ! il les reconnoît ; c'est son épouse, c'est son fils. Qu'on se rende compte, s'il est possible, de cette situation déchirante. Après avoir vécu pendant plusieurs mois avec les brigands qui les ont dépouillés, ce misérable, couvert de haillons & de crimes, fixe les regards d'une épouse adorée & vertueuse, d'un fils que son innocence ne peut garantir des plus horribles malheurs. Son cœur se brise de douleur, & il seroit écrasé sous le poids de l'adversité, si sa femme, toujours elle-même, ne versoit un baume de consolation sur ses plaies profondes & invétérées.

Mais l'occasion de réparer tous ses crimes se présente, il faut sauver, & le fils & la mere. Il en forme le projet avec un garde-chasse & un domestique, chargés par M. de Surville le pere, de suivre les traces de sa belle-fille. Ils partent, ils vont joindre leurs camarades, ils vont revenir en force. Puissent-ils ne pas arriver trop tard !

Le malheureux vieillard suivoit de près ses domestiques ; il paroît au moment où ils viennent de quitter la scene ; les brigands le suivent, lui demandent la bourse ou la vie ; il veut résister, il va périr ; son fils le sauve, ses gens arrivent, & tous les brigands sont exterminés. C'est au milieu des cadavres de ces scélérats, que M. de Surville retrouve le fils, la bru & le petit-fils qu'il avoient [sic] perdus. Les figures hideuses des voleurs dépenaillés, dont le théatre est jonché, le vif intérêt qu'on ne peut éviter de prendre aux principaux personnages, la situation terrible des deux surville, & la pitié qu'inspirent la mere & le fils, font éprouver un sentiment pénible & douloureux, dont il est bien difficile d'apprécier la profondeur.

Cette piece est très-singuliere par sa contexture. Le premier acte offre beaucoup de longueurs, qui pourroient, qui devroient être élaguées, si l'on vouloit donner à ce drame une forme réguliere. Que signifient les amours prolongés de deux ou trois domestiques imbéciles, lorsqu'on déplore de si grandes pertes ? Le second acte est moins monstrueux, & présente des situations véritablement intéressantes. Quel est toutefois le cœur sensible qui peut soutenir la vue d'un homme bien né, & qui fut vertueux, se livrant depuis trois mois à l'infâme métier de voleur & d'assassin ? Quel est le cœur sensible qui peut soutenir, au troisieme acte, la vue de ce même homme, devenant un objet d'abjection & d'horreur pour ses propres domestiques, & cessant tout-à-coup d'être un objet d'exécration pour les honnêtes gens, en sauvant la vie à sa femme, à son fils, à son pere ?

L'auteur, qui ne sait peut-être pas assez bien qu'il est de ces objets que l'art judicieux doit éloigner de nos regards1, a voulu rendre son héroïque brigand intéressant, en mettant beaucoup de remords dans son cœur, & de maximes sentencieuses sur ses levres ; malheureusement plusieurs de ces sentences, dignes d'ailleurs d'être retenues, viennent mal-à-propos, ou sont mal amenées, & manquent par conséquent le but que l'auteur s'étoit proposé.

Croiroit-on, d'après ce qu'on vient de lire, que l'auteur a pu prétendre encore égayer un sujet si atroce & si noir ? C'est pourtant ce qu'il a voulu faire. A-t-il réussi ? c'étoit impossible. Un bon mot, une plaisanterie ne sauroient être sentis dans un moment d'horreur.

II n'a pas même réussi, en voulant nous séduire par le spectacle, & c'est en vain qu'on entend au troisieme acte gronder le tonnerre, & qu'on y voit, à la lueur des éclairs, & au milieu des coups de pistolets & de fusils, un combat corps-à-corps, où les brigands sur lesquels les tubes de fer n'avoient pas vomi la mort, sont tous tués à coup de sabre, d'épée, ou de baïonnette, tandis que pas un seul des chasseurs & des domestiques de M. de Surville n'est tué, ni même blessé.

II nous semble qu'on devroit être bien plus sobres de ces sortes de spectacles, qui n'intéressent que très-peu ; car on a beau faire & beau dire, de pareils effets deviennent toujours faux au théatre, où le spectateur ne manque jamais de s'appercevoir que les gens qui se battent ont grand peur des égratignures, & où tout le monde fait, comme le dit Pannard, que des épées admirables, tuent les gens sans les blesser.

Rendons justice toutefois à la maniere dont cette comédie est représentée, & disons qu'on la joue avec beaucoup d'intérêt, d'ensemble, & que les acteurs, pour la plupart, mettent dans leur rôle de l'intelligence & du talent. Disons encore que cette piece, telle qu'elle est, présente un tout difforme, si l'on veut, mais curieux, à la maniere des monstres, & que ceux qui ne craignent pas d'être fortement remués, font très-bien d'aller la voir.

Encore une observation : si l'auteur de la piece dont nous entretenons nos lecteurs, a été excusable de faire trois actes pour ramener, n'importe par quels chemins, un brigand à la vertu, n'auroit-il pas fallu, pour la plus grande satisfaction de ceux qui n'aiment pas, avec raison, de voir mourir des scélérats de la mort d'un soldat courageux, que ces assassins eussent été punis?

César : je n'ai pas trouvé cette pièce dans la base. André Tissier, Les spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 2, p. 232, donne le chiffre de 20 représentations, à partir du 18 mai 1793.

1 Boileau, Art poétique : « Mais il est des objets, que l'art judicieux / Doit offrir à l'oreille, et reculer des yeux. »

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